18/04/2024

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Aimé Gogué: « Faure Gnassingbé n’a pas le droit d’être candidat »

Le professeur Aimé Tchabouré Gogué est le vice-président de l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (ADDI). Il est également le Commissaire chargé des Relations internationales de la Coalition constituée par son parti et d’autres formation politiques de l’opposition togolaise comme le CAR, le CDPA, le PSR, l’UDS-Togo et l’UFC. Après la mort d’Eyadéma Gnassingbé et dans l’attente de l’échéance électorale du 24 avril prochain pour le fauteuil présidentiel, comment va le Togo ? Réponses du professeur Gogué que nous avons rencontré le samedi 2 avril dernier alors qu’il partait au Niger pour rencontrer Mamadou Tandja, le chef d’Etat nigérian et président en exercice de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Propos recueillis par Morin YAMONGBE

Le Pays : Le Togo revient de loin avec la mort du Général Eyadéma Gnassingbé, la prise du pouvoir par son fils Faure soutenu par l’armée et le retour aux normes constitutionnelles. Mais le Togo ira-t-il loin, notamment avec les problèmes qui entachent prématurément l’élection présidentielle prochaine ?

Professeur Gogué : le Togo revient effectivement de loin et nous nous posons toujours des questions sur la transition vers un pouvoir plus stable. C’est dans cette logique que l’opposition a pensé que les dates fixées pour l’élection du 24 avril prochain n’étaient pas opportunes. Il n’y a pas suffisamment de temps pour préparer et organiser de bonnes élections.

L’Union européenne qui n’envoie pas d’observateurs semble abonder dans le même sens.

Ce n’est pas uniquement l’Union européenne. Il y a également les Etats Unis, le Canada et l’Allemagne qui trouvent cette date trop précipitée. Et nous ne comprenons pas pourquoi on se précipite ainsi alors qu’on aurait pu prendre deux mois pour résoudre correctement le problème.

Serait-ce légal de prendre tout ce temps et ne pas organiser les élections contrairement à ce qu’exige la Constitution togolaise ?

La Constitution n’est pas aussi rigide que cela sur ce point. Elle dit que le corps électoral doit être convoqué dans les 60 jours au plus tard.

Convoquer le corps électoral ne signifie donc pas aller aux élections ?

On peut convoquer le corps électoral et fixer un autre délai pour faire des élections.

A moins de jouer sur les mots, convoquer le corps électoral entraîne, dans notre entendement, organiser des élections.

Entre la convocation du corps électoral et l’élection proprement dite, il peut exister un autre délai qu’on pourrait mettre à profit pour mieux préparer le scrutin.

L’avez-vous fait savoir de façon très explicite à la CEDEAO et à l’Union africaine ?

Très très clairement ! L’opposition a dit que la Constitution a tenu compte de ce délai que j’évoquais pour organiser les élections sans précipitation.

Les élections vont-elles se tenir malgré cette opposition de … l’opposition ?

Malheureusement l’opération de révision des listes électorales a commencé, de même que la distribution des cartes électorales, tout cela dans une véritable pagaille.

Qu’entendez-vous par pagaille ?

Pagaille parce que après 2 jours au lieu de 8, ils disent qu’il n’y a plus de carte. Ils n’inscrivent plus des citoyens. Des gens ne retrouvent pas leurs cartes et celles de certains quartiers sont placées parfois à des vingtaines de kilomètres de distance sans information aucune. Il n’y a pas non plus de période de recours pour cela et contrairement à l’accord que nous avons conclu avec le gouvernement et la mouvance présidentielle sous l’égide de la CEDEAO, l’opposition n’est pas représentée dans les comités de cartes.

Comment avez-vous réagi ?

Nous avons attiré l’attention de la CEDEAO sur cette maldonne et nous organisons des manifestations contre cela depuis que nous avons fait le constat de la chose.

Est-ce judicieux de votre part de manifester ou d’appeler les populations à le faire quand on sait que les manifestations au Togo finissent presque toujours dans de sang ?

Non, pour le moment ce n’est pas le cas. De toutes les façons, c’est le seul moyen dont nous disposons. Nous n’avons pas d’armes. Il y a eu déjà beaucoup de manifestations spontanées. Ensuite, nous avons écrit à l’envoyé spécial de la CEDEAO à Lomé pour lui faire constater tous ces éléments de fraudes.

Pourquoi toutes ces dérives alors qu’il n’y a pas longtemps et dans le cadre d’une élection propre, l’opposition et le pouvoir togolais ont signé un code commun de bonne conduite ?

Il y a le code de bonne conduite et un protocole d’accord qui dit que le gouvernement allait respecter certaines conditions, notamment l’inclusion à part entière des représentants de l’opposition dans les comités d’élection au niveau local. Pour le moment, par rapport au code de bonne conduite, l’opposition se comporte très bien.

Qu’est-ce qui justifie votre présence à Ouagadougou ?

C’est pour rencontrer les responsables d’ici et les informer de la situation qui prévaut au Togo.

Vous avez pu rencontrer des autorités burkinabè ?

J’ai discuté avec des gens pour le moment.

Des gens ?

Oui, certains responsables.

Politiques ?

Oui, politiques.

Peut-on avoir quelques noms ?

Non, ce n’est pas nécessaire.

Vous êtes en partance pour Niamey au Niger (l’entretien a eu lieu le samedi 2 avril la veille du voyage sur Niamey, ndlr) où nous le supposons vous en discuterez de vive voix avec Mamadou Tandja, le président en exercice de la CEDEAO.

C’est surtout cela, l’objectif de notre voyage à Niamey.

A l’époque, on avait applaudi la naissance de votre coalition en se disant que pour l’une des rares fois, une opposition africaine forme un bloc derrière un candidat unique à l’élection présidentielle. Mais aujourd’hui, devons-nous déchanter, vu qu’il y a d’autres candidats qui se réclament de cette même opposition ?

Pour nous l’opposition est représentée par la coalition. Il y a deux autres candidats Harry Olympio et Nicolas Lawson. Harry Olympio a participé aux élections de 2002 et a fait partie du gouvernement d’Eyadéma tout récemment. Pour nous, il n’est pas de l’opposition. Nicolas Lawson non plus n’est pas de l’opposition dite traditionnelle. Actuellement, l’opposition a un vrai candidat unique (Emmanuel Bob Akitani, ndlr).

Mais vous-mêmes, on vous classe dans l’opposition dite modérée …

Qui ?

L’ADDI serait de l’opposition modérée …

Ces mots n’ont pas de sens. Même le thème d’opposition radicale qui est collée à la Coalition ne vient pas de nous. Nous sommes pour un changement de régime. Toutes les formations politiques membres de la Coalition respectent les mêmes règles. Nous sommes contre la violence. L’ADDI est dans ce groupe et veut un changement par la voie électorale et dans des conditions transparentes.

Avez-vous foi au changement à court ou à long terme, au Togo ?

Si c’est le changement politique, nous espérons que cela va changer. Nous pensons que nos adversaires politiques comprendrons qu’il est temps que des élections transparentes se tiennent, s’ils veulent l’apaisement. Cela permettrait le changement au Togo.

Comment percevez-vous le rôle de l’armée dans cet imbroglio à la togolaise ?

Nous croyons que l’armée n’a pas nécessairement joué un bon rôle. Cela se comprend aussi par le fait qu’il y a des incompréhensions de part et d’autre. Il n’y a pas eu un dialogue direct entre l’armée et l’opposition jusqu’à présent, sauf en 1991-1993 où il y avait le gouvernement de transition. En ce moment, nous avons eu à prouver à l’armée que nous ne sommes pas nécessairement contre elle. L’opposition doit trouver des moyens pour sécuriser l’armée. Du reste, l’armée est composée de Togolais. C’est une force organisée de l’Etat togolais. Nous devons donc travailler avec elle.

Vous ou le président de l’ADDI auriez sans doute préféré être le candidat de l’opposition à la place de celui qui a été désigné ?

Je figurais parmi les candidats potentiels et une partie de la population aurait bien voulu que je sois candidat. Mais nous avons pensé, à l’appel de la population, qu’il serait plus heureux d’avoir un candidat unique. Il fallait donc taire les ambitions personnelles.

Comment avez-vous réussi à mettre de côté l’option individualiste, pour que cela serve d’exemple à une certaine opposition ?

Depuis 2003, l’ADDI avait déjà dit qu’elle ne serait pas candidate, pour permettre de dégager un candidat unique. Ce fut un travail difficile auprès de nos militants. Nous avons tout de même insisté auprès d’eux sur les avantages de la candidature unique pour l’opposition. Ils l’ont compris. Personnellement, je pense que si les conditions électorales étaient transparentes, l’opposition n’avait même pas besoin de se limiter à un candidat unique, pour gagner les élections. Le RPT (Rassemblement du peuple togolais, parti au pouvoir, ndlr) n’est même pas le 3e parti du pays, je crois, en terme de voix électorales. L’opposition aurait pu avoir 3 ou 4 candidats et gagner l’élection. Mais comme les conditions ne sont pas bonnes, c’est mieux pour nous d’unir nos forces derrière un candidat unique pour gagner. Ce n’est pas parce que le RPT représente un grand danger pour nous.

A un certain moment, de jeunes Togolais ont contesté le choix de Emmanuel Bob Akitani auquel ils préfèrent un autre leader de l’opposition, Léopold Gnininvi

Chaque parti voulait être candidat. Me Yao Agboyibo aurait bien voulu être candidat, tout comme ses militants l’auraient préféré aux autres. Nos militants auraient bien voulu également que je sois candidat. Il en est de même pour Léo (Léopold Gnininvi, ndlr). Mais la presse a montré ce cas en épingle, je ne sais trop pour quelle raison. Le choix de Bob Akitani (membre de l’UFC de Gilchrist Olympio et challenger de Eyadéma à la présidentielle passée, ndlr) est un consensuel mais cela ne signifie pas que tout le monde était nécessairement d’accord. Ce sont les conditions et les critères que nous avons élaborés de commun accord qui ont abouti au choix de Bob Akitani. Il y a eu des mécontentements au départ mais maintenant tout est rentré dans l’ordre.

La contestation des jeunes, était-ce alors de la diversion pour décourager l’opposition ou l’affaiblir dans son option de soutenir un candidat unique ?

C’est ainsi que celà peut-être interprété, mais maintenant c’est du passé.

A vous entendre, vous êtes en mesure de battre Faure Gnassingbé, le fils d’Eyadéma et candidat du RPT, si ces élections se déroulent dans la transparence…

Certainement. Sur ce point, il ne doit pas subsister la moindre inquiétude. En 2003, malgré le fait qu’il y avait plusieurs candidats de l’oppositon, c’est Bob Akitani qui est venu en tête. Mais il y a eu des fraudes, il y a eu la force, il y a eu un décret des résultats des élections qui ont placé Eyadéma en tête. Celà prouve que ce dernier ne méritait pas la victoire. Si la prochaine élection se déroule dans la transparence, Bob Akitani gagnera sans problème.

Que pensez-vous de la mise à l’écart de certains Togolais, notamment Gilchrist Olympio qui reste la tête de proue de l’opposition ?

Certainement. Gilchrist est le Togolais le plus populaire actuellement. Pour nous, c’est très choquant et très injuste qu’il ait été écarté alors qu’on est en voie d’autoriser Faure comme candidat. Or, selon notre Constitution, Faure ne peut pas être candidat, parce qu’il a été auteur ou a bénéficié d’un coup d’Etat. C’est un crime imprescriptible par notre Constitution. C’est pourquoi nous disons que la CEDEAO ne respecte pas actuellement la Constitution togolaise. C’est un sacrifice que nous consentons en acceptant d’aller aux élections dans ces conditions. Le fait qu’on écarte Gilchrist est très injuste pour moi et mon parti. Nous saluons la hauteur de vue qu’il a eue en acceptant que nous choisissons un autre candidat de l’opposition. Aussi longtemps qu’on ait accepté qu’Eyadéma soit candidat et Gilchrist non, était très injuste. Cette fois-ci, on aurait pu l’autoriser à être candidat.

Le Togo retrouvera-t-il un jour ce qui faisait de ce pays la Suisse de l’Afrique ?

C’est le Togo vu de l’extérieur qui était la Suisse de l’Afrique, car à l’intérieur, les populations savaient bien ce qu’elles vivaient. Nous pensons que le Togo peut redevenir une véritable Suisse de l’Afrique dans la paix. Les Togolais sont très pacifistes et c’est peut-être de celà que les gens abusent. Ils pensent qu’on ne peut pas se révolter, qu’on a peur, etc. Mais je crois peut-être que les gens se trompent. Les Togolais sont prêts à résister pour avoir leur liberté. Nous espérons avoir le soutien de la communauté internationale, notamment de la CEDEAO dans le processus vers la paix. De notre côté, nous avons opté pour la paix dans le pays et dans la région. Ainsi, nous ferons du Togo une véritable Suisse de l’Afrique, vu de l’intérieur comme de l’extérieur.

Vu de l’intérieur, que vivait les Togolais d’aussi horribles ?

Des abus, des assassinats politiques, beaucoup d’injustices, etc. Je ne pense pas qu’un pacifisme imposé par la violence politique soit une bonne chose pour qui que ce soit. Les Togolais vivaient au quotidien la violation des droits humains, des emprisonnements par le simple vouloir du chef, des promotions de personnes qui ne les méritaient pas, etc.

Avec la mort de Eyadéma, les Togolais pensaient alors pouvoir sortir la tête de l’eau. Mais apparemment, ce n’est pas demain la veille…

On espère que demain sera la veille. Dans un système qui s’est enraciné dans la dictature, c’est très difficile qu’un seul évènement amène le changement. C’est en fonction de tout celà que l’opposition avait voulu une période de transition permettant de remettre les compteurs à zéro et trouver les moyens de gérer nos problèmes pour éviter les dissensions entre nous. Nous devons par exemple mener des réflexions sur les garanties à offrir aux uns et aux autres, et dans quelles conditions, etc. C’était celà le souhait de l’opposition. Nous espérons pouvoir le faire. Si l’opposition a le pouvoir, nous irons au dialogue avec tout le monde. C’est ainsi que nous pourrons vivre ensemble en harmonie. Nous n’avons vu nulle part au monde une élection régler à elle seule les problèmes générés par un long règne dictatorial. Et nous l’avons dit à la CEDEAO.

Comment vivent aujourd’hui les opposants au Togo ? Ne sont-ils pas l’objet de pression ou de menaces ouvertes ou discrètes ?

C’est un choix que nous avons fait. Il y a le problème d’insécurité mais nous espérons que les gens d’en face réfléchiront par deux fois avant de commettre n’importe quel crime.

Peut-on dire que les opposants togolais n’ont plus peur de la mort ? Ou alors comme on le dit sur les bords de la lagune Ebrié c’est « cabri mort n’a plus peur du couteau » ?

Je crois que c’est celà. Seulement, tout être humain a peur de la mort. Ce serait trop prétentieux que d’affirmer que nous n’avons pas peur de la mort. Mais, nous pensons que tout le monde est assez rationnel pour savoir que la violence physique sur n’importe qui n’est pas une solution.

Les images de manifestations organisées par le pouvoir en place font voir d’importantes foules. Celà signifie sans doute que le RPT a aussi toutes ses chances, non ?

Si le RPT a des chances, il faut cependant organiser des élections transparentes. Nous demeurons persuadés que les élections ne vont pas résoudre le problème togolais. Mais si l’on pense qu’elles le feront, il faut déjà qu’elles soient transparentes. Si le RPT a ses chances, il les gagnera et je serai l’un de ceux qui le féliciteront pour sa victoire.

Parler d’élections transparentes en Afrique aujourd’hui, est-ce que ce n’est évoluer dans le domaine de l’idéal, la règle la mieux partagée étant de tout faire pour ne pas perdre les élections qu’on a soi-même organisées ?

C’est difficile de parler d’élections transparentes, quel que soit l’endroit. Toutefois, s’il y a par exemple un écart de 20% entre les candidats, il faut qu’on reconnaisse au gagnant sa victoire. Au Bénin, des élections ont été organisées par Soglo (Nicéphore Soglo, ancien chef d’Etat béninois, ndlr) qui les a perdues. Au Kénya, des élections ont été organisées par Arap Moï (ancien chef d’Etat kényan, ndlr) qui les a perdues. Il y a donc des cas en Afrique où les partis au pouvoir perdent les élections. Au Ghana aussi, l’ancien chef d’Etat John Jerry Rawlings a organisé des élections que son parti a perdues. Cela a-t-il provoqué un tremblement de terre dans ces pays ? Non, ces pays évoluent normalement comme en Afrique du Sud où l’ancien chef d’Etat Frederick de Klerk a organisé des élections que son parti a perdues. Il y a plusieurs cas comme celà.

Qu’avez-vous comme perspectives pour le Togo ?

Il y a deux schémas possibles. Ou les tenants du pouvoir ne veulent pas organiser des élections transparentes en comptant sur quelques personnes de l’extérieur pour le faire, et nous allons vers le chaos. Dans ce cas, la répression va continuer au Togo et elle sera malheureusement plus féroce que ce que Eyadéma faisait. Ou alors les gens sont raisonnables eta vec le soutien de la communauté internationale, ce que nous souhaitons, des élections transparentes seront organisées et le meilleur gagnera. Et là le Togo connaîtra un avenir serein.

[LE PAYS N°3349 du 06/04/2005->http://www.lepays.bf/frame1.htm]