19/04/2024

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La rivalité franco-anglaise en Afrique tourne au détriment de Paris

Alors que le modèle français apporte de nombreuses pesanteurs, la culture anglo-saxonne semble plus à même de favoriser le développement économique

Par Patrick de Saint-Exupéry [06 juillet 2005]

Le transitaire du port de ce petit pays d’Afrique francophone, un Français, n’a jamais vraiment compris. Ou plutôt si : il a vite saisi qu’il n’y pouvait pas grand-chose. Ses tarifs avaient beau être deux fois moins chers que ceux de son concurrent direct, un Français également, ses clients restaient rares. Fiable, sérieux et compétitif, il aurait dû rafler en toute logique une bonne part de marché. Mais il avait un défaut : l’honnêteté. En Afrique, cela peut représenter un vrai handicap.

Quand son concurrent n’hésitait pas à «soigner» la présidence locale, lui s’occupait de la seule marche de son entreprise. Ses employés locaux, payés et considérés, lui en savaient gré. Pas les augustes de ce pays africain, proche de Paris. Bien plus intéressée par les «éléphants blancs», ces grands projets qui permettent de détourner des fonds, la présidence s’était prise de passion pour un projet soutenu par le concurrent du transitaire : l’érection d’un deuxième môle sur le port.

Cette nouvelle construction, à vrai dire, n’avait pas de justification économique. L’extension du premier môle, jamais terminé, aurait coûté moins cher tout en étant plus rapide. Quelle importance ? Une cérémonie d’«inaugu ration» du nouveau môle potentiel eut lieu en présence du chef de l’État. Une première pierre fut posée. Les journaux locaux soulignèrent à l’envi l’ambition de ce projet chiffré en centaine de millions d’euros. Rien ne se produisit. Il y eut de longues et coûteuses négociations afin de débloquer le financement nécessaire. Cela traîna. Longtemps. Très longtemps. Chacun en profita pour se servir un peu. Puis, afin d’essayer d’accélérer le processus, une deuxième inauguration de l’hypothétique nouveau môle – toujours en présence du chef de l’État – fut organisée.

Des mois plus tard, le projet n’a pas avancé. Sur le port, les deux transitaires sont toujours concurrents. Le plus cher domine toujours le marché. Ses affaires sont bonnes. La présidence, qui en profite financièrement et politiquement, ne se plaint pas. Tout va très bien.

Et tout va très mal. Car le pays, le Togo, reste, lui, plongé depuis dix ans dans une profonde crise. Qui en a à faire ? Pour les autorités locales, l’essentiel est de durer. Pour Paris, proche de cette capitale africaine, l’essentiel – quitte à déverser de l’argent en pure perte – est la stabilité. Pour un certain nombre d’opérateurs économiques, l’essentiel est d’user au maximum. Quant aux autres, jeunes entrepreneurs ou vrais opérateurs économiques, ils n’ont d’autre choix que de tenter de s’immiscer en force dans un jeu où ils n’ont pas leur place.

Car l’Afrique francophone fonctionne souvent comme une chasse gardée. Sans relais ou connections politiques, difficile d’y faire des affaires, de vraies affaires. Là est une clé essentielle du retard au développement d’une Afrique proche de Paris et bien plus souvent perçue comme un continent de rente que de potentialités.

L’Afrique anglo-saxonne est, pourtant, parvenue à sortir de l’ornière. Des pays comme le Kenya, l’Afrique du Sud, le Nigeria ou même l’Ouganda sont aujourd’hui perçus comme des bassins potentiels de développement. Le Ghana anglophone, proche du Togo, offre même l’exemple rare en Afrique de l’Ouest d’un pays à la fois stable et démocratique.

En contrepoint, le Gabon – un pays si Français, doté d’importantes ressources pétrolières et d’une très faible population – est resté, en dépit des masses de pétrodollars, comme collé au sous-développement. Et Paris, qui appuie l’effacement de la dette gabonaise, ne semble pas se rendre compte de l’incongruité de la demande.

Entre les deux modèles, français et anglo-saxon, la question paraît tranchée. A défaut d’être la clé de tous les problèmes, la culture anglo-saxonne semble plus à même de favoriser le développement. Dans le match qui l’oppose à Tony Blair, Jacques Chirac a peu d’exemples dont se targuer : imagine-t-on un président d’Afrique francophone se défaire d’un très proche mis en cause dans une affaire de corruption ? Cela vient de se produire en Afrique du sud, où le président Thabo Mbeki a limogé son vice-président Jacob Zuma. Londres – la précision n’est pas inutile – n’est pour rien dans le départ de Jacob Zuma. C’est simplement affaire de culture. Une culture qui, malgré le slogan de la «bonne gouvernance», n’est toujours pas parvenue à s’enraciner dans cette Afrique si chère à Paris.

LE FIGARO