18/04/2024

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Micheline RANDOLPH 01/02/03

Entretien réalisé le 01-02-03 au Canada par LETOGOLAIS.COM

Cette interview nous permet de donner la parole aux Togolais de la DIASPORA. Nous avons fait le choix d’interpeller des personnalités engagées ou non mais suffisamment représentatives de la communauté togolaise dans leurs pays de résidence. Il est vrai que les Togolais de la DIASPORA n’ont pas le droit de vote ; ils ne sont ni électeurs ni éligibles, mais leurs voix sont prépondérantes dans la crise que traverse le Togo depuis plusieurs décennies. Cet entretien est un message fort qu’ils envoient à tous les acteurs de la vie politique togolaise ainsi qu’à la communauté internationale, afin qu’ils prennent en compte les réelles aspirations du peuple togolais.

Letogolais.com : Madame Randolph, pouvez-vous, en quelques mots, vous présenter?

Micheline Randolph: Je suis née à Lomé, de parents enseignants. Après des études en Anthropologie à la Sorbonne à Paris, j’ai commencé ma carrière professionnelle comme assistante au Département de PHISSA de l’Université du Bénin au Togo en 1982. En 1985, j’ai été arrêtée par la police politique togolaise dans « l’affaire des tracts ». Je suis partie au Canada où je travaille depuis 1988 comme conseillère en Emploi. Je fais partie de la Communauté Togolaise au Canada (CTC) depuis sa création et je suis également depuis un an Secrétaire Permanente de la Diastode.

Letogolais.com : La communauté togolaise au Canada est-elle importante? Pouvez-vous nous la décrire ?

Micheline Randolph: Le nombre des Togolais est estimé à environ 1000 individus au Canada. Ce sont en grande majorité des jeunes regroupés dans les grandes universités, au sein de quelques associations estudiantines. Ils sont pour la plupart membres de la CTC (Communauté Togolaise au Canada). La CTC a été créée par un groupe de patriotes en 1991, à la suite des événements tragiques du Togo dans cette période. L’objectif était de rassembler tous les Togolais du Canada pour renforcer leur solidarité et veiller au respect de la démocratie et aux droits de la personne dans leur pays. La CTC est aussi membre de la Diastode (Diaspora Togolaise pour la Démocratie) depuis sa création en 1995.

Letogolais.com : Quelles sont les raisons et motivations essentielles qui ont poussé ces Togolais à émigrer?

Micheline Randolph: les étudiants sont venus poursuivre des études supérieures dans les universités et sont ensuite devenus des résidents permanents. Une première vague était arrivée il y a une trentaine d’années, puis une autre plus importante après 1990. Parmi ces derniers arrivants il y a ceux qui ont un statut d’étudiant qui sont de passage pour leurs études et également les enfants des barons du régime de Lomé II. A partir de 1986, arrivent les réfugiés politiques dont le nombre s’est accru à partir de 1993. Les indépendants, les moins nombreux, ont immigré à partir de l’Europe et sont des professionnels dans un domaine en pénurie au Canada : des professeurs, des chercheurs, etc.. On peut dire que la grande majorité des togolais est arrivée pour des raisons politiques ou économiques après 1986. La dictature d’Eyadéma, la dégradation économique du pays, la rupture de la coopération internationale du fait de l’entêtement du régime, ont poussé les Togolais, surtout les jeunes, à aller chercher une vie meilleure sous d’autres cieux. L’impopularité de monsieur Eyadéma et des autorités togolaises au sein de la diaspora et à l’intérieur du pays est sans égale. Nous pensons tous que cette situation n’a que trop duré et nous voulons rapidement tourner cette page. Les jeunes montrent des signes évidents d’impatience.

Letogolais.com : Alors, pensez-vous que le dialogue soit encore possible avec Gnassingbé Eyadéma?

Micheline Randolph: Honnêtement non. Monsieur Eyadéma n’a jamais démontré qu’il était une personne digne de confiance et nous savons tous ce que vaut sa « parole de militaire. Il est presque impossible de lutter contre une dictature avec des armes démocratiques. Avec la pression du peuple, la seule chose à négocier avec un dictateur serait sa sortie et celle de son équipe afin que leur sécurité physique soit garantie.

Letogolais.com : Gnassingbé Eyadéma a manifestement choisi la stratégie de la fuite en avant, estimant être le Président à vie du Togo. Y-a-t-il d’autres possibilités offertes aux Togolais pour lui imposer une alternance?

Micheline Randolph: Il y a 3 possibilités, ce qui ne veut pas dire que j’adhère aux 3. Un soulèvement populaire général structuré et encadré peut très facilement venir à bout de l’entêtement irresponsable du pouvoir. Une lutte armée demande une préparation et beaucoup d’argent pour acheter les armes. Elle doit être doublée d’une action diplomatique. Un coup d’état militaire peut venir des propres éléments de l’armée au service du dictateur et qui veulent en finir avec un pouvoir impopulaire et usé. Et s’il n’est pas organisé par un groupe de militaires démocrates prêts à laisser le pouvoir aux civils, nous risquons de voir perpétuer le même système que nous déplorons actuellement

Letogolais.com : L’union de l’opposition ou la fusion des partis, les appels des institutions religieuses sont des pistes tardivement explorées. Que pensez-vous de la stratégie des partis de l’opposition face à la crise actuelle?

Micheline Randolph: Le fait de se regrouper et de produire des communiqués n’est pas une finalité en soi. Il nous faut un leader permanent et une structure de lutte, un leader qui a une vision claire d’un combat pour déboulonner le socle d’une dictature. Il faut que les partis arrivent à mobiliser la population et à définir une stratégie de lutte. Notre opposition s’est souvent contentée d’être une opposition réactive plutôt qu’une opposition offensive. Elle devrait amener la dictature sur un terrain de lutte permanente et de harcèlement sans répit.

Letogolais.com : Pensez-vous que les initiatives de l’ex-Premier Ministre Agbéyomé KODJO et celles du député Dahuku PERE soient déterminantes dans cette lutte?

Micheline Randolph: Leurs initiatives ne sont pas négligeables mais pas déterminantes non plus. Je pense que si les Togolais ne s’étaient pas mis si nombreux en lutte ouverte contre le régime, au prix d’innombrables sacrifices depuis 1990, messieurs Agbeyome et Pere ne seraient pas sortis d’eux-mêmes des rangs pour créer une opposition au système Eyadéma. Leur ralliement à notre camp nous montre que le mur du système se lézarde et que la fin est proche.

Letogolais.com : La modification de la Constitution par les députés RPT le 30 décembre 2002, vous a-t-elle surprise?

Micheline Randolph: Je n’ai pas du tout été surprise par la modification ou plutôt par le changement de constitution, comme je n’ai jamais cru à l’accord-cadre ni à la soi-disant parole de militaire de monsieur Eyadéma. Mais une chose est sûre, le changement de la constitution est le point de départ d’une confrontation avec le régime jusqu’à la victoire finale. Cette situation a le mérite de rassembler enfin modérés, radicaux, pacifistes et belliqueux dans une même stratégie. Ceux qui pensent encore participer aux élections aux conditions de Monsieur Eyadéma, prendrons le train de la révolution populaire en marche.

Letogolais.com : Sentez-vous la révolte qui gronde dans la Diaspora?

Micheline Randolph: Oh, oui ! je la sens. De part mes fonctions, je suis en relation avec les Togolais au Canada, aux États-Unis, en France, en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, en Suisse et en Hollande. Je peux vous dire que cela bouge ! Il semble que l’Accord–cadre de Lomé avait ralenti les ardeurs et démotivé les Togolais; maintenant que les dés sont jetés, la population a besoin d’un peu de temps pour se réorganiser. Les effets vont se faire sentir d’ici quelques jours, à condition que les leaders aient les mêmes objectifs que le peuple togolais.

Letogolais.com : Selon vous, quel profil doit avoir l’homme qui peut rassembler les Togolais dans les échéances cruciales qui les attendent ?

Micheline Randolph: L’homme qui peut rassembler les Togolais dans les échéances cruciales qui les attendent doit, avant tout, avoir une vision claire de la lutte démocratique, jouir d’une popularité sur toute l’étendue du territoire, être une personne intègre ayant une bonne connaissance du terrain togolais et du réseau africain et international. Il aura besoin d’une forte assistance et d’une stabilité financière.

Letogolais.com : Croyez-vous à l’impartialité de Jacques Chirac et des autorités françaises pour dénouer la crise au Togo?

Micheline Randolph: Le Togo fait partie du pré carré français et est par-là même imbriqué dans des liens néo-coloniaux coercitifs avec la France. Voyez comme les leaders de l’opposition togolaise à tour de rôle passent par Paris pour y quémander des miettes d’attention au détriment des uns et des autres. Monsieur Chirac a volé personnellement au secours de la dictature togolaise en se portant garant d’une « parole de militaire » qui n’est que du vent en fin de compte. Avez-vous entendu une condamnation officielle de la France depuis le changement de la constitution fin décembre 2002? Monsieur Chirac a déjà déclaré, à plusieurs reprises, que monsieur Eyadéma est son ami. Cela veut tout dire. Tant que le peuple togolais ne se manifestera pas vigoureusement sur le terrain, les autorités françaises ne lâcheront pas leur ami Eyadéma. Les autorités françaises bougent toujours dans le sens de leurs intérêts et non dans celui des peuples africains.

Letogolais.com : Que pouvez-vous dire à la communauté internationale pour davantage la sensibiliser sur les drames que vivent les Togolais sous la dictature d’Eyadéma?

Micheline Randolph: Tout ce que je peux dire c’est que le Togo est au bord de l’explosion et on peut s’attendre à tout d’un peuple désespéré. La crise ivoirienne est déjà un conflit de trop dans la sous région La communauté internationale ne doit pas attendre qu’un conflit se déclenche avant de chercher des solutions. La prévention coûte beaucoup moins cher aussi bien en vies humaines qu’en argent.

Letogolais.com : Madame Randolph, les Togolais perdent patience. A quand la fin du régime Eyadéma?

Micheline Randolph: Je suis une personne optimiste et espère que ce sera pour cette année ! Je pense que même la patience proverbiale des Togolais a une limite et qu’ils ont déjà fait preuve de trop de patience. Aucun peuple de la sous région n’aurait jamais pu supporter cette arrogance et cette insolence de la dictature togolaise. Le peuple togolais doit se mettre en tête que Monsieur Eyadéma ne partira pas de lui-même et qu’il va falloir le destituer. Ce n’est pas en restant tranquillement dans son coin que la dictature va s’envoler toute seule comme par magie. Pour ce faire, il faut que tous les Togolais y contribuent à tous les niveaux et selon les capacités de chacun. Nous avons une responsabilité devant l’Histoire et devant les générations futures !

Letogolais.com : Nous vous remercions
Micheline Randolph: C’est moi qui vous remercie de l’opportunité que vous m’offrez de m’exprimer et je profite de l’occasion pour vous féliciter du travail professionnel et consciencieux que vous accomplissez.

Interview réalisée par letogolais.com