24/04/2024

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Les charrettes en croisade contre les ordures ménagères

Située entre les frontières du Bénin et du Ghana, Lomé est la capitale du Togo depuis le 6 mars 1897. Avec une dimension qui s’étend aujourd’hui sur près de 2 800 hectares, elle s’est considérablement agrandie avec, en appoint, une véritable poussée démographique. Autrefois, ville propre et belle, Lomé a perdu de sa superbe car confrontée à un sérieux problème urbain ; elle ploie sous le poids de la gestion des ordures ménagères et autres immondices. La carence des services de la voirie a favorisé l’apparition de charrettes privées exploitées par de jeunes diplômés sans emploi, pour un combat au quotidien contre l’insalubrité urbaine.

par Ekoué Satchivi

Jadis, les métaphores et les formules ne manquaient pas pour célébrer la propreté de la principale ville du Togo. Mais, ces dernières années, Lomé envahie par les ordures ménagères dont la gestion pose problème, est devenue un étouffoir. Depuis quelques temps, des charrettes privées ont pris le relais des services de la Voirie et de la Société togolaise d’enlèvement des ordures ménagères et d’assainissement (Sotoema) qui, pour diverses raisons, ont baissé pavillon.

Mahamat Nour, juge pour enfants, exerce dans une capitale africaine. Lors d’un séminaire à Lomé, il découvre l’existence de tas de détritus qui jonchent les rues et avenues.

Au terminus de la rue de l’Entente (ex- Pelletier et Caventou) dans le quartier Abgamé, trône une gigantesque colline d’ordures de cinq à six mètres de haut. Une jeune vendeuse à la criée arrive et dépose sa marchandise. Après un coup d’œil circulaire et furtif, elle soulève son pagne et s’accroupit pour déféquer. Pourtant, à une trentaine de mètres de là, se trouvent des latrines publiques à 25 francs CFA. Impensable ! Un pareil spectacle, la ville de Lomé en offre un peu partout.

Tout le monde est coupable de l’insalubrité de la ville

Ville centenaire, Lomé a pris au fil des années, un essor fulgurant qui la fait apparaître comme une grosse tête monstrueuse sur un petit corps malingre. Les habitants de la ville ont longtemps pensé que la propreté de leur environnement est du ressort de l’autorité publique exclusivement. Vaincues dans les années 1970 par l’inefficacité des services de la Voirie, les autorités municipales de la ville, sur injonction des institutions de Brettons Woods, notamment la Banque Mondiale, avaient décidé de privatiser le secteur des services urbains

La solution face au problème du ramassage des ordures ménagères a été de le confier à la Sotoema, entreprise privée spécialisée en la matière. Le premier contrat entre les autorités municipales de Lomé et cette entreprise, fut signé en juin 1974. La Sotoema s’est occupée avec doigté du ramassage des ordures ménagères. Ce dévouement à la tâche, a permis à la capitale togolaise, de recevoir à deux reprises en 1985 et en 1987, le titre de la ville la plus propre d’Afrique.

Mais avec le temps, les autorités municipales de Lomé se sont révélées incapables de répondre à leur engagement vis à vis de la Sotoema.. Le contrat liant cette société et la Ville fut résilié. Pire, le ramassage régulier des ordures ménagères sera affecté par la crise socio-politique née du déclenchement du processus démocratique. Les populations ont donc repris les vieilles habitudes qui consistaient à jeter les ordures un peu partout.

De manière progressive, la ville de Lomé perd de sa splendeur. Par manque de camions spécialisés, des charrettes privées font leur apparition. Elles sillonnent à longueur de journée les rues et avenues de la capitale togolaise et de sa banlieue afin de collecter les ordures ménagères et autres déchets contre rémunération, lui évitant ainsi d’être le repaire des rats et des insectes, vecteurs de maladies.

Des agents de propreté au secours d’une ville légendaire

Jean – Pierre Gbadoé, un solide gaillard d’une quarantaine d’années, fait partie des nombreux agents de propreté qui, au lever du soleil et au moyen d’une charrette, font le porte à porte pour ramasser les ordures. Démissionnaire d’une école privée, cet ancien instituteur avoue que sa nouvelle tâche lui procure bien son pain quotidien. Fo Jean comme l’appellent ses clients, est employé par la Brigade d’assainissement de l’environnement (Brasse). Elle a vu le jour en septembre 1997, à l’initiative de Adjiwanou Guy Gbénado Tata, un ancien étudiant en fin de cycle à l’Université de Lomé. La structure dispose de six agents pour un traitement mensuel oscillant entre 25.000 et 27.000 francs CFA. Avec trois charrettes, ces agents sillonnent les quartiers Lom-Nava et Bè, scindés en trois secteurs. Deux fois par semaine, sauf le dimanche, les ordures y sont collectées pour un abonnement mensuel de 1000 francs CFA, par ménage.

Des associations confrontées à une kyrielle de difficultés

Initiées par des diplômés sans emploi, il s’agit d’associations de moindre importance qui utilisent moins d’une dizaine d’agents. Pour la plupart, elles sont confrontées à une kyrielle de problèmes provenant notamment de la résiliation de certains abonnements et du manque de charrettes en bon état.

Huit ans après sa création, la Brasse, en épit des difficultés, poursuit tant bien que mal son chemin. Selon les propres aveux de Adjiwanou Guy Gbénado Tata, cette structure offre un cadre sain aux familles, en luttant contre les maladies. En dehors de la Brasse, il existe d’autres associations qui s’occupent également de l’enlèvement des ordures ménagères. C’est le cas pour l’Action des jeunes pour l’entretien et la protection de l’environnement (AJEPE) à Djidjolé, quartier Nord- Est de Lomé, la Jeunesse Environnement et Développement à Bè- Kpéhénou N°1, le Comité de Développement de Doulassamé (CDD), l’Action Dynamique de Volontaires œuvrant pour l’environnement et le développement (ADVED) à Kodjoviakopé, quartier ouest de Lomé, jouxtant la frontière avec le Ghana.

Toutes ces associations éprouvent quotidiennement les mêmes peines en matière d’enlèvement des ordures ménagères. Dans le souci d’être plus efficaces sur le terrain, les patrons de ces associations ont jugé utile de se regrouper en une coordination dénommée la Fédération des associations de la précollecte des ordures ménagères et d’assainissement- groupement d’intérêt économique (FAPOMA- GIE).

Avec des charrettes qui tombent souvent en panne, les agents de propreté sont eux-mêmes exposés sur le plan sanitaire. Et c’est avec beaucoup d’amertume qu’ils évoquent les difficultés rencontrées auprès de certains abonnés, par exemple le non–respect du contrat lié à la crise que vit le pays, l’accès difficile aux sites de décharge surtout en saison pluvieuse. A peine jetées sur le site intermédiaire du vieux quartier d’Amoutiévé, au flanc de la colline de Tokoin-Elavagnon, les ordures fermentent à cause de la chaleur et des rebuts de toutes sortes. Elles se putréfient pour générer une variété de microbes nuisibles aux populations riveraines.

Toutefois, l’apport de la municipalité qui fait toujours recours à la Sotoema afin de dégager les différents sites intermédiaires pour la décharge finale située à Agoué- Nyivé (banlieue Nord de Lomé), est salué par les responsables de ces structures d’enlèvement d’ordures.

Le rôle de ces structures privées dans le maintien d’un environnement sain pour les habitants des cinq arrondissements et différents quartiers de la capitale est tout aussi salutaire et important. Mais la gestion des ordures ménagères constitue le nœud gordien à Lomé, ville en pleine expansion. Le fait que les ménages payent à terme fixe leurs abonnements pourrait aider les associations à envisager l’usage de tracteurs comme c’est le cas à Cadjèhoun, un quartier de Cotonou, capitale économique du Bénin voisin.

Au menu de ses futures actions, la Fapoma- Gie envisage le tri et le recyclage des ordures. Il s’agit d’un projet qui exige de gros moyens financiers et un plan d’exécution viable. C’est en ce sens qu’une délégation de responsables de ces structures togolaises, intervenant dans l’enlèvement des ordures ménagères, a effectué un séjour exploratoire à Cotonou avec pour but, de s’imprégner des actions menées en la matière par des associations sœurs.

Un environnement débarrassé des odeurs nauséabondes, assure l’amélioration de la qualité de la vie. Raison pour laquelle il s’avère indispensable d’envisager, à Lomé, un projet de valorisation des déchets urbains. Pour réaliser un tel projet, il faut réactiver les relations que la capitale togolaise entretient avec les cités auxquelles elle est jumelée. Lusaka, la capitale de la Zambie étant jumelée à la ville de Dayton dans l’Etat d’Ohio aux Etats Unis, en a profité pour trouver une approche de solution aux différents problèmes urbains auxquels elle était souvent confrontée.

La lutte contre l’insalubrité urbaine doit être un combat au quotidien. Elle nécessite l’apport de toutes les composantes de la société. Un ministère de la Ville a été récemment crée. Si sa mission est la mise en place d’une politique urbaine et l ’amélioration du cadre de vie, il ne faut pas perdre de vue que la capitale togolaise doit faire face à plusieurs défis en matière d’infrastructures urbaines. Fondée dans les années 1600 par le chasseur Djitri, la cité de Lomé doit retrouver son éclat perdu. Pour l’aider à redevenir belle et attrayante, les pouvoirs publics doivent à titre expérimental, la doter d’une Haute autorité pour la propreté. Il s’agira d’une structure bien hiérarchisée, avec des moyens adéquats. Bien gérée, sa mission sera de veiller à coordonner les actions complémentaires des initiatives privées qui se donnent beaucoup de peine déjà, dans le ramassage des ordures ménagères. Une fois que cette mission aura donné des preuves tangibles, elle s’étendra à d’autres villes du pays.

La rédaction letogolais.com