18/04/2024

Les actualités et informations générales sur le Togo

Le GRAD dresse le bilan socio-politique du Togo (Oct 07 – Fev 09)

Revue de la situation socio-politique Octobre 2007 – Février 2009

I. Introduction

La classe politique, qu’elle appartienne au pouvoir ou à l’opposition, semble avoir bien pris conscience de l’impact de la longue crise togolaise qui continue de compromettre la vie économique et sociale des populations. Celles-ci sont confrontées, d’année en année, à la baisse régulière de leur pouvoir d’achat qui affecte leur niveau de vie. Cette prise de conscience s’explique par le mal développement national et la mauvaise gouvernance qui se traduisent par la misère et l’accentuation de la paupérisation préjudiciable à la paix sociale. La prise de conscience de cette évolution constitue un risque constant susceptible de remettre en cause la concorde et l’unité nationales, particulièrement menacées ces derniers temps par la flambée de prix des denrées alimentaires et un ensemble de dégâts causés par les catastrophes naturelles, notamment, les inondations. Elle semble, sans doute, avoir inspiré les autorités qui ont adopté un train de mesures et de décisions destinées à apporter des améliorations que les populations sont en droit d’attendre. Ces efforts du pouvoir, dans le sens d’une politique d’apaisement, qui est son option d’une démocratie apaisée, sont notamment marqués par la volonté manifeste de promouvoir un esprit de dialogue entre les protagonistes de la crise, et d’engager des programmes de stratégie de réduction de la pauvreté et d’entretenir des relations de coopération avec la communauté des nations respectueuses des valeurs démocratiques et des droits humains.

Dans cet ordre d’idée, on peut citer les actions suivantes : le dialogue intertogolais, la signature de l’Accord politique global (APG), la formation du Gouvernement d’union nationale (GUN), l’organisation des élections législatives sans violence, une nouvelle Assemblée nationale marquée par la participation de trois formations politiques le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT: 50) sièges; l’Union des Force de Changement (UFC: 27); le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR: 4); la formation de deux gouvernements avec des membres issus d’horizons politiques divers et de la société civile, mais toujours numériquement dominés par la majorité RPT ; l’organisation des consultations nationales en vue de combattre l’impunité qui s’inscrit dans le cadre de l’application des réformes prévues par l’APG ; et la préparation et l’organisation de la table ronde de Bruxelles avec les bailleurs de fonds. Une analyse de ces actions révèle une certaine dynamique de la vie nationale. Elles traduisent apparemment le souci des dirigeants de provoquer une rupture avec une situation de crise qui perdure, alors que, de toute évidence, il leur suffisait d’appliquer scrupuleusement les éléments de solution tels que définis dans la feuille de route de l’APG afin de s’en sortir.

II. Plus d’accent sur l’aspect économique que sur l’aspect politique

Au cours de la période considérée, les activités des dirigeants ont particulièrement porté sur un engagement dans la recherche de solutions à une série de difficultés qui entravent l’existence quotidienne des togolais et qui compromettent leurs aspirations à un minimum de bien-être, que justifie l’importance des potentialités de l’économie nationale telles que la disponibilité des ressources humaines et naturelles et celles déjà en utilisation dans le pays. Le GRAD, tout en étant attentif à l’intérêt que semblent porter les autorités togolaises à l’amélioration des conditions de vie des populations, se demande, toutefois, si ces actions ponctuelles en faveur d’un mieux-être des populations sont-elles réellement de nature à faire avancer l’application des réformes prévues par l’APG ? En effet, la volonté politique qui sous-tend ces actions qui obéissent plutôt à l’urgence du moment, face au désarroi des populations désemparées, pourrait semer la confusion dans l’esprit des acteurs politiques en les amenant à privilégier l’approche économique au détriment de l’approche politique dans la résolution de la longue crise togolaise.

Dans cette optique, elle tendrait à faire admettre que la crise togolaise serait davantage d’origine économique et tous efforts de solution devraient donner la priorité aux initiatives économiques pertinentes au regard de la demande sociale des populations. Cette vision des choses s’écarte largement de celle définie par la genèse de la longue crise togolaise qui est historiquement et fondamentalement une crise politique, axée sur la culture de la violence et la logique de l’impunité entretenues par les coups d’Etat successifs, un ensemble de violations systématiques des droits humains à l’antipode des pratiques démocratique en voie d’instauration dans notre pays. Et cette marche qu’on peut bien qualifier de tumultueuse vers la démocratie, caractéristique de l’histoire politique récente de notre pays, peut-elle être affermie et accélérée par les événements qui ponctuent, ces derniers temps, l’évolution de notre vie nationale ? A cette question, une analyse rigoureuse de ces événements qui attirent l’attention de l’ensemble de la classe politique, des populations et de la communauté internationale peut aider à identifier quelques éléments de réponse appropriés.

III. Principaux événements de l’évolution politique récente

A. Nomination du nouveau Premier Ministre

Parmi ces événements, on peut noter le changement de gouvernement suite à la démission du Premier Ministre Komlan Mally et la nomination du nouveau Premier Ministre Fossoun HOUNGBO. Cette nomination a beaucoup marqué les esprits en raison du caractère précipité du départ du Premier Ministre Mally. Les raisons officielles évoquées par les autorités mettent l’accent sur la réalisation de la mission qui lui a été confiée dont l’objectif principal est la reprise de la coopération de l’Union européenne (UE) avec le Togo. La nomination du nouveau Premier Ministre est également marquée par un ensemble de comportements qui ont laissé interrogateur et perplexe tout observateur attentif de la vie politique togolaise. En effet, elle intervient en un moment où le pays est particulièrement confronté à d’innombrables difficultés allant de la flambée des prix de produits alimentaires et pétroliers aux dégâts causés par les catastrophes naturelles, en passant par l’organisation des consultations nationales en vue de combattre l’impunité, et, la pression d’une partie de la classe politique en faveur de l’application des réformes constitutionnelles et institutionnelles. Cette nomination dont nous venons de noter le caractère précipité, a donné l’impression de répondre plutôt à une urgence bien connue des seules autorités, qu’elles n’ont pas jugée, du reste, nécessaire d’en informer les populations et les autres parties signataires de l’APG. Cette précipitation apparaît également dans l’organisation et le calendrier du nouveau Premier Ministre obligé de repartir vers l’institution où il était employé, avant de revenir une semaine plus tard pour former le nouveau gouvernement, présenter son programme à l’Assemblée nationale et repartir dès le lendemain à la Table ronde de Bruxelles pour solliciter l’appui des bailleurs de fonds. Elle constitue, sans doute, la prise de conscience de l’urgence de résoudre en un délai de temps réduit un ensemble de problèmes vitaux.

Le nouveau Premier Ministre semble reconnaître volontiers une telle urgence lorsqu’il laisse entendre la nécessité d’obtenir des résultats significatifs au terme de six mois d’activité au lendemain de sa nomination. Le GRAD pense qu’il est aussi conscient des contraintes d’ordre politique, économique et financier qui jalonnent son parcours, compte tenu de l’impact des expériences antérieures du régime togolais en ce domaine. Le GRAD tient, néanmoins, à noter la volonté politique d’agir vite ainsi manifestée par le nouveau Premier Ministre face à l’ampleur des défis qui caractérisent la crise togolaise. Il espère que la conscience de l’importance du retard pris par rapport au calendrier des réformes prévues ne sera pas perturbée par des considérations politiciennes liées à la perspective de l’élection présidentielle de 2010. A cet égard le GRAD craint que la nomination du nouveau Premier ministre ne s’inscrive dans une stratégie électorale destinée davantage à faire croire, d’une part, aux populations apparemment résignées, complètement abattues par la misère, et, d’autre part, à la communauté internationale l’illusion d’un changement, en particulier, à l’endroit de l’UE, probablement consciente de l’inefficacité de ses mesures de rétorsion contre les régimes antidémocratiques qui pénalisent beaucoup plus les populations terrorisées que les autorités indexées.

B. Formation du nouveau gouvernement

La formation du nouveau gouvernement intervenue le 17 septembre 2008, frappe par le nombre impressionnant de l’équipe mise en place. En effet sa taille passe de 22 à 26 Ministres y compris le Premier ministre, avec 3 Ministres d’Etat, 20 Ministres, 2 Ministres délégués et 2 Secrétaires d’Etat. Elle comporte 4 femmes contre 2 pour le gouvernement précédent. On y compte le même nombre de représentants des partis de l’opposition non représentés à l’assemblée nationale soit 2 CDPA, 1 CPP et le même nombre de représentants issus de la société civile, soit 1 GF2D, 1 REFAMP. Une analyse de la structure de cette équipe gouvernementale et la distribution des portefeuilles ministériels montre que le but recherché dans le cadre du dernier remaniement gouvernement ne semble pas viser un véritable changement en profondeur en fonction des grands défis du moment, imposés par la situation actuelle de notre pays. Il faut noter que l’ancien Premier Ministre est maintenu dans la nouvelle équipe gouvernementale avec le poste de Ministre d’Etat. Il en est de même pour la plupart des ministres de son gouvernement à l’exception de quatre. Cela exprime une volonté de continuité qui cherche à rassurer la majorité au pouvoir et à compenser les insuffisances liées à la connaissance de terrain du nouveau Premier Ministre. C’est le lieu de s’interroger sur la pertinence de ce changement de gouvernement dans lequel la principale nouveauté se limite à l’arrivée du nouveau Premier Ministre, quelque peu isolé et démuni face aux caciques du pouvoir RPT, particulièrement renforcé par une forte majorité à l’Assemblée nationale et l’omniprésence du « Grand Blanc Souffleur » toujours derrière les rideaux de la Présidence.

Le retard dans l’application des réformes prévues par l’APG traduit la capacité d’immobilisme que les tenants du pouvoir peuvent délibérément organiser à travers les procédures de blocage à l’Assemblée Nationale et l’absence d’initiatives appropriées au niveau du gouvernement. Et, pourtant, l’APG en son point n° 3.2 stipule que les propositions concernant les réformes constitutionnelles et institutionnelles élaborées pendant le mandat du Gouvernement d’union nationale (GUN) seront prises en considération par la prochaine législature qui a commencé concrètement avec l’installation de la nouvelle Assemblée Nationale sortie des résultats des législatives du 14 octobre 2007. Cette responsabilité incombe à toutes les formations politiques signataires de l’APG, dont les unes sont représentées à l’AN et les autres au gouvernement. Dans ce contexte, il apparaît évident que tous les acteurs engagés pour le changement tel que prévu par l’APG sont réunis pour réaliser les réformes constitutionnelles et institutionnelles, décisives quant à la sortie de la longue crise togolaise. Mais si le retard persiste, cela doit signifier que les signataires de l’APG ne s’impliquent pas suffisamment pour provoquer les réformes souhaitées et prévues. Cela pourrait apparaître comme un retard délibéré, voire calculé, qui s’inscrit dans une stratégie d’immobilisme garantissant le maintien du statu quo ante.

Une telle stratégie du statut quo orientée, tout compte fait, vers le pourrissement de la situation de crise est-elle vraiment compatible avec les motivations profondes de l’ensemble de l’électorat togolais largement sensible à l’appel au changement que l’organisation du processus électoral ne permet pas encore de traduire positivement dans les faits ? Pourquoi les signataires de l’APG cherchent-ils à ignorer l’existence réelle de cet Accord fondamental qui préconise la voie de la sagesse pour résoudre sans violence la crise togolaise ? Le nouveau Gouvernement est-il disposé à prendre effectivement en compte les attentes des Togolais malmenés par la vie chère, taraudés par la corruption, sinistrés par les inondations et quotidiennement préoccupés et fragilisés par l’insécurité croissante ? Le Gouvernement HOUNGBO est-il prêt à résoudre les principaux problèmes en suspens, légués par le gouvernement Mally, même si les membres de celui-ci sont massivement présents au sein de son équipe gouvernementale?

C. Table ronde de Bruxelles

La table ronde de Bruxelles, officiellement appelée la Conférence des Partenaires au développement du Togo, a eu lieu les 18 et 19 septembre 2008 dans la capitale de l’UE. Elle représente le moment fort symbolisant la reprise effective de la coopération de l’UE avec le Togo. En effet elle est marquée par la participation des principaux pays de l’UE, des représentants de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI) et d’autres institutions politiques et de financements censés constituer la communauté internationale des bailleurs de fonds. Elle vise à apporter à tous les participants la garantie des autorités togolaises décidées à respecter désormais les engagements pris auprès de l’UE, et à organiser le développement national à travers un certain nombre d’actions pour lesquelles les organisateurs de la table ronde sollicitent l’aide des bailleurs de fonds. Le communiqué final de la conférence souligne, en outre, que cette importante rencontre est organisée par le Gouvernement togolais avec l’appui de la Commission Européenne, du Programme des Nations Unies pour le développement. Il met l’accent sur le fait que les efforts de réformes engagés par le Gouvernement togolais ont permis d’obtenir des résultats qui « doivent conduire à un réengagement total de la communauté internationale, avec l’arrivée de nouveaux financements et de nouveaux partenaires ». Il rappelle clairement que les difficultés connues par le pays entre 1990 et 2005 ont des « causes dues principalement à une faible gouvernance tant au niveau politique qu’économique ».

Dans ces conditions, les organisateurs de la table ronde ont le souci de tenir compte de cette double cause de la situation actuelle du Togo dont la fragilité a été « encore accentuée par les graves événements survenus en 2008 (crises alimentaires, hausse des prix du pétrole, inondations) qui appellent des actions urgentes. » Et, probablement, à cause de l’impact de ces derniers événements socio-économiques, une attention particulière est portée ici sur les préoccupations d’ordre économique. Elles cherchent à répondre à l’urgence des actions imposées par un ensemble d’exigences liées à la réparation ou à la reconstruction des infrastructures démolies par l’usure et les inondations, à la réduction constante du pouvoir d’achat, à la survie et à la demande sociale des populations largement démunies, avec près des trois quart vivant sous le seuil de la pauvreté (moins de 1dollar USA par jour).

Cependant les organisateurs paraissent conscients du fait que la cause politique de la situation économique actuellement préoccupante ne devra pas être perdue de vue. C’est ce que le nouveau Premier ministre vise à rappeler à travers « la poursuite résolue des mesures en matière de gouvernement politique ». Et ces mesures portent sur les huit points suivants : 1) la promotion d’un travail législatif consensuel en matière de raffermissement de l’Etat de droit et de consolidation de la démocratie ; 2) le réaménagement du code électoral pour prendre en considération les recommandations des missions d’observations électorales ; 3) l’opérationnalisation des modalités de financement des partis politiques ; 4) l’engagement des discussions destinées à la mise en place d’un cadre permanent de dialogue et de concertation ; 5) la mise en place d’un statut de l’opposition ; 6) l’élaboration d’une feuille de route précisant le cadre de la décentralisation, qui sera l’objet d’une approche graduelle ; 7) la préservation d’un esprit d’apaisement et de dialogue en vue des élections présidentielles ; 8) la mise en place de la Commission Vérité Justice Réconciliation .

Les discussions de la table ronde doivent permettre d’établir la confiance nécessaire entre les autorités politiques togolaises et les bailleurs de fonds représentés au niveau des pays et des institutions internationales. Elles doivent pouvoir convaincre que le Togo a effectivement changé selon les critères d’évaluation établis par l’UE et la communauté internationale. Elles doivent montrer que le Togo est devenu fréquentable et présente une image acceptable, susceptible de séduire à nouveau l’UE et la communauté internationale. Vue sous cet angle, la table ronde apparaît davantage comme un haut lieu de séduction où les acteurs de la vie politique togolaise sont conviés pour amener les autres participants à être sensibles à leurs propositions d’action, à leurs programmes de développement économique et social. C’est pourquoi, pour améliorer ses chances, il faut compter sur le lobbying, un ensemble d’appuis et de personnes ressources capables de défendre avec succès l’intérêt du groupe solliciteur concerné. C’est dans cette optique qu’il faut situer le rôle de Louis Michel, Commissaire Européen au développement et à l’Aide Humanitaire, unanimement apprécié par les organisateurs de la table ronde, et, en particulier, par le nouveau Premier Ministre.

D. Visite de M. Louis MICHEL

Dans le cadre de ses activités au sein de l’administration européenne bruxelloise, Louis Michel a toujours entretenu d’excellentes relations avec les autorités togolaises, incarnant le régime en place depuis plus de quarante ans. Certains observateurs du monde diplomatiques euro-africain estiment que parfois les déclarations et les comportements du Commissaire Européen présentent un degré d’ambiguïté déplorable au regard du principe de neutralité et d’impartialité pour le respect duquel sa charge lui fait cependant obligation. Par exemple, il est indiqué dans le communiqué final que « dans son mot de bienvenue, le Commissaire Louis Michel a salué l’importance des réformes engagées en matière de gouvernance politique et économique depuis 2005 ». Cette vision optimiste des réalités togolaises apparaît quelque peu démentie par l’observation du vécu des acteurs politiques et des populations au Togo, avant et après 2005. Les organisateurs de la Conférence des Partenaires au Développement du Togo reconnaissent l’impact des crises alimentaires, de la hausse des prix du pétrole, des inondations sur la vie des Togolais ainsi que la poursuite de huit réformes politiques, non des moindres, annoncées par le nouveau Premier ministre.

Le soutien du Commissaire Européen M. Louis Michel ne s’est pas arrêté à l’organisation de la Conférence de Bruxelles. Il est devenu pratiquement permanent comme en témoigne sa visite les 3, 4 et 5 octobre 2008 à Lomé. Il est venu par la route en provenance d’Accra, après sa participation au 6è Sommet des pays du groupe Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP), tenu dans la capitale ghanéenne, les 2 et 3 octobre 2008. La visite de M. Louis Michel est marquée par un nombre de rencontres spécifiques destinées à renforcer la confiance des populations locales, de l’UE et de la communauté internationale en les autorités togolaises, et à soutenir rigoureusement le programme de redressement économique que celle-ci ont présenté à Bruxelles. Et ce programme de relance de l’économie nationale défendu par le gouvernement togolais met davantage l’accent sur l’urgence des actions de développement économique et social, aux dépens de celle des réformes constitutionnelles et institutionnelles, prévues par l’APG et requises pour une sotie de crise sans violence. Il a fait l’objet principal des discussions que le Commissaire Européen a tenu à organiser avec les membres du gouvernement, les partis politiques, les parlementaires, les délégations de la société civile (OSC) et les populations. Certains discours et prestations comme ceux observés sur les lieux de micro-réalisations financées par l’UE semblent s’inscrire pratiquement dans un processus de campagne électorale plutôt que dans celui d’une simple allocution de circonstance.

Ces dérapages seraient-ils dus au fait que le Commissaire Européen aurait une profonde maîtrise du dossier de la crise togolaise ? En effet, les échanges du Commissaire avec les délégations des OSC ont permis d’apprécier sa profonde connaissance des caractéristiques de la longue crise togolaise, ainsi que sa pertinente évaluation des chances de réalisation du programme de redressement présenté par le Gouvernement togolais à Bruxelles. M. Louis Michel estime que les forces de blocage possible sont la classe politique et les populations marquées par la misère, «la déshérence mentale et la résignation». L’identification des obstacles potentiels au programme de redressement proposé par le Gouvernement togolaise ne devra pas se limiter aux seules forces de blocage indiquées ci-dessus. Elle devra également prendre en considération l’exigence de la bonne gouvernance qui comporte, entre autres contraintes morales, la nécessité de transparence, le culte du compte rendu, l’amour patriotique. Dans ce cas, la gestion transparente et citoyenne des ressources disponibles ou allouées pour le développement national s’avère aussi déterminante sinon plus importante pour le bien-être des populations que la recherche systématique des moyens d’action et autres ressources complémentaires à travers l’aide extérieure, octroyée souvent en des conditions de plus en plus dures et humiliantes. En effet, il convient de noter que si les ressources de l’aide devraient seules suffire à répondre aux attentes des pays bénéficiaires, le niveau de développement programmé serait déjà atteint pour un certain nombre de pays africains, soutenus par l’aide extérieure depuis leur indépendance, soit près de cinq décennies pour une bonne moyenne de ces pays. Mais ce n’est malheureusement pas le cas. Les programmes actuels de réduction de la pauvreté sont là pour nous le rappeler. Et pourtant que d’humiliations et de contorsions indignes, au regard de la souveraineté nationale, les bailleurs de fonds imposent aux bénéficiaires à travers les conditions d’octroi de ces programmes d’aide régulièrement soumis à des modifications visant à assurer la maîtrise des évolutions plus que rapides dans ces sociétés en mutation et que les promoteurs de ces procédures de l’aide cherchent à contrôler très étroitement ! Ce souci de contrôle apparaît sans doute plus sélectif et rigoureux pour l’utilisation des fonds de développement en provenance de l’aide extérieure que pour la gestion des fonds mobilisés sous forme de ressources propres à l’intérieur du pays. Par exemple au Togo, l’audit indépendant préconisé au lendemain de la suppression du Fonds d’Entretien routier (FER) n’est pas encore entrepris jusqu’à ce jour, malgré les recommandations des acteurs politiques et des populations à travers les OSC, préoccupés par le phénomène d’impunité économique organisé autour d’un système de corruption et de gestion opaque de l’économie nationale.

E. Impacts de la crise alimentaire, des catastrophes naturelles et de la flambée des prix

Au moment de la tenue de la table ronde de Bruxelles, l’impact de la crise alimentaire, des catastrophes naturelles et de la hausse généralisée des prix est toujours sensible et visible dans le vécu quotidien des populations togolaises. Les promesses de financement des bailleurs de fonds enregistrées en faveur du programme de redressement présenté à la Conférence de Bruxelles n’ont pas mis fin aux souffrances des populations dont environ trois quart sont confrontées aux affres de la faim, à la faiblesse du pouvoir d’achat, et aux difficultés d’accès aux structures scolaires et sanitaires appropriées. En effet, les prix des produits alimentaires, en particulier ceux des céréales continuent de connaître une hausse inhabituelle pour la période considérée. Il est vrai que beaucoup de facteurs tels que l’effondrement des ponts, la dégradation des routes principales, l’augmentation du prix du carburant et celle du ciment, interviennent dans le maintien et l’entretien de cette hausse généralisée des prix dans l’économie réelle togolaise. Le GRAD avait présenté dans l’une de ses publications intitulée « Catastrophe naturelle: le GRAD s’interroge sur les causes de l’ampleur des dégâts », un ensemble d’observations et de recommandations relatives au phénomène de la réduction du pouvoir d’achat, entretenue par la flambée des prix des produits agricoles et industriels, la faible productivité de l’économie nationale et la mauvaise gouvernance axée sur un système de corruption tentaculaire. L’exigence d’audits en vue d’identifier les causes et les responsabilités dans la gestion des infrastructures aujourd’hui défaillantes s’inscrit dans le processus de lutte contre l’impunité de crimes économiques qui constitue une conséquence non négligeable de l’impunité politique. La gestion transparente des inondations et des populations sinistrées, la conscience effective des responsabilités des dirigeants envers les populations, la modernisation rapide de la justice nationale, la sécurisation performante de la vie de tous les citoyens, et la volonté des gouvernants de promouvoir le bien-être constituent également un ensemble d’objectifs dont la réalisation permet de répondre à l’urgence de la situation de crise actuelle et à la nécessité de s’en sortir. La poursuite de ces objectifs de transparence démocratique est de nature à renforcer la construction de l’Etat de droit et à accélérer le processus de relance de l’économie.

F. Publication des résultats des consultations nationales pour combattre l’impunité

Il convient de rappeler que les consultations nationales sont une initiative du gouvernement dit d’ouverture. Cette initiative vise à répondre à la nécessité de combattre l’impunité, dans le cadre des réformes prévues par l’APG. Ces consultations nationales, initiées avec l’appui technique des représentants du Haut Commissariat des Nations Unies des Droits de l’Homme (HCDH), sont censées préparer les populations, les partis politiques et les OSC à l’installation d’une Commission Vérité – Justice – Réconciliation. Le rôle de cette nouvelle institution dans le processus de sortie de crise est reconnu et souligné par l’équipe des Nations Unies chargée de l’enquête en vue de l’établissement des faits avant, pendant et après les élections du 24 avril 2005, celle de l’enquête nationale conduite par l’ancien Premier Ministre de la transition post conférence nationale souveraine M. Joseph KOFFIGOH et les signataires de l’APG, comme une étape déterminante dans la quête de la réconciliation. Celle-ci est proclamée depuis des décennies au point de devenir un simple slogan propre à entretenir de vains espoirs, à saper la confiance des protagonistes et à encourager les partisans de la culture de la violence. Les résultats de ces consultations nationales sont publiés et même disponibles aujourd’hui sur un site Internet spécial, accessible à toute personne qui le souhaite. Ceux-ci permettent-ils d’échapper à ce schéma de banalisation généralement lié au processus de réconciliation envisagé par les tenants du pouvoir dans notre pays?

Une analyse rigoureuse de ces résultats peut aider à identifier des éléments de réponse à cette préoccupation fondamentale du GRAD face à la question de l’impunité et de la réconciliation. La méthode de travail adoptée pour l’organisation des consultations nationales laisse entrevoir le souci des promoteurs de toucher toutes les composantes de la population, la classe politique et des organisations de la société civile (OSC), ainsi que les personnalités représentatives des principales périodes et étapes marquantes de la longue crise togolaise. Elle comporte également la volonté de transparence soutenue par un ensemble d’efforts cherchant à garantir la crédibilité des participants associés aux résultats de ces consultations programmées. Les résultats proviennent de 112 réunions regroupant plus de 2000 personnes et de l’administration de 30500 questionnaires dont 27000 exemplaires sont auto-administrés, 3000 exemplaires remplis par les points focaux, et 500 exemplaires photocopiées et auto-administrés. Ils indiquent que sur 30500 questionnaires distribués, un total de 22910 exemplaires sont collectés, respectivement remplis par 16045 hommes et 6865 femmes. Dans cet effectif total de questionnaires collectés, il faut compter 2174 jeunes de moins de 20 ans.

Ces résultats révèlent la diversité des opinions exprimées par les Togolais sur la manière dont ils souhaitent résoudre la question de l’impunité et organiser les étapes définissant le processus de sa réalisation. Les orientations proposées par les personnes interrogées ne sont pas nécessairement convergentes. Elles appellent la nécessité d’opérer un choix, un arbitrage permettant de mettre en place une commission Vérité-Justice-Réconciliation crédible et opérationnelle. Dans ce cas, la grande question concerne le mode de désignation des personnes chargées d’animer cette structure de lutte contre l’impunité en toute indépendance d’esprit et en toute transparence, dans le respect des intérêts des populations et des parties prenantes au règlement de la crise et dans celui des procédures démocratiquement établies.

Les statistiques relatives à la taille de la population d’enquête et aux diverses catégories d’échantillons montrent à suffisance l’importance attachée à la représentativité des personnes interrogées, et ce, en fonction de la diversité des populations cibles. Au plan méthodologique tout cela paraît satisfaisant et confère une certaine crédibilité aux résultats d’enquête recueillis. Cependant ceux-ci, tout en apportant des éléments de réponse aux principales questions, laissent toujours en suspens la question décisive de la mise en place effective de la commission Vérité-Justice-Réconciliation, chargée de rechercher et d’appliquer les mesures appropriées à une véritable lutte contre l’impunité. Cette situation pose la question de crédibilité de l’entité habilitée à procéder à l’installation de cette commission nationale incontournable dans le processus de lutte contre l’impunité. Elle met en relief la complexité du contexte politique togolais marqué par la prédominance du parti au pouvoir depuis plus de quatre décennies, l’une des sept formations parties prenantes au Dialogue intertogolais et signataires de l’APG. Il faut noter que le RPT est également majoritaire à l’Assemblée nationale avec 50 sièges contre 27 sièges pour l’UFC et 4 pour le CAR. L’APG prévoit que l’application des réformes constitutionnelles et institutionnelles soit effectuée dans le cadre de l’actuelle législature. L’initiative de ce processus de changement profond peut-elle être celle des tenants du pouvoir, comme ce fut le cas ailleurs sous d’autres cieux confrontés à des expériences politiques dominées par les violations massives des droits humains ? Le GRAD pense que la crédibilité et la portée réelle des résultats des consultations nationales semblent dépendre, en définitive de la justesse de la réponse apportée à cette dernière interrogation par les autorités nationales. Il estime en outre que, compte tenu de l’acuité de la crise togolaise, toute démarche superficielle devrait être rejetée au profit de toute approche de solution fondée sur la recherche de crédibilité, la confiance mutuelle et la transparence. Celle-là visant à entretenir le dilatoire ne ferait que retarder voire compromettre les chances de sortie de crise que paraît garantir la volonté d’appliquer les réformes prévues par l’APG. Ce triste constat amène le GRAD à établir que les résultats des consultations nationales conduisent finalement à une situation paradoxale, dans laquelle les facteurs de changement profond sont légitimement entre les mains des acteurs qui ne paraissent pas objectivement disposés à les utiliser pour répondre aux attentes de la population longtemps victime de la culture de l’impunité. Et cela rend particulièrement élevé le risque de voir les tenants du pouvoir devenir à la fois juge et partie dans le processus de lutte contre l’impunité. Comment sortir de ce cercle vicieux? Le GRAD a déjà formulé un certain nombre de propositions dans ses publications antérieures : La crise togolaise a-t-elle une issue? Le mémorandum sur les perspectives politiques du Togo jusqu’en 2012; Œuvrons ensemble pour une véritable société démocratique ; Nos interrogations sur les consultations nationales.

G. Gratuité des enseignements préscolaire et primaire

Le communiqué sanctionnant le premier Conseil des ministres du nouveau gouvernement Houngbo, du mercredi 1er Octobre 2008, a rendu publique la décision de supprimer les frais de scolarité, encore appelés écolage pour les élèves des enseignements préscolaire et primaire.
L’organe de presse officiel, Togo-Presse, dans sa parution no. 7880 du jeudi 2 octobre 2008, donne de larges extraits de ce communiqué. Le GRAD apprécie et félicite le gouvernement pour cette initiative qui s’inscrit dans les objectifs du millénaire, réalisables à l’horizon 2015.
En effet l’un de ces objectifs est l’éducation pour tous dans les pays sous développés. De ce fait, l’école devient obligatoire et accessible à tous les enfants scolarisables. Ainsi, la décision du gouvernement pourrait signifier que désormais la faiblesse du pouvoir d’achat des ménages ne pourra justifier la mise à l’écart des enfants en âge d’aller à l’école du processus éducatif dans le préscolaire et le primaire. Elle représente un engagement déterminant des autorités d’aller de l’avant dans l’amélioration de la conscience citoyenne de la jeunesse nationale face aux défis de la mondialisation et de la modernisation des populations concernées. De nos jours ce n’est plus un secret pour personne de constater la relation qui existe entre l’éducation et le développement des populations à tous les niveaux d’activité dans toutes les sociétés humaines, en particulier celles dites modernes et contemporaines. Le transfert de technologie qu’implique le processus d’industrialisation inhérent à tous efforts de développement économique et social des pays africains ne pourrait se faire ou se concevoir sans une bonne politique d’alphabétisation en faveur des différentes couches de la population. Les programmes de l’UNESCO ne cessent d’attirer constamment l’attention sur ces exigences. L’exemple des pays émergents tend à en confirmer la justesse. Et la régression du taux national de scolarisation observé au Togo ces deux dernières décennies constitue une source de préoccupations pour le devenir de la jeunesse confrontée à la délinquance et au chômage, singulièrement celui des diplômés et des techniciens régulièrement formés soit sur le tas soit dans des structures de formation nationales appropriées.

De multiples raisons expliquent cette régression dangereuse et fort compromettante pour la croissance économique et sociale du pays. La crise économique généralisée des années 1980 avec son cortège de mesures draconiennes de redressement édictées dans le cadre des politiques d’ajustement structurel de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire internationale (FMI), l’impact de ces mesures sur le coût de la vie et l’ampleur du chômage national alimenté par des licenciements massifs ont contribué à une réduction significative des revenus des ménages. Ceux-ci confrontés à un problème de survie tendent, d’abord, à privilégier les priorités d’ordre alimentaire et sanitaire aux dépens de celles liées aux impératifs de l’éducation des enfants. Dans ce contexte, il est également observé que les parents associent souvent les enfants aux activités économiques permettant d’atteindre les objectifs de survie de la famille. L’importance des frais d’écolage dans le budget familial d’une part et dans celui de l’école d’autre part amène les parents à renoncer d’envoyer leurs enfants à l’école et les directeurs d’école à renvoyer les élèves à la maison pour défaut de paiement de frais scolaires nécessaires au fonctionnement de leurs établissements. C’est pourquoi la suppression des frais scolaires a suscité l’enthousiasme des parents et l’indignation voire même la tristesse des directeurs d’école conscients du manque à gagner ainsi créé au niveau des directeurs d’école, acculés ailleurs à soumettre les parents d’élèves à des cotisations extraordinaires ou parallèles, conduit à se demander si la suppression des frais scolaires entraîne une véritable gratuité de l’école préscolaire et primaire. Cette dernière interrogation soulève par ricochet un nombre de questions subsidiaires relatives à la capacité réelle de couverture des dépenses de fonctionnement des écoles préscolaires et primaires par l’Etat togolais. L’immensité des besoins existants en matière de gestion des établissements scolaires tant publics que privés et l’implication constante des parents d’élèves sollicités pour participer au financement partiel du budget des établissement scolaires (achat de tables bancs, fournitures pédagogiques, salaires des enseignants, construction et gestion des écoles d’initiative locales ou édiles, etc.) révèlent un ensemble de réalités socio-économiques et de comportements mettant en évidence la confusion des rôles entre les gouvernants et les populations. Ainsi, le GRAD estime que l’intérêt actuellement porté aux conditions de scolarité des élèves du préscolaire et du primaire devra amener les autorités à se pencher sur les moyens d’améliorer les conditions financières et de travail dans le monde éducatif togolais. Les autorités en sont bien conscientes depuis la réforme de l’école scolaire en 1975.

IV. Impact de ces événements sur le processus de sortie de crise

La diversité des événements indiqués ci-dessus implique également une diversité d’influences dont les unes et les autres dépendent des caractéristiques de chaque catégorie de situation définie par la spécificité de l’événement considéré. Si le critère de réparation de ces événements est défini en fonction de la nature de l’acteur à l’origine de l’événement considéré, il apparaît que la majorité des événements relève de l’initiative du gouvernement. En dehors des consultations nationales, chacun de ces événements ne semble pas présenter un impact direct sur le processus de réformes susceptibles d’accélérer le mouvement de sortie de crise. En effet, le reste de ces événements est dominé par des préoccupations d’ordre économique qu’un ensemble de facteurs endogènes et exogènes ont particulièrement entretenues au cours de la période considérée. La flambée des prix des produits alimentaires et pétroliers dans le monde et la faiblesse du pouvoir d’achat des populations confrontées à la hausse des prix des denrées alimentaires de base et à celle du ciment et des carburants accaparent l’attention au point de reléguer au second plan la promotion effective des réformes politiques prévues par l’APG. Elles assignent un caractère d’urgence à la demande sociale que l’ampleur des catastrophes causées par les inondations, les dégradations d’infrastructures stratégiques pour l’économie nationale et l’isolement des populations sinistrées tend à accroître. Cette conjoncture renforce le mal vivre des Togolais qui finissent par se focaliser davantage sur les préoccupations économiques, bien que pour la majorité des observateurs des réalités togolaises la crise togolaise soit essentiellement d’origine politique. Elle rend très sensibles les populations à toute fluctuation du pouvoir d’achat, à tout indice de la vie chère et à toute promesse d’aide ou de concours capable de soulager les difficultés quotidiennes par l’application des stratégies de réduction de la pauvreté. Elle semble faire entretenir l’idée que dans le contexte togolais les solutions économiques sont prioritaires au regard des solutions politiques, envisagées en l’occurrence à travers les réformes prévues par l’APG. Est-ce que cette vision de la crise à dominance économique répondrait-elle à une stratégie de recherche de solution visant à banaliser la dimension politique de la longue crise togolaise ? Si c’était le cas, cela reviendrait à admettre que les solutions ou réformes politiques ne seraient pas encore accessibles, applicables, malgré les discours des principaux acteurs engagés par le dialogue intertogolais et la signature de l’APG. La situation actuelle de l’économie togolaise est si préoccupante que tout citoyen est en droit de se demander dans quelle mesure la stratégie à dominance économique pourrait opérer le redressement de l’économie nationale capable de rendre cette option vraiment crédible. Dans l’hypothèse où cette stratégie serait couronnée de succès, pourrait-elle contribuer à surmonter les frustrations liées aux conséquences des violences politiques et des violations massives des droits humains ? Il faut noter que même avec cette stratégie essentiellement axée sur des considérations économiques de sortie de crise, des frustrations provoquées par la corruption et une gestion opaque des ressources nationales pourraient également faire leur apparition face à une demande sociale de plus en plus forte. Dans cette optique, il faut craindre que les catastrophes naturelles, la hausse constante des prix et le rétrécissement régulier du marché de l’emploi ne créent une ambiance socio-économique délétère, particulièrement frustrante pour les populations avec des risques probables d’explosion.

A. Les catastrophes naturelles

Les catastrophes naturelles ont permis de mettre en évidence les insuffisances liées à la gestion des infrastructures routières et à l’organisation des secours en faveur des populations sinistrées. Elles ont accéléré, par endroits, la dégradation des routes et ont largement compromis le trafic par l’effondrement d’un grand nombre de ponts reliant le sud et le nord du pays. Ce qui rend très difficile l’accès aux zones de production et aux marchés de consommation, concentrés dans les principales villes où la pénurie des denrées alimentaires entretient la hausse des prix des produits alimentaires de base et du niveau général des prix. Cette hausse, amorcée timidement après les violences postélectorales d’avril 2005, a connu une évolution drastique avec la flambée des prix des carburants et des denrées alimentaires dans le monde. L’absence d’explication du gouvernement sur les raisons réelles de l’inefficacité des structures de gestion mises en place pour éviter ou réduire les insuffisances et dégradations observées, a contribué à accréditer l’idée d’une mauvaise gouvernance qui caractérise l’économie nationale. Elle renforce ainsi l’impression que cette situation de délabrement serait davantage liée au comportement incivique et égocentrique des dirigeants peu soucieux des intérêts réels des populations largement en dessous du seuil de la pauvreté. Cela entretient la méfiance et la susceptibilité des citoyens à l’égard des gouvernants souvent associés au développement de la corruption, au pillage et à la dilapidation des ressources nationales, en bref au renforcement de la mauvaise gestion. Et, sous cet angle, la situation conjoncturelle créée par les inondations et la flambée des prix sont perçue davantage comme une conséquence de la longue crise politique que les efforts des signataires de l’APG essaient de subjuguer, à l’issue du Dialogue intertogolais. Dans cette optique, il y a lieu de craindre que le marasme économique n’alimente et ne complique la situation de crise prédominante depuis des décennies. En effet, le mal vivre lié au mal développement du pays ainsi généré par cet état de choses et au comportement des dirigeants, ne saurait amener les populations à dissocier la crise économique de la crise politique. Et chaque événement ou chaque comportement susceptible de renforcer le caractère calamiteux de la situation économique vient conforter dans la conviction du manque de volonté politique réelle de la classe politique, en particulier celle des tenants du pouvoir, d’œuvrer à une véritable sortie de crise. Le refus de rendre compte au peuple érigé en méthode de gouvernement et régulièrement arboré malgré les discours sur la transparence, la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption et l’impunité, constitue un témoignage éloquent de cet état de choses. L’exemple le plus récent de ce comportement réfractaire au changement pourrait être emprunté à la procédure peu orthodoxe dont la dissolution du Fonds d’Entretien Routier (FER) et la création d’une nouvelle structure ont été décidées. Même si ce fut à l’issue d’un vote à l’Assemblée Nationale, comment comprendre une telle décision qui ne demande pas à l’équipe dirigeante du FER de rendre compte de sa gestion, à travers un audit régulièrement établi avant cette décision, mais renvoie cet audit aux calandres grecques ? La réaction de l’Assemblée Nationale face à cette décision a été par trop timorée au point que l’on se demande si son rôle est-il de couvrir les actes répréhensibles des citoyens d’une certaine catégorie appartenant à la majorité parlementaire aux dépens des intérêts vitaux des populations qui ont fait confiance à ces élus du peuple, à travers les urnes ? Est-ce à dire que par leur attitude contraire aux intérêts du peuple traumatisé par de longues années de souffrances et de difficultés quotidiennes, les députés estiment qu’ils n’ont pas de comptes à rendre aux populations qui leur ont permis d’être là où ils sont ? Leur indifférence au sort des populations signifierait-elle qu’ils ignorent en toute conscience le rôle des populations dans leur ascension ?

En effet, en observant le comportement des élus du peuple, on a l’impression que les populations n’interviennent dans les processus électoraux que pour avaliser des résultats obtenus à leur insu. Raison pour laquelle il n’apparaît pas également nécessaire de tenir compte d’elles pour prendre des décisions qui engagent au plus haut point leur existence communautaire et leur survie quotidienne. Les parlementaires préfèrent continuer de les confiner au rôle de comparses auquel les combines électorales et autres dérives politiciennes les encouragent. Ils resteraient ainsi dans leur logique qui voudrait que la participation des populations n’étant pas réellement prise en compte dans l’évaluation des résultats des élections elles ne sont pas également prises en considération dans l’évaluation des raisons qui seraient censées militer en faveur des intérêts des populations. C’est dans cette optique qu’il paraît opportun de se poser les questions suivantes : pourquoi fait-on de la politique ? En d’autres termes, quelles sont les véritables motivations qui poussent les uns et les autres à s’engager en politique? Quelle est la conception que les uns et les autres se font de la politique? L’engagement politique est-il assimilable à une activité sociale qui s’exercerait dans un cadre spécifique à l’instar de celui d’une entreprise économique dans laquelle le risque pris par l’entrepreneur devra être compensé par le profit escompté ? Ces questions renvoient à l’importance des acteurs politiques dans la vie de la nation dont la construction amorcée par le colonisateur est loin d’être achevée après plus de quatre décennies d’accession du pays à la souveraineté internationale. Elles visent à faire prendre conscience du fait que l’activité politique ne devrait pas se limiter à des compétitions ou à des alliances entre formations politiques aux seules fins de garantir les intérêts de ces acteurs politiques engagés au service du peuple qui animent ces formations. Par ailleurs, les réflexions qu’elles suscitent, permettent de déceler une fois encore l’impact de la crise politique qui a provoqué l’isolement du pays et le désastre de l’économie nationale, deux facteurs non négligeables dans la dégradation des infrastructures routières. En effet, quand on connaît l’importance du Fonds Européen de Développement (FED) dans les investissements relatifs à la promotion de ce type d’infrastructures dans notre pays, on imagine ainsi le manque à gagner pour cause de rupture de la coopération avec l’Union Européenne (UE), pendant près de 15 ans.

B. Nécessité de redoubler de vigilance

Face à l’importance des dégâts causés par les catastrophes naturelles, le sentiment d’abandon et de désolation a des chances de prendre beaucoup d’ampleur au niveau des populations déjà profondément éprouvées par les difficultés de la vie quotidienne et, en particulier, les effets de la hausse des prix. Il y a un risque réel que cette situation évolue en une véritable crise socio-économique et financière, et ne focalise l’attention des populations et des principaux acteurs politiques au détriment de la longue crise politique qui fragilise les fondements mêmes de toute l’économie nationale. En effet, les récents événements liés à la vie nationale et aux orientations prioritaires adoptées par le gouvernement donnent l’impression qu’il prend en compte la demande sociale immédiate engendrée par les préoccupations quotidiennes des populations fort éprouvées. Ces événements continuent d’entretenir une ambiance confuse suscitant espoirs et désespoirs, le gouvernement préférant la forme aux dépens du fond et privilégiant les actions superficielles et spectaculaires, capables de frapper les esprits ou d’attirer promptement le regard aux dépens de l’efficacité réelle escomptée. C’est ainsi que l’on assiste à l’encombrement des rues par des ouvriers occupés aux travaux de réparation, pendant les heures de pointe où le trafic urbain est particulièrement dense. La distribution des dons offerts par les bienfaiteurs nationaux et internationaux est organisée en présence des équipes de journalistes de la presse écrite et surtout de la presse télévisée. Et pourtant il semble que les zones sinistrées n’ont pas été suffisamment asséchées avant que les populations déplacées ne fussent renvoyées dans leurs lieux de résidence. Tout cela laisse penser que l’urgence du moment tend à l’emporter sur la question des réformes salutaires prévues pour la sortie de crise par l’APG, le principal organe de consensus politique mis en place à l’issue du dialogue intertogolais, en août 2006. La stratégie de la conservation du pouvoir ne consisterait-elle pas à faire oublier l’importance et l’urgence de ces réformes au profit des actions économiques requises pour la survie des populations en mal de vivre, victimes de la mauvaise gouvernance et de la corruption à tous les niveaux ? Dans ce cas, une telle approche exprimerait-elle une volonté délibérée, une organisation consciente en vue de réduire les populations à cette extrémité, une position socialement et économiquement dégradante ? Elle s’inscrirait de ce fait dans un système de manipulation destiné à garantir le statu quo et à entretenir le cycle infernal de la pauvreté et du mal développement. Dans ces conditions, le GRAD estime que les acteurs politiques, signataires ou non de l’APG, les organisations de la société civile (OSC) et les populations, devront redoubler de vigilance pour promouvoir les solutions nécessaires à la sortie de la longue crise Togolaise. Il rappelle que la crise togolaise n’est pas réglée avec la reprise de la coopération du pays avec l’UE et les bailleurs de fonds de la communauté internationale. Le GRAD tient à souligner que la crise togolaise est essentiellement une affaire de mal vivre entre togolais, déterminé par un ensemble de comportements inadmissibles des uns à l’égard des autres et loin d’être résolu par une simple intervention des bailleurs de fonds souvent plus sensibles aux préoccupations du monde des affaires qu’aux souffrances des populations liées aux dérives politiques. La crise togolaise n’est pas créée par la rupture de la coopération avec l’UE. Bien au contraire, celle-ci est causée par le déficit démocratique et le non respect de l’Etat de droit. En conséquence, la reprise de la coopération de l’UE avec le Togo ne saurait nécessairement signifier la fin de la crise togolaise de plus de quatre décennies. Et l’histoire nous enseigne que la rupture de la coopération avec l’UE, incarnant la situation de crise avec cette organisation internationale, date seulement de 1993. Elle constitue une décision prise en réaction aux violations massives des droits de l’homme perpétrées à l’encontre des manifestants réunis à la place Fléau, actuelle Place Anani Santos. Elle représente un soutien de l’UE en faveur de la démocratisation de la vie politique dans notre pays, objectif auquel aspire la majorité des togolais. Les vingt-deux engagements adoptés par le gouvernement togolais en vue de la promotion de la démocratie dans le pays ont-ils atteint l’objectif défini par leurs signataires ? La réponse à cette question appartient à la fois aux autorités de l’Union européenne qui ont recueilli ces engagements et aux togolais qui souhaitent vivre librement ensemble sans subir impunément les violations des droits humains, le système de corruption et d’exploitation érigé en mode de gouvernement, et les intimidations fort peu compatibles avec le respect de la dignité humaine. Les hésitations et réticences des tenants du pouvoir face à l’application des réformes institutionnelles et constitutionnelles indiquées par l’APG, sont autant de signes permettant de douter de la volonté politique réelle des signataires de ces vingt-deux engagements en vue d’une démocratisation de la vie nationale et d’une sortie effective de la crise.

C. Facteurs de pérennisation de la crise togolaise

Une analyse de tout ce qui précède permet d’identifier les éléments favorables ou défavorables au processus de changement démocratique défini par l’APG. La réunion de Bruxelles pourrait aider les partenaires togolais et européens à parfaire l’application des vingt deux engagements. Il y va de la crédibilité même de l’UE dont les efforts pour la promotion et l’instauration de la démocratie dans le monde sont bien connus. Le rôle de l’UE dans la restauration de la confiance des autres institutions internationales à l’égard du Togo est également capital comme l’atteste l’attitude récente de coopération et de compréhension de la Banque Mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI), au lendemain de la reprise de la coopération de l’UE avec le Togo. Tout semble fait pour renforcer la dimension de lobbying de l’UE auprès des autres membres de la communauté internationale. Il convient de noter que plusieurs pays de l’UE font partie du G8 dont les décisions sont généralement déterminantes pour l’économie mondiale. C’est reconnaître par la forte influence de l’UE dans le système économique mondiale. Et si elle parraine un pays, celui-ci a beaucoup de chances d’aller de l’avant, de bénéficier de sérieux atouts dans le concert des nations industrialisées et démocratiques. Mais la crainte à ce niveau est que la vision de l’UE et de la communauté internationale ne s’aligne sur celle des Etats qui privilégient en matière de coopération les relations commerciales ou économiques au détriment des autres. Elle réside aussi dans le fait que certains responsables ou milieux européens cherchent à aller trop vite en besogne en présentant la situation togolaise comme celle d’une crise complètement jugulée, réglée. Ce qui semble encourager les autorités togolaises à parler comme si le pays était parvenu à la fin de sa longue crise. Le GRAD pense que cet excès d’optimisme dans la vision de la crise togolaise pourrait entretenir le refus conscient ou inconscient des dirigeants de soutenir effectivement le processus de réformes constitutionnelles et institutionnelles prévues par l’APG. Cette attitude pourrait, en outre, conduire plutôt à la volonté de saupoudrage qu’à celle d’un engagement réel en faveur d’un véritable processus de changement démocratique salutaire pour le peuple togolais toujours en souffrance. Elle pourrait correspondre au désir du statu quo appelé à disparaître avec l’application des réformes recommandées par l’APG. Ce qui serait contraire à la mission du Dialogue intertogolais et à celle de l’APG qui l’a confirmée.

Ainsi, l’organisation des consultations nationales censées consacrer la lutte contre l’impunité semble s’inspirer de cette stratégie de défense du statu quo fondée sur la promotion d’initiatives et actions destinées à créer l’illusion ou l’apparence d’un processus de changement qui reste profondément marqué par des mécanismes internes de blocage. Les résultats de ces consultations nationales sont actuellement disponibles et accessible au grand public. Ils soulèvent notamment la principale question de la mise en place de la commission vérité, justice et réconciliation chargée d’adopter les procédures requises pour une éradication effective de l’impunité. L’Afrique subsaharienne présente une variété d’expériences relatives au processus vérité, justice et réconciliation. Celles qui semblent retenir l’attention des acteurs politiques togolais sont les cas de l’Afrique du Sud, de la Sierra Leone et du Maroc. Et, une attention particulière est portée à l’expérience marocaine par les autorités togolaises à travers les responsables de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH). Celle-ci avait pris l’initiative d’accueillir une mission marocaine à ce sujet. En quoi le régime marocain, une monarchie islamique héréditaire, est-il comparable avec celui du Togo, une république laïque ? Un récent séminaire sur le thème : Des consultations nationales à la création des commissions vérité, justice et réconciliation ; quelles sont les étapes à franchir ? permet d’identifier quelques éléments de réponse. Le WANEP-Togo, une organisation de la société civile, est à la base de l’initiative de cette rencontre propice à la réflexion et aux échanges sur ce processus de réconciliation nationale décisif pour la sortie de la longue crise togolaise. Les enseignements indiquent que l’expérience de chaque pays dépend du contexte géographique et historique dans lequel la crise incriminée a évolué. L’objectif est d’établir la vérité des faits, de promouvoir la justice et la réparation en faveur des victimes, et d’organiser la réconciliation entre tous les protagonistes. Il ressort de l’analyse des expériences susmentionnées que les autorités marocaines paraissent beaucoup plus préoccupées par le principe d’indemnisation des victimes que par celui de la réconciliation nationale. En effet, les deux comités créés dans le cadre du processus vérité, justice et réconciliation, l’Instance d’Arbitrage Indépendant (LAI) et l’Instance Equité et Réconciliation (IER), sont décalés dans le temps et profondément opposés quant à la composition des membres constitutifs et aux mandats définis à chacun d’entre eux. L’IAI, composée des représentantes du corps judiciaire et du ministère de l’intérieur, prend des décisions exécutoires sur lesquelles ni l’Etat ni les victimes n’ont plus à revenir. Il procède à des indemnisations conditionnelles des victimes sans attendre la fin du processus de vérification. L’accent est essentiellement mis sur la réparation financière. Il est chargé d’examiner les violations graves des droits de l’homme intervenues dans une période historique déterminée (1956-1974). L’IER créée quatre ans plus tard dispose d’un mandat d’un an pour identifier les violations graves en matière des droits de l’homme. Elle est composée de personnalités indépendantes. Elle ne comporte aucun représentant de l’Etat. Elle est astreinte à l’obligation de secret. Elle n’a pas le temps nécessaire pour étudier l’ensemble des dossiers pendant le mandat accordé. Les préoccupations de ces comités sont pratiquement limitées aux seules actions de réparation financière sans aucune possibilité de recours en justice. Le processus de réconciliation initié par le pouvoir en place vise davantage à indemniser les citoyens victimes des violations et agressions intolérables plutôt qu’à les réhabiliter en vue de réaliser le vivre ensemble auquel aspire la majorité de la population nationale. Ce type d’initiative signifierait-il que la réconciliation pourrait être décrétée par les tenants du pouvoir face à des victimes assoiffées de justice et à des populations traumatisées par de longues années de violences impunies? Ce modèle d’approche de sortie de crise pourrait-il permettre d’obtenir une véritable réconciliation nationale, un climat social apaisé dénué de tout sentiment d’animosité, de tout désir de vengeance ou celui de se faire justice, à défaut de la justice réparatrice attendue des tenants du pouvoir ? Le GRAD saisit donc l’opportunité de ces interrogations pour rappeler que la lutte contre l’impunité ne devrait pas se réduire à la banalisation des mécanismes de réconciliation visant à renforcer l’impunité des auteurs plutôt qu’à rendre réellement justice aux victimes des violences identifiées au cours de la période considérée.

C’est pourquoi il convient de souligner qu’à ce stade les paroles et les actes devraient concrétiser l’esprit de réconciliation qui aurait prévalu au moment de la mise en place du processus de sortie de crise. Le GRAD reste convaincu que cette méthode d’approche a des chances de redonner confiance aux Togolais profondément perturbés par les derniers événements évoqués plus haut, donnant une dimension aggravante à la crise du pays. Dans cette optique, le GRAD se réjouit que les autorités aient pris conscience de l’importance de l’impunité et de l’impact de la corruption à tous les niveaux sur l’évolution de la vie des Togolais. Ainsi les consultations nationales semblent un pas vers la bonne direction, mais elles risquent de s’enfermer dans les contradictions qu’il faudrait résoudre par d’autres initiatives suggérées par le GRAD dans l’une de ses précédentes publications, que