18/04/2024

Les actualités et informations générales sur le Togo

L’audace à l’optimisme politique au Togo

Par Atchou S. Essousso

En avril 2005, les Togolais votaient leur Président. Un président issu d´une élection considérée comme transparente et démocratique par la Communauté internationale. L’opposition politique togolaise, quand à elle, se voyait mise devant un fait accompli. Elle devait se soumettre et composer désormais avec le Président Faure Gnassingbé. Nous n´ignorons pas les circonstances dans lesquelles notre actuel Président a été élu. À la suite se tenaient les élections parlementaires au Togo le 14 octobre 2007. Ce n´est qu´après ces élections législatives que la Communauté internationale tente de reprendre sa coopération avec le Togo. [1] Vraisemblablement on serait tenté d´affirmer que la donne politique au Togo a changé et qu’il y aurait un changement de comportement de la part des gouvernants et que le peuple togolais aurait prouvé sa maturité politique et sa relative avancée en culture démocratique. Cependant, le processus de démocratisation au Togo mérite une attention particulière et de vigilance. Dans cette perspective, il est nécessaire de reconsidérer les stratégies de réformes institutionnelles par rapport au consensus politique qui prévaut au sein des acteurs politiques togolais.

Puisse la présente réflexion être conçue comme une contribution à la recherche de la conceptualisation de stratégie pour parvenir à un changement politique qui permette au Togo d´intégrer le concert des nations démocratiques où la bonne gouvernance favorise le développement durable. Car, comme l´affirme Koffi Annan, «sans bonne gouvernance, sans état de droit, sans administration prévisible, sans pouvoir légitime et sans une réglementation adaptée, les financements et les dons les plus abondants ne sauraient assurer la prospérité».

Mettant fortement l´accent sur la stratégie et le comportement à adopter pour conduire avec succès la transition démocratique, cette analyse vise non seulement à lancer le débat sur la gouvernance démocratique au Togo, mais aussi à mettre en exergue les principales lacunes en termes de capacité et à encourager le partage des expériences et des savoirs concernant le défi de la bonne gouvernance au sein de la classe politique togolaise.

De la transition démocratique pour une cohésion nationale

À voir les actions du Président Faure Gnassingbé, on peut nourrir l´espoir de la poursuite des réformes, puisque le chef d´État réitère sa détermination dans son engagement pour la reconstruction nationale. Mais étant donné que l’armée reste le principal problème dans le processus de démocratisation au Togo, il est à constater que les réformateurs:

1- S´assurent de leur base politique, en nommant ceux qui sont favorables à la démocratie aux postes clefs de l´appareil de l´État, du parti et à l´État major des Armées.

2- Font des concessions symboliques avec ceux de la ligne dure parmi les apparatchiks de leur Parti.

3- Évitent la dépendance de l´opposition par rapport aux membres du gouvernement.

4- Prennent les dispositions nécessaires contre ceux, de la part des tenants du pouvoir, qui résistent encore au changement démocratique.

5- Accélèrent le processus de démocratisation, tout en établissant un canal de communication favorable au dialogue avec le chef de l´opposition et évitent de céder aux menaces des radicaux de l´opposition politique.

6- Définissent des séquences de mise en œuvre du concept de réforme, pour ainsi s´assurer de leur consistance.

7- Encouragent les acteurs de l´opposition modérée qui ne représenteraient pas de danger pour la population et de menace pour l’armée, au cas où ceux-ci accèderont un jour au pouvoir.

8- Tentent de convaincre le groupe de résistance, que le changement démocratique est inévitable, afin qu’ils se rendent compte de la nécessité et du bien fondé des réformes qui s’imposent afin qu´ils y adhèrent.

Vraisemblablement, la politique menée par le régime en place ne serait qu’une manière de donner une légitimité au pouvoir. Cette politique consisterait à poser des actes concrets qui devraient persuader la Communauté iInternationale de la volonté politique de la nouvelle classe dirigeante à démocratiser le Togo. Il n´est pas question dans ces lignes d´hypothéquer la légitimité du Président de la République togolaise. Cependant, il faut avouer que le Togo se trouve bien dans une situation politique particulière. Sinon il n’y n’aurait pas eu ce fameux «Accord Politique Global inter togolais» signé le 20 août 2006 par les différents acteurs politiques nationaux et dont la communauté internationale fut témoin. Et si le Président de la République insiste sur la poursuite des réformes institutionnelles dans l´esprit de ce consensus politique, il est à dire que les gouvernants sont conscients de l´aspiration du peuple à la démocratie et à la bonne gouvernance. Si du moins on est tenté d´affirmer que le Togo s´est désormais doté des institutions constitutionnellement approuvées qui devraient garantir le minimum de droits politiques et civiques, il est cependant difficile de confirmer que le Togo soit un État qui répond aux critères [2] de la bonne gouvernance et de la démocratie, c´est-à-dire un État compétent (Amoako, 2004). On peut cependant constater que le Togo aspire à devenir un État compétent.

De la bonne gouvernance [3] pour un développement durable

La bonne gouvernance demeure encore un défi qui se pose pour le Togo, tout comme pour beaucoup d´autres pays africains à la recherche de la paix et de la sécurité. Car sans paix il ne saurait y avoir de développement durable, pour lequel la bonne gouvernance est une condition indispensable. [4] Cela oblige donc les gouvernants togolais à créer nécessairement un environnement politique et juridique propice au développement économique et social et à faciliter une répartition équitable des fruits de la croissance économique. Et qui parle de politique de développement, sous entend la lutte contre la pauvreté, la promotion de l´éducation et de la santé et la mise en place d´un filet de sécurité social. Dans cette perspective, il est important que l´État togolais instaure également un environnement qui aide le secteur privé à assurer la croissance et créer des emplois et des revenus. Pour atteindre cet objectif, il est important de créer la stabilité politique, d´assurer la continuité des actions des pouvoir publics et de garantir l´application systématique du droit. L’État togolais devrait donc en faire des priorités pour multiplier ses interventions, en créant des capacités suffisantes au niveau individuel, institutionnel et social. Cela consisterait à:

1- Renforcer les capacités du parlement togolais pour qu´il puisse s´acquitter de ses principales fonctions.

L´État doit nécessairement renforcer les capacités humaines et institutionnelles du parlement pour améliorer leur efficacité opérationnelle. Il faudra dispenser la formation nécessaire aux parlementaires et à leur personnel d´appui et fournir les fonds nécessaires pour mettre en place des ressources institutionnelles d´appui, en particulier des bases de données et des services de documentation. Dans ce cadre, le gouvernement togolais pourrait solliciter l´aide des fondations et institutions de pays amis aux Togo, telles que le Canada, les USA, l´Allemagne, la France et des organisations internationales telles que le Programme des Nations Unis Pour le Développement, [5] l´Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), l´Organisation Mondiale des Parlementaires Contre la Corruption- GOPAC, l´Union interparlementaire [6] et surtout de l´Union européenne.

2- Approfondir les réformes juridiques et judiciaires

Il est important que l´État togolais prenne des mesures pour assurer l´autonomie du pouvoir judiciaire, protéger ce dernier des pressions ou interférences extérieures et moderniser le fonctionnement de la justice, afin qu´elle fonctionne indépendamment de toutes les institutions chargées du maintien de l´ordre, mais avec leur appui. Il importe donc qu´elle reçoive un financement indépendant et que toute réforme judiciaire se fasse en même temps que les réformes d´autres secteurs clefs, tels que les forces de police et de la gendarmerie et le bureau du procureur. L´exécutif togolais a donc intérêt à réaliser les réformes judiciaires . [7] La mise en place de la Cour des comptes serait donc initiative serait encouragée par les bailleurs de fonds qui souhaitent plus de transparence dans la comptabilité publique du Togo. [8]

3- Améliorer la gestion du secteur public

L´Administration publique togolaise souffre d´un renouvellement du personnel et des dispositions matérielles pour motiver les fonctionnaires de l´État. Il faudrait que l´État se trouve des moyens pour renforcer les capacités des organismes publics et améliorer leurs performances d´une manière durable. À cet égard, il faudra surtout réévaluer le rôle, l´importance et la structure organisationnelle optimale du secteur public, tout en simplifiant les formalités en vue de réduire les pesanteurs bureaucratiques et de supprimer les occasions de corruption. Les pénuries en ressources humaines devraient être résorbées en recrutant dans les ressources de la diaspora [9] et en faisant appel aux réseaux de connaissance des organisations sous-régionales. Si les concepts dans ce domaine ont été élaborés, il est cependant plus important qu´ils soient enfin mis en œuvre.

4- Améliorer la prestation des services publics

C´est plus qu´une urgence qu´un canal efficace d´obligation comptable entre les prestataires de services publics et leurs clients soit mis en place. À cet égard, il importe que la prestation des services publics soit décentralisée, et que l´État rende possible la concurrence avec le secteur privé et les organisations non gouvernementales, en les impliquant plus efficacement dans la gestion des affaires publiques, tout en assurant un contrôle réglementaire pour garantir la qualité et la performance des services.

5- Supprimer les entraves à l´action des entreprises privées

Certes, la création et le fonctionnement des entreprises doivent normalement faire l´objet de politique et de réglementations cohérentes. Il est cependant prépondérant que la propriété intellectuelle et l´application des contrats soient protégées. Des programmes visant à renforcer le développement des entreprises et des services d´appui peuvent être d’une grande utilité dans cette perspective. La fourniture d´une information adaptée sur le marché et les opportunités d´investissement sont autant de concepts qui doivent mobiliser l´action gouvernementale.

6- Exploiter le potentiel des technologies de l´information et de la communication

Pour promouvoir la transparence, l´ouverture et les échanges de la connaissance et de la gestion du savoir dans différents domaines, il est important que l´État puisse profiter des avantages de la technologie de l´information et de la communication. Une approche stratégique pourrait permettre au Togo de trouver une solution en ce qui concerne les coûts exorbitants des achats, l´installation et la maintenance du matériel logistique informatique, d´autant plus que l´administration togolaise ne peut s´en passer si elle veut accroître sa performance et répondre aux exigences de sa population de plus en plus orientée vers un marché mondialisé.

7- Susciter l´émergence de médias crédibles et responsables

Malgré l´existence de nouvelles dispositions juridiques concernant la liberté de la presse au Togo, il est à relever que plusieurs problèmes devront encore être résolus, afin que les médias togolais puissent promouvoir efficacement la transparence et assurer leur ultime devoir de formation civique. Tout d´abord, les journalistes devront développer leur capacité de diffuser systématiquement des informations précises et crédibles. En toute liberté, les journalistes devront accomplir leur travail sans encombre et sans soucis d´être inquiété par la justice ou les services d´ordre. Cela devrait leur permettre d´avoir le courage de dévoiler certains faits au public ou de susciter un débat sur certaines questions. En outre, un appui doit être fourni pour répondre à certains besoins clefs en matière de formation ainsi que pour encourager le professionnalisme et l´autorégulation efficace.

8- Intégrer les modes traditionnels de gouvernance dans les institutions de la république

Puisqu´au Togo les communautés sont encore très imprégnées par la culture traditionnelle, où les modes traditionnels d´autorité continuent à jouer un rôle vital, il est nécessaire de chercher constamment des moyens de renforcer leur efficacité dans un contexte moderne. Car les systèmes traditionnels sont susceptibles de compléter les ressources de l´État dans la prestation de services publics et sociaux, tels que dans la santé, l´éducation et les infrastructures.

9- Promouvoir le développement régional [10] et la coopération internationale

Le sens de la responsabilité du gouvernement est plus que jamais sollicité. Cela est également valable pour les partenaires du Togo en ce qui concerne leurs engagements en matière d´assistance technique et financière. Les partenaires de coopération doivent tout d’abord honorer leur engagement de reprendre et d´augmenter l’aide qu´ils fournissent au Togo – dans le cadre des engagements de Monterrey et plus particulièrement dans le cadre des consultations de Bruxelles , [11] en harmonisant les procédures, en fournissant un appui budgétaire général et en améliorant la prévisibilité des décaissements. La collaboration des bailleurs de fonds (l´Union Européenne, la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International, etc.) avec le gouvernement togolais serait nécessaire pour suivre systématiquement les mesures visant à renforcer les résultats en termes de développement – par des mécanismes d´examen mutuel. [12]

L´intégration régionale du Togo doit permettre à ce pays de mettre en valeur ses ressources naturelles et humaines, de réaliser des économies d´échelle et de devenir plus compétitif au plan africain et mondial. La politique d´intégration devrait accélérer le développement du Togo et faire émerger une force collective capable de s´intégrer à l’économie mondiale. Par contre, si rien n´est entrepris au niveau national en faveur de la mise en œuvre des politiques et programmes d´intégration, très peu de progrès seront enregistrés aux niveaux sous-régional et régional et cela aurait des conséquences négatives sur l´économie nationale togolaise, car l’inaction ou le manque de volonté politique continuerait à ralentir l´intégration. Les barrières à cette intégration se caractérisent par:
1. une internalisation insuffisante, au niveau national, des objectifs d´intégrations convenus,
2. des retards dans la ratification des protocoles, qui entravent l’exécution des décisions.
3. des réticences à céder une partie de la souveraineté nationale aux communautés économiques régionales, les privant ainsi des pouvoirs supranationaux nécessaires à l´application des décisions,
4. l’instabilité politique et les conflits
5. le manque de compréhension et de soutien généralisé de l´intégration au niveau national, la société civile étant le plus souvent reléguée au rang de spectatrice et les questions d´intégration n´occupant qu´une place négligeable dans le débat parlementaire.
Le gouvernement togolais se doit donc d’élaborer une stratégie pour favoriser son intégration dans les structures communautaires sous-régionales comme l´UEMOA, la CEDEAO, et l’Union Africaine.

10- Promouvoir la santé

Étant donné que les infrastructures de santé dans beaucoup de régions au Togo sont délabrées, il est important de prendre des mesures urgentes pour renforcer l´action des dirigeants, à l´échelle nationale, en vue d´améliorer la prestation de service de santé, en créant des mécanismes permettant à l´ensemble de la société de se mobiliser contre les épidémies, en l´occurrence le VIH/sida et promouvoir l´hygiène.

Du soutien aux réformes institutionnelles

Dans le contexte politique actuel du Togo, la nomination du Premier Ministre, Gilbert Houngbo pourrait être une nouvelle chance pour les Togolais de relancer le processus de démocratisation dans leur pays, afin de favoriser son développement économique et social. Cette nomination reflète une perception positive de la nouvelle donne politique au Togo. En ce qui concerne l´Accord Politique Global, ce consensus politique inter-togolais ne devrait pas être oublié. Il doit servir de bases des actions politiques du Président de la République, Faure Gnassingbé.

Au terme de cette analyse, le lecteur est invité à apporter sa réponse à la question posée dans l’introduction, relative au caractère démocratique ou non-démocratique des nouveaux dirigeants politiques togolais et à leur sincérité concernant la volonté politique à conduire le Togo vers un changement démocratique durable. Néanmoins, il est à constater que l´espace politique a été libéralisé, les droits de l´homme et l´état de droit davantage respectés et les médias et la société civile progressent au Togo. On enregistre des améliorations liées aux conflits politiques. Il est à attendre que l´exécutif togolais amorce un plan résolu de développement socioéconomique pour ainsi réduire la pauvreté des populations. Car, jusqu´à preuve du contraire, c´est le seul indicateur qui peut permettre, pour le moment, d´accorder la légitimité à la gouvernance politique au Togo.

En bref, il ressort de cette analyse qu´il faut mettre en œuvre d´urgence un programme audacieux et novateur pour développer et exploiter effectivement les capacités de gouvernance des Togolais. Ce programme de renforcement des capacités devra être appuyé par un financement substantiel de la part des partenaires internationaux de développement et en l´occurrence l´Union Européenne, la Banque Mondiale et le FMI, qui devraient, sans plus tarder, reprendre entièrement leur coopération avec le Togo. Cet effort devrait appuyer une action concertée pour traiter les priorités énumérées dans cette analyse.

Münster, Allemagne, 26 novembre 2008
Atchou S. Essousso

[1] Pour déficit démocratique l´Union Européenne a suspendu sa coopération avec le Togo depuis 1993. Les autres partenaires ont aussi suivi l´UE dans sa décision de geler ses aides financières au Togo. Consulter : Amtblatt der Europäischen Gemeinschaft/Nr. C72/115/ 15.03.1993
[2] Consulter aussi: Bertelsmann Foundation (2006) : Bertelsmann Transformation Index, Gütersloh ; URL : http://www.bertelsmann-transformation-index.de
[3] Pour éviter une discussion sémantique sur cette terminologie l´auteur se contente de la définition telle qu´elle est conçue par les experts africains dont la CEA a publié les résultats des recherches. Cf. Economic Commission for Africa (2005): African Governance Report, Addis Ababa
[4] Je reprends ici les mots de K.Y. Amoako, ex. Secrétaire exécutif de la Commission Economique pour l´Afrique, en préface du document: Economic Commission for Africa : Striving for Good Goverance in Africa, Synopsis of the 2005 African Governance Report (dans le cadre du quatrième Forum pour le développement de l´Afrique (ADF IV) qu´a organisé la CEA en collaboration avec la Banque Africaine de Développement (AfDB) et de l´Union Africaine (UA) à Addis-Ababa du 11 au 15 octobre 2004.
[5] URL : http://www.undp.org/governance/sl-parliaments.htm
[6] URL : http://www.ipu.org
[7] L´Appui au programme de modernisation de la Justice (APJU) fiancé par la France en est un exemple : URL : http://www.tvt.tg/tvt/spip.php?article60.
[8] URL : http://www.republicoftogo.com/central.php?o=17&s=0&d=3&i=2729
[9] Consulter aussi : Amaïzo, Y. Ekoué (2007) : La Diaspora togolaise : De l’arbitre à l’effet de levier, URL : http://www.afrology.com/
[10] Consulter aussi : Commission Economique pour l´Afrique, 2004 : Etat de l´Intégration régionale en Afrique, Addis-Ababa.
[11] Cf. Bulletin EU 1/ 2 -2004.
[12] L´APRM en est un instrument. Le Togo vient de saisir le NEPAD, la CEA et le PNUD pour profiter de l´expertise qui pourrait être mise à leur disposition.