29/03/2024

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Propositions alternatives pour le dialogue inter-togolais

L’objectif de ces propositions alternatives et citoyennes en rapport avec le projet d’accord présenté à Lomé le 2 juin par Me Agboyibor (président du bureau du dialogue inter-togolais), est d’apporter une modeste contribution en tant que citoyen au débat politique en cours dans le cadre du dialogue inter-togolais et au sein des état- majors des partis politiques en vue d’ un accord de sortie de crise acceptable et durable pour notre pays.

I- Concernant le cadre électoral

1- La structure de gestion des opérations de vote

Le projet d’accord du 2 juin propose de rétablir la commission électorale nationale indépendante (CENI) dans sa pleine mission d’organisation de supervision des consultations électorales et référendaires. En effet, en l’absence d’une longue tradition d’indépendance de l’administration face au pouvoir politique dans nos pays, il est recommandé la création de commissions électorales indépendantes et impartiales.

Mais la composition proposée pour cette commission n’offre pas des garanties pour son impartialité dont elle doit faire preuve pour assurer le bon déroulement de tout scrutin et qui devra permettre aux observateurs d’évaluer la validité des prochaines élections.

La CENI et ses démembrements notamment, les Commissions électorales locales indépendantes (CELI), compte tenu de leurs compositions, ne seront pas dans les conditions d’exercer leurs pouvoirs de manière indépendante et impartiale ou d’assumer leurs fonctions sans peur, ni favoritisme, ni parti pris.

Pour ce qui concerne la composition de la CENI, il convient de faire une place à la société civile, notamment les autorités religieuses de l’église catholique, de l’église protestante et de la communauté musulmane et d’adopter une forme paritaire (opposition – majorité présidentielle – société civile).

On peut avoir une CENI composée de 9 membres:
– trois (3) membres représentant la majorité gouvernementale (RPT, CPP et PDR)
– trois (3) membres représentant l’opposition
– trois (3) membres représentant la société civile (autorités religieuses)

La présidence devra être confiée à la société civile comme dans le code électoral du Burkina Faso.

2-Les listes électorales

Pour la fiabilité des listes électorales, il importe de faire un recensement électoral comme l’admet le projet d’accord.

Mais il faut permettre à tout candidat, à tout électeur et à tout parti ou groupement politique de prendre communication et copie ou photocopie de la liste électorale ainsi que des tableaux rectificatifs.

Il convient donc de reformuler l’article 76 alinéa 1 du code électoral togolais qui reconnaît juste aux partis politiques légalement constitué un droit d’accès au fichier électoral, sans leur permettre de prendre communication et copie ou photocopie. Une telle disposition permettra d’éviter les tripatouillages des listes électorales et de renforcer la fiabilité des listes électorales.

Il faut revoir les dispositions concernant le contentieux des listes électorales.

Concernant l’établissement des cartes d’électeurs infalsifiables, on peut se rapprocher de la commission électorale ghanéenne qui dispose dans ce domaine d’une grande expérience reconnue dans la sous-région.

3-Les modalités des élections:

Le projet d’accord propose la mise en place d’une cellule pour procéder à l’étude des différents modes de scrutin. Il est souhaitable que les modalités des élections (modes de scrutin, durée de mandat…) soient précisées dans l’accord global du dialogue inter-togolais. Ci-dessous quelques propositions:

a)- L’élection présidentielle
– La durée du mandat
Une récente modification de la constitution a mis fin au principe de la limitation du mandat à deux. Le mandat présidentiel est désormais de cinq ans renouvelable. Il convient pour renforcer le principe de l’alternance, que le mandat soit limité à deux.
– Le mode de scrutin
Sous le régime de la Constitution approuvé par le référendum du 27 septembre 1992, le président de la République était élu au suffrage universel direct lors d’un scrutin majoritaire à deux tours. Maintenant le scrutin est uninominal à un tour. Là aussi, il convient de rétablir le principe d’élection à deux tours.

b)- Les élections législatives
Il convient de rétablir le principe selon lequel le premier ministre est nommé dans la majorité parlementaire en vertu du régime semi-présidentiel adopté par les Togolais lors du referendum constitutionnel de 1992.
Les députés sont élus au suffrage universel direct.
Suite à des tripatouillages constitutionnels, ils sont élus désormais au scrutin majoritaire à un seul tour. Il faut rétablir le principe du scrutin majoritaire à deux tours.
Il faut, pour éviter la transhumance politique avec la corruption des députés, source de conflits et d’instabilité politique, interdire à tout député de changer de partis sous une législature sous peine de perte de son mandat.
Il faut imposer un quota de 20 à 40% de candidats féminins aux partis politiques pour les élections législatives, municipales et préfectorales.

c- Les élections municipales et préfectorales
On notera que le Togo n’a pas jusque là organisé des élections municipales. Les mairies des villes togolaises sont dirigées par délégation.
Le gouvernement issu des prochaines élections législatives devra organiser les premières élections municipales et préfectorales.

4- Le découpage électoral

Le projet d’accord propose que le nombre de sièges de députés pour la commune de Lomé et de la préfecture du Golfe soit revu.

En effet, les circonscriptions délimitées à l’intérieur de chaque préfecture doivent tenir compte de l’importance de la population en vue du respect du principe démocratique d’égalité de voix et des électeurs.

Mais en pratique, il y a une injustice fragrante électorale qui bafouille le principe de l’importance de la population. Ainsi, le nombre des circonscriptions est inférieur dans des préfectures à populations à forte densité comme la préfecture du Golfe, alors qu’il est supérieur dans des préfectures à faible densité localisées dans d’autres régions du pays. Il faut donc revoir le découpage électoral.

Il faut donc mettre fin à ce découpage circonstanciel et intentionnel du Togo qui consiste à découper notre pays en circonscriptions électorales équivalentes qui ne tiennent pas compte de l’importance numérique ou de la densité des populations.

5- l’observation électorale

Avec le rétablissement de la commission électorale nationale indépendante dans sa pleine mission d’organisation et de supervision des consultations électorales et référendaire, la CENI doit avoir la gestion exclusive des observateurs internationaux et locaux.

a- Observation électorale par les partis politiques.
Il faut réaffirmer le principe de l’observation des opérations de vote par les délégués des partis politiques au lieu de désigner ces délégués comme membres des bureaux de vote tel que prévu par le projet d’accord dans son point 4.
En effet, plusieurs textes internationaux reconnaissent aux partis politiques le droit de surveiller les opérations de vote.
En vertu de «la déclaration de principe à l’observation internationale d’élections» adoptée le 27 octobre2005 par plusieurs OI (Union africaine, Union européenne…), les parties prenantes politiques devraient être autorisées à surveiller les processus électoraux et à observer les mécanismes y relatifs, notamment le fonctionnement des technologies électorales électroniques et autres dans les bureaux de vote, les centres de dépouillement du scrutin et d’autres installations électorales, ainsi que le transport des bulletins de vote et autres documents sensibles.
Notre code électoral reconnaît à chaque parti politique ou regroupement de partis politiques présentant des candidats et à chaque candidat indépendant le droit de contrôler par un délégué désigné, l’ensemble des opérations électorales depuis l’ouverture des bureaux de vote jusqu’à la proclamation et l’affichage dans ces bureaux. (Article 101).
En vertu de l’article 103, ils ont qualité pour assister à toutes les opérations de vote, de dépouillement des bulletins et de décompte de voix.
Mais en réalité ce texte n’est pas mis en œuvre soit pour des raisons économiques, soit parce que les délégués des partis politiques d’opposition sont chassés des bureaux de vote.
Pour éviter une telle situation, il est souhaitable qu’une indemnité de 500F CFA par représentant dans les bureaux de vote lors d’un scrutin, soit allouée par la CENI à chaque délégué.
De plus, en cas d’exigence de mandats à délivrer par les partis politiques au vu desquels est délivré un récépissé les accréditant dans les bureaux de vote, il faudrait que les formulaires soient fournis aux partis politiques tôt, à charge pour eux de les photocopier, de les remplir au nom de leurs représentants pour que les délégués des partis politiques ne soient pas refoulés à la porte des bureaux de vote.

b- L’observation des élections par la société civile
Il est aujourd’hui reconnu la nécessité de l’implication de la société civile dans le processus électoral en général et dans l’observation des élections en particulier, afin d’en garantir la crédibilité, la transparence et de prévenir les conflits pré-électoraux, électoraux et post-électoraux. Et, il est évident que la collaboration des observateurs internationaux avec les observateurs locaux permettrait de lever certains obstacles qui entravent l’efficacité de l’observation internationale électorale.
Il faut donc que ce droit soit reconnu à la société civile. Ce que le projet d’accord ne fait pas, même s’il est prévu au point 12 que «le processus de ces élections pourra être également suivi par les observateurs nationaux dans les conditions à définir par la CENI»
Au Togo, le gouvernement n’a jamais admis la participation des observateurs locaux dans les processus électoraux successifs malgré la pertinence des textes juridiques qui prévoient l’observation locale des élections, tant sur le plan interne que sur le plan international.
Il importe que soit mis en place un réseau d’observateurs locaux. Un tel réseau devra regrouper des organisations d’éducation civique et électorales, des confessions religieuses, des organisations des jeunes et des femmes, des syndicats, des Ong des droits humains et sera structuré d’un conseil national, d’une coordination nationale et des coordinations locales.
La présence en permanence de ces observateurs sur le terrain permettrait de couvrir toute la durée du processus électoral (de l’inscription sur les listes électorales à la proclamation des résultats). Ces acteurs sont à même de mieux maîtriser les législations nationales électorales, de connaître les acteurs, les enjeux du scrutin, la mentalité de la société contrairement aux observateurs internationaux.

c- L’observation internationale des élections
L’invitation des observateurs internationaux doit être faite exclusivement par la Commission électorale nationale indépendante pour éviter les missions dévoyées sollicitées par le gouvernement. Toute mission d’observation électorale doit être acceptée par la majorité gouvernementale et l’opposition. La CENI offre un cadre idéal pour une telle acceptation.
Il faudrait faire prêter serment les observateurs en leur imposant l’obligation d’être impartiaux et de respecter les codes de conduite
Les différentes missions doivent accepter d’être coordonnées y compris celle de l’Union européenne par les Nations Unies en vue d’une évaluation crédible et uniforme de ces élections.

6- Cadre budgétaire des élections

Pour le financement de nos prochaines élections, il faudrait créer un fonds d’affectations spéciales pour les élections alimenté par des apports étatiques avec le soutien des principaux partenaires de coopération au Togo comme l’Organisation Internationale de la Francophonie, et surtout l’Union européenne… Ce fonds devra être co-géré par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et la commission électorale nationale indépendante (CENI).

La commission électorale nationale indépendante doit être habilitée à solliciter le soutien financier du Nouveau Fonds des Nations Unies pour la démocratie (FNUD) et de l’Initiative européenne pour la démocratie et les droits de l’homme (IEDDH). Le budget de la CENI doit être établi par la Commission et non le ministère de l’intérieur.

7- Le décompte de vote>

Il est préférable que les suffrages soient décomptés directement dans les bureaux de vote, y compris ceux installés dans les casernes militaires, plutôt que dans des centres. On évitera ainsi d’avoir à transporter les urnes et les documents annexés, ce qui limite les risques de substitution.

Le décompte des suffrages doit être transparent. Il faut admettre formellement que les électeurs inscrits dans le bureau de vote puissent y assister ; la présence d’observateurs nationaux (société civile, délégués des partis politiques) ou internationaux doit être autorisée. Les procès-verbaux doivent être dressés en un nombre d’exemplaires suffisant pour qu’une copie puisse en être remise à chacun d’entre eux ; un exemplaire doit être immédiatement affiché.

II-Problèmes de sécurité

1-La sécurisation des élections

Afin d’éviter que des militaires togolais à la solde du gouvernement prennent en otage les opérations de vote et emportent les urnes, il faut renforcer les dispositions prévues par les articles 149 à 156 du code électoral qui prévoient des amendes et de emprisonnements en cas d’enlèvement (par groupe, avec ou sans violence) de l’urne.
Il faut donc une stricte application des dispositions pénales du code électoral et des lois subséquentes.

2- Le Conseil de sécurité intérieur

Il est à noter que la question de la reforme de l’armée et des autres forces de sécurité est une question récurrente, et que le dialogue inter-togolais n’offre pas le cadre adéquat pour la mise en œuvre effective de cette reforme, sauf à réaffirmer la vocation apolitique, le caractère national et républicain de l’Armée et des Forces de sécurité comme au point 17 du projet d’accord.

Il faut la création d’un conseil de sécurité intérieure (CSI) qui doit servir de forum pour entériner les différentes réformes des forces de sécurité et de défense qui interviendront aux lendemains du dialogue, et surtout à mettre en œuvre un code de conduite des forces armées et services de sécurité du Togo.

S’inspirant du conseil de sécurité intérieure institué en France par le décret du 15 mai 2002 et le Homeland Security Council (Conseil de sécurité nationale) institué aux États-Unis par le décret du 8 octobre 2001, le conseil de sécurité intérieure togolais pourra être présidé par le chef de l’État. Il comprendra:
-le Premier ministre,
-le ministre chargé de la Sécurité intérieure,
-le Garde des Sceaux, ministre de la Justice,
-le ministre chargé de la Défense,
-le ministre de l’Économie et des Finances.
D’autres ministres peuvent participer au Conseil selon les questions inscrites à l’ordre du jour.

Le CSI définira les orientations de la politique menée dans le domaine de la sécurité intérieure et fixera ses priorités. Il s’assurera de la cohérence des actions menées par les différents ministères, procèdera à leur évaluation et veillera à l’adéquation des moyens mis en œuvre.
Il devra se réunir une fois par mois à huis clos.
Le Président de la République devra nommer par décret, le secrétaire général du CSI. Celui-ci conduira, en liaison avec les ministères concernés et le secrétariat général de la défense nationale, les travaux préparatoires aux réunions du Conseil.

3- Le mécanisme national d’alerte précoce

La proposition du bureau du dialogue inter-togolais de la mise en place d’un mécanisme national d’alerte précoce est très louable. Il faut donc demander aux universitaires togolais spécialistes de résolution de conflits, de produire un rapport à mettre en œuvre par le prochain gouvernement sur le sujet pour

III- Au sujet de l’impunité

La mission de la commission «vérité et réconciliation» doit être bien précisée pour que la lumière soit faite sur toutes les violences politiques dans notre pays.

La lutte contre l’impunité dans notre pays suppose aussi de trouver une solution à la corruption au sommet de l’État qui prive nos populations de ressources considérables pour endiguer la pauvreté. Il est désormais établi que dans notre pays, en raison de la perte de l’indépendance et de la faiblesse du pouvoir judiciaire par ailleurs corrompu et du pouvoir législatif, la corruption s’est incrustée fortement dans tous les rouages du gouvernement par lequel passent les aides au développement et les prêts alloués.

Quand bien même nos dirigeants ont parlé de la nécessité d’avoir à rendre des comptes et de l’intégrité, rien n’est fait pour passer du stade de promesses à celui d’efforts réels. Rares sont nos dirigeants qui font une déclaration de biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat conformément à la Constitution. De plus, la mise en place d’institutions de lutte chargées de combattre la corruption comme la commission nationale de lutte contre la corruption et le sabotage économique (dont le siège est à la présidence de la République), ne produit guère des résultats escomptés car ces institutions sont sans réelle autonomie et sous pression du chef de l’État. Il faudrait renforcer l’autonomie de telles institutions et les préserver de toutes pressions gouvernementales, de leur faire rendre compte au parlement et au non au chef de l’Etat.

En ce qui concerne le parlement, son rôle d’autorité budgétaire doit être renforcé par le biais d’enquête de suivi des dépenses publiques.

IV- Au sujet des réfugiés et des personnes déplacées

Contrairement à la proposition faite par le bureau du dialogue inter-togolais de mettre en place un comité ad hoc pour appuyer les efforts du Haut Commissariat chargé des rapatriés et de l’action humanitaire, il convient de substituer à ce comité et Haut commissariat, un poste de ministère chargé des affaires humanitaire et des réfugiés et personnes déplacées dans le gouvernement de transition pour prendre à bras le corps ce dossier important et urgent afin de mobiliser les moyens d’État et solliciter les partenaires extérieurs (HCR, les pays d’accueil…) pour venir en aide à ces populations vulnérables.

V- La procédure du dialogue inter-togolais

Il est à noter que concernant certaines questions comme les modalités des élections et surtout les reformes institutionnelles, le projet d’accord du 2 juin recommande de mettre en place une cellule ou commission. Ces propositions du bureau du dialogue révèlent la mauvaise procédure adoptée lors de la première phase du dialogue.

En effet, au lieu de passer presque vingt jours (du 28 avril au 16 mai) avec les neuf délégations constituées de quarante-cinq personnes, à débattre en plénière une dizaine de points à l’ordre du jour, n’aurait-il pas fallu dès les premiers jours, répartir les délégués en autant de commissions (commission sur le cadre électoral, commission sur l’impunité, commission sur la reforme de l’armée, commission sur les institutions de transition, commission des reformes institutionnelles, etc.)?

Si chaque commission avait pu se plancher sur un seul point à l’ordre du jour, on aurait pu avancer en dix jours en obtenant des sous-accords sur ces différents points pour arriver à un accord politique général, quitte à faire appel à un médiateur indépendant pour concilier les dernières divergences.

Il serait souhaitable de repenser la procédure du dialogue inter-togolais. Pourquoi ne pas regrouper les différents points recensés lors de la première phase et dans le projet d’accord: à savoir,
– les réformes institutionnelles ;
– de la question de réforme de l’Armée et des autres composantes des Forces de sécurité ;
– du problème de l’impunité ;
– les questions de sécurisation des activités des partis politiques et des élections ;
– du règlement du contentieux du scrutin présidentiel de 2005 ;
– le cas des réfugiés et des personnes déplacées ;
– le financement des partis politiques ;
– l’appel à la reprise de la coopération ;
– la mise en place d’un cadre permanent de concertation sur les sujets d’intérêt national ;
– la mise en place d’un mécanisme de suivi de la bonne application des décisions du dialogue national ;
– la formation d’un nouveau Gouvernement,
en thèmes et sous-thèmes et les aborder en commissions?

Chaque délégation envoie dans une commission un délégué spécialiste du thème pour discuter à fonds les sujets, quitte à faire appel à un médiateur indépendant pour diriger les débats en commission et un médiateur en chef pour coordonner les travaux de toutes les commissions comme cela se fait lors des négociations de sortie de crise sous d’autres cieux.

Fait le 5 juin 2006
Paris (France)
K.T.