19/04/2024

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Démocratie africaine : Le Ghana sauve l’honneur

Avec un taux de croissance économique (produit intérieur brut (PIB) réel) estimé autour de 6,5 % pour 2008 et 5,8 % en 2009 [1] et qui ne baissera vraisemblablement que d’un point au maximum malgré la crise économique, le Ghana de John Kufuor sort la tête haute grâce à la discipline des Ghanéens et leur sens aigu et légendaire de la paix et de l’unité.

1. Kufuor : un bilan démocratique excellent

Au cours des huit années passées sous ce président, le PIB par habitant a augmenté et est passé de 269 $US par habitant en moyenne entre 1997-2002 à 328 $ US en 2007, avec des estimations autour de 341 pour 2008 et 352 $ US en 2009. Mais avec la crise, les résultats de 2008 et 2009 risquent de ressembler à ceux de 2007. Les populations ont donc en fait sanctionné en dernier ressort le parti qui a peut-être amélioré l’image du Ghana à l’extérieur mais qui a introduit de grandes inégalités entre les citoyens. Ces inégalités tendent à neutraliser les effets bénéfiques d’une véritable distribution équitable du pouvoir d’achat entre les Ghanéens. La victoire de l’opposition au parlement et à la présidentielle doit être analysée sous cet angle. En comparaison, le PIB par habitant au Togo a chuté passant de 245 $US par habitant en moyenne entre 1997-2002 à 226 $ US en 2008 [2]. Logiquement, si les élections étaient libres dans ce pays, la tendance à l’alternance devrait être la même. Les populations africaines témoignent de leur sens aigu de la discipline électorale. Et si des falsifications et des usurpations ne sont pas faites et parfois avalisées par la communauté internationale, la voix des populations aurait déjà ancré la démocratie dans la plupart des pays africains.

Au Ghana, il n’y a pas de traficotage de la constitution comme dans les pays voisins et en Afrique en général pour rester au pouvoir. Les urnes n’ont pas été déplacées par des militaires zélés comme dans le Togo voisin. La guerre entre citoyens du même pays et plus ou moins orchestrée de l’extérieur n’est pas venu repousser aux calendres grecques les élections ivoiriennes qui font que ce pays fonctionne sur une démocratie virtuelle. Les intimidations diverses des partis d’opposition et le refus de soutien déclaré de certaines puissances occidentales, et de plus en plus asiatiques, lesquelles craignent pour la remise en cause de contrat liés à l’exploitation sans bénéfice pour la population des matières non transformées contribuent à entretenir l’esprit de fatalité dans les résultats électoraux ne reflétant la volonté des populations.

Au Ghana, des recomptages et des re-votes ont eu lieu avant la proclamation définitive des résultats. Le ministère de l’intérieur n’a pas unilatéralement déclaré la victoire du parti au pouvoir tout en intimidant le comité électoral indépendant. Bien plus, les préparatifs sur les listes électorales ont eu lieu dans les temps et sous le contrôle des partis. Les difficultés de dernière minute liées aux fraudes dans la 230e circonscription, région de Tain (centre-ouest) et celles de la région de Volta (centre-est) ont été surmontées. Les juges ont statué en référé (en urgence) et le chef de la commission électorale Kwado Afari-Gyan n’a pas été inquiété, ni sa famille en menant avec brio la procédure électorale jusqu’à son terme même si le résultat du 2e tour des élections présidentielles ghanéennes a été repoussé de quelques jours. Bref, c’est tout le processus électoral ghanéen qui a réussi. BRAVO, les Ghanéens ! Nombreux sont les Africains comme les Occidentaux à oublier que ce processus démocratique et d’alternance a été lancé par Jerry Rawlings et l’histoire semble lui sourire puisque c’est le candidat de son parti qui finalement l’a remporté, un peu à l’usure, après avoir été battu à plusieurs reprises lors des précédentes élections présidentielles. Mais il a systématiquement toujours reconnu sa défaite par le passé. Les Ghanéens n’ont pas attendu qu’un chef d’État occidental leur dise s’ils sont mûrs pour la démocratie, ni qu’un chef d’État annonce les résultats officiels avant les autorités locales, ni que certains pays fassent pression avec l’aide bilatérale sur les candidats pour qu’ils se désistent ou encore que les corrupteurs s’attirent les faveurs des réseaux des chefs d’État pour que ces derniers fassent main basse sur les élections en Afrique. Les Ghanéens, peuple pacifique, ont fait honneur à Kwame N’Krumah lequel paradoxalement faillit justement sur l’alternance politique, mais ont retenu la leçon de l’unité nationale et le respect des adversaires politiques.

2. Kufuor : un bilan économique mitigé

Malgré une balance commerciale qui a vu le déficit pratiquement tripler, passant de 10,3 % du PIB en 2003 à -27 % du PIB en 2008 sous la direction de John Kufuor alors que l’endettement du pays a fondu passant de 109,9 % du PIB en 2003 à 24,4 % en 2008 [3], le président sortant mérite le prix de 5 millions de $ US de Mo Ibrahima pour la bonne gouvernance en espérant que cela encouragera « Bob », surnom de Robert Mugabe, à s’éclipser discrètement pour que le peuple zimbabwéen puisse reprendre le contrôle du Zimbabwe qui leur appartient, contrairement aux dires de leur Président de 84 ans qui reste convaincu que le Zimbabwe lui appartient, à lui et son réseau [4]… Du reste, il ne fait que dire tout haut ce que la plupart des dirigeants africains pensent tout bas… Mais l’arrivée de Barack Obama risque de changer la donne et si ce n’est pas la porte, ce seront des concessions inimaginables pour son opposant politique, Morgan Tsvangirai. Si certains présidents des pays voisins pouvaient prendre conscience que la démocratie africaine et la responsabilité individuelle vont guider les actions de l’Administration Obama, cela pourrait avoir pour conséquence d’amener l’Union européenne à ne pas rester silencieuse ou faire semblant de se taire face à des irrégularités flagrantes dans le processus électoral en Afrique. La démission surprise du Président somalien, qui a unilatéralement limogé son premier ministre, est un signe avant coureur. C’est du Obama avant l’heure…

Tous les amis de la démocratie doivent se rendre au Ghana le 7 janvier 2009 pour la cérémonie d’investiture et venir avec leur chèquier, des projets innovants qui vont aider les populations et non l’administration publique locale uniquement. Mais il faut tout autant féliciter le candidat malheureux Nana Akufo-Addo du Nouveau parti patriotique (NPP), le parti au pouvoir, celui de John Kufuor, que le gagnant John Atta-Mills du Congrès national démocratique (NDC). Ils ont en effet, d’un commun accord, accepté de faire toute la lumière, ceci en toute transparence, sur les irrégularités et les insuffisances. Ainsi, John Atta-Mills a donc gagné avec 50,13 % des voix contre Nana Akufo-Addo avec 49,87 % des voix. Accepter une victoire avec une différence d’environ 53 000 voix est une gageure en Afrique. Mais la victoire au parlement du NDC sonnait déjà comme un signe avant coureur. D’ailleurs, la vision d’une cohabitation était déjà décriée par la plupart des observateurs et par les Ghanéens eux-mêmes. Les influences externes, visibles ou invisibles, n’ont pas eu d’effet sur le vote des Ghanéens.

3. Ghana : la crédibilité démocratique pérennisée

La démocratie en Afrique reste un défi pour le continent mais c’est sur la capacité à maîtriser la crise économique, conséquence de la crise financière dans les pays riches où la dérégulation est devenue le principe et la régulation l’exception, que se jouera l’avenir du Ghana et celui indirectement de l’Afrique. Enfin, des élections sans violences, dans le strict respect des droits humains et sans coup d’État à l’instar de la Guinée et de la Mauritanie, ou de délégation de personnes et modification unilatérale de l’ordre constitutionnel par l’armée comme dans certains pays voisins doivent être mises en exergue. Oui, l’Afrique noble est en marche. Oui, l’Afrique décomplexée est en marche ! Oui, l’Afrique a compris les leçons de N’Krumah…

Il faut espérer qu’avec Jean Ping, l’homme qui refuse de jouer avec les principes et surtout ne se laisse pas intimider, la vision unitaire de l’Afrique passe par la transition de l’interdépendance africaine en intégrant toutes les valeurs, les talents et les acteurs, dans leur diversité et différences. C’est aussi cela l’unité des Africains et non celle des chefs d’État. Enfin, faut-il rappeler que c’est aussi le Ghana qui a mis sur le pied le premier un passeport pour la Diaspora, gratuit à l’arrivée pour toutes les diasporas africaines d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Voilà encore un pas vers le passeport africain… même si pour l’heure, c’est la monnaie commune africaine qui fait débat et que des économistes africains de renom vont discuter, vraisemblablement au Kenya, du 2 au 5 mars 2009, ou si après des tergiversations incompréhensibles qui ont déjà conduit au report du Congrès, le Cameroun n’insiste pour accueillir, en grande pompe, cet évènement. Le plus important est que cela se tienne bien avant le 2 avril 2009, date de la 2e réunion du G 20 sur la crise financière. L’opinion indépendante des experts africains sur l’avenir économique et monétaire du continent et les options politiques qui favorisent le bien-être des populations seront mises en avant, certainement en contradiction avec celles des chefs d’État traditionalistes et sexagénaires…

4. Atta-Mills est-il un progressiste ?

C’est aussi tout cela que l’Afrique attend de John Atta-Mills, qu’il continue l’œuvre de ces prédécesseurs dans l’unité nationale, mais prolonge aussi la voix tracée par Kwame N’Krumah vers l’unité des Africains [5], le père fondateur du Ghana, et Jerry Rawlings, l’homme qui a enrayé la corruption endémique dans ce pays et a ouvert la voix à l’alternance démocratique au Ghana. John Atta-Mills peut compter sur la Diaspora africaine, ghanéenne en particulier.

Mais la problème fondamental, qui a retardé au point de bloquer l’évolution rapide vers l’unité des Africains, réside dans le choix fait par les chefs d’État traditionalistes et conservateurs d’opter officiellement pour les approches graduelles tout en s’arrangeant pour faire du surplace, voire d’avancer à reculons. La question cruciale demeure celle de savoir si John Atta-Mills est un progressiste. Il faudra donc voir ce nouveau Président à l’œuvre et déterminer rapidement s’il ira rejoindre N’Krumah comme un progressiste tant pour le Ghana que pour l’Union africaine. Sa capacité à exporter son sens aigu de l’unité et de la paix sera primordiale dans l’avenir de l’Union des Africains.

Par Dr. Yves Ekoué Amaïzo
Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology »
5 janvier 2009

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1. IMF, Regional Economic Outlook 2008 – Subsaharan Africa, Oct 2008, p. 55.
2. Ibid, p. 58.
3. Ibid, p. 71.
4. « Mugabe : Le Zimbabwe m’appartient », in Afrik.com, et Romandie News, vendredi 19 décembre 2007, voir http://www.afrik.com/breve15173.html et http://www.romandie.com/news/
5. Yves Ekoué Amaïzo (sous la coordination de) , L’Afrique est-elle incapable de s’unir ? Lever l’intangibilité des frontières et opter pour un passeport commun, avec une préface de Professeur Joseph Ki-Zerbo, collection « interdépendance africaine », éditions l’Harmattan, Paris, 2002.