25/04/2024

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Insurrection populaire au Burkina Faso des 30 et 31/10/2014 : une belle leçon de l’histoire

Par Antoine Bawa

Dans quelques jours, le Burkina Faso célébrera le 3è anniversaire de l’insurrection populaire, qui balaya le système Compaoré, au pouvoir pendant 27 années. Plus d’un quart de siècle de pouvoir autocratique ! C’est aussi en ce mois d’octobre 2017 que l’Afrique entière et le monde commémorent le 30è anniversaire de l’assassinat du Président Thomas Sankara, le 15 octobre 1987. Thomas Sankara, désormais icône incontestable des peuples qui luttent pour le droit à la liberté, la connaissance et le développement économique et social. Pour tous.

Deux belles commémorations pour célébrer le courage et l’héroïsme d’un peuple, d’un pays. Celui des « hommes intègres », le Burkina Faso.

Aujourd’hui, personne ne conteste plus que l’insurrection populaire d’octobre 2014 plonge ses racines dans la révolution conduite par Thomas Sankara en 1984. Ces journées d’octobre 2014, qui ont changé la face du Burkina Faso après bien des méandres faits de hauts et de bas, font aujourd’hui partie du patrimoine historique de l’Afrique. Tout particulièrement les pays africains où persistent encore des dictatures battant pavillon « démocratie et d’Etat de droit » ; et qui n’ont au fond, comme préoccupation, que leur « maintien au pouvoir ». Au prix de violations extrêmement graves des droits humains. Ces gens n’ont aucun respect pour la vie !

1. Octobre 2014, ces jours qui changèrent la face du Burkina Faso

• Jeudi 30 octobre 2014 : l’insurrection populaire

Alors que tout semble plié pour le changement de l’article 37 de la Constitution par le parlement pour que Compaoré puisse se présenter ad vitam aeternam aux élections, le peuple burkinabé se met en mouvement et déferle simultanément dans les rues de Ouagadougou la capitale et celles de Bobo Dioulasso, la 2è ville. Principale revendication : la fin du régime Compaoré concentré dans le slogan : « Blaise, dégage ». Arrivé au pouvoir en 1987 à la suite de la tragédie de la fin brutale de Thomas Sankara, Blaise Compaoré dirige alors le Burkina Faso depuis 27 ans ; quatre mandats successifs au compteur. Le 5è est annoncé en fin 2015.

Décidé à se représenter pour un 5è mandat, Compaoré organise toute une mise en scène aux fins de révision de l’emblématique article 37 de la constitution pour lui permettre de se maintenir au pouvoir. Ce fameux article avait déjà été modifié à deux reprises en 1997 et en 2000, tout cela pour que lui-même, Blaise Compaoré puisse se porter candidat à des élections gagnées d’avance.

Mais cette fois, les choses ont bien changé et l’histoire s’emballe ; en lieu place des divagations de l’opposition politique, des vagues de mutineries au sein de l’armée (2011), des grèves syndicales (29 octobre 2014), des dialogues politiques prétendus « inclusifs » organisés par le pouvoir, sans la société civile. Cette fois, c’est la société civile du pays qui monte au front et, le 30 octobre 2014, sous l’impulsion du « Balai citoyen », plus d’un million de personnes convergent, qui vers la place de la nation au cœur de la capitale, qui vers le parlement, qui vers la radio-télévision, qui encore vers la présidence. Tour à tour, la radio-télévision, le parlement sont aux mains des insurgés. Le parlement où sont réunis ce jour-là les députés pour entériner la modification de l’article 37 – la majorité parlementaire étant aux ordres de Compaoré -, est pris d’assaut et incendié.

Députés et personnels de l’assemblée nationale s’échappent, à qui mieux-mieux, de la fournaise. La veille du jour J, le pouvoir avait déployé des centaines de policiers et de militaires à divers points stratégiques : les ministères, les ambassades et, bien évidemment le parlement, etc. En cas de problème au parlement, un plan B est prévu par le pouvoir : le referendum ! Rejeté par l’opposition politique et par une très large partie de l’opinion. Le Congrès pour la démocratie (CDP), parti de Blaise Compaoré fondé en février 1996, est tout mobilisé derrière son chef. Hormis quelques membres qui ont récemment démissionné, dont les plus influents : Roch Marc Christian Kaboré (président de l’Assemblée nationale), Simon Compaoré (ancien maire de Ouaga), Salif Diallo (ex-compagnon de Compaoré tombé en disgrâce pour avoir osé critiquer le « chef »).

Dans le même temps, à Bobo Dioulasso dans le sud-ouest du pays, la mairie et le siège du parti présidentiel prennent également feu. Mais, doublement enfermé dans son somptueux bunker du palais de Kosyam et dans ses délires, conseillé par sa coterie d’affidés, Blaise Compaoré fait une déclaration surprenante appelant à des pourparlers ; annonçant sa disponibilité à former un nouveau gouvernement, « de transition » précise-t-il.

Compaoré est même prêt à renoncer à la modification de l’article 37. Il est surtout décidé à « finir son mandat » ; « à achever la modernisation du pays » ; et à transmettre lui-même le pouvoir, « démocratiquement », promet-il. Vigilantes, les forces de l’opposition décèlent le piège et rejettent cette énième manœuvre. Elles exigent son départ comme préalable à toute discussion sur la transition.

« Achever la modernisation du pays », répète Compaoré depuis des années ! Rien de nouveau : pour rappel, au Niger, Mamadou Tandja, l’homme qui changea la constitution pour « achever ses travaux » fut chassé du pouvoir par l’armée. C’était le 18 février 2010 !

Achever, Achever…. Joli mais faux prétexte toujours avancé par les autocrates pour se maintenir au pouvoir. Vicissitude de l’histoire, encore aujourd’hui ! Exemple, le Togo !

• Vendredi 31 octobre 2014 : la chute

Sous la pression de la rue, lâché par une partie de la hiérarchie de l’armé, Blaise Compaoré, l’incontournable médiateur dans différentes crises en Afrique (Togo, Guinée, Mali, Côte d’Ivoire, notamment), le sous-marin des conflits au Liberia et au Sierra Leone, Compaoré, l’homme qui rêvait du Prix Nobel de la Paix en 2012, annonce dans un communiqué sa démission. Il est exfiltré par la France et la Côte d’Ivoire ; destination, Yamoussoukro où Alassane Ouattara lui offre asile. Sans doute doré, c’est le fameux « village » de Houphouët Boigny ! Dans la foulée, à son tour, l’armée proclame qu’elle prend le pouvoir, alors même qu’elle est divisée ! La frange protestataire de l’armée finit par l’emporter avec le Lieutenant-Colonel Isaac Zida, 49 ans, numéro deux de la garde présidentielle, pasteur de surcroît.

Cependant, l’opposition politique et la société civile, particulièrement la jeunesse, qui a payé un lourd tribut avec une trentaine de morts, n’acceptent pas que la transition soit conduite par un militaire. Les manifestations se poursuivent donc à Ouaga dès le lendemain, 1er novembre 2017. Très vite, l’armée, majoritairement républicaine, reconnaît le rôle essentiel du peuple dans le renversement de la situation. Elle exprime sa solidarité avec l’ensemble des forces vives de la nation et se dit prête à organiser des pourparlers en vue d’une transition consensuelle.

2. De l’insurrection victorieuse à la mise en place laborieuse des institutions de la transition

• Des contributions diversement appréciées

Dès le 4 novembre 2014, réunis en conférence épiscopale, les évêques du Burkina publient un message appelant à « un véritable changement, c’est-à-dire à la conversion des cœurs pour un sursaut éthique susceptible d’ouvrir un avenir de justice, de pardon, de réconciliation et de paix ». Ils rappellent les paroles prophétiques du Pape Benoît XVI aux responsables politiques et économiques, à Cotonou en novembre 2011 : « Ne privez pas vos peuples de l’espérance ! Ne les amputez pas de leur avenir en mutilant leur présent ! Ayez une approche éthique courageuse de vos responsabilités et, si vous êtes croyants, priez Dieu de vous accorder la sagesse ! … Le pouvoir quel qu’il soit aveugle avec facilité, surtout lorsque sont en jeu des intérêts privés, familiaux, ethniques ou religieux. »

« Ne privez pas vos peuples de l’espérance ! Ne les amputez pas de leur avenir en mutilant leur présent ». Paroles prophétiques certes. Mais aussi paroles prémonitoires pour bien des peuples africains, qui ploient encore aujourd’hui sous le joug de potentats kleptocrates vomis par leurs peuples.

Auparavant, la France avait appelé diplomatiquement « au calme » et demandé, comme à son habitude, « à toutes les parties de faire preuve de retenue ». Mais cette fois, elle fait un pas de plus : avec l’aide de Alassane Ouattara, François Hollande décide l’exfiltration de Compaoré vers Yamoussoukro. Tandis que, les Etats Unis font part de leurs « vives inquiétudes » et l’ONU décide d’envoyer un émissaire à Ouaga. Mais toutes ces agitations diplomatiques n’ont eu pour effet que d’attiser la colère et le mécontentement profond du peuple souverain. Trop tard, le peuple souverain avait décidé d’en finir, une fois pour toutes !

Le 5 novembre 2014, une délégation des chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) arrive à Ouaga avec le Ghanéen John Dramani Mahama, le Sénégalais Macky Sall, le Nigerian Goodluck Jonathan. Après concertation avec les parties prenantes (armée, leaders politiques, société civile, chefs religieux et traditionnels), un accord a minima est trouvé : la direction de la transition par une éminente personnalité civile, la formation d’un gouvernement de transition pour un an, l’organisation des élections législatives et présidentielles dans un an. La société civile suit de très près les propositions de la médiation. Elle veille à ce que la maîtrise du processus n’échappe pas au pays. Par exemple le choix des modalités de la transition : charte, direction, gouvernement.

• Les forces vives de l’opposition à la mannette

« C’est en forgeant qu’on devient forgeron » enseigne la sagesse des peuples. Après le départ de la délégation de la Cedeao, qui garde néanmoins un œil sur le Burkina, les forces vives du pays prennent en main la suite du processus. Et, dès le 9 novembre 2014, une centaine de personnalités du monde politique, de la société civile ainsi que des religieux et chefs coutumiers, réunis en conclave, adoptent la charte de la transition.

La charte de la transition

Composé de 24 articles, la charte reprend d’entrée les valeurs inscrites au cœur de la Constitution du Burkina Faso : patriotisme, inclusion, sens de la responsabilité, tolérance, dialogue, probité, dignité, discipline, solidarité, fraternité, esprit de consensus, discernement. Elle pose ensuite les principales règles pour le choix du président de la transition : un homme de « bonne moralité…, d’une bonne notoriété nationale », ayant une parfaite connaissance du fonctionnement des institutions.

Comme les autres membres du gouvernement (25 membres au plus) et du Conseil national de transition CNT (90 membres dont 50% issus de partis politiques et 50% de la société civile), le président de la transition doit renoncer à se présenter aux futures échéances présidentielles et législatives.

Deux autres instances sont prévues par la charte : le « Conseil de défense et de sécurité nationale » et la Commission de réconciliation nationale et des réformes ». La durée de la transition est de douze mois.

Les acteurs de la transition

Le processus de désignation du président de la transition prévoit une séance d’audition des candidats appelés à répondre à une liste de sept questions, notamment sur : la stratégie pour la réconciliation, la lutte contre la corruption, l’impunité, la relance de l’économie, la gestion des crises, la défense et la sécurité nationale, etc. Au terme des auditions, sur 3 candidats, Michel Kafando, ancien ambassadeur à l’ONU, est désigné président de la transition le 17 novembre 2014. « Rien ne sera plus jamais comme avant », déclare-t-il.

Quatre portefeuilles reviennent à l’armée avec Yacouba Isaac Zida en qualité de Premier ministre, ministre de la défense. Plusieurs membres de la société civile font leur entrée dans le gouvernement. Quatre femmes dont Joséphine Ouédraogo, candidate à la présidence de la transition, ancien ministre de Thomas Sankara. Aucun chef de l’opposition politique. Dans la feuille de route, entre autres : organiser des élections présidentielles et législatives transparentes.

• « Rien ne sera plus jamais comme avant »

Michel Kafando ne savait pas si bien parler. En un an, la contre-révolution mène la vie rude à la transition. Point culminant de ce contexte délétère : le coup d’Etat du Général Gilbert Diendéré, numéro 2 du redoutable Régiment de sécurité présidentielle (RSP), enlèvement et séquestration du président de la transition, tergiversations incompréhensibles de la Cedeao ; tout est fait pour mettre fin aux acquis de l’insurrection populaire. Mais la veille démocratique de la jeunesse, le courage et la persévérance des dirigeants de la transition, la ténacité et l’engagement sans faille de tout un peuple derrière ses dirigeants ont eu raison de la félonie.

3. Au bout du tunnel, la lumière

• 29 novembre 2015 : 1ère élection présidentielle transparente, post Compaoré

Un an après la mise en place des instances de la transition, à l’issue d’un scrutin transparent, de l’avis général, Roch Marc Christian Kaboré, 58 ans, président du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), parti créé seulement il y a un an, est élu président du Faso. Dès le premier tour, avec 53,49% des suffrages. Quatorze candidats étaient en lice. Zéphirin Diabré, chef de file de l’opposition, arrive en seconde position avec 30% des voix. Il félicite le vainqueur. Par la suite, le pari du président Kaboré remporte les élections législatives, puis les élections municipales du 22 mai 2016.

Epilogue

A la veille de l’insurrection populaire d’octobre 2014, le Burkina Faso comptait parmi les trois pays de l’Afrique de l’ouest, réfractaires au principe démocratique de l’alternance politique au pouvoir, aux côtés de la Gambie et du Togo. Avec la présidentielle de novembre 2015, le Burkina Faso a accompli sa mue.

En Gambie, 11 300 km2, l’année 2016 s’achève avec une excellente nouvelle. Le 1er décembre 2016 en effet, l’opposant Adama Barrow, 51 ans, leader de l’UDP, United Democratic Party, est élu président de la République avec 45,5% des suffrages. 36,6% pour Yahya Jammeh, putschiste-président, continument réélu depuis 1994. Fin d’un long bail au pouvoir de 22 ans ! Et surtout, alternance réalisée sous la menace déterminante de la Cedeao, qui n’a pas cette fois tergiverser.

Reste dans cette région ouest-africaine, le Togo ; le Togo où le principe de l’alternance au pouvoir n’est pas à l’ordre du jour. Pour combien de temps encore ?

Nous l’avons vu, « la lutte du peuple est invincible » !

Bon anniversaire à la lutte du peuple Burkinabé ! Bons vents aux luttes en cours.

Par Antoine Bawa
Linguiste, ancien fonctionnaire international
Octobre 2017