28/03/2024

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Me Agboyibo du 07/04/2004

Propos recueillis le 07/05/04 par la rédaction letogolais.com

« POUR LE RESPECT DES ENGAGEMENTS DE BRUXELLES, L’OPPOSITION DOIT ETRE SOLIDAIRE »

Le premier responsable du CAR vient de terminer en Europe une tournée au cours de laquelle il a été reçu à Bruxelles par la Commission européenne, et à Paris par l’Elysée et le Quai d ‘Orsay. Il revient ici sur la problématique des récentes consultations entre l’UE et le Gouvernement Togolais, ainsi que sur ses propositions pour la structuration d’une opposition plus efficace…

LeTogolais.com: Vous venez de Bruxelles où vous avez rencontré des membres de la Commission Européenne, que faut-il retenir de cet échange de points de vues ?

Me Agboyibo : J’ai effectivement rencontré les responsables du département de la Commission Européenne en charge du dossier togolais. Nous avons échangé nos points de vue sur [les 22 engagements->https://www.letogolais.com/article.html?nid=1278] pris par le gouvernement togolais. J’ai retrouvé au Quai d’Orsay et à l’Elysée la lecture que Bruxelles se fait de ses engagements.

LeTogolais.com: On a beaucoup parlé à propos de ces engagements, de ce que l’UE exige du Gouvernement togolais, mais très peu de ce qu’elle attend de l’opposition ….

Me Agboyibo : Mes discussions avec le département Afrique de la Commission Européenne ont également porté sur le rôle de l’opposition dans la mise en oeuvre des engagements pris par le Gouvernement. Même si l’opposition n’est pas directement partie prenante aux consultations, elle n’en demeure pas moins concernée par les divers enjeux. En fait, dans un contexte normal, l’opposition est l’interlocutrice principale du Gouvernement dans un débat contradictoire pour le bien être des populations. C’est la particularité de l’environnement togolais, caractérisé par des années de répression et de matraquage qui a exacerbé la sympathie de la communauté internationale à l’égard de la lutte que mène notre peuple pour sa libération. De toute évidence, sous l’effet conjugué des synergies internes et du soutien de la communauté internationale, cette inversion va disparaître au fur et à mesure que les verrous anti-démocratiques sauteront.

« L’UE N’A CERTAINEMENT PAS EU L’INTENTION DE SE SUBSTITUER AUX TOGOLAIS… »

LeTogolais.com: Est-il juste de dire que l’expérience désastreuse des consultations antérieures a infléchi l’orientation des nouvelles consultations ?

Me Agboyibo : Les expériences antérieures doivent évidemment être porteuses d’enseignement pour une action plus efficace et productrice de résultats ! Il est vrai que des manquements ont été commis. La responsabilité du pouvoir est, à ce titre, incontestable. Les déceptions sont certainement à l’origine de ce qui ressemble aujourd’hui à un recentrage de l’approche bruxelloise des consultations avec le Togo : en 1999, l’Union Européenne avait laissé la mouvance présidentielle et l’opposition discuter entre elles avec l’assistance des facilitateurs. Sans doute marquée par ce qui s’est passé et instruite par les différents couacs de ce dialogue inter-togolais, l’Union Européenne a, cette fois-ci, exigé et obtenu que le gouvernement togolais prenne ses engagements directement vis-à-vis d’elle. Ceci dénote une optique empreinte de plus de fermeté à l’égard des pays ACP qui n’entendent pas se conformer aux prescriptions de l’Accord de Cotonou concernant les droits de l’homme, la démocratie et la bonne gouvernance. Je peux vous dire que cet état d’esprit est d’ailleurs celui de tous les partenaires actuels du Togo : ils éprouvent de plus en plus de réticence à entretenir des liens de coopération avec un pays non disposé à se doter d’un environnement institutionnel propice à une exploitation fructueuse des concours financiers extérieurs.

LeTogolais.com: Dans la mesure où l’UE a fait prendre directement des engagements par le Togo et a mis en place un processus du contrôle de leur respect, les plans de sortie de crise proposés par l’ UFC et le CAR ne deviennent-ils pas sans objet ?

Me Agboyibo : Je ne le pense pas. Les solutions proposées pour le dénouement de la crise conservent leur raison d’être. L’Union européenne n’a certainement pas eu l’intention de se substituer aux togolais dans la recherche de solutions à la crise. Il faut en réalité discerner deux volets dans les engagements qu’elle a fait prendre au Gouvernement togolais.
Le premier volet comprend tout d’abord les mesures visant à remédier aux cas des personnes actuellement détenues arbitrairement ou privées de la jouissance d’autres droits, civils ou politiques. A ce volet se rattachent également les engagements destinés à assurer l’indépendance des institutions chargées de la protection de l’Etat de droit : les cours et tribunaux, la Cour Constitutionnelle, la Commission nationale des droits de l’homme, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication… Seule l’impartialité de ces institutions est à même de soustraire au bon vouloir du Chef de l’Etat, le respect des droits et libertés des citoyens. Il convient enfin de ranger dans la même catégorie, les engagements tendant à faire en sorte que les prochaines élections se déroulent de façon équitable, transparente et régulière. Cette première série d’engagement n’est en réalité que le rappel des normes auxquelles le Gouvernement togolais a déjà souscrit à travers des conventions internationales, sa constitution ou des accords précédemment conclus avec l’opposition. Il ne pouvait être question d’en faire des sujets de marchandage avec l’UE. Ces engagements mettent ainsi face à face l’UE et le Gouvernement. Le seul rôle à jouer par l’opposition à leur propos est un rôle d’accompagnement et le cas échéant d’approfondissement notamment pour ce qui a trait à l’élaboration des nouvelles règles électorales et à la fixation du calendrier des futures élections.
Cela étant, il demeure, que ces premiers engagements, si importants soient-ils, ne sauraient produire les résultats escomptés sans l’instauration préalable d’un environnement socio-politique propice à leur mise en oeuvre.

« …A LA CLASSE POLITIQUE TOGOLAISE D’ABORDER LES PROBLEMES DE FOND… »

LeTogolais.com: Pouvez vous nous préciser davantage votre pensée ?

Me Agboyibo : Je me suis suffisamment expliqué sur ce point à d’autres occasions. J’ai eu notamment à montrer en quoi il est irréaliste de continuer à croire que les tenants du régime actuel seraient disposés à concéder les réformes pouvant déboucher sur leur départ du pouvoir, sans qu’on ait trouvé de solutions à leurs inquiétudes pour les lendemains et à bien d’autres pesanteurs qui hypothèquent gravement notre processus démocratique. Le constat vaut pour la plupart des engagements de la première série : le libre exercice des activités politiques, le financement des partis politiques, l’ouverture équitable des médias d’Etat aux partis d’opposition, le déroulement régulier des élections… La mise en oeuvre effective de ces engagements implique l’assainissement et la détente du climat politique actuel.

C’est dans cette optique que s’inscrit ce qu’on pourrait qualifier de second volet d’engagements : le dialogue national. Le dialogue inter-togolais n’aurait pas été recommandé s’il ne devait servir seulement qu’à approfondir les questions techniques déjà réglées en leurs principes à travers les engagements pris par le Gouvernement. Si l’Union Européenne a tenu à placer le dialogue national en tête des 22 engagements, c’est afin qu’il permette à la classe politique togolaise d’aborder les problèmes de fond, les véritables entraves au processus démocratique. Et c’est aux togolais de s’y atteler en ayant à l’esprit leur histoire et les réalités du terrain. C’est pourquoi l’Union Européenne a laissé au Gouvernement la responsabilité de rechercher, en concertation avec l’opposition traditionnelle, les solutions appropriées.

C’est dans cette perspective que les plans de sortie de crise proposés par l’ UFC et le CAR présentent leur utilité. Je rappelle que selon ces propositions, les élections en perspective doivent être précédées d’une cogestion transitoire impliquant entre autres mesures, la dissolution de l’assemblée monolithique actuelle et la formation d’un gouvernement de transition dirigé par un Premier ministre à désigner de manière consensuelle par la mouvance présidentielle et l’opposition à l’occasion du dialogue national. C’est à ce prix qu’a notre avis, on peut amener les différentes composantes de notre classe politique à s’accepter et à se donner des gages mutuels pour l’alternance politique.

LeTogolais.com: Et si le chef de l’Etat venait à nommer avant l’ouverture du dialogue national un premier ministre pour former un gouvernement d’union nationale?

Me Agboyibo : Ce serait la manière la plus éclatante de dévoiler sa mauvaise foi et de donner raison à ceux qui le soupçonnent d’avoir suscité les nouvelles consultations sans se soucier des changements nécessaires à la reprise de la coopération. Je pense que l’Union Européenne ressentirait mal que le chef de l’Etat tire prétexte du fait que l’ordre du jour du dialogue national préconisé soit laissé ouvert pour prendre unilatéralement une décision qui devrait symboliser la volonté des différentes composantes de la classe politique de se mettre ensemble pour reconstruire le pays. En tout état de cause, la personne qui serait nommée Premier Ministre dans ces conditions encourrait la lourde responsabilité historique d’avoir été l’instrument dont le Général Eyadema se serait servi pour contourner les engagements pris à Bruxelles et consolider son régime.

« IL EXISTE DANS L’OPPOSITION DEUX POLES MAJEURS : L’ UFC ET LE CAR… »

LeTogolais.com: Vous avez proposé pour la période transitoire, un Parlement intérimaire, comment seront désigné ses membres?

Me Agboyibo : Notre proposition est motivée par une exigence élémentaire : il est inconcevable qu’un gouvernement mixte soit soumis à l’investiture d’un Parlement exclusivement composé des membres du RPT. Cette anomalie doit être prise en compte. Il revient au dialogue national de déterminer le mode de désignation des membres de l’organe transitoire.

LeTogolais.com: Edem Kodjo insinue dans [son interview->https://www.letogolais.com/article.html?nid=1288] accordée à notre rédaction que « certains leaders de l’opposition avaient négocié avec Eyadéma ou étaient prêts de le faire ». Or, nous avons suivi récemment dans les médias publics et privés que vous avez tenté de négocier avec le Général Eyadéma et que cela a tourné en queue de poisson…Que s’est-il réellement passé ?

Me Agboyibo : J’aimerais m’abstenir de tout propos qui pourrait s’apparenter à un genre révolu de polémique. Le moment ne s’y prête pas. Je voudrais néanmoins à propos de l’insinuation dont vous faites état dissiper toute équivoque. On se rappelle que notre parti, le CAR a adressé le 19 novembre 2003 à Monsieur Romano PRODI, une lettre lui demandant de convier le Chef de l’Etat togolais à réunir l’ensemble de la classe politique et la société civile en un dialogue national. Le Chef de l’Etat étant la première personne concernée par l’initiative, j’ai jugé normal de lui transmettre copie de la correspondance envoyée au Président de la Commission Européenne. Le Seigneur aidant, il a désigné deux émissaires pour des échanges sur la démarche du CAR. J’en ai dûment informé la population par un communiqué de presse. L’idée fit son chemin et j’ai été heureux de constater que le Gouvernement s’y est rallié lors de la première réunion des consultations à Bruxelles. Vous convenez donc que le CAR n’avait pas tenté avec le Général Eyadéma, des négociations clandestines à des fins égoïstes.

« …LE CAR SE MONTRE EXTREMEMENT PRUDENT. »

LeTogolais.com: Dans une interview récente à l’hebdomadaire Crocodile, [Gilchrist Olympio évoque des négociations->http://www.ufctogo.com/article.php3?id_article=396] entre des partis de l’opposition, pouvez-vous nous le confirmer et nous dire à quoi elles pourraient aboutir ?

Me Agboyibo : Des contacts ont effectivement eu lieu et je peux même vous dire que ces échanges revêtent une importance toute particulière pour les responsables politiques que nous sommes. Seulement, en raison des expériences passées, le CAR se montre extrêmement prudent. Cette prudence qui est d’ailleurs partagée par nos interlocuteurs, est tout simplement dictée par le souci de ne plus commettre les mêmes erreurs et de fonder toute action future sur des bases claires et lisibles pour chacun des protagonistes. Nous considérons, au CAR, qu’il existe dans l’opposition deux pôles majeurs : l’ UFC et le CAR qui, tout en étant proches dans leurs objectifs et dans leurs analyses, ont des différences de style et de langage. Et si les deux partis ne ménagent pas leurs spécificités, ils risquent de se bloquer à de stériles inerties là où, procédant par convergences, ils seraient mutuellement plus performants. Ce qu’il importe de faire aujourd’hui, c’est que les partis qui se sentent en affinité se mettent ensemble en deux sous groupes et que les deux pôles s’accordent entre eux sur un mécanisme de coopération pour affronter les enjeux qui nous attendent.

De toute manière, pour le respect des engagements de Bruxelles, l’opposition doit être solidaire. Nous devons pour cela nous efforcer de mettre de l’ordre dans nos ambitions. Cela aura le mérite de nous éviter des luttes fratricides à l’occasion des échéances électorales en perspective. C’est le lieu de rappeler que c’est pour prévenir ces luttes collatérales que le CAR et trois autres formations de l’opposition ont crée le Front de l’opposition peu après ma sortie de prison. J’ai regretté que l’initiative ait tourné court. Le moment est venu d’en réactiver l’esprit.

LeTogolais.com: Qu’adviendrait-il si le Chef de l’Etat venait à violer de nouveau les engagements de Bruxelles ?

Me Agboyibo : On se souvient, à propos des engagements résultant du dialogue inter-togolais de 1999 que l’Union européenne s’était considérablement investie par les multiples missions des facilitateurs pour persuader le Chef de l’Etat à les honorer. Les échanges que j’ai eus le 29 avril dernier avec le Département Afrique de la Commission européenne m’ont laissé le sentiment que l’UE n’est pas disposée à recommencer l’expérience. Les seules missions visées dans son communiqué du 14 avril 2004, sont celles destinées à vérifier si les promesses faites sont respectées ou non. Et il est à craindre au cas où l’hypothèse négative que vous envisagez viendrait à se réaliser que l’UE ne s’en tienne à la règle du ‘’donnant-donnant’’ pour maintenir la suspension de la coopération, sans qu’il soit du reste exclu que l’effet d’irritation suscité n’entraîne un renforcement des sanctions actuelles. Ce serait pour nos populations un scénario catastrophique, compte tenu des années de souffrances qu’elles ont endurées. Il est impératif que le régime en tienne compte pour honorer cette fois-ci les engagements pris le 14 avril 2004 à Bruxelles.

LeTogolais.com : Merci…