29/03/2024

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Le gâchis français

Une opinion qui ne sait plus à quel saint se vouer le dit et le rappelle : le général Gnassingbé Eyadéma avait promis à son ami le président français Jacques Chirac qu’il ne se présenterait pas à l’élection présidentielle de 2003.

Ce qui était la moindre des choses quand on sait que la Constitution togolaise laborieusement mise en place au début des années quatre-vingt-dix – une des rares avancées obtenues par l’opposition en quête de démocratie – limite à deux mandats consécutifs l’exercice de la magistrature suprême. Mais une fois cette “promesse” faite, et comme un train sur sa lancée naturelle, c’est sans le moindre état d’âme que le pouvoir, avec un Parlement dévoué à sa cause, a procédé, fin décembre 2002, à une manipulation aussi sidérante que grotesque de la Constitution autorisant le chef de l’Etat – en l’occurrence Gnassingbé Eyadéma – à se représenter indéfiniment. Ici plus qu’ailleurs, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Et pour parfaire le tableau d’un régime embarqué dans sa logique infernale et autiste, on insère dans cette Loi fondamentale modifiée les textes permettant d’exclure précisément l’adversaire le plus sérieux du “timonier” de Lomé, l’opposant historique, Gilchrist Olympio. Ce qui fut fait, comme de bien entendu.

Dans ce contexte, les Togolais relèvent, entre autres, la “tiédeur” de la réaction de la France. Pas un soupçon de condamnation ou d’indignation face aux manœuvres pyromanes d’un Eyadéma que l’on sait très lié à l’actuel locataire de l’Elysée. On sait aussi la teneur de l’histoire “commune” entre ce régime et tous ceux qui en France se sont succédé depuis l’ère du général de Gaulle. La responsabilité de Jacques Foccart, le Monsieur Afrique de Charles de Gaulle, dans l’assassinat du premier président du Togo, Silvanus Olympio, père de Gilchrist, n’est plus un secret. Mais cela suffit-il à expliquer que les pouvoirs français aient toujours fait montre d’une indulgence particulière à l’égard de l’ancien sergent franco-togolais revenu d’Indochine et promu président du Togo par l’ancien colonisateur ? Une indulgence qui a amené à cautionner le pire parfois, notamment durant les années qui ont suivi la Conférence nationale de 1991. Nul n’ignore que le Togo est sous la coupe d’un régime parmi les plus dangereux du continent. Pour bien moins que cela, Paris a brandi contre des régimes, sous d’autres cieux, le bréviaire des grands principes ou les menaces de sanctions. Parallèlement, l’ostracisme des autorités françaises à l’égard de l’opposant Gilchrist Olympio est patent, et son exclusion de l’élection présidentielle togolaise de juin 2003 n’a pas semblé émouvoir outre mesure Paris. D’ailleurs le général Eyadéma affirme à l’envi qu’il a “le soutien total” de son “ami Jacques Chirac”…

Si nous évoquons ici la responsabilité de la France et le poids de son silence dans la crise togolaise, c’est qu’il faut reconnaître sans fausse naïveté son influence, disons “centrale”, dans les affaires togolaises. Et aussi la force d’un lien qu’elle se refuse à rompre avec Eyadéma, une survivance de la guerre froide et de l’époque où les présidents africains étaient “choisis” parmi les indigènes dont le profil permettait d’en faire les gardiens dociles de l’ordre néocolonial. Avec le temps, ces présidents de la 25e heure de l’“indépendance”, non programmés pour servir leur peuple, ont fini par avoir destin lié avec leur créateur, l’ancienne puissance coloniale. Une tragédie… Ainsi, comme le résume un responsable politique d’un pays de la sous-région, “après la mort d’Houphouët-Boigny en Côte-d’Ivoire, Eyadéma est devenu la pierre angulaire de l’idée que la France se fait de sa manière de pérenniser son influence dans la région”. Alors, combien de temps encore la France continuera-t-elle de regarder l’Afrique dans un rétroviseur, comme elle l’a fait, d’une certaine manière, en Côte-d’Ivoire, jusqu’à l’explosion que l’on sait ? A l’heure où la France défend sur la scène internationale, face aux Etats-Unis, un ordre juste et équilibré du monde, ces questions se posent encore plus fortement.

Nombre d’observateurs le signalent : tant que certains préjugés anciens constitueront le prisme au travers duquel se conçoit une politique française vis-à-vis de l’Afrique, la France sera ressentie par les peuples d’Afrique comme un agresseur. Un gâchis, somme toute, eu égard à la proximité née d’une histoire partagée, et que la définition d’un espace de sincère partenariat, exempt de préjugés et de calculs à courte vue, aurait pu transformer en une force commune pour les deux parties.

PAR FRANCIS LALOUPO
AFRIQUE-ASIE