16/04/2024

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Sommet France-Afrique à Cannes : Apologie de la continuité…

Sommet de la rupture ou renforcement des rapports tumultueux et souterrains entre les chefs d’Etat africains et le locataire de l’Elysée? Au moment ou Jacques Chirac entretien encore un semblant de mystère sur son éventuelle candidature aux prochaines présidentielle dans son pays, l’Afrique des dirigeants se déplace à Cannes pour être rassurée…Le véritable centre d’intérêt de cette rencontre entre les chefs d’Etats Africains et leur parrain français réside dans cet impératif de préservation et de maintien des mécanismes occultes de la Françafrique quelle que soit l’issue du scrutin de mai prochain en France. En dépit des dénégations outrées des organisateurs de cette réunion, et des appels à une redéfinition des rapports et des méthodes, l’essentiel est ailleurs….

Par Franck Essénam EKON

« L’Afrique et l’équilibre du monde ». La nébulosité du thème est admirablement symbolique du cadre dans lequel s’inscrit ce 24è sommet France-Afrique: entretenir un flou artistique autour de la rencontre pour en dissimuler le véritable contenu. Il en a toujours été ainsi de ces rencontres et rien ne permet d’avancer que celle-ci dérogera aux principes consacrés depuis leur instauration. Au contraire, la proximité des élections présidentielles en France, les liens quasi-familiaux noués par l’actuel chef de l’Etat français avec les dictatures africaines et les contorsions conservatrices des réseaux parallèles, constituent autant de motifs incitateurs à la retenue ou au pessimisme les plus réalistes. Le contexte de ce sommet et les efforts presque ridicules déployés pour faire croire que c’est là l’occasion d’une refonte du paradigme françafricain mettent en lumière le fait que le système en lui même est loin d’une phase d’autocritique. En lieu et place d’un nécessaire bilan et d’une évaluation sans concession des errements occasionnés par presque cinquante ans de néo-colonialisme, on a droit à la traditionnelle morgue autoglorificatrice et soucieuse de persévérer dans son être…

C’est Brigitte Girardin, ministre française déléguée au développement qui offre la première piste pour dévoiler le vrai centre d’intérêt de ce 24ème sommet: « pour les chefs d’Etats et les ministres africains que j’ai rencontrés, l’image de Jacques Chirac est exceptionnelle. Ils sont inquiets parce qu’ils ne veulent pas perdre le meilleur avocat qu’ils ont jamais eu », explique-t-elle lors d’une interview au Figaro, avant d’insister sur « la dimension personnelle et affective » des relations entre l’actuel président français et les dirigeants africains. Lapsus révélateur ou maîtrise lacunaire de la langue de bois, on retrouve dans ces propos une synthèse féconde du bilan chiraquien en Afrique: liaisons dangereuses sur fond d’amitié ostentatoire pour des potentats en mal de légitimité, soutien physique et sans faille aux régimes chancelants, avec pour corolaire une implication à divers degrés dans l’organisation de la fraude électorale et la répression des opposants dans les pays concernés.

Un passif désastreux, mais parfaitement cohérent avec les intérêts et l’orientation politique d’un personnage pour lequel les frontières entre affaires publiques et affaires privées sont loin d’être évidentes. En deux mandats présidentiels, la totalité de ses interventions et des prises de positions s’est faite en faveur de dirigeants africains vomis par leurs populations. Son rapport officiel à l’Afrique est en permanence doublé d’une histoire secrète et clandestine: des hommes de l’ombre, des néo-mercenaires, des coups d’états téléguidés et de l’argent noir à profusion. Les togolais se rappelleront encore longtemps son air condescendant lorsqu’en juillet 1999, il déclara, devant un parterre de journalistes médusés, parlant des nombreux victimes de la répression militaire dans le pays pendant les élections de l’année écoulée  » il s’agit là…d’une opération de manipulation ». Il encouragera quelques instants après son « ami personnel Eyadéma » à porter plainte contre Amnesty international qui avait produit un rapport à ce sujet.

Le point le plus sensible de ce sommet sera donc l’apaisement des « inquiétudes » de la bande de filleuls pour lesquels la fin de la chiraquie ne doit nullement signifier fin du parrainage…Au moment où des voix de plus en plus fortes s’élèvent ici et là pour fustiger ce mode barbouzard de relations entre la France et les pays africains, il sera question, pendant ce sommet de rassurer et de conforter les régimes impopulaires africains dans l’idée que la France des réseaux sera à leurs côtés quel que soit le prochain chef de l’Etat. A ce sujet, Jérôme Bonnafont, le porte-parole du président français est formel: « Cette conférence ne s’inscrit pas dans l’après-Chirac », prévient-il comme pour sonner le glas de l’optimisme qui voyait en cette fin de règne des signes annonciateurs d’une autre vision des rapports entre la France et les Etats Africains.

En Guinée, au Tchad, au Gabon, au Congo-Brazzaville au Cameroun ou au Togo, pour ne citer que ces fleurons du réseau françafricain, on voudra un renouvellement ferme des serments occultes et la confirmation que « celui qui fait si peur actuellement dans les sondages » et « celle-qu’on-ne-connait-pas bien » ne viendront pas changer les bonnes vieilles habitudes de la maison. Il y a, par conséquent un réel enjeu d’immobilisme derrière le tintamarre du thème de « l’Afrique et l’équilibre du monde. » La continuité dans les pratiques mafieuses et la résistance de ce système à toute évolution sont rendues possibles et cautionnées par ce qu’il faut bien appeler un modus vivendi tacite dans la classe politique française: tout ce qui touche à l’Afrique doit rester ténébreux, obscur et opaque…Il y a donc lieu de modérer cette euphorie rêveuse qui consiste à penser qu’un changement à la tête de l’Etat français équivaudrait à une révolution dans ce système. Aujourd’hui devenu un serpent à plusieurs têtes, il se présente avec de nouveaux visages; la résultante et les finalités restent cependant les même: enrichissement mutuel entre les commanditaires français et les potentats africains. Dans ce labyrinthe où l’argent coule à flots et où omerta et fidélité sont règle d’or, il est presque inutile de rappeler ce sommet France-Afrique n’est pas seulement celui des chefs d’Etats et des politiques, il est aussi et surtout celui des vautours de tout genre rassemblés dans une coalition soudée d’intérêts anti-africains. N’en déplaise aux négrologues de l’acabit de Stephen Smith, la France n’a pas perdu l’Afrique, elle s’acharne, au contraire à pérenniser sa mainmise sur ce continent par le truchement d’une mise en scène scabreuse où l’hypocrisie le dispute au mépris….

La rédaction letogolais.com