19/04/2024

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Faure Gnassingbé, otage d’un clan militaro-affairiste

L’opposition togolaise a annoncé qu’elle organisera une nouvelle «marche pacifique» samedi pour protester contre le «coup d’Etat» du président investi Faure Gnassingbé. Hier soir, une source gouvernementale a annoncé que le Togo envisage la tenue d’une élection présidentielle anticipée d’ici soixante jours. Par ailleurs, une délégation ouest-africaine venue hier à Lomé a jugé «très fructueuses et encourageantes» ses discussions avec le nouveau pouvoir sur le retour à l’ordre constitutionnel dans le pays.

«Une dictature sans dictateur» : la formule est d’un journaliste togolais. Et elle est parfaitement exacte. Depuis le coup de force qui, voici dix jours, vit Faure Gnassingbé porté au pouvoir par l’armée, le Togo se trouve en état d’apesanteur. Successeur imposé et fils du général qui présida 38 années durant au destin du pays, Faure Gnassingbé, le supposé nouvel homme fort brille par son absence. A ce jour, il ne s’est avancé qu’à deux reprises sur la scène publique. La première fois, ce fut pour recevoir le sceptre des mains de l’armée. La seconde, pour tenter d’atténuer les pressions internationales au travers d’un discours télévisé, remarquable par le flou des propositions avancées.

A l’exception de ces deux occasions, rien. Nulle apparition, nul discours, nul déplacement à l’étranger. Aucun effort réel visant à confirmer une volonté d’assumer le pouvoir qui lui a été confié dans une extrême précipitation et au prix d’une Constitution passée à la trappe. En lieu et place, au contraire, un sentiment qui s’installe doucement : Faure Gnassingbé serait l’otage du clan au pouvoir, de ce fameux clan qui en près de quarante années de règne sans partage a tendu sa toile à travers tout le pays et dont «le grand timonier» n’aurait été que l’émanation et l’arbitre suprême.

«Faure Gnassingbé, assure Léopold Gnininvi, président du CDPA et opposant de l’intérieur, n’est pas maître du jeu chez lui. Tel que je le connais, il ne se serait pas lancé dans une telle aventure insensée. Je n’ai pas de préjugés hostiles envers lui. Personne, d’ailleurs, n’a rien contre lui. Il est sous pression d’un groupe d’intérêts qui se trompe d’analyse. On l’a envoyé à l’abattoir en montant un scénario grotesque et insultant pour les Togolais.»

Pour qui connaît Lomé 2, le nom donné à la présidence togolaise, l’hypothèse est crédible. Du temps du général, ce lieu sobre et banal tout de béton blanc et situé légèrement à l’écart de Lomé vivait en marge du pays dans une autarcie presque totale. Entouré de sa cour, l’ancien adjudant-chef de la coloniale y élaborait ses stratégies tortueuses, distribuait l’argent par brassées et usait du téléphone afin de, parfois, échapper au syndrome de l’enfermement.

«Il faut savoir, explique un homme d’affaires togolais, que l’économie est complètement mafieuse. Le Trésor public est à la présidence. Les comptes du Togo à la BCAO sont au nom d’Eyadéma et ces deux dernières années, toutes les factures de la présidence ont été payées en liquide. Même la commission consultative des marchés a été logée à la présidence. Inutile de dire qu’il n’a jamais été besoin de soumettre.»

Le verrouillage du système s’est effectué par la mise en place d’hommes idoines aux postes clés : un fils adoptif du général, commandant de formation à la direction des douanes, un officier supérieur ancien intendant de la présidence à la direction des Impôts, un officier supérieur lié à la famille à la direction des phosphates, un beau-frère lieutenant-colonel à la direction du port de Lomé, un fils à la tête de la zone franche… «Le régime est réduit au clan constitué sur une base ethnique et militaire», affirme un observateur.

Selon certains, afin de faire face à l’interruption de la Coopération en 1993, le clan se serait peu à peu laissé séduire par des circuits parallèles. L’arraisonnement l’été dernier sur une information venue d’Europe du remorqueur Pitea, immatriculé au Togo et chargé de 300 kg de cocaïne, a sonné l’alarme. «Le Togo est devenu une terre d’échouage pour les escrocs et pour certains groupes mafieux», affirme un opposant.

Passé par Dauphine et titulaire d’un MBA, Faure Gnassingbé, successeur proclamé de son père, n’est désavoué à titre personnel par aucun opposant historique. Le problème, affirme-t-on, n’est pas tant dans sa personne que dans le système mis en place. «S’il essaye d’en sortir, explique un opposant historique, cela risque d’entraîner son élimination physique. A-t-il assez de force pour démanteler le système ?»

«Je connais un peu Faure, affirme Lucien Messan, journaliste togolais. C’est quelqu’un que je trouve responsable et c’est sans doute la personne la mieux placée pour solder le passif d’Eyadéma. Il faut régler le problème ethnique dans l’armée. Il faut un gouvernement d’union nationale suivi par des élections.»

Lomé : de notre envoyé spécial Patrick de Saint-Exupéry
[16 février 2005]