28/03/2024

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Afrique : 50 ans aprés les  » indépendances », Panafricanisme OUI ! Eurafrique NON !

Par Godwin Tété

« S’unir ou périr » Marcus Garvey
« L’Afrique doit s’unir » Dr. Kwame (Francis) Nkrumah
« Sans l’Afrique, il n’y aura pas d’histoire de France au XXIe siècle »
François Mitterrand

Prologue

Cette année 2010, les Etats « francophones » d’Afrique Noire commémorent, de concert avec les autorités officielles du régime « sarkozien » en France, les 50 (cinquante) ans des « indépendances » desdits Etats. En effet, c’est bel et bien en 1960 que ces derniers ont accédé à une « souveraineté internationale » – dans la plupart des cas octroyée par le Général Charles de Gaulle. Et ce afin d’éviter d’autres guerres de libération nationale à la vietnamienne ou à l’algérienne dans le « pré-carré » français. À ce propos, cet illustre personnage écrira dans ses mémoires : « J’ai lâché du lest pour pouvoir conserver l’essentiel »…
De toutes les façons, le laps de temps de 50 (cinquante) ans impose, ipso facto, la nécessité d’un bilan des « indépendances » en considération. Et il n’a pas manqué de susciter des débats plus ou moins vifs, de faire couler quantités d’encre et de salive. À ce sujet, le lecteur est convié à consulter la bibliographie essentielle et sommaire indiquée à la fin de cet article-ci.
Et comment se présente ce bilan ? Bien que je récuse radicalement l’afro-pessimisme, je dirais, en deux mots, que le bilan en cause se ramène à reconnaître que la « décolonisation » gaullienne a débouché, globalement et de facto, sur une recolonisation qui n’ose pas avouer son nom. (Cf. Tibor Mende, De l’aide à la recolonisation. Les leçons d’un échec. Ed. Seuil, Paris, 1975). Et rien ne corrobore cette assertion mieux que la convocation des « chefs » des Etats sus-mentionnés, par le Président Nicolas Sarkozy, au 14 juillet 2010 à Paris. Oui ! Pour nous autres Négro-Africains, un tel acte ressort comme une convocation adressée par un suzerain moyenâgeux à ses tributaires. (Cf. Les ambiguïtés d’un 14 juillet africain. Le Monde n° 20358 du 08 juillet 2010, Editorial, p. 1).
Et alors, dans le cadre des anniversaires de nos « indépendances », les tenants de la Françafrique se livrent à une réelle propagande de ce qu’ils appellent « Assumer notre histoire commune ». Qu’est-ce à dire ? Cela signifie que la colonisation aurait, de fait, forgé une histoire commune – un commun destin françafricain – que nous nous devrions d’assumer. Quelque douloureuse que fût cette colonisation d’obédience européenne. Il y a là, à première vue, un discours mielleux, séduisant, apparemment anodin, mais profondément fallacieux, intrinsèquement néocolonialiste, recolonisateur. En vérité, j’entends ici un discours que j’ai entendu déjà dans les années 1950 : un discours « eurafricaniste » aux termes duquel certaines éminences grises françaises et européennes en général se plaisaient à prôner la nécessité d’une certaine « Eurafrique » : une sorte de « gestion en pool » de l’Afrique par l’Europe.
Mais, au vrai, l’Eurafrique ne serait qu’une autre mystification des Africains, une version autre… du colonialisme : une recolonisation pure et simple de l’Afrique. Ce dont ce Continent a besoin, assurément, c’est le Panafricanisme : l’Unité Africaine des Peuples. Véritablement ! Ainsi donc, dans les lignes qui suivent, nous allons passer en revue, en vol d’oiseau, les significations et l’actualité de ces deux concepts. En ayant présente à l’esprit la Jeunesse africaine qui doit savoir…

I. DU CONCEPT D’EURAFRIQUE

Oui ! Il y a déjà longtemps que les dirigeants français en particulier, et ceux de l’Europe en général, ont compris que l’Afrique, du point de vue géopolitique, représente un « atout » vital, inestimable, s’agissant de la « puissance » et de la « grandeur » de leurs pays respectifs.
En effet, il faut remonter le temps jusqu’à 1492, jusqu’à la « découverte » du « Nouveau Monde » par Christophe Colomb, pour apprécier le funeste et important rôle joué par l’incommensurable et pluriséculaire génocide nommé par euphémisme « traite et esclavage négriers transatlantiques », dans l’essor capitalistique des nations de l’Europe de l’Ouest à l’orée de l’ère moderne. (Cf. Eric Williams, Capitalisme et esclavage. Ed. Présence Africaine, Paris, 1968).
Voilà pourquoi, pour un François Mitterrand, qui avait le sens de la formule, « Sans l’Afrique, il n’y aura pas d’histoire de France au XXIe siècle ». (Cité par Régis Debray in Les empires contre l’Europe. Ed. Galllimard, Paris, 1985, p. 143). François Mitterrand savait très bien de quoi il parlait ainsi autour de l’année 1957, alors qu’il était Ministre des Colonies… Déjà aux premières heures de la IIIe République Française, un Jules Ferry martelait, dans ses discours à l’Asssemblée nationale, l’intérêt stratégico-économico-politique crucial qu’offrait l’Afrique à l’impérialisme français et européen en général. Dans la même veine d’idées, un certain Onésime Reclus publia en 1904 un ouvrage au titre on ne peut plus cynique de « Lâchons l’Asie, Prenons l’Afrique » (Ed. Librairie Universelle, Paris). Le gouverneur (français) des colonies Albert Sarraut écrira, quant à lui, en 1931, un livre non moins célèbre : « Grandeur et servitude coloniales ». (Ed. du Sagittaire, Paris). Livre où le vieux colon s’est lancé, à corps perdu, dans une apologie effrénée de l’exploitation systématique des colonies par les « métropoles » coloniales et colonialistes.
Au reste, en fouinant dans les archives nationales des impérialistes occidentaux, on pourrait lister à l’infini les « belles » formules comme celles précitées de de Gaulle et de Mitterrand. Ce qui est sûr, c’est que l’Afrique, en raison de sa proximité géographique de l’Europe, est apparue très tôt aux Européens comme une proie trop facile pour ne pas être saisie. À preuve, la fameuse Conférence de Berlin : 15 novembre 1884/26 février 1885 où le partage du Continent noir fut entériné selon les données géopolitiques déjà opérées sur le terrain par les impérialistes occidentaux. (Cf. Henri Wesseling, Le Partage de l’Afrique (1880-1914). Ed. Denoël, Paris, 1996). Que dis-je ? En 1951, à Oldenburg (Allemagne), un géopoliticien nazi du nom d’Anton Zischka, publia un ouvrage au titre ô combien évocateur de L’Afrique complément de l’Europe (Ed. Robert Laffont, Paris, 1952). Nous nous devons d’abord de remarquer qu’il s’agit non pas de partenariat, mais plutôt de « complémentarité ». En d’autres mots, l’Afrique est vouée à servir de « complément », d’ « appendice » à l’Europe. Voilà ce qu’on a appelé l’ « Eurafrique » dans les années 1950. La nature méprisante de ce concept se passe de commentaires.
Le côté comi-tragique de cette histoire, c’est que l’Occident, avec la traite et l’esclavage négriers, avec la colonisation (et de nos jours avec la néocolonisation pour ne pas parler de recolonisation tout court), a réussi à si bien complexer le Négro-Africain que celui-ci a fini par gober béatement tout ce que les impérialistes lui suggèrent. C’est ainsi que Léopold Sédar Senghor se fit, au milieu des années 1950, un chantre enthousiaste de l’Eurafrique. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore je vois, j’écoute des Négro-Africains se faire gaillardement des propagandistes – avec un zèle de néophyte – de la cause eurafricaniste quand bien même enveloppée dans un discours mondialisationniste… Voilà pourquoi je prie le lecteur de bien vouloir prendre connaissance de l’article que j’ai rédigé pour les manifestations de la « Journée Anticolonialiste du 21 février 1955 », ci-après joint in extenso en annexe. Oui ! Lu mutatis mutandis, ce texte accuse, dans son esprit, une fraîcheur et une pertinence incontestables.
Certes, le jésuite et humaniste français Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) disait déjà : « Le monde se totalise ». Certes, notre univers est devenu depuis belle lurette « un village planétaire ». (Cf. Joël de Rosnay, Le macrocosme. Vers une vision globale. Ed. Seuil, Paris, 1977). Certes donc, nuls nation et/ou Etat ne sauraient plus se barricader dans une autarcie absolument étanche. Mais l’Histoire ne connaît point de nation et/ou d’Etat qui se soient développés sans une certaine dose de protectionnisme au départ… Un proverbe éwé enseigne : « Avant de se coucher, il faut d’abord s’asseoir. »
Dès lors, s’il est vrai que nous autres Africains avons impérieusement besoin d’espaces géopolitiques critiques, de seuils critiques de population, pour pouvoir accomplir notre décollage économique, politique, social, culturel valable, durable et viable, nous nous devons de tourner le dos à notre condition de simple « complément », de misérable « appendice » de l’Europe. Nous nous devons de dire non ! à l’Eurafrique. Pour faire quoi alors ? Pour réaliser le Panafricanisme, c’est-à-dire l’Unité Africaine Véritable des Peuples. Ce qui nous amène à définir quelque peu, ci-après, ce deuxième concept sous rubrique dans le présent article.

II. DÉFINITION DU PANAFRICANISME

Né au sein de la Diaspora africaine déracinée du « Nouveau Monde », puis adopté par les élites de notre continent, ensuite retourné, enrichi, aux Amériques et aux Caraïbes, le panafricanisme signifie la doctrine de l’unité fondamentale des peuples africains. Oui, ainsi que nous l’avons écrit ailleurs : « Le panafricanisme peut être vu comme le mouvement politico-culturel, dans le sens le plus large du terme, qui s’efforce de traduire dans la réalité les aspirations communes et l’indispensable unité des peuples africains et de leurs descendants à travers le monde. Le panafricanisme est la pensée (ou la doctrine) fédéraliste des peuples du continent africain et d’ascendance africaine. Il tend vers le rassemblement et la solidarité politique, économique, culturelle de ces peuples. Le panafricanisme repose sur les quatre notions fondamentales suivantes : 1) fierté du passé historique de l’Afrique ; 2) unité africaine des peuples ; 3) l’Afrique aux Africains (ou de nationalité africaine) ; 4) rédemption de l’Afrique. Le panafricanisme est la « doctrine par excellence de la décolonisation » de notre Continent ; il est le nationalisme embrassant l’ensemble de l’Afrique et de ses descendants hors du continent. À long terme, le panafricanisme vise la fédération de l’Afrique, la constitution des Etats-Unis d’Afrique. Pour la création de notre propre et auto-référentielle modernité. » (Cf. Godwin Tété, Marcus Garvey : Père de l’Unité Africaine des Peuples, Ed. L’Harmattan, Paris, 1995, tome I, p. 34).
Pour le reste, à savoir, par exemple, qui est Africain, pour ma part, je crois que nous devons faire preuve de pragmatisme, éviter la vaine poursuite d’une hypothétique définition par trop intellectualiste, sinon fallacieuse, du moins aléatoire… « Faut-il s’en étonner, s’il est vrai que pour formuler le concept d’une réalité, il faut déjà la dépasser lucidement, en l’intégrant dans une totalité plus vaste car définir c’est limiter, établir des rapports, surmonter l’isolement de la chose étudiée et la situer dans l’univers. » (Cf. Henri Lefebvre, Le Nationalisme contre les nations, Ed. Méridiens-Klincksieck. Paris, 1988, p. 97).
Depuis sa naissance, le panafricanisme a illuminé une véritable kyrielle de brillants esprits et enflammé toute une flopée de nobles cœurs. Si bien qu’à l’heure actuelle, il serait réellement fastidieux et inutile de vouloir les énumérer tous. Contentons-nous donc d’en rappeler quelques-uns. Je nommerai alors, à tout hasard : Henry Sylvester Williams, Booker Taliaferro Washington, William Edward Burghardt Du Bois, Marcus Mosiah Aurelius Garvey, Paul Cuffee, Toussaint Louverture, Joseph Ephraïm Casley Hayford, Edward Wilmot Blyden, Mohammed Ali Duse, Mc Neal Turner, Kodjo Tovalou Houénou, Ibrahima Arfan Lamine Senghor, Tiémoko Garan Kouyaté, Nnandi Azikiwé, Jomo Kenyatta, Gabriel Darbousier, Ruben Um Nyobé, Félix Mounié, Osendé Castor Afana, Kwame Nkrumah, Sylvanus Olympio, Aimé Césaire, Cheikh Anta Diop, Barthélémy Boganda, Patrice Eméry Lumumba, Ahmed Sékou Touré, Modibo Keita, Nelson Mandela, El Mehdi Ben-Barka, Ahmed Ben Bella, Gamal Abdel Nasser, Amilcar Cabral, Malcolm X, Frantz Fanon, Martin Luther King Jr., Mouammar Kadhafi, Olusegun Obasanjo, Joseph Ki-Zerbo, Thomas Sankara, Thabo Mbéki, Abdoulaye Wade… Ce qui, en rien, ne réduit le mérite des dizaines d’autres éminentes figures ici passées sous silence.
Pour des détails, voir mes livres : (i) Marcus Garvey : Père de l’Unité Africaine des Peuples (deux volumes). Ed. L’Harmattan, Paris, 1995. (ii) La Question Nègre. Ed. L’Harmattan, Paris, 2003. Chapitre IV, section 2, pp. 117-122 notamment.

EPILOGUE

Il est grand temps que l’homme négro-africain se prenne en main. Enfin ! Qu’il apprenne à se déterminer lui-même, par lui-même, pour lui-même. En fonction de ses propres intérêts déterminés par lui-même. Depuis que je me trouve sur terre, j’observe que c’est seulement l’homme occidental qui conseille à l’homme négro-africain ce que celui-là croit convenir à celui-ci. Jamais je n’ai noté la réciproque ! À cet égard, le nouvel attrape-nigaud que cache « notre histoire commune » avec l’Occident, à « assumer communément » avec l’Occident doit être rejeté. Par contre, l’avènement de l’Union Africaine des Peuples tarde trop depuis la première Conférence panafricaine tenue à Londres en juillet 1900. Au demeurant, le retentissant fiasco de nos « indépendances » après 50 (cinquante) ans de parcours, découle, pour une très bonne part, précisément du fait que nous avons été absents au rendez-vous du panafricanisme authentique. En tout état de cause, osons dire non ! à l’Eurafrique ressuscitée et oui ! au Panafricanisme véritable. Car l’Afrique du XXIe siècle sera panafricaine ou recolonisée !

Par Godwin Tété
Ancien fonctionnaire international des Nations-Unies