23/04/2024

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La Diaspora togolaise : de l’arbitre à l’effet de levier

Par Yves Ekoué Amaïzo *

Les élections législatives togolaises du 14 octobre 2007 ne manqueront pas de faire l’objet d’inévitables divergences sur la transparence. 3 500 observateurs nationaux et internationaux sont sur le territoire pour rendre un verdict de transparence qui reste à faire avaliser par les protagonistes eux-mêmes. Malgré tout, cela ne devrait pas empêcher la crédibilité de cette consultation d’être acceptée par la population, les dirigeants de tous bords, et les communautés africaine et internationale.

1. La Diaspora togolaise : besoin de reconnaissance officielle

Constituant la 6e région selon l’Union africaine, la Diaspora togolaise aura été la plus officiellement absente dans ces élections. Que l’on ne s’y trompe pas ! Que ce soit celle des Etats-Unis, de la France, de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique, d’Italie ou du Royaume-Uni, la Diaspora togolaise n’a pas ménagé sa peine pour envoyer de l’argent pour financer principalement les familles touchées par les inondations liées aux conséquences des changements climatiques, pour soutenir des députés en campagne et ne bénéficiant parfois d’aucun soutien financier ou pour soutenir certaines églises ou mosquées qui ont prié pour que ces élections ressemblent fortement à une véritable début de sortie de crise et un début de pacification effective entre des frères ennemis.

Faut-il rappeler que les sommes d’argent envoyées par cette Diaspora togolaise pour réduire les effets de la pauvreté sont passées de 27 millions de $ US en 1990 à 148 millions de $ US en 2005 et sont estimées autour de 170 millions en cette fin d’année de 2007. Les Togolais établis à l’étranger s’enrichissent-ils donc uniquement à l’extérieur du Togo pour avoir une telle capacité pour relever les leurs restés au pays ? Les Togolais de la Diaspora ne peuvent-ils s’épanouir que dans un système de démocratie, de respect des droits humains et de respect des institutions républicaines notamment le système judiciaire ? En fait, tous les peuples rencontrent ce problème et l’ont dépassé. Pourquoi pas le Togo sur son propre territoire ?

Les Togolais de la Diaspora qui disposent du savoir-faire, d’expertise, de talents, et de contacts avec des potentiels investisseurs, des bailleurs de fonds soucieux de soutenir l’éthique, des élus versés dans la coopération décentralisée et soutenant une migration négociée, etc. doivent-ils (elles) être sacrifié(e)s parce qu’ils ont eu le tort d’aller chercher fortune, santé, paix et bonheur à l’extérieur ? Il existe pourtant une censure bien réelle qui empêche cette Diaspora togolaise estimée à 1 million d’individus de ne pas pouvoir participer comme citoyen de la 6e région aux élections législatives togolaises. Les arguments liés à la difficulté d’organisation ne tiennent plus face aux exemples donnés par d’autres pays comme l’Algérie.

Les Togolais de la Diaspora qui sont de véritables accélérateurs de croissance économique, sociale et de développement ne peuvent pas participer aux élections législatives togolaises. Faut-il alors en déduire que lors de l’indispensable futur gouvernement d’union nationale qui devra se charger de faire une transition d’une durée variable de 18 mois à 5 ans, la Diaspora sera encore exclue ?

La rupture avec les pratiques nauséabondes du passé ne peut pas exclure de prendre connaissance de quelques volontés isolées de déstabilisation du pays qui restent à circonscrire si l’on veut stabiliser le nouveau consensus démocratique en devenir.

Le peuple togolais, entre prières diverses à savoir invocations des ancêtres, neuvaines, lecture de sourates, résistance passive ou directe et volonté d’exprimer clairement et massivement son choix, aura raison de toutes les manipulations qui ne manqueront pas de faire jour, pendant et après ces élections.

La Diaspora, absente mais prête à soutenir les alternatives pacifiques et dynamiques en cours, doit retrouver son rôle d’intermédiaire neutre, parfois désintéressé. C’est en cela que les Togolais et Togolaises de l’étranger, avec ou sans la double nationalité, doivent être considérés comme de véritables accélérateurs de croissance économique, de transfert de technologie et de productivité et bien sûr de bien-être durable.

2. L’après élection : transition, union nationale et retour de la dignité humaine

Comment y parvenir si aucun membre de cette Diaspora ne se retrouve dans le gouvernement de transition ? Homme et femme de la Diaspora, il importe d’affûter vos propositions pratiques, techniques et créatrices d’emplois décents pour soutenir la nouvelle équipe qui ne manquera pas d’ailleurs d’y faire appel dans un esprit de respect mutuel. Oui, la rupture, c’est aussi la volonté des présidents des pays de l’Union européenne de travailler de plus en plus avec des acteurs togolais sérieux, conscients de leur rôle au service de la création de richesses avec ses conséquences directes sur la réduction de la pauvreté alors que la pauvreté extrême toucherait plus de 50% de la population au Togo en 2007. Au-delà, avec des enfants de moins de 14 ans qui sont prêts de 70% à travailler d’une manière ou d’une autre pour aider leurs parents ou familles à subvenir à leurs besoins, l’avenir de la jeunesse togolaise est bouché si ces enfants ne vont pas à l’école dans des conditions dignes de ce nom. Les filles et les femmes sont particulièrement touchées et il ne faut pas oublier les handicapés, veuves et personnes âgées laissées pour compte.

Oui, un gouvernement de transition doit rétablir les grands équilibres de la dignité humaine. Il ne peut le faire qu’avec une Diaspora togolaise qui a un sens aigu des droits humains et de la dignité humaine. Avec une croissance de la population d’environ 2,4% au dessus de la croissance de 2% en 2006 et plus de 43,5% d’enfants de moins de 14 ans, l’avenir du Togo a besoin de levier et d’accélérateur de croissance économique. Ce ne sont pas simplement les 54,4% en âge de travailler de la population togolaise qui pourront venir à bout du véritable challenge de refondation-reconstruction du pays. Ce sont toutes les forces vives, volontaires et patriotes dans le cadre de l’intégration régionale et continentale qui pourront transformer les années d’adynamie en espérance constructive.

Une nouvelle sécurité sanitaire, une formation adaptée, une information libre et diversifiée, un effort soutenu pour relever la démocratie aux standards internationaux, un développement de l’entrepreneuriat et des capacités agricoles, productives et commerciales, une volonté de faire émerger la microfinance et des intermédiaires financiers d’appui au développement, une nouvelle prise de conscience de l’importance de l’éthique tant auprès d’une armée républicaine que d’une population ayant appris à pardonner si l’impunité est reconnue et corrigée… sont quelques-unes des compétences que le gouvernement de transition pourra trouver auprès d’une équipe de la Diaspora, prête à rendre service avec des dirigeants acquis à la cause de la sagesse africaine. Le travail, la probité et l’éthique feront alors bon ménage avec l’équité.

3. Diaspora, migration négociée et refondation-reconstruction

Non les absents n’ont pas toujours tort. Comme la Diaspora togolaise, l’aide financière de l’Union européenne s’est mise en marge du Togo du fait d’un déficit démocratique et de respect des droits humains que personne ne conteste aujourd’hui. Le budget de l’Etat n’arrive plus à satisfaire aux obligations d’investissements. Seules des élections législatives transparentes et démocratiques et acceptées comme telles pourraient anticiper la reprise pleine et entière de la coopération de l’Union européenne avec le Togo. La communauté internationale doit se rappeler que le Togo a été un protectorat et devrait transformer son aide en un véritable plan de relance du pays. A la suite des nombreuses années d’accroissement continue de la pauvreté extrême et de la méfiance des investisseurs étrangers et nationaux du fait d’un environnement des affaires peu propice, il est grand temps que la coopération avec l’Union européenne se décline autrement avec des acteurs de la Diaspora qui s’inscrivent dans la logique de la coopération décentralisée et de la migration négociée. Ce sont les politiques de migration européenne avec les régions africaines et le Togo en particulier qu’il faudra rediscuter dans une ambiance conviviale.

Un autre dossier qui reste sensible doit pourtant faire l’objet d’une consultation en direct. Avec quelques soutiens directs dans le domaine de l’infrastructure, une grande partie des serviteurs de l’Etat et de l’armée togolaise pourrait devenir des acteurs privilégiés d’une croissance économique accélérée laquelle passe par les travaux d’infrastructure, de construction d’habitats à loyers modérés et mise en place de système de communication et d’accès à l’eau et à l’énergie, de préférence renouvelable. Ce sera l’occasion de rappeler que les armées africaines pourraient aussi moderniser leur fonction pendant la période de transition et de refondation-reconstruction du pays pour servir de traits d’union entre les populations. Il suffit de créer des infrastructures avec l’appui financier des bailleurs de fonds prêts à nous accompagner pour que les craintes de ceux qui s’interrogent sur leur devenir disparaissent par enchantement. Ainsi ceux qui interpellent la Diaspora en répétant « que deviendrons nous ? » devront pouvoir être convertis en acteurs zélés du développement local. Les élections ne sont rien face à la volonté du peuple togolais de tourner la page de 40 ans où l’interdépendance togolaise et l’expression libre du peuple ont été considérées comme partie négligeable.

Si les autorités extérieures contribuent à donner une évaluation impartiale du déroulement des élections et que le peuple togolais face à ceux qui détiennent les instruments de la répression s’organise pour qu’il n’y ait pas d’effusion de sang, de désordre et de « bagarres de rues », alors les togolais, leurs dirigeants et la communauté auront enfin découvert les vertus de vivre en toute interdépendance. Il ne restera qu’à assurer un accompagnement intelligent en associant la Diaspora sous toutes ces formes.

4. Vers une gouvernance de l’interdépendance au Togo

Avec une estimation autour de 148 million de $ EU en 2005 de transfert financier de la Diaspora togolaise, ceci malgré les charges usurières liées à ce transfert, l’aide de la Diaspora est de loin supérieure à l’aide au développement s’élevant à 59,4 $ millions de $ US pour la même année. Il appartient à cette Diaspora éclairée d’introduire de la productivité

• dans le secteur primaire (agriculture et pêche) qui n’a atteint que 2,3% de croissance en 2006 ;
• dans le secteur industriel qui avec une croissance négative de -0.6% en 2006 affiche un désespérant -11,5% dans le secteur manufacturier (capacités productives), et
• un secteur tertiaire qui affiche 3,2% de croissance avec un service public défaillant avec une croissance négative de -2,6%.

Aussi, le produit intérieur brut (PIB) du Togo en 2006 atteint difficilement une croissance de 2% selon les sources du Fonds monétaire international (statistiques de 2007). Il n’est donc pas étonnant que le Togo n’ait pu répondre qu’à deux des critères de convergence (respect de moins de 3% du taux d’inflation et moins de 35% de revenu couvert par les efforts internes) de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine).

Avec un soutien intelligent de la communauté internationale et un rôle massif de la Diaspora en appui aux initiatives locales, le peuple togolais est capable de relever le défi de la croissance économique partagée et d’une gouvernance de l’interdépendance au service de tous les Togolais. La Diaspora ne sera pas simplement un arbitre mais un véritable catalyseur d’un développement à visage humain. Les conseils des anciens et la refondation de la tradition et du modernisme devraient faciliter une métamorphose d’un pays-frontière dont aucun de ses voisins proches ne peut se passer. Le Togo a besoin de spécialistes de la gouvernance de l’interdépendance. La Diaspora a de l’expérience à offrir dans ce domaine. Une vraie sécurité humaine en résultera.

Dr. Yves Ekoué Amaïzo
Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence – économiste à l’ONUDI
L’auteur intervient en sa capacité personnelle