19/04/2024

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Les problèmes électoraux actuels en Afrique

« Sortir de la domination, c’est démanteler le mécanisme même de la domination ».

Frantz Fanon

Le dimanche 17 juillet 2022, en fouillant ma vieille et épaisse paperasse, je tombe sur un article par moi publié en date du 12 novembre 1996, portant le titre ci-dessus indiqué. Ayant relu ce texte, il m’a semblé avoir été rédigé la veille ! Alors j’ai décidé de le republier in extenso, intégralement ! Comme voici.

De nos jours, l’idée que la démocratie s’avère incontournable pour la seconde décolonisation et pour un progrès digne de ce nom en Afrique, ne se discute plus. Si bien que même nos tenants de la dictature les plus indécrottables, les plus obtus, les plus rétrogrades, le reconnaissent au niveau de leur discours. Eux qui, dans la réalité, mettent en place toute une panoplie de procédures et de mécanismes qui, de facto, les aident à demeurer au pouvoir. Artificiellement.

Alors, le vote, les élections, qui devraient servir à réguler la vie socio-politique, à induire l’alternance démocratique sur notre Continent, ressortent comme une tragi-comédie, une mascarade bouffonne et, pour les patriotes, tel un véritable « parcours du combattant » comme l’a dit un protagoniste privilégié togolais.

Nous récapitulerons ci-après, en raccourci, les principales données constitutives de la triste problématique électorale actuelle en Afrique : volonté politique ; textes juridiques ; ordre chronologique de diverses consultations populaires ; campagne ; contentieux et recours ; installation des « élus » ; attitude de certaines puissances occidentales ; stratégie des démocrates. Nous avancerons enfin quelques suggestions pour les moyens et longs termes.

DE LA VOLONTÉ POLITIQUE

Comme suite à trois décennies des régimes post et néo-coloniaux, militaro-autocratiques et désastreux, l’avènement de l’État de droit et de la démocratie en Afrique commandait une volonté politique des acteurs de la vie socio-économique dans nos pays. Cette volonté allait éclore au début des années 1990, au sein des peuples du Continent. De farouche manière. Par contre, les tenants minoritaires de l’ordre ancien se mirent à résister, bec et ongles, au vent du changement. En d’autres termes, la volonté de cette minorité de la « politique du ventre » s’avère une volonté d’arrière-garde négative, réactionnaire. Elle va se traduire, globalement, en terrorisme d’État : répression féroce, monstrueuse, multiforme. Vraiment multiforme ! Ce qui va transformer nos pays en jungles sur lesquelles plane une terreur insécuritaire quotidienne, une épée de Damoclès permanente. Des jungles où l’ethnicisme et le régionalisme se trouvent, par le biais de la désinformation et de la manipulation, mis à contribution.

Pour les besoins de la cause, des circonscriptions électorales sont redécoupées …, de nouveaux préfets nommés, des chefs traditionnels déposés et remplacés par de plus dociles et stipendiés …

Mais – dialectique oblige – la volonté populaire, elle, s’est faite plus déterminée, plus radicale que jamais. Si bien que des élections vont quand même se dérouler, dans des circonstances toutefois aberrantes, déplorables, humiliantes pour les peuples. Lesquelles circonstances nous exposons brièvement ci-après.

TEXTES JURIDIQUES, CHRONOLOGIE DES CONSULTATIONS ÉLECTORALES

La constitution (ou loi fondamentale) de la République, le Code électoral, les lois d’application et autres textes réglementaires forment la base juridique du fonctionnement démocratique de tout État de droit. Ils instituent le régime politique global, répondent aux questions de la citoyenneté, des diverses sortes d’élections. Qui peut être électeur et/ou éligible ? À quels âge minimum et maximum respectif ? Les citoyens vivant hors de leur pays peuvent-ils élire et/ou être élus ? Qui doit préparer et conduire les campagnes électorales ? Une Commission Electorale Nationale (CEN) indépendante ou le gouvernement conservateur en place ? Qui doit superviser et contrôler le déroulement des opérations sur le terrain ? La CEN secondée par des militants de l’opposition et appuyée par des observateurs étrangers ? Si oui, de quel pouvoir serait tout ce monde-là doté ? L’armée devrait-elle rester dans ses casernes afin de permettre la sécurité requise des populations au cours des campagnes électorales et des votes ? Quel ordre chronologique à assigner aux présidentielles, aux législatives et autres locales en vue de, dans un contexte socio-politique donné, limiter les magouilles, les trucages, les manipulations de tous genres et assurer un optimum de transparence des consultations ? À qui le rôle de proclamer les résultats ? À la CEN ? Au gouvernement ? À la Cour Suprême ? Qui doit traiter les contentieux quasi-inévitables sous un régime militaro-dictatorial ? La Cour Suprême ? La Cour Constitutionnelle ou autre ?  Y en a-t-il ? Si oui, est-elle véritablement indépendante ?

Au total, de manière éhontée, le système monocratique mettra tout en œuvre pour peser, en sa faveur, sur les contenus de ces textes et sur les compositions de ces institutions juridiques. Il les interprètera et les utilisera pour les besoins de sa cause. Il les amendera illégalement ou les violera carrément s’il le juge nécessaire pour lui. Ainsi, dans un pays francophone de l’Afrique de l’ouest, en 1993, un Code électoral (une loi donc !) a été modifié par simple décret afin de changer l’ordre prévu des différentes consultations populaires. Ou alors, ce système meublera lesdites institutions avec des hommes liges stipendiés. Il rejettera les résultats des examens médicaux de tel candidat, établis par des médecins des plus compétents du monde, sous prétexte que ceux-ci ne sont pas des nationaux. Il déniera, in extremis, l’éligibilité de tel ex-Premier Ministre qui pourtant a fait ses preuves, arguant que ses arrière-grands-parents n’étaient pas originaires du pays concerné ! Ce refus flagrant du changement va se retrouver au niveau de l’organisation des campagnes électorales.

DE L’ORGANISATION MATÉRIELLE DES CONSULTATIONS POPULAIRES

De notoriété générale, l’état civil en Afrique ne brille pas par sa fiabilité. Mais convient-il d’exagérer outre mesure cette réalité à des fins politiciennes ? C’est pourtant ce à quoi l’on assiste souvent dans nos pays. À cet égard, les pouvoirs publics préfèrent établir les listes électorales à la main … au lieu de les informatiser. Et ce, à l’ère de l’INTERNET : ça facilite des combinaisons diaboliques. « Les morts ne sont pas morts, mais les vivants, si ! » (Un compatriote togolais).

Une fois élaborées, ces listes ne seront affichées qu’à la dernière minute. De sorte, les électeurs n’auront pas assez de temps pour soumettre leurs réclamations éventuelles, pour connaître leurs lieux de vote.

Le budget relatif au scrutin relève de la portion congrue, cependant que des fortunes sont consacrées à la sécurité des plus hauts dignitaires de l’ordre décadent. Mieux, il arrive que des consultations populaires urgentes soient repoussées aux calendes grecques parce que, nous dit-on, l’argent manque.

Les bureaux de vote ne sont pas toujours installés à des distances raisonnables pour les intéressés. Les cartes d’électeurs font l’objet de tripotages, voire de marché noir !

L’isoloir ? On ira jusqu’à prétendre qu’il n’est pas indispensable ou, pour le moins, qu’il n’a pas besoin d’être discret ! De même, on niera la nécessité de transparence des urnes ! Le bulletin unique, qui a fait ses preuves aux États-Unis d’Amérique, en République Fédérale d’Allemagne, en Inde, en Namibie, en Haïti, etc., se voit systématiquement et furieusement rejeté, avec menaces à l’appui. En ses lieu et place, le bulletin individuelaux frais du candidat est imposé : il permet aisément l’achat d’électeurs sans scrupules.

L’encre ? Les tenants du régime dictatorial remueront ciel et terre afin qu’elle ne soit surtout pas indélébile … En somme, la monocratie s’opposera par tous les moyens à chaque proposition des démocrates et, puisqu’elle est assise en règle générale sur une armada, imposera les mécanismes sous-tendant la magouille, le trucage, le mensonge politique pur et simple. 

Dans le but d’empêcher des élections vivement souhaitées par les peuples, ou de les retarder le plus longtemps possible, on saccage le dépôt du matériel électoral ; on attaque, en cours de route, des camions acheminant ledit matériel !

Voilà comment, à la veille du XXIe siècle, des hommes assoiffés de pouvoir entendent organiser des scrutins populaires en Afrique. Faute de combattants, le combat cesse. Alors, il se passe que le dictateur déclenche des tueries massives et chasse ainsi du territoire, de fait, une énorme quantité des forces vives du pays. Il va sans dire qu’il ne permettra pas le vote des nationaux de la sorte exilé … Mais il y a pire, comme exposé ci-après.

LES CAMPAGNES ÉLECTORALES ET LE DÉROULEMENT DES VOTES

Nous connaissons des cas extrêmes où un pan entier – pour ne pas dire une moitié entière – du territoire se trouve, de facto, interdit d’accès physique aux vrais démocrates candidats légitimes des peuples avides de liberté, de dignité, de développement socio-économique viable et durable. De surcroit, on a même entendu des thuriféraires zélés du régime en place déclarer froidement, sans le moindre état d’âme, qu’un candidat démocrate éventuellement élu dans les chasses-gardées de l’autocratie ne se ferait guère de vieux os ! …

Les candidats artificiels, les candidats-alibis, les candidats faire-valoirsans crédibilité aucune, d’où est-ce qu’ils puisent leur budget électoral et comment se font-ils rembourser ? À la vérité, nos peuples ne le savent que trop bien … Quant aux candidats démocrates, la question des fonds électoraux constitue un réel problème.

Les médias officiels – instruments par excellence de désinformation, de manipulation et d’intoxication – s’avèrent monopolisés, confisqués par l’État réactionnaire. Celui-ci se fait « conseiller » par certains personnages européens sans vergogne, de triste réputation. Moyennant d’importants deniers de nos peuples. Les journalistes qui défendent la démocratie sont traqués comme de petits lapins dans un pré.

Le personnel _ de l’Administration – affecté aux opérations de vote n’affiche pas toujours la compétence requise. Les représentants des candidats démocrates, là où ils sont tolérés, se voient soumis à des pressions physiques, à des intimidations psychologiques inadmissibles. L’ordre et la sécurité laissent à désirer autour des postes de vote ; à leur place, règne une pagaille. Au totalde la malorganisationde l’inorganisation tout court.

Pour avoir osé protester contre un tel état de choses, de simples citoyens ont perdu leur vie – empoisonnés dans une geôle. Les tyrans ont poussé leur machiavélisme jusqu’à assassiner un député élu au premier tour. Pour terroriser les autres ?! Il advient que, durant les élections, des forces souterraines interviennent qui sèment la zizanie dans telle et/ou telle circonscriptions. Le pouvoir s’en prévaut pour annuler les scrutins dans ces circonscriptions. Et ceux-ci ne seront repris que bien plus tard, en violation du Code électoral, lorsque le pouvoir aura fini de tout arranger pour les « gagner » d’avance. Nos frontières héritées de la célèbre Conférence de Berlin (novembre 1884-février 1885) ne correspondent à aucune réalité historique ; elles abritent les mêmes ethnies de part en part. Ainsi donc, nos oppresseurs qui se donnent la main, opèrent-ils des fois des votes transfrontaliers … Grâce à des « votants » soudoyés.

La question des observateurs étrangers s’est transformée, elle aussi, au contact de la réalité, en une autre paire de manches.

DES OBSERVATEURS ÉTRANGERS

Tout dépend de leurs obédiences socio-politiques et/ou de leur éthique personnelle. Si, en effet, le Président Jimmy Carter et le député français Gilles de Robien ont pu qualifier certaines présidentielles, en leur temps, de pures mascarades, on a affaire aussi souvent à des prétendus observateurs qui, partisans de la politique du « lankon »[1] ou « politique du ventre » (Jean-François Bayart), se font acheter par l’autocrate dont ils cautionnent les malversations. En tout état de cause, qu’ils soient défavorables ou pas au régime moribond, les avis des observateurs ne semblent pas peser lourd dans la balance en règle générale.

Quant à la position de certaines puissances occidentales, elle relève de la fameuse « Raison d’État », de l’égocentrisme d’État, de la « Realpolitik », de chaque cas pris perse. L’une d’entre elles, qui aujourd’hui intime l’ordre à tel despote obscur africain de cesser immédiatement ses turpitudes d’un temps à jamais révolu et de déguerpir dare-dare du palais présidentiel, sera la même qui demain soutiendra mordicus tel autre monocrate africain aux rênes de sa monocratie. Les mêmes intérêts à courte vue obligent …

Dans ces circonstances, l’idée a priori séduisante de témoignages d’étrangers, s’avère une arme à double tranchent. Elle mérite donc d’être regardée à deux fois près par les démocrates africains. Mais que dire de la proclamation des résultats des élections sur notre Continent ?

PROCLAMATION DES RÉSULTATS

Ici, il y a lieu de se demander si l’on a en face de soi de la tragédie, ou de la comédie, ou les deux à la fois. Le pauvre président de la CEN (s’il y en a) sera convoqué et se faire signifier qu’il a le choix : dire le droit, la vérité – et périr – ou proclamer vainqueur « l’homme providentiel » – et avoir la vie sauve. Chacun de nous se souvient d’une situation récente où la proclamation des résultats a été purement et simplement interdite (!), le candidat présumé élu se retrouvant en prison, son épouse assassinée ! Ailleurs, la CEN sera bien bonnement dissoute et remplacée hâtivement par une autre fabriquée de toutes pièces par le « nouvel homme fort » qu’elle proclamera élu.

Les démocrates africains devraient méditer sérieusement ceci. Même lorsque l’autocrate battu se voit contraint de se plier au verdict des urnes, il fait semblant de se terrer. Mais, très vite, il fomente un coup d’État, ou saisit la première occasion pour s’emparer de nouveau du pouvoir. Nous observons ainsi revenir aujourd’hui déjà, au-devant de la scène publique dans maints pays de notre Continent, des dinosaures politiques rejetés hier seulement par nos peuples. À bon entendeur, salut !

Mais tout ce cynisme d’État, tous ces crimes d’État d’un âge antédiluvien, ne témoignent que des derniers soubresauts, des spasmes, des gesticulations d’un noyé essayant de s’accrocher à un brin de paille. Ce qui introduit nos propositions.

QUE FAIRE DONC ?!

Pour les démocrates africains, l’État post et néo-colonial décadent a transformé les problèmes électoraux en une véritable problématique, en un réel dilemme : participation ou boycott ? L’auteur de la présente note croit que nous ne saurions adopter, une fois pour toutes, l’une seule de ces alternatives. Nous devrions plutôt appliquer la méthode chère à Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine : analyse concrète d’une situation concrète. En d’autres mots, c’est le cœur chaud, la tête froide, en toute lucidité politique, ayant bien pris conscience de tous les enjeux politiques de l’heure, que nous devrions décider d’aller ou de ne pas aller à de telles ou telles élections. Nous devrions nous nous assurer tous les appuis extérieurs possibles.

D’où le devoir d’assistance humaniste !

De nos jour, l’humanité s’est quasiment totalisée, comme l’a prédit Pierre Teilhard de Chardin. Si bien qu’un nouveau concept du droit international vient de naître : celui du « droit d’ingérence »[2]. Pour ma part personnelle, j’incline à préférer le devoir d’assistance humaniste – comme formulation.

Oui, si l’on considère que le hold-up électoral est un crime contre l’humanité, puisqu’il bloque le progrès socio-économique et génère des tensions, des conflits, voire des guerres, nous suggérons d’assortir l’aide au développement de l’obligation d’élection démocratiques sous la supervision des bailleurs de fonds ; cette supervision devrait postuler le droit de regard sur les textes, leur application et les conditions de sécurité depuis six mois au moins avant la date prévue des élections  jusqu’à l’installation des nouveaux élus. Et ce, s’agissant notamment des élections présidentielles.

Mais cela suppose que nous nous présentions nous-mêmes consistants, cohérents et crédibles. En somme, cela commande que nous nous présentions comme une entité véridique de patriotes authentiques. D’où la nécessité incontournable de notre regroupement.

De la nécessité de l’union patriotique sacrée (!!!) des démocrates de chaque pays africain

Au prime abord, et pour modifier un tant soit peu en notre faveur le rapport de forces, il est notoirement indispensable de souder les rangs des vrais démocrates de chaque pays africain. Sur la base d’un véritable pacte de combat. Pour la création d’un État de droit seul susceptible d’accoucher de la vraie démocratie. Voilà l’unique moyen de tourner le dos à la pratique des stratégies personnelles et/ou partisanes, de ne plus considérer la problématique électorale en ordre dispersé et suicidaire. Voilà l’unique voie capable de nous permettre de revigorer le moral de nos peuples et de remobiliser ceux-ci. En bref, nous avons, à l’heure actuelle, impérativement besoin d’une stratégie commune, d’un programme d’actions communes de la lutte de nos peuples que nous prétendions incarner. Ensuite, il sied de faire un pas en avant, en direction de nos frères et sœurs combattants de la liberté des autres pays de notre Continent.

Pour un Panafricanisme en action ici et maintenant !

La vie a déjà démontré que les îlots de démocratie çà et là sur notre Continent ne sauraient point survivre en vase clos … Dès lors, il apparaît nécessaire que les démocrates de tous nos pays se disent que leur combat est un et indivisible. Dès lors, ils se doivent de se donner la main par-dessus les murs artificiels érigés entre nous par la colonisation. Et ce, non pas seulement par sentiment, par générosité, par fidélité à la même africanité qui nous colle à la peau, mais aussi et surtout pour la survie de l’État de droit et de la démocratie dans chacun de nos pays. La solidarité panafricaniste de démocratisation sur notre Continent.

Démocrates de tous les pays africains, unissons-nous !

Paris, le 18 juillet 2022


[1] En langue éwé, « lankon » veut dire gros morceau de viande ou de poisson

[2] Cf. (i) Mario Bettati : Le Droit d’ingérence. Ed. Odile Jacob, Paris, 1996. (ii) Alain Pallet : Droit d’ingérence ou devoir d’assistance humanitaire ? Ed. La Documentation Française, Paris, 1995.