25/04/2024

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L’anachronisme comme procédé révisionniste de l’esclavage et de la colonisation

Contribution au débat Français par des Antillais et Africains Descendants des victimes de l’Esclavage et de la Colonisation

(****) : voir la liste des signataires en fin de document

Auteurs : Diogène Senny et René Lyncée
d_senny@yahoo.fr ou ashanti.negmawon@wanadoo.fr

Descendants des Victimes de l’Esclavage et de la Colonisation, nous suivons avec une attention toute particulière le débat en cours en France relatif à l’Esclavage et à la Colonisation. C’est à ce titre, mais aussi en tant que militants pour le Respect de la Mémoire des Victimes de ces Crimes que nous tenons à donner notre voix à ce débat fort animé.

Contrairement à ce que les esprits conservateurs peuvent penser, la France connaît actuellement un moment privilégié et historique. Ce succès public de l’Histoire, des travaux historiques scientifiques qui étaient encore très récemment la préoccupation de quelques militants, ce besoin d’Histoire que manifeste une partie des populations françaises s’explique par une trop longue « Indifférence anhistorique existentialiste » comme aurait dit J-P Sartre de la part des autorités et dont les antécédents historiques tirent leur racine dans le traitement des esclaves et des indigènes.

Mais le succès de ce « Mouvement d’historisation » ne peut être transformé positivement en un acquis du mieux « Vivre-ensemble » entre les populations françaises que si les intellectuels, les gouvernants et tous ceux qui influencent la marche de la Société, se débarrassent des préjugés périmés afin d’envisager le Devenir de leur pays avec courage, générosité, humanité et surtout honnêteté. Autrement, les mensonges, les demies vérités, les procédés dilatoires, les non-dits ne passeront plus. C’est Aimé Césaire qui disait dans le « Discours sur le Colonialisme » : « Les colonisés savent désormais qu’ils ont sur les colonialistes un avantage. Ils savent que leurs « maîtres » provisoires mentent. Donc que leurs maîtres sont faibles. »

Malheureusement le refus d’intelligibilité auquel se caractérise une certaine Elite française sur la question de l’Esclavage et de la Colonisation ne fait qu’accentuer les angoisses et la colère des Descendants des Victimes de ces Crimes.

D’abord, il est refusé à tous les Résistants « Noirs » qui se sont opposés au prix de leur vie dès l’aube de l’Esclavage et de la Colonisation, le rôle significatif, de premier ordre de déclencheurs du processus de prise de conscience de l’inéluctabilité de l’abolition de l’esclavage d’une part, et de décolonisation de l’autre comme c’est le cas dans toute situation de ce genre. Les Conservateurs en France répètent à satiété comme « d’un mal, on en tire un bien » que l’abolition de l’Esclavage était un phénomène européen et que la décolonisation n’a pu avoir lieu que grâce aux armes « civilisationnelles » que le système avait inculqué aux colonisés. Ainsi, on nie aux esclaves et aux colonisés, le génie propre à tout Homme, à tout Peuple de se dépasser en trouvant les ressources propres en chaque Etre dans l’adversité comme c’était le cas pour les Résistants et les Justes contre le Nazisme.

Ensuite, paradoxalement, tout en refusant de porter la responsabilité des générations passées, cette même Elite française se défend en condamnant « l’ANACHRONISME » qui consiste à juger les faits passés avec les principes d’aujourd’hui. En sous-entendant quasiment que les Esclavagistes et les Colonisateurs agissaient de bonne foi et que ces pratiques étaient dans l’air du temps puisque le monde Arabe en usait aussi.

Par conséquent, dans un cas comme dans l’autre, les deux postures conduisent inévitablement à un négationnisme déguisé.

Si dans le premier cas la supercherie semble évidente, c’est-à-dire le procédé consistant à attribuer aux Esclavagistes la paternité de l’Abolition ou aux Colonisateurs la primauté de la décolonisation afin de diluer subtilement les forfaits, les crimes, les génocides qui résultent de ces systèmes en prenant soin d’occulter les Résistances, nous consacrerons plutôt nos efforts à cette autre trouvaille des Conservateurs qu’est « l’ANACHRONISME ».

Nous partirons de la période moderne en plein esclavage et de la période coloniale en montrant les contradictions, les postures, les positionnements politiques et intellectuels de chaque époque mettant en exergue que les Esclavagistes et les Colonisateurs ne pouvaient pas ne pas avoir conscience du caractère criminel, amoral, inhumain, injuste de leurs actes. C’est comme si 200 ans plus tard par rapport à notre époque, on refusait aux générations futures de condamner les inégalités et les injustices sociales de notre époque produites par l’Ultra-libéralisme au prétexte que cela relevait de l’air du temps. Ça correspondrait à un mensonge historique car c’est oublier que l’Ultra-libéralisme d’aujourd’hui est un système de société choisi, imposé par les dominants et par voie de conséquence combattue en permanence. Cet exemple s’applique aussi à l’époque de l’esclavage et à celle de la colonisation. Il n’y a donc pas lieu de parler d’ANACHRONISME.

I ) PERIODE DE L’ESCLAVAGE

Sortie de la période médiévale et en pleine « Renaissance », l’Europe ne pouvait pas ne pas être consciente que l’Esclavage était moralement condamnable. Ainsi, pour faire admettre à la population un tel forfait, une idéologie de « l’infériorisation des Noirs » était conceptualisée par les penseurs les plus influents parallèlement à l’arsenal législatif et politique à savoir : « le Code Noir », première version en 1685 et deuxième version en 1724.

A) Les Idéologues Apologistes de la sous-humanité des Noirs

De Montaigne (1533-1592) auteur des « Essais » en 1580, jusqu’aux racismes du XXème s., en passant par David Hume (1711-1776) autour du livre « Le Non-Civilisé et nous », Kant (1724-1804), Lessing (1729-1781), Fiche (1762-1814), Hegel (1770-1804) à Armand de Quatrefages de Bréau (1810-1892) jusqu’aux Ethnologues modernes de la colonisation, une véritable idéologie basée sur la sous-humanité des Noirs était en marche en vue de justifier au nom de la Civilisation européenne « supérieure », la mise en esclavage des Noirs.

Mais de tous ces apologistes, deux noms néanmoins se dégagent et qui ont influencé profondément les dominants de la période esclavagiste. Il s’agit de Georg Wilhelm Hegel et du Comte Joseph Arthur de Gobineau.

* Hegel (1770-1831) : l’un des premiers penseurs à avoir donné une interprétation rationnelle de l’histoire dans son ouvrage « La Raison dans l’Histoire », dans sa « Totalité Historique », il exclut l’Afrique par conséquent le Noir de l’Histoire universelle du fait du climat. Il écrit dans la Raison dans l’Histoire :

« Le gel qui rassemble les lapons ou la chaleur torride de l’Afrique sont des forces trop puissantes par rapport à l’homme pour que l’esprit puisse se mouvoir (…) » P. 220-221

« Ce qui caractérise en effet les Nègres, c’est précisément que leur conscience n’est pas parvenue à la contemplation d’une quelconque objectivité solide, comme par exemple Dieu, la loi (…) » P. 251

Enfin, Hegel ajoute, l’Afrique est :

« Un monde anhistorique non développé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel (…) » P. 269.

* Gobineau (1816-1882), esprit foncièrement dogmatique, alors que Hegel exclut l’Afrique de l’Histoire universelle pour cause de climat chaud, pour Gobineau, c’est carrément la couleur de peau des Africains qui explique leur sous-humanité. Dans son ouvrage « Essai » sur l’inégalité des races humaines, il écrit :

« (…) l’inégalité des races suffit à expliquer tout l’enchaînement des destinées des peuples »

« La variété mélanienne est la plus humble et gît au bas de l’échelle. Le caractère d’animalité emprunt dans la forme de son bassin lui impose sa destinée, dès l’instant de la conception. » P. 368.

Ainsi, l’Esclavage avait un lubrifiant idéologique et pseudo-scientifique savamment inoculé au Peuple par l’éducation et de génération en génération car Hegel était un universitaire très influent de son époque et Gobineau était un diplomate très écouté dans le monde politique européen.

N’y avait-il pas des contemporains de Hegel, de Gobineau, et des politiques qui avaient mis en place « le Code Noir » pour leur rappeler, comme nous le faisons aujourd’hui, du caractère criminel à la fois de l’Esclavage et des thèses racistes de l’époque afin de valider ou non que nous faisons de « l’ANACHRONISME » ?

B) Les Opposants Contemporains aux Apologistes de l’Esclavage et de la sous-humanité des Noirs

Dans la liste des opposants aux dominants industriels, politiques, intellectuels…, on peut citer Condorcet et Volney qui étaient naturellement contemporains de Hegel et de Gobineau.

* Condorcet (1743-1794) était un grand homme de sciences et fut membre de l’académie française, c’est dire que ses idées étaient bien connues à l’époque. Dès 1782, il consacre sa vie à la défense des droits des Femmes et des Noirs. Dans ses « Réflexions sur l’Esclavage des Nègres » au chapitre V intitulé : « De l’Injustice de l’Esclavage des Nègres, considéré par rapport au Législateur », Condorcet écrit :

« Tout législateur, tout membre particulier d’un corps législatif, est assujetti aux lois de la morale naturelle. Une loi injuste, qui blesse le droit des Hommes, soit nationaux, soit étrangers, est un crime commis par le législateur, dont ceux des membres du corps législatif qui ont souscrit à cette loi, sont tous complices. »

Plus loin, Condorcet ajoute :

« La prospérité du commerce, la richesse nationale, ne peuvent être mises en balance avec la Justice. Un nombre d’hommes assemblés n’a pas le droit de faire ce qui, de la part de chaque homme en particulier, serait une injustice. »

* Volney (1757-1820), membre également de l’Académie française, professeur d’histoire à l’école Normale Supérieure c’est dire que les idées de Volney ne pouvaient passer inaperçues. En plein Esclavage et au moment où les théories sur la sous-humanité des Noirs étaient partagées par les dominants industriels, politiques et intellectuels de l’époque, il visita l’Egypte et la Syrie en 1783 et 1785.

Imbu pourtant des préjugés les plus racistes de son époque à l’égard des Noirs, de retour de son voyage en Egypte, la bonne foi et l’honnêteté intellectuelle de Volney étaient telles qu’il n’a pu s’empêcher d’écrire ceci dans l’ouvrage : Voyage en Syrie et en Egypte, par M. C-F Volney, Paris Tome I… :

« En voyant cette tête caractérisée Nègre dans tous ses traits, je me rappelai ce passage remarquable d’HÉRODOTE, où il dit : Pour moi, j’estime que les Colches sont une colonie des Egyptiens (…) c’est-à-dire que les anciens Egyptiens étaient de vrais Nègres de l’espèce de tous les naturels d’Afrique… »

Plus loin, Volney ajoute :

« Mais en revenant à l’Egypte, le fait qu’elle rend à l’Histoire, offre bien des réflexions à la philosophie. Quel sujet de méditation de voir la barbarie et l’ignorance actuelle des Coptes, issus de l’alliance du génie profond des Egyptiens et des Grecs, de penser que cette race d’hommes Noirs, aujourd’hui notre esclave et l’objet de nos mépris, est celle-là même à qui nous devons nos Arts, nos Sciences, et jusqu’à l’usage de la parole ; d’imaginer enfin, que c’est au milieu des Peuples qui se disent les plus amis de la liberté et de l’humanité, que l’on a sanctionné le plus barbare des esclavages et mis en problème si les hommes Noirs ont une intelligence de l’espèce de celle des hommes blancs ».

Comme on vient de le voir, de la même manière que de nos jours, nous sommons le législateur de légiférer dans un certain sens pour éviter de se faire complice des inégalités, Condorcet au moment de l’Esclavage a fait partie de ceux qui se sont levés pour accuser le législateur de complicité avec les Esclavagistes.

D’autre part, en son temps Volney aussi a su se dépasser pour tordre le coup aux dépositions pseudo-scientifiques et racistes de Hegel et de Gobineau. Là aussi le parallèle est possible avec les démentis scientifiques face aux théories contemporaines farfelues des inégalités raciales.

Des accusations d’ANACHRONISME, Que nenni !

II ) PERIODE COLONIALE

Nous procédons de la même manière que sur la période esclavagiste afin de montrer que pendant l’ère coloniale, il y a bien eu des partisans et des opposants de cette pratique, ainsi les premiers ne pouvaient pas ne pas être conscients des conséquences de leurs actes.

A) Les Idéologues Apologistes de la Colonisation

Si c’est plus qu’une évidence que la Droite française a été pieds et mains dans le soutien à la Colonisation pour défendre de façon pragmatique ses intérêts, il faut toutefois rappeler qu’il s’était établi une sorte de « consens inavoué et inexprimé » entre la Gauche et la Droite au sujet de la Colonisation.

* Jules Ferry (1832-1893) : plus surprenant encore, c’est que parfois les soutiens les plus forts à la Colonisation venaient de la Gauche. Ainsi, celui qui est considéré comme le « père de l’école de la république », Jules Ferry, s’illustrait par des déclarations pro-colonialistes absolument scandaleuses. Par exemple, Jules Ferry affirmait au Parlement, le 28 juillet 1885, alors que les travaux forcés, les expéditions punitives, les viols étaient monnaie courante dans les colonies, que :

« La Déclaration des Droits de l’Homme n’avait pas été écrite pour les Noirs de l’Afrique équatoriale ».

* Léopold II, le Roi Belge, « propriétaire » du Congo (dit belge ndlr), rivalise presque avec Jules Ferry. En s’adressant aux missionnaires en 1883 sur le départ pour l’Afrique, Léopold II déclare ceci :

« Evangilisez les Nègres à la mode des Africains, qu’ils restent toujours soumis aux (…) Blancs. Qu’ils ne se révoltent jamais contre les injustices que ceux-ci leur feront subir… »

Nous reposons la question : n’y avait-il pas des contemporains de Jules Ferry et du Roi Belge Léopold II qui leur rappelaient comme nous le faisons aujourd’hui du caractère criminel de la Colonisation afin de valider ou non que nous faisons de « l’ANACHRONISME » ?

B) Les Opposants Contemporains aux Apologistes de la Colonisation

* Paul Vigné d’Octon (1859-1943) : médecin, écrivain et républicain d’extrême gauche, Paul Vigné d’Octon avait publié en 1900 un livre qui fit grand bruit sous le titre : « La Gloire du Sabre ». Dénonçant l’hypocrisie de l’abolition de l’Esclavage, dans la troisième partie du livre intitulée : « Crime et Folie », il évoque plusieurs exemples qui rendent la Colonisation coupable des massacres, des pillages, de la terreur, des tueries et de l’impunité des administrateurs coloniaux.

* André Gide (1869-1951) : Ecrivain français, dans le « Voyage au Congo, 1927 » et « Retour au Tchad, 1928 » André Gide a rendu compte de la cruauté du système colonialiste qui n’avait dans la plupart des cas aucune différence avec les pratiques esclavagistes.

CONCLUSION

Nous avons voulu montrer dans cette contribution qui se veut modeste, pas plus que la NÉGATION du rôle significatif et, de tout premier ordre, aux résistants Noirs, tant contre l’Esclavage que contre la Colonisation dans le déclenchement du processus de prise de conscience de l’inéluctabilité de l’Abolition d’un côté, et de la Décolonisation « formelle » de l’autre, que les accusations d’ANACHRONISME formulées aujourd’hui de la part de certaines Elites françaises pour réfuter ce « Mouvement d’Historisation », relève bien d’une attitude NÉGATIONNISTE et RÉVISIONNISTE car au vu des réalités de l’époque, les Esclavagistes et les Colonialistes ne pouvaient pas ne pas être conscients du caractère criminel de leurs actes.

Nous n’avons pas la prétention de faire l’Histoire de façon contrefactuelle. Les attentes, les demandes et les desiderata exprimés aujourd’hui par les Descendants des Victimes de l’Esclavage et de la Colonisation sont absolument légitimes. Ils seront de plus en plus exacerbés tant que l’Etat français, comme depuis l’aube des temps où ces forfaits ont été volontairement perpétrés, persistera à faire du sur-place, à émettre des demies vérités sans traiter de manière sincère et humaines ces questions de Mémoire.

Aussi, il serait intellectuellement honnête, afin que la France tire profit de ce moment historique, que l’ensemble des Historiens, y compris les Historiens Noirs longtemps absents des plateaux, participent à égalité dans les débats. Cette contribution rejoint naturellement les problèmes d’actualité brûlante, car elle situe les fondements et les genèses du racisme anti-Noirs dans l’inconscient de la Société française.

AMPLIATIONS :
Toute Presse, Institutions nationale et internationale…

– SIGNATAIRES –

PRENOM – NOM NATIONALITE
Diogène SENNY, résident en France Congolaise
René LYNCÉE Guadeloupéen
Jean ZANG, résident en France Camerounaise
Joséphine MBATCHI, résidente en France Congolaise
Françoise TOUSSAINT Guadeloupéenne
Obambé GAKOSSO, résident en France Congolaise
Daniel NICOLAS Martiniquais
Martine MAMBOU SENNY, résidente en France Congolaise
Charles KOUKO, résident en Grande-Bretagne Ivoirienne
Litaty MBATCHI, résidente en France Congolaise
Tony TRESOR Guadeloupéen
Yvon NGUEMBO, résident en Grande-Bretagne Congolaise
Sylvie BENDEKE, résident en France Camerounaise
Yanne NGOMA-MAHOUNGOU, résident en France Congolaise
Gilbert MESSAN, résident en Grande-Bretagne Ivoirienne
Amélie MBOUNGOU, résidente en France Congolaise
Claude BOYMANDJA, résident en France Centrafricaine
Sasse-fanie MBATCHI, résidente en France Congolaise
Carole ADELAIDE Guadeloupéenne
Jean Paul MAKENGO, résident en France Congolaise
Séraphin NGUIMBI, résident en France Congolaise
Laetitia FRANCOIS Martiniquaise
Julien MALUZO, résident en France Congolaise
Franck TABA-TABA, résident en France Congolaise