28/03/2024

Les actualités et informations générales sur le Togo

Où va la CFD ? Les vraies raisons d’un incompréhensible immobilisme

Après le charcutage de la Constitution, l’assemblée monocolore RPT a procédé jeudi dernier au laminage du Code Electoral, donnant ainsi au RPT toutes les bases législatives d’une prochaine élection présidentielle aux résultats préprogrammés. L’opposition qui s’attendait comme tous les Togolais à ce nième coup de force contre le processus de démocratisation continue de briller par le bruit assourdissant de son silence long et pesant. Il y a certes eu quelques timides réactions individuelles ; mais celles-ci n’apportent aucune réponse aux questions que se posent les Togolais.

Eyadéma partira-t-il en 2003 conformément à son propre engagement ? L’opposition ira-t-elle à la prochaine élection présidentielle ? Si oui, sur la base de quel Code Electoral ? L’opposition a-t-elle les moyens d’empêcher la tenue d’une nouvelle mascarade d’élection comme semble l’affirmer déjà Monsieur Jean-Pierre Fabre, le Secrétaire Général de l’UFC qui a déclaré à nos confrères d’Africa Numéro Un que « les prochaines élections présidentielles seront libres, démocratiques, transparentes et sans exclusive ou elles n’auront pas lieu ».

La presse s’attendait dès vendredi dernier à une réaction énergique de la Coalition des Forces Démocratiques (CFD) à l’issue de sa réunion du même jour. De sources proches de la Coalition, on indique que si réaction il doit y avoir, ce ne sera pas avant ce lundi soir au plus tôt. La plupart des observateurs de la vie politique togolaise voient à travers ce mutisme, la persistance d’un certain malaise au sein de l’opposition.

Depuis au moins deux semaines, la presse écrite et les sites Internet de la diaspora togolaise ont annoncé la mise en place d’une structure permanente de la CFD présidée par Gilchrist Olympio assistés de quatre vice-présidents et d’un secrétaire exécutif également désignés. Aussi bizarre que cela puisse paraître, à ce jour, aucune annonce officielle de la CFD n’est venue confirmer ou infirmer ces rumeurs.

Selon quelques bribes d’information que nous avons pu glaner auprès de certaines sources proches de la Coalition, il semblerait que des points de détails plus ou moins importants, bloquent encore la conclusion d’un accord global sur la mise en place d’une structure permanente de la CFD. Tout porte à croire que la presse est allée trop vite en besogne ; mais, ce faisant, elle n’a fait que son travail d’information.

Certaines rumeurs pessimistes considèrent même que, malgré les accords intervenus sur un grand nombre de points, il n’est pas exclu que le projet de mise en place d’une structure permanente avorte purement et simplement comme le fut celui de la candidature unique. Tous les leaders que nous avons interrogés sont unanimes pour dire qu’il vaut mieux prendre le temps nécessaire pour se mettre d’accord et annoncer quelque chose de solide et d’irréversible plutôt que de se précipiter pour annoncer quelque chose qui ne durera que le temps de l’annonce.

L’attitude de l’opposition face à la grave situation de notre pays peut surprendre ; elle peut paraître même irresponsable. Mais, il faut se garder de jugements trop hâtifs. L’opposition togolaise est compliquée parce qu’elle se trouve face à une situation togolaise elle-même complexe. Il semblerait qu’au-delà des prétextes évoqués par les uns et les autres pour bloquer le processus d’union forte de l’opposition, il y ait un débat de fond sur l’objectif même du combat contre la dictature et que, probablement par manque de courage politique, l’on refuse d’ouvrir au sein de la Coalition.

La plupart des leaders de l’opposition avec qui nous avons discuté, reconnaissent que le combat de l’opposition est marqué par le chevauchement entre trois mouvements parfois difficiles à concilier que sont le mouvement démocratique, le mouvement pour la conquête du pouvoir et le mouvement populaire autour du contentieux historique entre Eyadéma et Gilchrist Olympio.

Le mouvement démocratique se veut l’incarnation d’un combat patriotique qui se fixe pour objectif de libérer le Togo des pesanteurs de la dictature et du totalitarisme pour donner aux Togolais, la possibilité de choisir librement leurs dirigeants et de participer à différents niveaux, à la vie démocratique nationale. Jusqu’en 1998, la CDPA et son énigmatique Secrétaire Général, Messan Gnininvi, a été pour beaucoup de Togolais, surtout les jeunes et les intellectuels, l’incarnation de cette lutte patriotique. Dans le sillage de la CDPA, il semblait s’être dessiné un véritable courant patriotique comprenant des mouvements et partis dirigés par des jeunes loups que sont Antoine Folly, Brigitte Améganvi, Tavio Amorin, Claude Améganvi. Logo Dossouvi, Isidore Latzoo ou encore Eloi Koussawo.

L’élection présidentielle de juin 1998 et le score attribué au candidat de la CDPA (moins de 1%) ont quelque peu assommé ce courant dont l’esprit continue néanmoins d’animer les jeunes et les intellectuels même si le leadership de la CDPA s’est un peu estompé.

Le mouvement pour la conquête du pouvoir tient plus d’un faisceau d’attitudes que d’un courant organisé autour d’une « idéologie ». Il se caractérise par une farouche volonté de conquérir le pouvoir suprême. L’UTD (aujourd’hui CPP) d’Edem Kodjo et le CAR de Maître Agboyibo sont les deux incarnations parfaites de ce mouvement. Mieux que tous, les leaders de ces deux partis ont compris que, défendre de belles idées, de belles idéologies, c’est bien, mais que, seule la détention effective du pouvoir permet de réaliser ces idées. C’est au nom de ce principe somme toute, incontestable, que ces deux responsables sont, sur l’échiquier politique togolais, les incarnations vivantes de ce qu’on appelle, l’ambition légitime du pouvoir.

Le combat que mène Gilchrist Olympio contre le général Eyadéma peut difficilement être déconnecté du contentieux historique entre les deux hommes ; Eyadéma et Gilchrist se servent l’un de l’autre et finissent par créer un statu quo dont toute la vie politique nationale semble devenue l’otage. Certains pensent que le contentieux historique Eyadéma – Gilchrist né dans le sang, ne peut finir que dans le sang, d’où la référence permanente d’Eyadéma au risque de guerre civile.

Sur cet aspect du problème, il convient d’édifier les Togolais. La propagande officielle attribue au leader de l’UFC des tentatives de coup d’Etat contre le régime du général Eyadéma ; mais, aucun élément sérieux n’a jamais existé permettant d’accorder le moindre crédit à ces allégations. La Conférence Nationale Souveraine semblait avoir marqué le début d’une nouvelle ère politique dans notre pays ; le combat pour la conquête du pouvoir était censé devenir un combat exclusivement politique.

L’attentat de Soudou dont une enquête internationale a clairement établi l’implication des hommes liés au régime, a donné un coup d’arrêt au nouvel ordre politique établi par la Conférence Nationale Souveraine. Cela veut dire que c’est Eyadéma qui refuse de situer ses rapports avec Gilchrist Olympio sur le terrain politique et qui en fait un sujet de guerre civile, faisant du même coup, de la lutte politique de l’UFC contre le régime du RPT un combat au corps à corps pour la survie physique. L’exclusion constitutionnelle de Gilchrist Olympio participe de ce refus définitif d’Eyadéma d’affronter le fils de Sylvanus Olympio sur le terrain politique.

Si l’on ajoute à tout ce qui précède, des considérations géopolitiques et historiques, c’est donc tout rationnellement que l’on retrouve à la tête de la structure permanente annoncée par la presse, ce que certains appellent « la bande ces cinq » à savoir, Gilchrist Olympio, Agboyibo, Kodjo, Ayéva et Gnininvi, le même groupe qui s’était retrouvé trois ans durant face au RPT au sein du fameux Comité Paritaire de Suivi (CPS) pour les négociations inter togolaises.

Chacun de ces leaders pris individuellement, constitue une forte personnalité, mais n’est pas sans poser problème. D’où l’idée force de la CFD de les réunir ensemble dans une même structure, autour d’un objectif simple, celui du combat pour le départ d’Eyadéma et l’instauration de la démocratie au Togo. La réussite de cette entreprise nécessite qu’entre ces hommes de fortes personnalités, s’instaurent un minimum de confiance, une trêve effective des rivalités et une réelle volonté de travailler ensemble sans arrière-pensée pour atteindre l’objectif de la démocratie pour le Togo.

Lorsque s’est posée la question de la présidence permanente de la CFD, un consensus s’est vite dégagé autour du nom de Gilchrist Olympio ; il s’agit pour certains, d’un simple geste de solidarité et pour d’autres, d’un acte de défiance vis-à-vis du régime. Mais dans aucun cas, ce choix ne s’est fait sans quelque appréhension. Par hypocrisie ou par calcul politique, les gens n’auraient pas tenu en réunion de la CFD, les propos qu’ils tiennent hors réunions aux journalistes. Chacun continue d’accuser l’autre de mensonge et de vils calculs politiciens.

Il existe aujourd’hui auprès de certains leaders de la CFD, une réelle appréhension que leur lutte pour la démocratie ne se confonde avec un alignement pur et simple sur Gilchrist Olympio dans le contentieux personnel qui l’oppose à Eyadéma. A cette appréhension, il faut ajouter le refus irréversible de chacun des candidats potentiels de se sacrifier au profit de l’un d’entre eux.

L’adoption jeudi dernier par l’assemblée RPT d’un nouveau Code Electoral ne fera que compliquer davantage une situation déjà bien complexe au sein de l’opposition ; il y aura des choix difficiles mais clairs à effectuer qui pourront définitivement sonner le glas de la CFD et renvoyer à la situation de 1998 avec les risques que l’on sait.

Crise de confiance, forte inimitié mutuelle et ambition légitime du pouvoir semblent être les vraies raisons d’un immobilisme bien réfléchi de l’opposition togolaise. Bien malin qui saura prédire de quoi demain sera fait au pays de la CFD.

Gilbert MESSANGAN