18/04/2024

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Togo : le 3 Décembre 1991 éclata la piteuse guerre d’Eyadéma contre la Primature

IL Y A 21 ANS ÉCLATA LA PITEUSE GUERRE ÉYADÉMAÏENNE DE LA PRIMATURE : 03 DÉCEMBRE 1991

« Un peuple qui cesse de cultiver son histoire s’apparente à un arbre sevré de sa sève » Godwin Tété

Démarrée le 08 juillet 1991, dans le Palais des Congrès, notre historique, exemplaire et mémorable Conférence Nationale Souveraine (CNS) s’acheva le 28 août de cette même année. Le Chef de l’État togolais : Gnassingbé Eyadéma n’y aura passé que peu de minutes. Ā la séance inaugurale. S’agissant de la séance de clôture tenue dans la Salle Fazao de l’Hôtel du 2 Février, le « timonier national » n’y assista point. Il y eût été, de toutes les façons, copieusement hué ! Ā cet égard, Claude Améganvi nous avait préparés à « l’accueillir correctement »… Ce qui témoigne du niveau de l’impopularité dont il jouissait alors. Quant aux pontifes des Forces Armées Togolaises (FAT), on les y aura vus en tout et pour tout deux journées. On comprend dès lors aisément que le Chef de l’Etat et son armada prétorienne et pléthorique , loin d’accueillir volontiers les décisions de la CNS , allaient plutôt leur réserver des carquois entiers de flèches bien empoisonnées…

Et ce, d’autant plus que l’Acte N° 7 de la CNS, portant Loi constitutionnelle pour période de transition, stipule en son art.31 : « Les fonctions du Président de la République sont incompatibles avec toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et tout emploi privé ou public, civil ou militaire ou toute activité professionnelle. » De surcroît, la « loi des trente ans de service », inspirée par Éyadéma lui-même, mettait celui-ci à la retraite d’office depuis belle lurette déjà…

Alors, en vertu de cet article et de cette loi, le Premier ministre Joseph Kokou Koffigoh, par décret N°91-11 du 26 septembre 1991, met Gnassingbé Éyadéma « en position de non-activité » à compter du 27 subséquent. Mais le « timonier » oppose à cette mesure un mépris royal et continue à se targuer plus que jamais d’être le chef des FAT. Si bien que le journaliste Alpha Doumbia, se référant à un proche collaborateur du « général-président », écrit : « Le jour où vous demanderez à ce Monsieur d’abandonner son hélicoptère de commandement, la tenue-léopard et ses lorgnettes ; le jour où vous lui interdirez de présider aux manœuvres militaires, il sentira la terre s’effacer sous lui, et bien malin qui pourra prévoir ses réactions. »

Dans la même veine d’idées, mettant à exécution l’une des exigences les plus chères à la CNS, J. K. Koffigoh invite le « miraculé de Sarakawa » à faire rouvrir la rue qui limite au nord le camp des Régiments Interarmes Togolais (RIT) de Tokoin. La réponse s’énonce à peu près ainsi : « Venez vous-même exécuter votre ordre. » Et l’impopularité exponentielle de J.K. Koffigoh, qui aura maladroitement présenté ce cuisant revers au public, prendra son essor ici…
Comme quoi, « La force matérielle ne peut être abattue que par la force matérielle » (Karl Marx).

Le 1er octobre 1991, des « éléments incontrôlés » (à vrai dire en mission commandée) des FAT s’emparent de la Radio, de la Télévision, et obligent des journalistes à lire un communiqué proclamant la dissolution du Haut Conseil de la République (HCR). Ces soldats « incontrôlés » (en réalité très parfaitement régentés) réitèrent leur fidélité au « général-président » qui, quelques heures plus tard, leur demande de rentrer dans leurs casernes. Le bilan officiel… de cette sortie brutale, intempestive, se chiffre à cinq morts et une trentaine de blessés .

Le 8 du même mois, soit sept jours seulement après ce premier coup de force, un quarteron de militaires pénètre, vers deux heures du matin, l’Hôtel du 2 Février, à la recherche du Premier ministre Joseph Kokou Koffigoh qui y logeait. Mais, informé du grave danger, l’intéressé réussit à s’éclipser de sa suite avant l’arrivée des assaillants. De l’affrontement entre ces soldats et des jeunes Togolais, on enregistre une dizaine de morts et autant de blessés .

Notons que le premier gouvernement Koffigoh ne comporte aucun « RPTiste » avéré. Dès lors, le HCR est accusé, par le « guide éclairé », de mener « une politique d’exclusion »…
En tout état de cause, un sommet des pays de l’ « Entente » (Bénin, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Niger et Togo) s’est tenu à Yamoussoukro (Côte d’Ivoire) en septembre 1991. Sur invitation du président Félix Houphouët-Boigny. Faisant valoir la Loi fondamentale togolaise pour la période de la Transition, le premier ministre Joseph Kokou Koffigoh s’y est rendu (et non Éyadéma). Ce dernier et Houphouët-Boigny en seront vivement offusqués…

Les rapports entre les deux têtes de l’exécutif, d’une part, entre le Chef de l’Etat et le HCR, d’autre part, commencent à sentir mauvais… Ā sentir la poudre…
Et l’année 1991 va s’achever avec un autre terrible point d’orgue de la terreur blanche éyadémaïste . Point d’orgue dont la conséquence sera la remise en cause des acquis majeurs de la Conséquence Nationale Souveraine.

Nous avons vu que Gnassingbé Éyadéma n’avait pas accepté les décisions de la CNS. Plus précisément , il entendait récupérer la totalité de sa monarchie absolue, en accentuant sa stratégie de la terreur. Ā cet effet, tous les alibis sont bons pour lui. Et voici, en raccourci, l’histoire du 3 décembre 1991.
Les avanies et les calamités, les forfaits et les forfaitures, les bévues et les bavures, les abominations et les ignominies du régime Éyadéma sont si horribles, si inadmissibles, que le RPT a paru à la CNS tel « le mal absolu ». Si bien que les vrais représentants de la Nation togolaise allaient exiger, avec la dernière énergie, l’abolition de ce parti inique. De même que le parti nazi devait être aboli à la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est ce que reflète la Résolution N°3 de la CNS- ainsi formulée :

RÉSOLUTION N°3 PORTANT DISSOLUTION DU RASSEMBLEMENT DU PEUPLE TOGOLAIS –RPT, PARTI UNIQUE, PARTI-ÉTAT

« La Conférence Nationale Souveraine,
Vu la Constitution de la IIIè République du 8 janvier 1980 en son article 10, qui fait du Rassemblement du Peuple Togolais, parti unique, un parti-État ;
Vu les Statuts de ce parti en leurs articles 3,60, 61 alinéas 2, 65 et 66 ;
Vu la loi N°91/4 DU 12 avril 1991 portant chartre des partis politiques au Togo ;
Vu la déclaration du 27 mai 1991 faite au Ministre de l’Intérieur portant Dépôt de Nouveaux Statuts pour la création d’un parti politique dénommé parti du Rassemblement du Peuple Togolais ;
Considérant que la loi du 12 avril 1991 et la Constitution du 8 janvier 1980 susvisées sont deux textes législatifs dont l’illégalité n’est plus à démontrer, en raison de leur contradiction mutuelle ;
Considérant que le Rassemblement du Peuple Togolais, parti unique, Parti-État, par le non-respect de l’Acte fondamental (article 52 de la Constitution du 8 janvier 1980, prévoyant la modification) et au mépris de celui-ci a accepté de se saborder lui-même en permettant la création d’autres partis politiques par l’adoption de la loi du 12 avril 1991 ;
Considérant en effet que contrairement à son article 65 des Statuts, le Rassemblement du Peuple Togolais, parti unique, Parti-État, s’est effacé au profit du Rassemblement du peuple Togolais nouveau, créé suivant la Déclaration faite au Ministère de l’Intérieur en date du 27 mai 1991, et au mépris de tout congrès ;
Considérant que ce faisant, le RPT, Parti-État, n’existant plus que de facto, ne peut plus exister de lège, que c’est donc à juste titre que la Conférence Nationale Souveraine ayant adopté les Actes 1 et III de ses travaux, se doit de statuer sur l’existence du RPT, Parti-État.
En conséquence, décide :
Le Rassemblement du Peuple Togolais, parti unique, Parti-État, créé le 30 novembre 1969, est dissous. La totalité de ses biens sera inventoriée et liquidée au profit de l’État togolais.

Fait à Lomé, le 27 août 1991
La Conférence Nationale Souveraine »

Il incombait donc à l’Assemblée Nationale de la Transition, c’est-à-dire au Haut Conseil de la République (HCR), de traduire cette volonté nationale en loi. Et c’est le prétexte suprême dont va se servir le « général-président » pour mettre en branle sa soldatesque prétorienne contre la Transition : contre le peuple togolais !

Pour être véridique et complet, l’historien se doit de mentionner un autre « crime gravissime » représenté par la dissolution du RPT. En effet, en lieu et place d’Éyadéma, le Premier ministre participe au sommet franco-africain au Palais de Chaillot (Paris) en novembre 1991. Et ce, en conformité avec l’esprit et la lettre de l’Acte N°7 de la CNS. Mais quelle blessure de l’ego himalayen du « timonier » ! Trop, c’est trop ! Le dictateur décide de contre-attaquer, de sortir « ses moyens » comme il aime à le dire et à le faire.
Le 27 novembre 1991, l’armée prend le contrôle de Radio et de la Télévision, demande la dissolution du HCR et rejette, par anticipation, toute intervention de forces militaires étrangères… Elle abandonne ces lieux quelques heures plus tard, mais revient à la charge le lendemain. Puis les militaires regagneront leurs casernes le 30 novembre. Car, sollicitée par le gouvernement Koffigoh, la France s’engage à acheminer quelque trois cents (300) parachutistes au Bénin ….

Du 27 au 29 novembre, les militaires appellent, sur les ondes de la Radio, de façon répétitive : Claude Améganvi, Tavio Amorin, Cornélius Aïdam, Léopold Gnininvi, Zarifou Ayéva, Antoine folly, Francis Ekon, André Kuévidjen, à les joindre à l’état-major qu’ils ont installé à la douane de Kodjoviakopé ( Lomé-sud-ouest). Il va de soi que de telles sirènes permirent tout simplement aux appelés, ainsi qu’à tout le HCR, de se fondre dans la nature, dans la clandestinité…

Et le journaliste togolais Tètè Gaëtan Tété raconte la tragédie de l’attaque de la Primature (ancien « Palais des Gouverneurs » rebaptisé « Palais des Hôtes de marque ») – en date du 3 décembre 1991 : un véritable point d’orgue de la stratégie de la terreur d’Éyadéma :

« Pendant que les militaires togolais se livrent à des manœuvres d’entrées et de sorties intempestives de leurs casernes, des tractations officieuses se tiennent. Sur le plan intérieur, une délégation de cinq membres à la tête de laquelle : MM. Agboyibo et Kodjo, entame des pourparlers avec le Général. Il va sans dire que les partis de l’Opposition soutiennent, à travers leurs leaders, les institutions qu’ils ont contribué à mettre en place au cours de la CNS.

« Si les ténors de l’Opposition apportent leur soutien au Premier ministre, il n’en est pas de même de la part des gouvernants français. Dans ce bouleversement des données, la carte Koffigoh devenait incertaine.

« La France officielle est cartésienne. Elle sait à qui se confier ses intérêts. Un coup de fil entre Éyadéma et Mitterrand aurait scellé le destin des populations togolaises. En langage diplomatique destiné à la presse, Paris confirme : « Les 300 soldats qui ont débarqué à Cotonou le 2 décembre, ont pour seule mission la protection des locaux de l’ambassade de France à Lomé. » Ce qui donne le feu vert aux troupes d’Éyadéma. Le Ministre français de la Défense, Pierre Joxe, fera un tour à Cotonou. Les parachutistes français demeureront longtemps en « prépositionnement ». Mais quelques-uns d’entre eux auront tout de même démontré aux jeunes Béninoises leurs connaissances en matière d’autres positions ou positionnements plus sensuels. Quelques mois après leur départ, les maternités ont enregistré une montée en flèche des naissances de bébés métis. Ā défaut de courage sur le terrain des opérations militaires, les paras français ont démontré ailleurs leur talent d’étalon.

« Pendant que la France reste sourde aux jérémiades des Togolais, leurs compatriotes vivant en France se mobilisent pour faire pencher la balance dans le camp de la démocratie.

« Partis et associations créent le Comité Togolais de Résistance (CTR). Dans une interview, Brigitte Améganvi, qui en fut la porte-parole et celle de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme, déclare au micro de Radio France Internationale :

« Ce que nous attendons de la part des autorités françaises, c’est qu’elles exercent leur vigilance sur les institutions de la transition démocratique. Ce coup de force est une remise en cause totale du processus démocratique en cours. Et nous nous trouvons dans une situation qui bizarrement est similaire à celle que nous avons connue en 1963, où le Togo a été le premier pays où un coup d’État militaire a mis fin à un gouvernement présidé par un Chef d’État démocratiquement élu. Si ce coup de force réussit, cela risque, comme dans un effet de dominos, d’entraîner une remise en cause de tous les processus démocratiques en cours dans les pays africains.

« Le coup de force du 3 décembre 1991 va effectivement remettre en cause les acquis de la CNS. D’autres remises en cause suivront un peu plus tard, sous des formes diverses au Niger, au Congo-Brazaville, etc.
« 3 décembre 1991, 5h30 ; les programmes de la Radio alternent variétés françaises et communiqués militaires. Un groupe de soldats se présente au portail de la Primature aux environs de 6 heures. Ces hommes demandent à parler au Premier ministre qui est aussi le Ministre de la Défense. Ce dernier dit à ces militaires de s’adresser à l’État-major.

« Quelques jours auparavant, les hommes du Général ont voulu profiter du retour du Premier ministre pour le « cueillir » à l’aéroport. Mais la sécurité de la Primature ayant eu vent du complot, a demandé au Premier ministre de différer son retour, le temps de trouver remède à la situation. En fin de compte, le capitaine Epou qui a en charge la Sécurité de la Primature, s’est mis d’accord avec Joseph Koffigoh, pour que ce dernier rentre le 28 novembre.

« En ce mois de novembre, le Premier ministre Koffigoh avait assisté en France au Sommet franco-africain de Chaillot.

« Au retour de Koffigoh de Paris, les éléments de l’armée, fidèles à Éyadéma, n’ont pas pu intervenir, à cause du renforcement de la sécurité du Premier ministre et grâce à la sollicitude des Ékpémog.
« Après des précédentes tentatives, pressées d’en finir avec la transition démocratique, les troupes de Gnassingbé Éyadéma encerclent la Primature au matin du 3 décembre.

« Un sous-officier en service à la Primature au moment des faits, témoigne. En parlant des forces rebelles dans l’hebdomadaire Le Regard, il raconte : « La troupe était composée de trois corps : la FIR (Force d’Intervention Rapide), le RCGP ( Régiment Commando de la Garde Présidentielle) et le 2è BM (Bataillon motorisé). Les officiers qui sont identifiés sur le terrain étaient : Biténéwé (capitaine), Télou(capitaine), Sakibou (lieutenant). »

« De l’autre côté, les forces de la Primature avait à leur tête, les capitaines : Epou, Aboni ; les lieutenants : Agbélé, Awoumé, Tokfaï. Ā noter que trois officiers français encadraient les forces de sécurité de la Primature. Au début des hostilités, ceux-ci auraient filé à l’anglaise en direction de leur ambassade. En effet, un accord de coopération militaire franco-togolaise (du 23 mars 1976) stipule que les coopérants militaires ne doivent pas prendre part aux opérations de guerre, de maintien de l’ordre ou de rétablissement de la légalité.

« Les deux capitaines éyadémiesques : Biténéwé et Télou, entrés de tête de cortège, tentent d’user de la ruse pour amener les résidents de la Primature à se rendre. Nonobstant la détermination des 67 personnes des lieux dont 62 combattants armés et 5 civils, un sous-officier et quelques hommes se rendront. Au total, 7 hommes, qui d’ailleurs, seront les seuls à être tués côté Primature. En se livrant, ils ont été désarmés, puis chargés par le capitaine Biténéwé d’aller convaincre d’autres groupes de la Primature de se rendre.

« Les choses tragiques commencent avec l’arrivée par le côté face à lamer, du lieutenant-colonel Toyi Gnassingbé (demi-frère d’Éyadéma). Il dégaine son arme et tire sur les hommes de Koffigoh à l’extérieur de la Primature. C’est en ce moment que se produit une chose inattendue. Un essaim d’abeilles effrayé par les tirs s’abat sur les assaillants. Ces derniers détalent dans tous les sens, servant ainsi de cible aux forces loyalistes de la Primature. Les hommes d’Éyadéma tombent alors comme des mouches, au cours d’une courte bataille qui va durer environ 30 minutes.

« Une autre version de cette guerre fratricide, débute les hostilités à 6h15. Un char enfonce la porte. Le soldat qui assure la garde est la première victime. Des jeeps font irruption dans la Primature ; de même que trois chars qui prennent position, pendant que des dizaines de militaires essayent d’escalader la clôture. Un occupant de char hurle aux gardes de la Primature : « Déposez vos armes, déposez vos armes ! » Ils s’exécutent. Ils reçoivent l’ordre de se mettre en un groupe. Ils n’ont pas le temps de former le groupe, car aussitôt un mutin commence à les arroser de balles. Débandade et morts. Certains ont pu se cacher. Un soldat légaliste rescapé raconte : « La riposte ne se fit pas attendre. Nous attendîmes l’un des nôtres qui était dans la cour du bâtiment « rafaler » nos assaillants. C’est là que Télou et Gnassingbé furent atteints. Ainsi commença la tuerie. Les chars prirent pour cible le bâtiment ; c’est à ces moments qu’ils se sont entre-tués car ils avaient oublié que tout autour du bâtiment, il y avait leurs camarades … Les nôtres, certains cachés dans les puisards, d’autres parmi les fleurs touffues, sont passés inaperçus des assaillants ». Les militaires d’Éyadéma furent ainsi obligés de faire une pause pour se réorganiser. La seconde fois, ils eurent affaire à un essaim d’abeilles qui les pourchassa. Et le même témoin de comparer la prestation de ses adversaires à « une fusillade entre paysans ».

« Ce défenseur de la Primature rendra hommage à la représentante du Comité International de la Croix-Rouge, Mme Marguerite Contat, qui a passé la nuit, adossée aux portes du pavillon militaire du CHU de Tokoin, afin que ses camarades et lui-même ne soient pas exécutés par les militaires d’Éyadéma.
« Le commandant de la Garde présidentielle, le demi-frère d’Éyadéma, Toyi Gnassingbé est abattu par un officier légaliste . Toyi Gnassingbé avait coutume de dire « Etu si nsin lé » (La puissance est au bout du fusil), se moquant de la chanson en éwé qui dit : « Fofo si nsin lé » ( La puissance appartient à Dieu.)

« L’envoyé spécial de RFI, Jean-Karim Fall, accouru à Lomé quelques heures plus tôt, allait vivre un des reportages en direct les plus rocambolesques de sa carrière. Un vrai scoop ! On eût dit que les putschistes avaient attendu l’heure H des informations de la matinée pour déclencher les hostilités.

« Quelques minutes auparavant, le journaliste français avait expliqué, dans un premier direct, comment dès l’aube, les chars avaient pris position aux abords de la Primature située au bord de l’Océan. Il avait notamment fait le point sur les exigences des militaires, à savoir : la dissolution du Haut Conseil de la République. Le journaliste avait observé que le général Éyadéma, pour une fois, s’alignait explicitement sur la revendication de ses hommes. J.-K. Fall avait insisté sur les dix proppositions du Premier ministre Koffigoh, propositions parmi lesquelles : la formation d’un nouveau gouvernement tenant compte de toutes les sensibilités politiques du pays ; la révision de la baisse des indemnités accordées aux membres du Haut Conseil de la République. Puis au cours de l’édition suivante du journal, voici ce que l’on pouvait ouïr.

« La présentatrice RFI. – jean-Karim Fall, vous avez des nouvelles assez pessimistes à nous communiquer…
J.-K. F. – Oui Danielle ! On est loin d’un accord, puisque depuis dix minutes, des tirs nourris d’armes automatiques sont entendus à Lomé.De l’endroit où je me trouve, je ne peux rien voir, mais les tirs viennent bien entendu de la zone de la Primature (…). Ils ont duré un bon quart d’heure. Là, il y a une accalmie relative… Tenez ! Là, à l’instant là, là … (Les auditeurs entendaient les bruits de canons.)
La présentatrice RFI. – Oui, effectivement , oui …
J.-K. F. – Ils viennent de revenir là … Vous avez entendu ?
La présentatrice RFI. – Oui … Absolument ! Oui…
J.-K. F. – Donc je crois que l’assaut de la résidence du Premier ministre a commencé. Restons toutefois au conditionnel. Mais je ne vois pas quel genre d’objectif les militaires pouvaient attaquer à Lomé avec un tir aussi nourri. Je vous rappelle qu’à l’intérieur, il y a une cinquante de soldats loyalistes qui sont relativement bien équipés. »

Un sous-officier en exil, cinq ans après les faits, raconte :
« La force de défense de la Primature n’avait pas voulu déposer les armes, mais Koffigoh, en tant que civil n’ayant jamais entendu des coups de canon, a demandé le cessez-le-feu parce qu’il croyait que sa troupe était complètement anéantie. Il ne savait pas ce qui se passait réellement. Et malgré le refus du capitaine Epou, il a insisté. Et là, j’ai vu notre drapeau sortir et remis à la troupe envahissante.

Joseph Koffigoh ramené à Lomé 2 (résidence d’Éyadéma), sera reconduit dans ses fonctions. C’est une etape cruciale de la transition. Le Premier ministre sortira métamorphosé de la résidence Lomé 2. Sa marge de manœuvre en ce qui est de la gestion de la Transition, sera considérablement réduite. En somme, Me Koffigoh ne sera plus le Premier ministre de la Transition, il devient l’homme du général Éyadéma. Cela, la population ne le sait pas encore. Jo Ko Ko sera applaudi pour avoir résisté aux assaillants pendant de longues minutes avant reddition.

Éyadéma venait de gagner son premier duel contre la Transition. Le combat à venir va consister à recouvrer l’intégralité de ses pouvoirs d’antan. Une politique de reconquête savamment élaborée par ses militaires et ses conseillers de l’extérieur, avec la bienveillante et tacite protection d’une partie de la France officielle. De la Françafrique (Godwin Tété.)

Ā l’aube de ce 3 décembre 1991, de ma cachette située à Bè-Kpota (sud-est de Lomé), j’entendais gronder les canons à la Primature (Palais des Hôtes de marque), comme si on les tirait à deux pas de chez moi… Quelle misère ! C’est ça le pays que j’aime tant ?! Oui ! Un homme digne de ce nom se doit de croire en, et d’aimer un pays … me disais-je au fond de moi.

Et, très tôt le matin, des amis politiques des miens étaient venus me tirer de ladite cachette, presque de force… pour me mettre sur la route d’un nouvel exil… Vers l’occident du Togo. Pratiquement sans un sou en poche. Avec, comme tout bagage, le courage aux tripes, la peine au cœur, l’amour de la Terre de mes Aïeux à l’esprit…

Ā partir d’un certain point de mon parcours, je dus traverser, à pied, forêt et rivière, grimper et descendre mont, dormir chez des villageois que je ne connaissais guère et qui ne me connaissais guère non plus… Je ne parviens à Accra (Ghana) que dans la soirée du 5 décembre 1991. Je dus l’hospitalité à Gilchrist Olympio et à son frère Bonito…

Je reviendrai au bercail le 12 janvier 1992. En attendant un autre départ … en exil.

Combien de vies humaines togolaises auront été sacrifiées ce jour du 3 décembre 1991 sur l’autel de la monarchie absolue « éyadémaïste » ? (quatre vingts) morts au bas mot – chiffre vivement « rejeté » par les tenants de l’ordre ancien…

Ā la vérité, le colonel Toyi Gnassingbé ne rendit pas l’âme sur le coup, sur le champ de bataille, mais plutôt au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Tokoin … Et je tiens directement d’un témoin oculaire : de feu Ayawovi Logo Kwawuvi, à l’époque Directeur de ce CHU, que le « terrible », le bardé de gris-gris et de talismans, l’auto-proclamé « invulnérable » Toyi Gnassingbé ne bénéficia d’aucune forme avérée d’empathie de la part de ses congénères soignants…

Cela veut dire que la question togolaise ne se situe nullement entre l’ethnie kabiyè et le reste des Togolais. Loin s’en faut ! La question togolaise se situe bel et bien entre une infime clique oligarchique qui tend à manipuler, à instrumentaliser et à utiliser l’ethnie kabiyè contre l’écrasante majorité des Togolais – y compris des Kabiyè

Quant au Premier ministre, Guy Penne… dit : « Koffigoh est conduit chez le Chef de l’État, et le lendemain 4 décembre, il apparaît à la télévision, le visage tuméfié (il dira qu’il a été victime d’un essaim d’abeilles), et annonce qu’il a décidé de se rendre pour éviter un bain de sang. »(Cf.Guy Penne, La longévité du « Grand TImonier » africain, in Mémoires d’Afrique, 1981-1998, chapitre XVI, p.281, Paris, Fayard, 1999), Mais nombreux, bien nombreux sont les Togolais qui croient que Joseph Kokou Koffigoh a été, à Lomé II, plutôt victime de quelques services corporels…

Toujours est-il que la tragédie de la Primature aura déclenché la remise en cause systématique et totale des principaux acquis de la Conférence Nationale Souveraine.

Certes, comme nous venons de le constater, les espoirs suscités par ces assises se sont largement très vite évanouis. Mais si la CNS a été, assurément, un moment privilégié de l’histoire du Togo, elle n’aura pas été pour autant la fin de l‘histoire de notre pays.

L’histoire d’un peuple est un Tout, une Globalité spatiotemporelle, avec des hauts et des bas, des chutes cruelles et de glorieuses remontées de la pente. L’histoire d’une nation est un Continuum, un Fleuve. Voilà pourquoi, étudiant la Grande Logique de G.W.F. Hegel, Vladimir Ilitch Lénine glose : « Le fleuve, les courants dans le fleuve, les courants particuliers, l’écume en haut, les courants profonds en bas ; mais l’écume est aussi une expression de l’essence. »

Au demeurant, si nous avons relativement échoué, c’est, fondamentalement, parce que nous avons perdu de vue le vieux conseil de karl Marx : « La force matérielle ne peut être abattue que par la force matérielle.» Ā la vérité, au travers de la CNS, nous avons réalisé une révolution mais en oubliant le principe premier de toute révolution : détruire, dans toute la mesure du possible, les superstructures de l’ordre révolu …

Mais la lutte continue !!! (Godwin Tété)

Ablodé ! Ablodé ! Ablodé nogo !

Lomé, le 03 décembre 2012
Godwin Tété