Par Olivier Bocco
Dans quelques jours, une partie du peuple togolais ira aux urnes pour exercer un des droits fondamentaux du citoyen : le vote. Cet exercice n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est le contexte dont il convient de rappeler les principaux éléments, pour que les trous de mémoires qui est la principale caractéristique du pouvoir politique togolais, ne fassent pas disparaître ces heures particulières de l’histoire de notre pays.
Une partie du peuple togolais ira aux urnes, mais une partie seulement, dans des conditions où les fondamentaux requis pour des élections libres et transparentes sont loin d’être réunis. Et pourtant, l’opposition unie n’a cessé d’alerter l’opinion nationale et internationale sur les conditions calamiteuses de préparation aux élections présidentielles du 24 avril 2005. Elle n’a pas cessé d’informer, de mobiliser, de sensibiliser, d’interpeller. Elle n’a pas cessé d’agir, de manifester, de résister en payant, chaque fois au prix fort, sa détermination pour faire enfin du Togo, un Etat où la démocratie, les droits humains sont respectés. Elle a ainsi perdu, depuis le 5 février, plusieurs dizaines de ses filles et de ses fils tombés sous les balles d’un pouvoir, qui s’est illustré pendant les quarante dernières années, comme l’un des pouvoirs les plus féroces du Continent africain.
Les fondamentaux requis pour des élections libres et transparentes sont connus. Il n’y a rien de nouveau dans cette matière où l’histoire a, au fil des ans, construit des modèles juridiques et jurisprudenciels. Ces fondamentaux s’appellent : cadre électoral clair. Articulé autour de neuf points négociés entre le pouvoir RPT et l’opposition démocratique sous l’égide de la CEDEAO, un cadre électoral consensuel aurait pu permettre l’organisation d’élections enfin démocratiques au Togo.
Dans ce processus, la communauté internationale avait un rôle prééminent. Après que ce rôle eût été délégué à la CEDEAO, proclamée médiateur en l’occurrence, le monde entier a pu observer la démission progressive de l’organisation régionale devant l’histoire. La CEDEAO a, en effet, opté pour la stratégie qui consiste à fermer les yeux et les oreilles devant les manipulations grossières de la liste électorale, la distribution partiale des cartes d’électeurs, la soumission inconditionnelle au pouvoir RPT de tous les organes chargés de la gestion des élections : ministère de l’intérieur, Cour constitutionnelle, Commission nationale électorale indépendante, Haute autorité de l’audiovisuel. Les représentants de la CEDEAO ont décidé de ne pas être au courant de cette situation, qui n’est pourtant pas nouvelle au Togo. Et ils le proclament urbi et orbi. Ils ont décidé d’ignorer le climat de terreur et de violences meurtrières qui a marqué le processus préparatoire aux élections. Ils ont décidé d’oublier qu’au Togo, depuis une quarantaine d’années, il n’y a jamais eu d’élections libres et démocratiques. Ce faisant, les représentants de la CEDEAO portent devant l’histoire les responsabilités d’une élection tronquée et truquée, s’inscrivant dans la longue série d’élections frauduleuses au Togo. Ils ont accepté de se couvrir de honte devant le peuple togolais et les peuples africains, qui n’ont cessé, pendant des décennies, de revendiquer la liberté et la dignité.
Au Togo, la CEDEAO avait, disions-nous, un rôle prééminent au regard du contexte togolais, pays où la Françafrique a prospéré et à partir duquel elle a essaimé à travers le Continent : coups d’Etat militaires récurrents, installation de dictatures brutales, violations massives des droits de l’Homme, dénis de justice, gestion maffieuse des ressources des pays, corruption endémique.
C’est au Togo qu’une dictature militaro-civile a pu, pendant quatre décennies, tout détourner, absolument tout : politiquement comme économiquement, au profit d’un clan, d’une famille.
C’est avec le Togo que l’Union Européenne a interrompu sa coopération pendant plus de douze ans pour « déficit démocratique » : deux mots-clés non négociables et sur lesquels le pouvoir togolais, dans son entêtement, a cru pouvoir gesticuler et divertir les partenaires européens. Le déficit démocratique est toujours là, les sanctions sont elles aussi là avec leurs conséquences désastreuses pour les populations togolaises.
C’est au Togo, que la moindre manifestation pacifique pour réclamer la démocratie et le respect des droits de l’Homme se transforme en chasse à l’homme, avec l’artillerie lourde, comme si le pays était en état de guerre, avec en prime des morts et encore des morts, des blessés et encore des blessés.
C’est au Togo que les représentants de l’opposition démocratique doivent vivre dans des maquis, ne jamais dormir deux fois au même endroit, rester en permanence sur leurs gardes.
C’est au Togo que le pouvoir RPT s’obstine à refuser que le monde a changé et que la démocratie est une condition incontournable pour aller vers le développement durable. Englué dans un obscurantisme lamentable, il s’agrippe à ses intérêts claniques tout en brandissant le spectre de la guerre civile, et autres phraséologies complètement anachroniques.
C’est au Togo, qu’au soir des élections présidentielles, en 1998 et en 2003, des préfets sous ordre et sans scrupules, se sont armés de leurs plumes pour rédiger les procès verbaux des élections, en lieu et place des organes électoraux chargés d’une telle opération. Les observateurs neutres ont pu vivre cela lors des présidentielles de 1998 et de 2003.
C’est au Togo, qu’au soir des élections, tout le réseau téléphonique et informatique est coupé pour permettre au pouvoir RPT d’opérer, en catimini, les fraudes dont il détient le record en Afrique et s’autoproclamer ensuite vainqueur.
Ce n’est pas un hasard si, dès à présent, le président de la haute autorité de l’audiovisuel a décidé d’interdire toute présence des médias libres dans la campagne et les élections elles-mêmes. Tout le monde sait que cette mesure vise à garantir au pouvoir toute latitude pour diffuser à sa guise l’information qui l’arrange, c’est-à-dire proclamer le candidat du RPT élu à un pourcentage qui n’a rien à avoir avec les votes réels des citoyens.
Ce que la communauté internationale, qui a suivi depuis des années les valses d’une dictature aux abois, a demandé à la CEDEAO, c’est de coordonner l’action des partenaires internationaux pour créer les conditions d’un scrutin démocratique et transparent. Dans la situation togolaise, pays où le pouvoir dispose d’une redoutable capacité de manipuler, d’endormir et de réprimer, la CEDEAO avait un rôle d’encadrement et d’appui à toute la classe politique togolaise. Elle avait un rôle d’arbitre neutre entre le pouvoir RPT qui dit une chose et fait le contraire et l’opposition démocratique qui subit cette situation et ces pratiques antidémocratiques depuis des décennies. Personne n’a demandé à la CEDEAO de s’aplatir devant les exigences du pouvoir RPT, en faisant fi des accords dûment conclus entre le pouvoir et l’opposition démocratique sous l’égide de la CEDEAO.
Au lieu de jouer ce rôle historique que lui a concédé la communauté internationale, la CEDEAO s’est laissée endormir et en fin compte corrompre, puisqu’elle accepte l’inacceptable. Elle s’est engagée dans des manœuvres dilatoires et dans des circonlocutions filandreuses, confirmant ainsi son incapacité à agir comme partenaire crédible en situation de crise. Agissant en cavalier seul, elle s’est coupée des autres partenaires crédibles comme l’Union Européenne et l’Allemagne, qui ont estimé les délais trop courts pour organiser un scrutin sérieux.
Au Togo, la CEDEAO est en train de perdre toute crédibilité et cela, les peuples togolais et africains ne l’oublieront jamais !
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