29/03/2024

Les actualités et informations générales sur le Togo

Document sur l’état d’application des 22 engagements remis à la mission d’évaluation de l’UE

La Coalition (ADDI – CAR – CDPA – UDS-Togo – UFC)

1. Le Gouvernement-Sama a, au nom et sous l’autorité du feu Président, le Général Gnassingbé Eyadema, souscrit lors des consultations du 14 avril 2004 à Bruxelles avec l’Union Européenne, 22 engagements en vue de remédier au déficit démocratique et aux violations des droits de l’homme que les populations togolaises endurent depuis des années.

Quinze mois après le démarrage des consultations, la Coalition constate:

– que le Gouvernement ne s’est pas conformé à l’essentiel des engagements pris notamment aux deux fondamentaux concernant le dialogue national et le cadre électoral consensuel, et a par là, mis dans une situation précaire les quelques progrès relevés dans un certain nombre de domaines; (I)
– que le non-respect des 22 engagements s’est révélé tout particulièrement à l’occasion du scrutin présidentiel du 24 avril 2005. (II)

2. Face à ce double constat, se pose la question de savoir comment amener le Gouvernement à se conformer aux engagements pris de façon à permettre aux populations togolaises de jouir pleinement des normes garantissant la démocratie, les droits de l’homme et les libertés fondamentales. (III)

– I – Quinze mois de manœuvres de contournement des engagements fondamentaux

3. Deux missions de l’Union Européenne ont séjourné à Lomé, la première en juin 2004, la seconde en juillet 2004 pour procéder à l’évaluation de l’état de mise en œuvre des engagements souscrits par le Gouvernement togolais.

Les trois partis (CAR, CDPA, UFC) ont, lors de chacune de ces deux missions, remis à la délégation de l’Union Européenne, des documents contenant leur appréciation de l’état d’application des 22 engagements.

Ils y ont notamment relevé les manœuvres par lesquelles le Gouvernement s’employait à se dérober aux deux engagements fondamentaux concernant le dialogue national et le cadre électoral consensuel. D’autres sont venus s’y ajouter par la suite.

4. Parmi les manœuvres de contournement il convient d’en citer six:

(i) Il en était ainsi des consultations conçues en forme de défilé des partis politiques et autres organisations aux lieu et place du dialogue national.
(ii) Il en était autant de la mise en place d’un comité consultatif dont les membres sont tous issus de la sensibilité présidentielle, pour élaborer le cadre électoral consensuel.

(iii) C’est dans la même stratégie de fuite en avant que le Chef de Gouvernement à l’époque M. SAMA, a, lors de deux réunions tenues le 25 août et le 10 septembre 2004, cherché à faire démarrer le dialogue, alors que le cadre qu’il avait proposé n’avait par recueilli l’assentiment de l’Opposition CAR, CDPA, UFC.

(iv) Il a même déclaré à la séance du 25 août 2004 que le Gouvernement pouvait se passer de l’application de l’engagement n°1-1 concernant le dialogue national, dès lors que les 21 autres viendraient à être mis en œuvre. Or, de par son libellé, l’engagement n° 1-1 est ouvert à toutes les questions figurant ou non dans les 21 autres engagements, dont l’examen serait de nature « à assurer le plein respect des principes démocratiques ». Aussi, est-ce à tort que le Premier Ministre a écarté une proposition visant à faire inscrire à l’ordre du jour des discussions, la question relative à la formation d’un Gouvernement transitoire d’union nationale.

(v) On eut également du mal à comprendre que le Premier Ministre d’alors M. Sama ait transmis à l’Assemblée Nationale les quelques modifications apportées au Code électoral de 2003 sans avoir cherché à recueillir l’adhésion de l’Opposition CAR, CDPA, l’UFC.

C’était sans doute en réaction à ces manœuvres de contournement des deux engagements fondamentaux que le Conseil de l’Union Européenne, réunie le 15 novembre 2004 à Bruxelles a, entre autres décisions, recommandé au Gouvernement:

 » (a) la mise en oeuvre du dialogue national dans un cadre structuré et transparent conformément à l’engagement n° 1-1;
(b) la révision (dans le contexte de ce dialogue) du cadre électoral garantissant un processus transparent et démocratique conformément à l’engagement n° 1-3″.
En vue de l’application de ces recommandations, le CAR, la CDPA et l’UFC ont, à l’occasion d’une réunion tenue le 15 décembre 2004 remis au Premier Ministre, un document contenant leurs propositions de révision du cadre électoral. Il revenait au Premier Ministre de soumettre ces propositions au dialogue national une fois le cadre défini. Mais tel ne fut pas le cas.
Contre toute attente, le Général Gnassingbé Eyadema en a décidé autrement en faisant annoncer par un communiqué de la Présidence du 15 janvier 2005 qu’il a arrêté d’autorité à son niveau la version du code électoral à faire entériner par l’Assemblée Nationale.

5. Et c’est dans cet état déplorable de mise en œuvre des 22 engagements, que sera organisé quelques mois plus tard, le scrutin présidentiel le 24 avril 2005 pour la désignation du successeur du Chef de l’Etat décédé le 05 février 2005. Le dialogue national au sein duquel devait être examiné, entre autres sujets, le cadre électoral, n’avait même pas débuté, faute d’accord sur les modalités.

Les graves évènements qui ont émaillé le scrutin ont révélé que la normalisation de situation recherchée à travers les 22 engagements est un véritable échec.

– II -Mise à nu du non-respect des 22 engagements par le scrutin présidentiel du 24 avril 2005

6. L’élection présidentielle du 24 avril 2005 a abondamment illustré l’échec du processus des 22 engagements par le Gouvernement.

(i) Le pouvoir a, au mépris de l’engagement n°1-3, réédité à l’occasion de ce scrutin et à une plus grande échelle, les fraudes qui ont émaillé le scrutin présidentiel de juin 2003.

(a) falsification du fichier électoral par gonflement des listes électorales dans les préfectures favorables au pouvoir, et par omission des milliers d’électeurs des listes électorales des préfectures considérées comme proches de l’Opposition;
(b) rétention des cartes d’électeurs dans les milieux considérés comme proches de l’Opposition et remise de plusieurs cartes d’électeurs pour des votes multiples dans les milieux favorables au RPT;
(c) bourrage et enlèvement frauduleux des urnes opérés parfois par des agents des forces de l’ordre;
(d) refoulement des délégués du candidat de la Coalition des bureaux de vote notamment au moment du dépouillement des urnes;
(e) falsification des procès-verbaux de dépouillement; (f) blocage de la transparence des opérations de décompte par interruption des réseaux de communication;
Etc.
(ii) Nonobstant l’engagement n° 2-2, des milliers de jeunes ont été arrêtés, incarcérés, pourchassés ou contraints à l’exil pour avoir contesté la proclamation par la CENI du candidat du RPT comme vainqueur du scrutin.
(iii) En violation de l’engagement n° 2-1, plus de 500 personnes ont été victimes d’exécution extrajudiciaires, plus 2000 autres blessés, torturés, portés disparus pour des raisons également d’ordre politique;
(iv) En dépit des engagements n° 3-1 et 3-5, plusieurs journaux proches de l’Opposition ont été interdits de parution et des stations de radio et de télévision privées nationales ainsi qu’une station de radio internationale ont été obligées de suspendre leurs émissions; des sites de Web ont été suspendus d’accès.
(v) Face à ces violations massives des droits de l’homme, les juridictions togolaises n’ont pu faire preuve de l’impartialité que le Gouvernement a promis de leur assurer par l’engagement n° 2-7.
(vi) La Sous Commission du Contentieux de la CENI, la Cour constitutionnelle, la HAAC et la Commission Nationale des Droits de l’homme ont, en ce qui les concerne, affiché sans retenue leur docilité envers le régime. (engagements 1-3, 2-5, 2-7, 3-6)
Le processus des 22 engagements a été donc incontestablement mis en échec par le Gouvernement.

– III – Mesures de rétablissement du processus des 22 engagements

7. À l’occasion du présent bilan de mise en œuvre des 22 engagements, il convient de rechercher les mesures susceptibles d’assurer de façon effective et non-précaire, le respect des 22 engagements.

8. Le Gouvernement risquerait de pourrir davantage la situation et de faire encourir au pays des lendemains encore plus explosifs en cherchant à précipiter de nouvelles élections avec l’offre d’accepter de prendre des dispositions légales d’amélioration du cadre électoral.

Ce ne sont pas fondamentalement les textes régissant des élections qui sont la racine de la crise togolaise. Si en 1998, en 2003 comme en 2005, les élections n’ont pas débouché sur l’alternance, c’est pour la simple raison que le parti au pouvoir, le RPT a la mainmise sur tous les départements ministériels et les institutions qui ont géré ces élections ou en ont déterminé le sort.

Avec le gouvernement qui vient d’être formé, cette confiscation ne s’est nullement desserrée. Les propos faisant croire qu’il s’agirait d’un Gouvernement d’Union Nationale relèvent de la pure intoxication. Le parti au pouvoir, le RPT, était tout au plus disposé à accepter la formation d’un Gouvernement « ouvert » à ses alliés (CPP, PDR, PSR).

9. A l’examen de la composition du Gouvernement du 20 juin 2005, on constate que tout comme par le passé, le RPT s’est attribué tous les portefeuilles clés dont il a besoin pour décider de l’issue des élections à venir: Ministère de la Défense, Ministère de l’Intérieur, Ministère de la Sécurité, Ministère de la Justice, Ministère de l’Économie et des finances, Ministère des Affaires Étrangères et de la Coopération, Ministère de l’Équipement et des Télécommunications, Ministère de la Communication.

10. On n’entrevoit guère comment un Gouvernement ainsi composé peut organiser des élections régulières et crédibles aux résultats acceptables par tous.

En réalité, dans un contexte politique comme le nôtre où l’appareil d’État est confisqué par le parti au pouvoir, il est illusoire de rechercher le changement par des élections précipitées. On expose inévitablement le pays à des rééditions de fraudes massives, au retour cyclique des protestations violentes et à de nouvelles vagues de répressions sauvages. Les élections n’ont de sens dans de pareils environnements qu’après qu’on eût adopté une démarche politique intérimaire pour « déconfisquer » l’État. De ce point de vue, la formation d’un Gouvernement d’union nationale constitue la solution qui a fait ses preuves dans des pays confrontés à des situations similaires à la nôtre.

11. C’est dans cet esprit qu’il importe que les élections en perspective soient précédées d’un Gouvernement transitoire d’unité nationale à former à l’issue d’un dialogue national.

Il appartiendra, entre autres missions, à ce Gouvernement de définir et de mettre en œuvre les mesures d’apaisement des populations, de promouvoir le climat d’entente entre les diverses composantes de la classe politique, de procéder aux réformes électorales et institutionnelles et d’organiser les prochaines élections.

12. Cette mesure ne sort pas du processus des 22 engagements dans la mesure où l’engagement n° 1-1 prévoyant le dialogue national en est le fondement, ainsi que nous l’avions précisé au point 4. (iv).

Il s’agit en somme de sortir l’engagement n°1-1 concernant le dialogue national de l’approche formelle dans laquelle le gouvernement RPT l’a jusqu’ici enfermé pour lui assigner une fonction opérationnelle.

13. La solution s’inscrit du reste dans la droite ligne de la recommandation formulée par les Chefs d’État africains au mini-sommet tenu à Abuja le 19 mai 2005; laquelle recommandation a préconisé « la mise sur pied d’un cadre de dialogue destiné à ramener le pays à la normalité et à permettre la formation d’un gouvernement d’union nationale représentatif de l’ensemble de la classe politique.  »

La recommandation d’Abuja n’a pu s’appliquer pour l’instant parce que le parti au pouvoir, le RPT, préfère un Gouvernement d’ouverture au Gouvernement d’union nationale.

Or, il va de l’intérêt du pays que les sacrifices nécessaires soient consentis pour que le schéma d’Abuja soit mis en œuvre.

14. La Coalition considère que l’organisation, dans le cadre de l’application de l’engagement n° 1-1, d’un dialogue national sous l’égide de l’Union Africaine et de l’Union Européenne avec le concours d’un facilitateur, et la formation d’un Gouvernement transitoire d’unité nationale à l’issue de ce dialogue, constituent les mesures appropriées pour un dénouement pacifique de la crise socio-politique du Togo.

Fait à Lomé, le 14 juillet 2005

Ont signé pour la Coalition:

Me Yawovi Agboyibo
Prof. Léopold Gnininvi
M. Jean-Pierre Fabre