20/04/2024

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Au village du défunt Eyadéma : Le peuple dans l’angoisse du pire

DANS LE NORD DU TOGO – Au village du défunt Eyadéma : Le peuple dans l’angoisse du pire

Correspondance particulière – A Pya, dans le nord du Togo, village du défunt président Gnassingbé Eyadema, les populations vivent dans l’angoisse du pire. Du vivant de “papa”, elles savaient au moins, avoir affaire à un dictateur. Depuis sa disparition, elles ne savent plus ce que leur réserve l’avenir.

A Niamoutougou, au nord Togo, à une quinzaine de kilomètres de Pya, la ville natale du président défunt Gnassingbé Eyadéma, la vie continue. Des jeunes jouent au baby-foot sur la place, des femmes puisent de l’eau, d’autres préparent le riz… A première vue, aucun bouleversement sensible ne s’est produit depuis la disparition samedi de, le président en exercice depuis 1967. Pourtant, attroupements attentifs autour des transistors, discussions à demi-mot ou regards appuyés traduisent un malaise perceptible. Une peur sourde de l’après, du changement.

Au fond d’une salle de jeux, un vieil homme lit Allah n’est pas obligé d’Amadou Kourouma, qui raconte les errances de Birima, l’enfant-soldat de Sierra Léone. Après les événements de ces derniers jours, la seule chose qui lui importe aujourd’hui est de vivre en paix. «Si le fils gouverne comme son père, alors nous serons affamés, mais en paix.» Pour lui, Eyadéma n’est pas totalement responsable du régime de fer qui a prévalu au Togo ces dernières années. «Il était mal entouré.»

MEFIANCE

Le désir de changement passe donc par une critique réservée du clan du Rassemblement du Peuple Togolais (Rpt), le parti au pouvoir. Après une longue discussion jalonnée de non-dits, sur l’angoisse d’un pouvoir dynastique ou d’une lutte acharnée pour la prise de pouvoir. Autour de cette table, les silences sont lourds de sens, les paraboles explicites. Une fois seul, le plus jeune convive glisse à mi-voix sa version des faits : «Ici les gens se méfient trop. On a peur. Au meilleur des cas, on aura un scénario à la Amadou Toumani Touré, c’est-à-dire une remise du pouvoir aux civils et l’organisation d’élections libres. Au pire des cas, un scénario à l’ivoirienne… Et ça nous y pensons tous…» En effet, la périlleuse course au leadership post-Houphouët-Boigny, qui a plongé dès 1993 le pays dans une instabilité politique chronique, est dans tous les esprits. «Maintenant, c’est notre tour ! lançait un jeune Togolais de 19 ans. Après la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Congo, c’est au tour du Togo !» La dérision togolaise a servi de rempart à une auto-censure bien rôdée pendant 38 années de dictature, elle fonctionne aujourd’hui à plein régime.

Evidemment, ce ne sont pas des opinions, juste des blagues à ne pas prendre au sérieux, on nous le rappelle. D’ailleurs, s’exprimer ouvertement sur des questions politiques, de l’avis de tous, c’est risqué : «Si tu dis ce que tu veux, on te prend et on fait de toi ce qu’on veut.» Certains font mine d’ignorer les récents événements qui secouent le pays, d’autres parlent plus librement. L’espérance de changement, minime mais palpable, est teintée d’un fort sentiment de fatalisme, enraciné par trente-huit années de libertés contrariées. «La raison du plus fort est toujours la meilleure ici au Togo», balance un garagiste de 23 ans qui n’a jamais connu autre régime que celui d’Eyadéma. Un de ses collègues, aux yeux rougis par la boisson locale, le tchoukoutou, n’hésite pas à dire ouvertement ce qui transparaît dans le discours feutré de la majorité de la population : «Ici, on ne vit pas normalement, on est comme des animaux. On mange, on dort, on s’interdit de trop penser, de trop en dire, on cherche de l’argent, c’est tout. Si je trouve un tuyau pour partir d’ici, je le fais sans hésiter. On n’a pas d’avenir ! On souffre trop !»

MARCHE DE SOUTIEN Dans l’après-midi, un long cortège défile et soulève d’épais nuages de poussière rouge. C’est «une marche de soutien au défunt président Eyadéma». Portrait de l’ancien dictateur en tête, des centaines de personnes se dirigent silencieusement vers la sous-préfecture.

Là, les officiels, encadrés par des hommes en treillis censés «garantir la sécurité», amorcent un éloge vibrant au défunt président, à la «valeureuse Armée togolaise» et «marque(nt) au nom de la population de la préfecture, son appui total à l’investiture de Faure Gnassingbé, qui saura faire perdurer le règne de son père».

Difficile cependant d’évaluer la spontanéité de cette manifestation dans les rangs de la population. Le gouvernement a décrété cette marche d’hommage, ainsi tous ceux qui dépendent du service public, (fonctionnaires, militaires ou écolier) doivent être présents. Les femmes de soldats portent des pagnes verts à l’effigie du général Eyadéma, imprimés spécialement pour la fête du 13 janvier, date anniversaire du coup de force de 1967 et fêtée 37 fois depuis. Les écoliers, qui forment la majorité du cortège et chahutent tout en remplissant des listes de présence. Ici, les stigmates de plusieurs décennies de dictature sautent aux yeux.

En dix minutes, la manifestation se disperse et chacun retourne à ses préoccupations. «Il fallait juste être là, c’est tout, c’est fini», déclare une jeune femme avant de s’éloigner. Et maintenant ? «On a peur, à Lomé, il paraît que les opposants veulent la guerre ; nous, nous aimons trop la paix, nous ne voulons pas les tirs de fusils, les cadavres. Le Togo est un petit pays, beaucoup sont déjà partis. S’il y a la guerre et qu’on se tue, qui va rester ?» Une vendeuse d’arachides raconte simplement sa réaction à l’annonce de la mort de son «papa». «Oui, je suis triste, car je ne sais pas ce qui va nous arriver. Avant, on savait que c’était comme ça. Aujourd’hui, on ne sait rien, on espère seulement.» Ainsi, pour les populations du nord du pays, l’important depuis la mort d’Eyadéma, c’est simplement que la situation quotidienne ne se désagrège pas davantage. C’est l’angoisse du pire.

Par Eglantine CHABASSEUR –