29/03/2024

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Interview de M. Dahuku PERE du 04/05/03

M. Dahuku PERE
Candidat à la présidentielle du 1er juin 2003
Ancien membre du bureau politique du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT)
Ancien président du Parlement de 1994 à 1999

Entretien réalisé le 04-05-03 par LETOGOLAIS.COM

LETOGOLAIS.COM : Vous êtes candidat à l’élection présidentielle de juin 2003. Certains pensent que cette candidature est inopportune compte tenu de votre passé de dignitaire du régime RPT. Que leur répondez-vous ?

M. Dahuku PERE : Cette manière de considérer les choses n’est pas tout à fait justifiée. Elle préjuge que rien de bon ne peut sortir du RPT. Je vous rappelle que la quasi-totalité des leaders de l’opposition togolaise ont appartenu à un titre ou à un autre au RPT, parti unique jusqu’à l’époque récente du multipartisme. Et pourtant, personne ne leur dénie un engagement sincère pour la démocratie.
Par ailleurs, je trouve assez troublant que les gens se ferment à l’idée qu’il puisse exister au sein du RPT des citoyennes et des citoyens partisans du changement qui pourraient apporter leur contribution au mouvement de transformation politique et sociale du pays en association avec les autres forces du progrès de la société civile et des partis politiques de l’opposition. Et pourtant, ce genre de collaboration entre forces progressistes ont donné leur preuve de pertinence et d’efficacité dans d’autres pays, je pense en particulier au rôle qu’a joué respectivement De Klerc et Gorbatchev en Afrique du Sud et dans l’ex-Union Soviétique ou encore plus proche de nous Amadou Toumani Touré et Mustapha Niasse au Mali et au Sénégal. On nous invite, et avec raison, à présenter, face au Président sortant, un candidat unique à la Kényaenne, tout en voulant ignorer que là aussi c’est autour d’un ancien responsable dissident du pouvoir que s’est organisée la lutte. Pourquoi cela ne serait-il pas possible au Togo ?
Si les responsables politiques qui ont eu à traiter avec le RPT voulaient être un peu sincères, ils témoigneraient par eux-mêmes, non seulement de l’existence d’un courant progressiste au sein du RPT, mais surtout des efforts constants déployés à diverses occasions par ces citoyens de bonne volonté à l’intérieur de la mouvance présidentielle dans le but de trouver une solution pacifique à la crise politique et d’ancrer le RPT et la société togolaise dans son ensemble sur les valeurs et les règles de la démocratie et de la paix.

LETOGOLAIS.COM : Lorsque vous avez rendu publique votre déclaration en mars 2002, certains pensaient que l’«autocritique» que vous y faisiez, n’avait pour objectif que de vous attirer la sympathie de l’opinion publique afin de vous présenter à l’élection présidentielle de cette année 2003. Votre candidature d’aujourd’hui ne leur donne-t-ils pas raison ?

M. Dahuku PERE : Vous pouvez me croire ou non, mais ce n’était pas du tout mon objectif. J’étais plutôt soucieux du devenir du parti qui s’est totalement mis en déphasage avec l’ordre constitutionnel nouveau et les valeurs démocratiques. Le retour aux méthodes de gouvernement de l’époque du parti unique hypothéquait l’avenir de notre mouvance, entraînant un désintérêt grandissant des populations vis-à-vis du RPT, responsable de la pauvreté rampante qui décimait les populations des campagnes et s’attaquaient de plus en plus aux cadres.
Vous pensez, peut-être, que ma candidature actuelle donne raison à ceux qui considéraient que mon «autocritique» était destinée à la préparer.
Je ne sais pas à qui vous faites allusion, à mes détracteurs du RPT ou à ceux de l’opposition. Dans le cas des premiers je les comprends parfaitement, car au RPT la moindre velléité réformatrice est toujours perçue comme une conspiration subversive contre le parti et son régime dictatorial et l’initiative est vite qualifiée d’ambition politique personnelle. Dans le cas de mes détracteurs de l’opposition, j’éprouve des difficultés à les comprendre car ils se contredisent. D’un côté ils affirment vouloir que le RPT respecte les valeurs et les règles démocratiques instituées par le nouveau régime constitutionnel, ce à quoi devraient aboutir justement les réformes que je proposais aux instances dirigeantes du parti si celles-ci avaient eu la perspicacité politique de les accepter et de les opérer. De l’autre, ils me prêtent faussement l’intention de faire ma promotion politique en prévision de la prochaine présidentielle à travers mes propositions de réformes du régime dans le sens des attentes de tout le peuple togolais. Par cette démarche absurde et donc incompréhensible, ils regagnent les rangs des conservateurs du RPT. Cela voudrait dire aussi que mes détracteurs de l’opposition, tout comme les partisans du statu quo de la mouvance présidentielle, craignent les réformes du régime actuel. J’avoue sincèrement que je ne saisis par les raisons de ces craintes injustifiées de la part des gens qui prétendent lutter contre la dictature. Je voudrais qu’ils s’expliquent mieux !

LETOGOLAIS.COM : Comment expliquez-vous les difficultés qu’a eues la CFD à se trouver un candidat pour affronter Eyadema ? La proposition de votre candidature au dernier moment n’a-t-elle pas aggravé ces difficultés ?

M. Dahuku PERE : La volonté de conquête personnelle du pouvoir, notamment après une victoire personnelle avec panache sur Eyadéma, est une considération trop présente dans l’esprit de beaucoup de leaders actuels de l’opposition. L’idée de la candidature unique ne date pas d’aujourd’hui et l’opposition s’y est essayée déjà sans succès aux élections présidentielles de 1994 et 1998. Les raisons de ces échecs répétés doivent être recherchées dans cette ambition égoïste d’une victoire personnelle sur Eyadéma et les rivalités qu’elle suscite et nourrit. A cela il convient d’ajouter les ressentiments tenaces nés des coups bas et des trahisons qui ont émaillé les relations entre les principaux leaders de l’opposition traditionnelle ; tous ces facteurs négatifs conjuguent leurs effets répulsifs qui empêchent toute entente réelle entre les leaders.
C’est aussi en grande partie à cause de ces difficultés, me semblent-il, que les leaders de l’opposition traditionnelle se sont fermés à toute suggestion relative à ma candidature, en projetant sur moi leurs propres desseins, d’autant plus que certains considéraient leur parcours antérieur comme un investissement à rentabiliser. Ceci ne laissait, bien sûr, aucune possibilité de penser qu’un nouveau venu, de surcroît un ancien dignitaire du RPT, pouvait être utile à quelque chose.

LETOGOLAIS.COM : Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’avoir troublé le jeu de l’opposition ?

M. Dahuku PERE : Je réponds qu’ils doivent mieux s’expliquer. Ai-je troublé leur jeu en essayant de les convaincre de la nécessité d’une nouvelle union de l’opposition, en m’efforçant de régler leurs conflits pour maintenir et renforcer leur union, en tentant de les convaincre que le boycott électoral n’est pas une solution, ou encore en les invitant à développer un nouveau type de relation avec les forces de sécurité susceptible de générer une complicité à terme ?
Nous n’avons pas l’habitude de la polémique ; mais puisqu’on nous pousse à parler, et bien je rappelle à ceux-là que le projet de création de la CFD émanait des Rénovateurs qui en avaient une vision fédératrice plus large que le cercle restreint des partis politiques. Les Rénovateurs ont donné plus que quiconque à la CFD. Cette expérience a élargi notre vision des choses et étendu notre mission de RENOVATION ! De l’échec virtuel de la CFD, nous avons donc tiré de précieuses leçons qui nous assureront aussi bien la victoire sur la dictature que le succès dans la rénovation de la vie politique nationale dans son ensemble.
S’agissant de ma candidature à la candidature unique de l’opposition, je leur ferai observer que c’est un parti politique membre de la CFD qui l’a proposée et non les Rénovateurs. Nous l’avons certes acceptée, parce qu’elle nous mettait devant nos responsabilités historiques accrues par l’échec des tentatives d’union de l’opposition partisane en ces moments critiques. Du reste, les Rénovateurs n’ont jamais laissé entendre qu’ils refuseraient la candidature unique ; mais, au contrairement aux autres, nous attendions de connaître le profil idéal du candidat unique souhaité pour savoir si nous pouvions être candidats ou non.

LETOGOLAIS.COM : Après tout ce que le RPT a fait par le passé et ce qu’il a fait dans cette dernière période en violant tous ses accords et engagements, peut-on encore continuer à se réclamer de la rénovation de ce parti comme vous le faites ?

M. Dahuku PERE : Lorsque nous n’étions pas encore exclus du parti, nous prétendions être les « Réformateurs » de ce parti. Mais après notre exclusion, nous nous sommes dénommés « les Rénovateurs » parce que nous avions déjà confusément le sentiment actuellement confirmé par notre expérience de l’opposition, que c’est toute la vie politique nationale qu’il convient aujourd’hui de renouveler.
Faut-il le répéter, sachez que les Rénovateurs non seulement sont les initiateurs du projet créant la CFD, mais aussi ils ont participé au même titre que les autres membres de la CFD, et parfois plus que les autres, à la rédaction des déclarations communes dénonçant les situations que vous évoquez.

LETOGOLAIS.COM : Pouvez-vous nous décliner les grandes lignes du programme politique, économique et social que vous comptez soumettre au peuple togolais à l’occasion de l’élection présidentielle du 1er juin prochain ?

M. Dahuku PERE : Dans les tous premiers mois, la priorité sera accordée au versement régulier des pensions de retraite et des salaires, au paiement des bourses et aides scolaires, aux soins médicaux dans les hôpitaux et centres de santé du pays ainsi qu’à la réhabilitation des infrastructures scolaires. A tous ces niveaux, l’existant sera d’abord consolidé, les améliorations substantielles viendront par la suite, au fur et à mesure que l’économie se redressera. La vie des populations d’abord, le train de vie de l’Etat ensuite. Ce préalable important réalisé, nous ouvrirons trois chantiers.

Le premier est la restauration de l’ordre constitutionnel instauré par la constitution du 14 octobre 1992, voté par une très grande majorité de togolais. L’objectif est d’asseoir la réconciliation nationale sur une base assainie et d’introduire définitivement dans l’espace public deux notions fondamentales qui nous tiennent à cœur: l’indépendance des différents pouvoirs d’Etat et le respect des droits humains.

Le deuxième chantier est la reprise des reformes macro économiques conformément aux engagements que le Togo a pris devant la communauté internationale, à la condition toutefois, que ces réformes n’entrent pas en conflit avec les intérêts vitaux des populations. Un volet important de ces réformes sera la décentralisation, car le but visé est la relance du développement, lequel devra être intégré dans une approche participative et rationnelle pour être durable.

Le troisième chantier consiste à bâtir une nouvelle diplomatie, celle que j’appelle une diplomatie intégrée : elle ne se contentera plus de représenter seulement l’administration publique, mais elle sera aussi un véritable moteur de promotion des intérêts économiques et commerciaux de notre pays. Notre ambition dans ce domaine est de donner au Togo les moyens de tirer le meilleur parti de la mondialisation.

Ce ne sont là que des grands traits pour faire court ; l’intégralité du programme sera rendue publique dans les jours qui viennent.

LETOGOLAIS.COM : Un parti compte véritablement sur l’échiquier politique togolais, c’est l’UFC et son leader. Or, ce dernier est victime d’une exclusion, pensez-vous alors qu’un président élu dans les conditions d’illégalité juridique actuelles serait légitime et puisse avoir la paix sociale et politique pour gouverner ?

M. Dahuku PERE : C’est justement la volonté de contribuer à la suppression définitive de pareilles conditions d’illégalité juridique qui fonde principalement mon engagement actuel par lequel j’ai dû déplacer mon combat du champ restreint de la réforme de mon ancien parti pour le porter sur la scène politique nationale tout court. Les Rénovateurs qui ont eux-mêmes connu l’exclusion au dehors et à l’intérieur du RPT sont résolument opposés à toute forme d’exclusion.
Ceci dit, l’UFC, autant que je sache, a présenté la candidature de son leader à la prochaine présidentielle dans les mêmes conditions d’illégalité juridique et mon souhait est qu’elle soit acceptée. Voulez-vous dire donc que si M. Olympio était élu, il n’aurait pas la paix sociale pour gouverner le pays, au seul motif des conditions d’illégalité juridiques de son élection ? Non, le peuple togolais accorde plus d’importance aujourd’hui au changement, un changement véritable, qu’à l’arsenal juridique mis en place par la dictature, justement pour empêcher le changement. Je ne vois donc pas pourquoi le peuple togolais compliquerait la tâche à un président qu’il aura élu de haute lutte.

LETOGOLAIS.COM : Le courant des Rénovateurs n’est pas une force politique importante du pays, avec quelles forces politiques comptez-vous alors gouverner si vous êtes élu ?

M. Dahuku PERE : C’est vous qui pensez que les Rénovateurs ne constituent pas une force politique importante dans le pays. Ils représentent la très grande majorité des militants du RPT où ils restent tapis dans l’ombre du pouvoir qui ne connaît que la répression et la persécution pour répondre aux désirs de changement de ses militants. Ils sont aussi présents dans tous les partis politiques de l’opposition et dans le vaste courant progressiste de la société civile. Nous n’aurons donc pas de difficultés à trouver avec qui gouverner le pays si le candidat des Rénovateurs et du PSR est élu. Nous avons d’ailleurs des raisons d’espérer que d’autres forces politiques se joindront bientôt à nous dans le combat.
C’est d’ailleurs pour impliquer toutes les forces vives du pays dans le vaste chantier de la reconstruction nationale, que les Rénovateurs préconisent le principe de gestion consensuelle du pouvoir d’Etat après la victoire.

LETOGOLAIS.COM : Y a-t-il lieu de redouter des troubles politiques graves à l’issue de la prochaine présidentielle de juin 2003 au Togo ?

M. Dahuku PERE : Cela dépendra grandement du comportement du pouvoir actuel, de sa capacité à respecter le peuple dans son choix, au moins pour une fois. Dans tous les cas ni les Rénovateurs, ni le PSR ni aucun parti de l’opposition républicaine et démocratique ne croient à la violence. Nous appartenons à un peuple pacifique, profondément attaché à la paix.. Il en a donné la preuve irréfutable en supportant les vexations, l’arbitraire et toutes sortes d’injustices pendant des décennies au point que l’on nous croit à tort lâches. Nous comptons sur toutes les forces patriotiques, sur le peuple dans sa totalité et l’armée nationale pour protéger la république et défendre le suffrage populaire et la légitimité démocratique. Nous comptons enfin sur la communauté internationale qui nous comprendra assurément.

LETOGOLAIS.COM : Nous vous remercions…