25/04/2024

Les actualités et informations générales sur le Togo

Les militaires togolais ouvrent le feu sur l’opposition

Sous un manguier, dans une cour du quartier de Bè, la mère d’Alofa Koimivi, assise par terre, hébétée, se frappe la poitrine en gémissant. Le corps de son fils de 18 ans repose sans vie à l’abri d’une bâche, une balle en pleine poitrine. Le père reste sans voix, il n’a pas de quoi payer les funérailles.

Samedi, tôt dans la matinée, le fief de l’opposition s’est embrasé. Des milliers de manifestants répondant à l’appel des partis hostiles à la prise de pouvoir inconstitutionnelle de Faure Gnassingbé, le fils du général Eyadéma, décédé le 5 février, ont dressé des barricades et enflammé des pneus. Les forces de sécurité ont encerclé la zone, entamant dans chaque rue un pas de deux avec les manifestants armés de pierres.

Bérets. Au fil des heures, le dispositif de sécurité se renforce : bérets rouges du régiment parachutiste togolais et bérets verts de la garde présidentielle font leur apparition, en même temps que les Jeep armées de mitrailleuses lourdes. L’intimidation reste l’arme principale face à une population que trente-huit ans de régime militaire ont rendue prudente. Armés de bâtons, les gendarmes se contentent souvent de faire reculer les manifestants, bastonnant sévèrement ceux qu’ils interpellent. Mais, à Bè Kpota, les forces de l’ordre ouvrent le feu : officiellement, il s’agit d’un cas de légitime défense, deux gendarmes sont grièvement blessés, rapporte le communiqué du gouvernement qui fait état de deux morts parmi les manifestants. L’opposition annonce quatre victimes.

Dans les ruelles de Bè, les jeunes sont survoltés. La colère le dispute à la peur. «Le Togo n’est pas une monarchie.» «Nous ne sommes pas des chiens, nous avons droit à la démocratie.» Beaucoup se réclament de Gilchrist Olympio, l’opposant en exil, fils du président Sylvanus Olympio, tué par la junte en 1963. «Dans la fonction publique, ce sont des Kabyé (l’ethnie de l’ex-président Eyadéma), dans l’armée, ce sont des Kabyé, à l’Office togolais des phosphates, des Kabyé.» «Je ne peux pas envoyer mes enfants à l’école, je suis un papa vaurien», se plaint un cadre hôtelier dont le salaire n’a pas été payé depuis neuf mois. Aux slogans hostiles au régime se mêlent de hargneuses diatribes contre la France, accusée de soutenir le pouvoir en place. Les références à la chasse aux Blancs organisée en Côte-d’Ivoire sont omniprésentes. «Ici, on a l’ambassade et deux écoles françaises, on va tout brûler.» Beaucoup voient en Charles Debbash, le conseiller français de la famille Eyadéma, un envoyé de l’Elysée pour truquer la donne de la politique togolaise.

Hier, le calme était revenu dans la capitale. Mais l’opposition n’a pas l’intention de relâcher la pression, elle prévoit pour lundi une journée Togo mort. Une opération similaire organisée au début de la semaine a connu un succès mitigé.

Silence. Depuis son arrivée au pouvoir, le 6 février, Faure Gnassingbé s’est contenté d’une brève adresse à la nation diffusée par les médias publics. Un silence qui reflète l’embarras suscité par les vives réactions des instances africaines, dont la fermeté ne se dément pas. Beaucoup ont compris qu’une brèche s’est ouverte. «Il a fallu un peu de temps pour réaliser qu’Eyadéma était mort, explique un Togolais, maintenant, nous devons nous mobiliser, sinon nous risquons d’en reprendre pour quarante ans.»

Quelque 1 500 manifestants ont défilé hier à Paris, à l’appel du Comité togolais de résistance, pour réclamer la «liberté au Togo» et l’arrêt du «soutien de Jacques Chirac» au pouvoir en place à Lomé.

Par Virginie GOMEZ
Lomé envoyée spéciale
lundi 14 février 2005

© Copyright Liberation