19/04/2024

Les actualités et informations générales sur le Togo

Le mépris du peuple togolais ?

Par Yes Ekoué Amaïzo

Ceux parmi les dirigeants africains ou internationaux qui croyaient qu’il était possible de continuer à appliquer « le dialogue politique » après le 25 février pour faire revenir Faure Gnassingbé et son réseau « réseau militaro-parlementaire » à la raison offrent tout simplement la possibilité à ces derniers de s’organiser et de gagner du temps. Cette technique permet de compter sur un essoufflement éventuel de la résistance du peuple togolais tant à l’intérieur qu’au niveau de la Diaspora, et à trouver une sortie provisoire et honorable pour le fils de feu Eyadéma Gnassingbé afin de préserver ses chances pour une participation à des élections présidentielles. Pour gagner des élections dans les deux mois alors que tout l’appareillage électoral est frappé à l’estampille du gouvernement autoproclamé togolais, il faut faire des entorses et des contorsions aux procédures et conditions transparentes d’organisation des élections sans exclusive. La CEDEAO et l’UA ne remettent pas véritablement en cause la constitution togolaise ségrégationniste qui exclue certains togolais résidant à l’étranger. La France non plus !

1. Le mépris du peuple togolais de plus en plus uni

La caractéristique première de la gouvernance militaro-parlementaire togolaise, continuation de 38 ans de pratiques passées sous silence par la communauté internationale, est le mépris du peuple togolais. Le silence forcé à l’intérieur des frontières togolaises s’est transformé en une contestation et une volonté d’en découdre pour tourner la page de la période de feu père Eyadéma Gnassingbé. En effet, les pressions des Etats-Unis, de l’Union européenne, de la CEDEAO et de l’Union africaine, « empêchant » les militaires togolais à la solde du pouvoir autoproclamé d’intimider le peuple togolais, ont fonctionné.

Du moment où l’on ne tire plus sur le peuple avec des balles réelles, instructions données par le pouvoir autoproclamé au début des manifestations du peuple togolais après le coup de force de Faure Gnassingbé et qui a abouti à la mort de plusieurs Togolais, tout est possible. Cela risque de se faire par le biais d’un combat d’usure pour la liberté, l’autodétermination du peuple où l’éthique semble faire allégeance au rapport de force grâce aux appuis discrets extérieurs au Togo. La réalité est que le fils Gnassingbé est en train de contribuer à l’unité de l’opposition togolaise, ce que son père et les militaires ont détruit pendant plus de 38 ans avec la complicité de pouvoirs souvent extérieurs actifs dans la politique, les cercles ésotériques et les affaires y compris mafieuses. Dans un tel milieu où l’éthique fait office d’empêcheur de tourner en rond, le peuple togolais était devenu indésirable. Il fallait le silence des cimetières pour continuer à faire des affaires en usurpant le pouvoir pour cela. Il suffit de citer les noms des dirigeants des principales sources de « rentrées d’argent » au Togo pour s’apercevoir que quasiment toutes les entités productives sont contrôlées par une seule famille.

Oui, en croyant gagner du temps pour mieux conserver le pouvoir, le réseau de dirigeants militaro-civils auto-proclamés est en train de réussir l’unité d’une partie de l’opposition togolaise. Aux manifestations importantes au Togo se sont joints les Togolais de la Diaspora. Il suffit pour cela de noter que le cumul de l’illégitimité de Faure Gnassingbé et le refus d’organiser pacifiquement un système d’autodétermination souveraine du peuple togolais ont trouvé des échos démultipliés dans les grandes capitales occidentales (Montréal, Paris, Washington, Berlin, Bruxelles pour ne citer qu’elles) comme dans les villes moyennes (Bremen, Siegen en Allemagne, Marseille, Poitiers, Lille en France…) . La fréquence de ces manifestations, l’organisation empêchant toutes provocations extérieures sont des gages d’une volonté de changement gravés sur les pancartes comme dans les mémoires meurtries d’un peuple brimé au nom d’une certaine paix et stabilité soutenus d’ailleurs.

2. La fin du mépris de la CEDEAO et de l’Union Africaine

Après avoir jonglé avec la constitution en procédant à des nettoyages intempestifs pour se hisser au pouvoir, puis à un toilettage pour diriger la période de transition tout en éliminant des candidatures de poids de l’opposition togolaise, Faure Gnassingbé a voulu jouer sur les dissensions internes entre les chefs d’Etat africains. En réalité, il ne s’agit que d’un mépris pur et simple des décisions de la CEDEAO. En choisissant de mettre en première ligne les présidents gabonais et libyen, peu bavards sur les conseils prodigués à la différence du Président Abdoulaye Wade du Sénégal, Faure Gnassingbé et ses militaires ont pu démontrer à la CEDEAO que les sanctions de celle-ci ne l’empêchent nullement de « circuler ». La réaction ne s’est pas fait attendre. Le pied de nez à la CEDEAO doit « être puni », dit-on dans certains milieux autorisés. Le commissaire à la paix et sécurité de l’Union africaine, Saïd Djinnit a annoncé à Addis Abéba que « le Conseil a soutenu et avalisé les sanctions prises par la CEDEAO et a demandé à tous ses Etats membres d’appliquer scrupuleusement ces sanctions ». Cela a pour conséquence de suspendre les autorités togolaises de « toutes les activités de l’UA jusqu’au retour de l’ordre constitutionnel ».

L’Union européenne a compris le message et « opérationnalise » sa position d’alignement sur les sanctions de la CEDEAO et de l’UA. L’Union européenne par la voix de ses parlementaires a fait savoir qu’elle « ne reconnaîtra la validité d’aucune élection organisée sous l’autorité d’un président illégitime issu d’un coup d’Etat militaire » et demande la « démission immédiate » de Faure Gnassingbé. Le Département d’Etat américain avait déjà abondé dans ce sens . Au-delà, et pour éviter que Faure ne choisisse comme prochaine destination le Maroc, qui n’est pas membre de l’Union africaine ou la France, qui condamne mollement au travers de l’UE les initiatives de Faure Gnassingbé, l’UA a repris à son compte l’ensemble des décisions de la CEDEAO et l’a élargi à tous les pays africains. Mais les choses avancent et les pressions font leurs effets.

3. Le retour à l’ordre constitutionnel « à géométrie variable » du feu Père

Quelque soient les soutiens de la CEDEAO, de l’Union africaine, de l’Union africaine et des Etats-Unis à la cause de la liberté du peuple togolais, il semble que le retour à l’ordre constitutionnel risque de se faire sans que l’on ne tienne compte véritablement des revendications des principaux intéressés à savoir : le peuple togolais… En l’absence d’élections fiables depuis plus de 38 ans, il est difficile de savoir qui représente qui au Togo. Pourtant, six partis politiques d’opposition semblent avoir compris les vertus de « l’union fait la force ». Cette opposition propose une sortie de crise que personne ne veut encore vraiment entendre. Outre la démission immédiate de Faure Gnassingbé et la neutralisation des militaires-affairistes, l’opposition demande des préalables sous la forme d’accords politiques avant la tenue d’élections présidentielles sans exclusive. La constitution actuelle étant le produit des manipulations de la famille Gnassingbé père et fils, il est question de se mettre d’accord sur une « feuille de route » vers l’interdépendance togolaise. Les 22 engagements pris par le Gouvernement de feu Eyadéma Gnassingbé avec l’Union européenne le 14 avril 2004 pourraient servir de cadre de travail.

La réalité est que le rapport de force de l’opposition reste faible quant au choix des modalités de la période transitoire menant à des élections présidentielles. Le pouvoir en place semble déterminé à faire respecter les textes constitutionnels tels que le feu père Eyadéma Gnassingbé les a laissés, sauf que Fambara Natchaba, l’ex-président de l’assemblée nationale, reste indésirable, Gilchrist Olympio, aussi touché par une constitution qui pose des conditionnalités de résidence continue au Togo préalable à toute candidature à la présidence au Togo. Enfin, le scrutin présidentiel à un tour apparaît comme une voie royale pour jouer sur l’impossibilité historique de l’opposition togolaise de se choisir un candidat et de l’accompagner dans la voie vers l’alternance. Aura-t-elle compris le message cette fois-ci ?

Il faut néanmoins savoir que le compte à rebours est opérationnel. C’est le 18 février 2005 que Faure Gnassingbé a annoncé qu’il allait organiser des élections présidentielles dans les 60 jours. Il avait précisé qu’il gardait la présidence de l’intérim et avait « omis » de préciser si les élections seraient libres, transparentes et sans exclusive. Les élections présidentielles risquent donc de coïncider avec la fête de l’indépendance du Togo : 24 avril 2005. Suite au congrès extraordinaire du Rassemblement du peuple Togolais (RPT, parti présidentiel), Faure Gnassingbé a été désigné comme le candidat unique à la présidence. La décision du 25 février 2005 de ce dernier de démissionner est tombée. Il accepte d’abandonner le pouvoir au profit d’Abass Bomfoh, nouveau président de l’Assemblée nationale togolaise et par automatisme, président togolais par intérim suite à un vote de l’assemblée nationale monochrome togolaise. Les sanctions de la CEDEAO et de l’UA sont donc levées. Le peuple togolais se retrouve face à lui-même et un régime civilo-militaire qui va maintenant s’organiser pour conserver le pouvoir à tous prix. La démocratie de façade à la togolaise risque de retrouver ses pleins droits.

4. Offrir les mêmes droits d’organisation à une opposition unifiée togolaise

Il reste à l’opposition multicéphale actuelle de s’organiser pour « bénéficier », dans les mêmes conditions que les militants du RPT, de la liberté de réunion dans les enceintes de la maison du peuple togolais ou ailleurs afin de s’organiser pour offrir une tête de pont de l’opposition, dans les meilleurs délais. Sans une cohésion renforcée, une discipline stricte et la mise en place de représentants dans tous les points de vote, équipés de téléphones portables pour pouvoir annoncer les résultats après des comptages « sur place » en présence des représentants de tous les partis, comme au Sénégal lors de la victoire de Maître Abdoulaye Wade sur Abdou Diouf, il sera difficile de contrôler les conditions de déroulement des élections à venir.

Au niveau des comptages et de la liste électorale, que fait-on des Togolais de la Diaspora ? Nombreux n’ont plus leur passeport togolais et les conditions de vote dans les ambassades togolaises à l’étranger laissent à désirer… Compte tenu de la propension de la Diaspora togolaise à être plus sévère envers les pratiques de gouvernance des dirigeants togolais, il est fort à parier que la neutralisation de ces votes, au pire leur détournement, feront partie de la panoplie des approches du pouvoir pour empêcher l’alternance au Togo. La transparence de système électoral doit nécessairement inclure les Togolais de l’extérieur y compris ceux qui ne disposent plus de papiers du fait d’une confiscation par le pouvoir. Leur vote ne peut être assimilé à de l’abstention par défaut.

Il faut maintenant éviter que tous les efforts du peuple togolais et de la communauté africaine et internationale pour revenir à un ordre constitutionnel « à la togolaise » ne soient pas simplement réduits à un combat de façade où la CEDEAO, l’UA, l’UE et l’ONU se contenteraient d’élections et d’une transparence « à la togolaise » et se donneraient bonne conscience en imitant maintenant l’autruche. Le problème togolais n’est pas un problème simplement de la constitution. La démocratie encadrée par des militaires-affairistes pose toujours problème. Il n’est pas sûr d’ailleurs que Faure Gnassingbé ne dirige pas le Togo en sous-main pendant la période de transition compte tenu des pressions internes et la hiérarchie structurante au sein du parti présidentiel.

Conclusion : vers une démocratie de la succession ?

Une élection excluant des ténors de l’opposition relèvera au mieux d’une modernisation d’une certaine mascarade électorale au Togo, au pire d’une stratégie nouvelle permettant à la France, ancienne puissance coloniale, de faire du Togo un cas d’école. A y regarder de près, plusieurs pays dans le monde semblent avoir adopté l’approche de la transmission du pouvoir à un fils comme dans les monarchies telles la Jordanie, la Syrie ou encore le Maroc. Avec l’Afrique, ce sont les moyens d’accession qui diffèrent. Les derniers pays visités par Faure Eyadéma, à savoir le Gabon et la Libye, sont des candidats autrement intéressés par un succès de l’entreprise « transfert de pouvoir de père en fils au Togo » où le pouvoir doit rester dans les mains soit du « tenant du pouvoir », soit de son fils, ceci en usant de tous les artifices du « système démocratique » quand il existe, même si, au passage, il faut un coup de pouce des militaires pour accéder au pouvoir. Le cas du père et du fils Kabila au Congo Démocratique est une variante violente de cette nouvelle stratégie de l’après post-colonie pour conserver la main mise sur l’espace africain, véritable réserve d’appoint pour certaines puissances occidentales.

Le Togo, après avoir inauguré le premier coup d’Etat en Afrique en 1963, pourrait inauguré la démocratie de la succession, pourvu que l’habillage démocratique ne soit pas « trop » écorné. Cela contribue à la création d’emplois nouveaux : celui des mercenaires de la plume, à l’instar de Charles Debbasch , qui mettent les démocraties africaines en « forme » en conseillant des sessions de gymnastiques constitutionnelles intempestives où les textes épousent les desiderata de ceux qui justifient leur légitimité par une légalisation à posteriori de leur pouvoir. On appelle cela le mépris du peuple, en l’espèce, celui du Togo.

NDLR : L’article de Yves Ekoué Amaïzo a été écrit le 26 Février 2005.

[GRIOO.COM->http://www.grioo.com]