25/04/2024

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Gnassingbe Rock’n’Roll

Président de la fédération togolaise et fils de l’ex-dictateur Eyadéma, l’imprévisible Rock Gnassingbe a plongé son équipe dans le chaos pour son premier Mondial.

par Stéphane REGY

Et si c’était lui, la vraie star de ce premier tour de Coupe du monde ? Rock Gnassingbé, président omnipotent de la Fédération togolaise de football, est à la base d’un des plus gros bordels jamais vus dans un tournoi de cette envergure : la démission d’un coach avant même le premier match de son équipe, puis sa réintégration, et enfin sa démolition en règle devant la presse. Petit rappel des faits : qualifiés cette année pour leur premier Mondial, les Eperviers togolais souhaitent négocier leurs primes, mais Gnassingbé refuse de transiger et leur fait une offre ridicule. Solidaire de son équipe, le coach teuton, Otto Pfister, démissionne avant même le premier match, en signe de protestation. S’ensuit une cacophonie monstre, avec deux candidats se disputant le morceau de viande ­ le mercenaire Winnie Schäffer et l’ancien adjoint Kodjovi Mawuena, avant que Pfister ne ressurgisse in extremis par la fenêtre (vraisemblablement vexé que le poste puisse être proposé à Schäffer, son ennemi héréditaire). Sa hiérarchie le confirme alors «entraîneur pour toute la Coupe du monde». Heureusement, le tournoi des Eperviers ne durera pas plus de trois matchs. Car, le jour où Pfister revenait aux commandes, Rock Gnassingbé lâchait les chevaux, traitant publiquement l’Allemand d’«incompétent» et… d’«alcoolique» ! Rayon gaudriole, ça vaut largement les officiels koweïtiens descendant sur la pelouse pour intimer à l’arbitre d’annuler un but contre la France lors du Mondial espagnol 82. Et rien n’indique qu’on en restera là.

Indéboulonnable. Alors, un fou, ce Gnassingbé ? Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne fait pas l’unanimité chez lui. «Tout le monde veut sa tête, au Togo. Les Eperviers sont à la Coupe du monde, d’accord, mais ce sont les joueurs qui ont fait l’exploit, pas lui. En revanche, le fiasco actuel est sa responsabilité», explique Evelyn Gbenyedji, rédactrice en chef de la Gazelle, magazine sportif local. Hélas, Rock-la-menace est intouchable. Particulièrement bien né, le président de la Fédération togolaise est en effet rien de moins que le frère du président actuel du pays, Faure Gnassingbé, et, surtout, le fils de l’illustre Eyadéma, ex-président-dictateur, mort l’an dernier après un long règne de trente-huit ans. C’est d’ailleurs papa Eyadéma qui lui avait donné son poste de président de Fédération de football, en 1999. Le problème, c’est que l’intéressé l’occupe n’importe comment. «Rock gère la fédération comme son entreprise, le trésorier ne voit pas la couleur des chèques», se désole par exemple Horatio Freitas, cinq fois ministre de la Jeunesse et des Sports du pays. Et comme si ça ne suffisait pas, le roi du ballon s’entoure de caves. Avant la Coupe du monde, lors d’une rencontre amicale, le préposé aux équipements engagé par Rock avait ainsi laissé à la maison les shorts et les bas des joueurs, obligeant les motards de la gendarmerie à effectuer un aller-retour de 80 km avant de donner le coup d’envoi. Quant au directeur technique, Camelio Akoussah, il se pointait le 27 mai au Stade de France superviser les Bleus sans billet d’entrée ni réservation… Dominique Cionci, français et ancien directeur technique national togolais, proche de Gnassingbé, explique que «beaucoup de personnes, sans expérience du haut niveau, tournent autour de Rock pour profiter de sa situation». Lui se laisse faire allègrement. Il faut dire que Rock Gnassingbé est un peu ailleurs : son vrai truc, en fait, c’est le top niveau, les équipes premières, la gloire. «On ne le voit que quand on gagne, que ça brille et qu’il y a de l’argent, sinon on ne le voit jamais», pointait Kossi Agassa, gardien de but, lors de la dernière Coupe d’Afrique des nations. Aveuglé par les sunlights, Gnassingbé, il y a quelques années, avait voulu améliorer les performances de ses Eperviers en naturalisant puis sélectionnant des Brésiliens de troisième zone (lire pages S6-S7). Fiasco, évidemment. Stephen Keshi, le coach nigérian qui qualifia les Togolais pour l’Allemagne, dut faire le ménage de fond en comble. Mais Keshi s’est fait virer moins de six mois avant le Mondial…

Bête fauve. Rock Gnassingbé n’est donc pas doué pour occuper sa fonction, ça ne fait guère de doute. Mais il faut faire avec, car il ne veut surtout pas entendre parler d’autre chose. «Rock n’aime que le foot ; le reste, il s’en fout. Dès fois, je lui parle de basket, mais il ne m’écoute pas», reprend Horatio Freitas. La politique, il s’en cogne. L’économie, pareil. Militaire de formation, colonel de grade, Rock n’aime en réalité pas tellement la compagnie des humains, à qui il préfère les animaux. A Lomé, on raconte ainsi que Rock passe beaucoup de temps dans les élevages de rats et de lapins qu’il a fait édifier à la campagne.

La journaliste Evelyn Gbenyedji confirme à sa manière. «Quand Gnassingbé était président du Dito [le Dynamique Togolais, le club de l’armée, donc du pouvoir, ndlr], il lui arrivait d’emmener ses joueurs dans son zoo personnel, loin de Lomé, pour leur montrer ses bêtes. Pour les impressionner, il jetait des poulets aux caïmans… C’est une personne bizarre. Il peut aussi bien avoir des réactions de petit enfant que se montrer très grave. Il est instable.» Caricature du dirigeant à l’africaine comme on ne pensait plus pouvoir en croiser, type un peu largué, Rock Gnassingbé a encore deux matchs pour faire parler de lui avant que ses Eperviers ne rentrent à la maison. Après quoi il ira sans doute prendre conseil auprès de ses animaux, et changera probablement d’entraîneur. Ensuite, en décembre, des élections se tiendront au sein de la Fédération togolaise. Le résultat est déjà connu : Rock Gnassingbé, président, pour vous servir.

Publié dans Libération du 19/06/2006