28/03/2024

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Paris et Berlin font des analyses contradictoires de la crise au Togo

Paris, par la voix de Jacques Chirac, lui a adressé ses « félicitations » et ses « voeux de plein succès » . L’Allemagne s’en est bien gardée, préférant exprimer ses « doutes concernant le déroulement des élections » du 24 avril qui ont porté Faure Gnassingbé à la présidence du Togo. La Commission de Bruxelles a sobrement « pris note » de l’élection du fils du défunt dictateur Eyadéma officiellement proclamée le 3 mai. Synthèse européenne ? Non, car le Parlement européen a mis les pieds dans le plat, jeudi 12 mai, en affirmant qu’il ne pouvait pas « reconnaître la légitimité » de M. Gnassingbé.

Trois semaines après un scrutin très controversé suivi d’émeutes, le nouveau président est non seulement en quête de partenaires au sein de l’opposition, pour constituer le « gouvernement de large union » qu’il a promis, mais aussi d’une légitimité internationale que les fraudes constatées lors du vote et la répression rendent incertaine. M. Gnassingbé a obtenu un brevet de respectabilité de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) dont les observateurs avaient avalisé le scrutin, au grand dam de l’opposition qui estime que la victoire lui a été volée. Les Etats-Unis lui ont même donné du « président Gnassingbé » , tout en l' »exhortant à mettre fin à la violence » .

Mais c’est surtout dans ses relations avec l’Union européenne, dont l’aide a été suspendue voici douze ans pour manquements graves à la démocratie, que se joue l’avenir du Togo. Officiellement, le retour de cette manne, qui doit récompenser la satisfaction de 22 conditions liées au retour des libertés démocratiques, figure au premier rang des priorités du nouveau président. Les négociations sur ces 22 points étaient d’ailleurs déjà avancées au moment du décès de son père. Or il se trouve que les deux principaux partenaires diplomatiques du Togo ­ la France et l’Allemagne ­, garants potentiels de ces avancées, sont loin de partager le même regard sur l’élection togolaise et de nourrir des exigences identiques quant à la démocratisation de ce pays après 38 ans de régime totalitaire.

Cette rivalité n’est pas nouvelle : plongeant ses racines dans l’histoire coloniale qui vit la France et la Grande-Bretagne se partager le Togo allemand après 1918, elle s’est manifestée tout au long du règne Eyadéma. La République fédérale n’a jamais caché son hostilité à un régime considéré par Jacques Chirac comme ami de la France. Le récent scrutin n’a fait que renforcer cet antagonisme. Au point qu’un haut responsable diplomatique français estime qu' »il existe presque un conflit avec l’Allemagne sur le Togo » . « Peut-être une différence d’appréciation » , concède-t-on de source diplomatique allemande. De fait, alors que l’Allemagne n’a pas caché son scepticisme à l’égard de l’élection du 24 avril et sa réprobation à propos des interventions de l’armée, la France analyse comme un « moindre mal » l’arrivée au pouvoir à Lomé du fils Eyadéma.

Officiellement, la France ne fait que suivre les positions de la Cedeao dont les représentants, estime-t-on à Paris, « sont mieux placés que nous pour faire accepter des concessions politiques » . « Il faut faire évoluer l’idée selon laquelle les décisions se prennent à Paris » , avance-t-on encore.

Mais ce discours du désengagement masque une forte implication et des jugements marqués. Certes, reconnaît un autre haut responsable, l’élection de M. Gnassingbé a été marquée par des irrégularités, mais les résultats auraient été identiques sans fraude. D’ailleurs, fait-on valoir, « la pratique de la démocratie ne va pas s’imposer immédiatement dans un pays qui ne l’a pas connue depuis quarante ans. L’exigence est moindre, non parce qu’il s’agit de l’Afrique, mais parce qu’il s’agit d’une élection de sortie de crise » .

Réputée proche de l’opposant Gilchrist Olympio, l’Allemagne ne l’entend pas de cette oreille. Après avoir pesé pour que soit coupée l’aide européenne en 1993, elle place la barre haute pour son rétablissement. Deux épisodes récents risquent de compliquer le dialogue franco-allemand. Depuis le 6 mai, un ensemble de notes confidentielles d’un représentant de l’Union européenne au Togo faisant état de « présomptions de fraude massive » à la présidentielle, est diffusé sur un site Internet d’opposants togolais (diastode.org). Désavouées dans l’entourage de Louis Michel, commissaire au développement, ces notes n’ont toutefois pas été qualifiées de faux. Des rumeurs invérifiables, à Bruxelles, attribuent la fuite à une indiscrétion allemande, démentie à Berlin.

L’autre affaire concerne le sort de François Boko, le ministre de l’intérieur togolais démis de ses fonctions après qu’il eut dénoncé le processus électoral. M. Boko, avait choisi pour refuge l’ambassade d’Allemagne à Lomé. Mais cette situation lourde de tension germano-togolaise ne pouvait s’éterniser. Il a fallu les bons offices de la France auprès de M. Gnassingbé et de son armée pour que, le 5 mai, l’ancien ministre puisse quitter son refuge sans risquer sa vie et être exfiltré vers Paris. Tandis que, de source allemande, on exprime de la « gratitude » à l’égard de l’intervention de la France, on ne cache pas, à Paris, que ce service rendu vaudra un renvoi d’ascenseur, lorsqu’il s’agira d’aider le nouveau président togolais à sortir son pays d’un climat d’opprobre persistant.

Philippe Bernard
Article paru dans l’édition du 14.05.05