28/03/2024

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Togo: Le RPT définit les limites de sa politique d’ouverture

ELECTION DU BUREAU DE L’ASSEMBLEE NATIONALE: LE RPT DEFINIT LES LIMITES DE SA POLITIQUE D’OUVERTURE

Par Frisco de SOUZA*

Depuis l’adoption le jeudi 22 novembre, en séance plénière, du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, c’est quasiment en « réseau » et en « temps réel » que les Députés et les sages de la Cour Constitutionnelle ont travaillé pour parvenir samedi dernier, à l’élection très controversée, du Bureau de la nouvelle Assemblée.

Cette journée de samedi à forts rebondissements aura été marquée par deux événements majeurs : la reconduction, contre toute attente, de Monsieur Abbas Bonfoh et l’absence de membres du CAR et surtout de l’UFC, de la direction de la nouvelle Assemblée Nationale.

Selon le communiqué lu samedi soir sur les médias, le Bureau de la nouvelle Assemblée se compose des Honorables Députés : Abbas Bonfoh (Président), Komi Klasou (1er Vice-président), Yao Kanékatoua (2ème Vice-président), Dago Yabré (1er Questeur), Larba Apoudjak (2ème Questeur), Augustin Sambini (1er Secrétaire parlementaire), Awédéou Tchassé (2ème Secrétaire parlementaire).

Compte tenu des vives tensions entre les partisans de Faure Gnassingbé et ceux de Kpatcha pour la présidence de l’Assemblée, M. Abbas Bonfoh est apparu comme le candidat de consensus qui permet de maintenir le statu quo, de sauver la face et surtout, de ne faire, ni vainqueur, ni vaincu dans la lutte fratricide qui opposait les deux camps RPT qui se disputaient le perchoir.

Concernant la composition du Bureau de l’Assemblée, le moins qu’on puisse reconnaître, c’est que, contrairement à la lettre et à l’esprit du Règlement intérieur, cette composition du Bureau est loin de refléter la nouvelle configuration politique de l’Assemblée Nationale. La plupart des observateurs politiques s’attendaient à un Bureau tricolore comme l’est l’Assemblée elle-même.

Selon les indiscrétions qui avaient filtré des rencontres de concertation internes au RPT, sur les sept postes du Bureau, quatre devaient revenir au Rassemblement du Peuple Togolais (RPT, majoritaire à l’Assemblée avec 50 Députés), deux à l’Union des Forces de Changement (UFC, 27 Députés) et un au Comité d’Action pour le Renouveau (CAR, 4 Députés).

Selon ces mêmes indiscrétions, le RPT s’était réservé les postes de Président et de 1er Vice-président et celui de 2ème Vice-président à l’UFC. Les deux postes de Questeurs devaient être répartis entre le RPT et l’UFC, tandis que les deux postes de Secrétaires Parlementaires devaient être répartis entre le RPT et le CAR.

C’est donc au niveau de la répartition des deux postes de Vice-présidents que s’est posé le problème entre le RPT et l’UFC. L’UFC considère que la première vice-présidence lui revenait de droit, la présidence de l’Assemblée étant, de toutes façons, réservée au RPT.

D’ailleurs, l’élection du Président n’a été qu’une simple formalité. La candidature d’Isabelle Améganvi déposée par l’UFC n’était que pure complaisance.

C’est donc en toute logique que, pour l’élection du 1er Vice-président, l’UFC et le CAR s’attendaient à ce que le RPT retirât la candidature de Komi Klassou pour permettre l’élection de Patrick Lawson, le candidat de l’UFC à ce poste. Contre toute attente, le RPT a, non seulement proposé un candidat, mais, en plus, refusé de retirer ce candidat au profit de l’UFC.

Pour justifier la décision de son parti, M. Dama Dramani qui faisait office de Président du Groupe parlementaire RPT, a renvoyé l’UFC aux déclarations de son 3ème Vice-président, Patrick Lawson pendant la campagne électorale, selon lesquelles, si l’UFC gagnait les élections, elle gouvernerait seule et occuperait tous les postes.

Face à l’insistance du RPT de maintenir son candidat et donc, de ne pas laisser le poste de 1er Vice-président à l’UFC, le parti de Gilchrist Olympio a décidé de retirer ses candidats aux autres postes, créant une situation bien embarrassante pour le CAR qui se trouvait déjà en position délicate vis-à-vis du RPT. Sur les quatre Députés du CAR, un seul aurait voté pour le candidat du RPT à la présidence.

Le CAR, a considéré qu’il ne pouvait décemment pas occuper les postes initialement réservés à l’UFC, et a lui aussi pris la décision de se désister des postes où il était candidat, emboîtant le pas à l’UFC. La gêne était visible sur tous les visages. Personne n’a rien compris à la décision du CAR. Le parti de Maître Agboyibo aurait pu tout simplement occuper le seul poste qui lui était réservé et refusé, par solidarité d’occuper ceux qui étaient réservés à l’UFC.

Du coup, l’ambiance, jusqu’alors, détendue, s’est brusquement détériorée. Le Secrétaire Général du RPT, M. Esso Solitoki, s’exprimant sur les médias internationaux, a estimé que l’ouverture prônée par le Chef de l’Etat ne devait pas signifier un partage du pouvoir avec l’Opposition.

Ces arguments semblent légers pour justifier ce qui ressemble fort à une bien embarrassante maladresse politique de la part du RPT. La pratique parlementaire veut que, préalablement à l’élection en plénière, des discussions aient lieu entre les différents groupes parlementaires pour s’entendre sur la répartition des fonctions au sein du Bureau et des présidences de commissions.

Ces discussions préalables ont-elles eu lieu dans le cas présent entre le RPT, l’UFC et le CAR ? Difficile de démêler le vrai du faux. Les deux camps se renvoient la balle et s’accusent mutuellement de manquement à la parole donnée. Ce que l’on sait par contre, c’est que, depuis la proclamation officielle des résultats définitifs des élections par la Cour Constitutionnelle, les contacts ont été quasi permanents à tous les niveaux entre le RPT et l’UFC.

Dans son intervention sur les médias, le Secrétaire Général du RPT a souligné que l’Assemblée Nationale avait ses règles propres. Certains analystes ont cru comprendre, à travers ce petit bout de phrase, que si discussions il y a eu sur le sujet, elles se seraient déroulées à un niveau qui n’engage pas forcément les Députés.

On se souvient que le Président de l’UFC, M. Gilchrist Olympio avait rencontré le 2 novembre dernier à Ouagadougou, le Chef de l’Etat togolais, Faure Gnassingbé. Les deux hommes se sont rencontrés à nouveau mercredi dernier, cette fois-ci, à Lomé, au Palais de la Présidence.

A l’occasion de cette rencontre, Gilchrist Olympio a officiellement reconnu la légitimité de Faure Gnassingbé et lui a fait allégeance. On sait aussi que, dans le prolongement de cette rencontre, des délégations du RPT et de l’UFC ont beaucoup travaillé mercredi après-midi, jeudi et vendredi. On ne sait par contre, pas grand-chose des points sur lesquels ont porté les discussions, ni sur les éventuels accords ou désaccords entre les deux parties.

Selon certains analystes, l’intransigeance affichée par le RPT sur le partage des responsabilités au sein du Bureau de l’Assemblée Nationale ne serait que le reflet des dissensions internes au parti au pouvoir sur le sens et le niveau de l’ouverture prônée par le Chef de l’Etat. Deux tendances s’affrontent sur le sujet.

Pour les radicaux extrémistes, le RPT a remporté une victoire électorale dont elle doit jouir pleinement. En clair, pour cette tendance, l’ouverture ne devrait en aucun cas, consister à céder à l’Opposition, la moindre parcelle de pouvoir, ni au Gouvernement, ni à l’Assemblée.

En effet, en cas d’absence ou d’empêchement du Président de l’Assemblée Nationale, son intérim est de facto assuré par le 1er Vice-président. Pour les extrémistes radicaux du RPT, il n’était pas question, même de façon temporaire, de remettre les destinées d’une Assemblée à majorité RPT entre les mains de l’UFC, « l’ennemi de toujours ».

On ne sait jamais. La honteuse gymnastique à laquelle le RPT avait dû recourir pour empêcher Fambaré Natchaba d’assurer l’intérim du défunt général président est resté dans toutes les mémoires.

Pour les modérés du parti, le poste de 1er Vice-président constituait une excellente occasion d’un véritable partage du pouvoir entre le RPT et l’UFC. Pour les tenants de cette option, l’élection d’un 1er Vice-président UFC à l’Assemblée Nationale intervenant après le « Mes respects, Monsieur le Président » de Gilchrist Olympio à Faure Gnassingbé, aurait été un gros facteur de décrispation de la vie politique togolaise et un important moteur de réconciliation.

On a vite fait de présenter l’incident de samedi dernier comme une victoire des extrémistes du RPT opposés à la politique d’ouverture de Faure Gnassingbé sur les modérés qui prônent un vrai partage du pouvoir avec l’Opposition. On peut également interpréter cet incident comme un acte de sabotage délibéré, organisé par ceux qui ont toujours fait du contentieux historique entre les familles Gnassingbé et Olympio, leur fonds de commerce politique et électoral pour donner un coup d’arrêt au processus de normalisation actuellement en cours entre Faure Gnassingbé et Gilchrist Olympio.

En réalité, les choses semblent à la fois plus simples et plus complexes qu’on ne le pense à première vue. S’il est vrai que l’élection d’un 1er Vice-président UFC à la tête de l’Assemblée Nationale aurait été perçue par les Togolais et les partenaires du Togo, comme un acte fort de partage du pouvoir et de réconciliation nationale, on est obligé de ne pas perdre de vue ce que sont les réalités politiques togolaises.

Le souci des radicaux du RPT de garder le contrôle effectif de l’Assemblée Nationale à tous moments et en toutes circonstances est légitime. On peut imaginer le cas extrême où, en l’absence du Président de l’Assemblée, le Chef de l’Etat a besoin de demander une réunion d’urgence des députés pour un motif qui ne plaît pas forcément à l’UFC. Il n’est pas impossible que dans pareilles circonstances, un 1er Vice-président UFC de l’Assemblée, assurant de droit, l’intérim du Président, s’oppose à cette réunion par des actes dilatoires.

En plus, il y a, au sein du RPT et au sein de l’Opposition, des courants politiques pour dire que la manière dont les discussions se déroulent entre Gilchrist Olympio et Faure Gnassingbé n’est pas de nature à créer la confiance nécessaire à un véritable partage du pouvoir.

Faure Gnassingbé est certes, le Président de la République, disposant à cet effet, de larges prérogatives. Mais, on peut s’interroger sur le niveau du contrôle qu’il exerce sur le RPT et les autres instruments du pouvoir, tels que l’Armée.

De son côté, Gilchrist Olympio, auréolé du mythe de l’opposant historique croit être en position de réaliser son rêve de toujours, celui de se retrouver seul face au pouvoir RPT pour régler définitivement le problème togolais.

Ce schéma aurait pu fonctionner au temps d’Eyadema. Celui-ci avait la main mise sur l’ensemble du pouvoir d’Etat au Togo et sur ses ramifications extérieures. Depuis la mort d’Eyadema, le pouvoir togolais est devenu un pouvoir à tête multiple. Ce que Gilchrist Olympio peut conclure avec Faure Gnassingbé, n’engagera pas forcément le RPT. Cela n’engagera pas forcément les différentes composantes du système et du pouvoir RPT.

L’autre difficulté de Gilchrist Olympio réside dans la composition même de l’Opposition togolaise. On considère en gros, que le RPT représente le 1/3 de l’électorat, l’UFC également le 1/3. L’autre 1/3 est peu ou pas représenté du tout à l’Assemblée Nationale. L’erreur fondamentale de Gilchrist Olympio, c’est de ne pas se donner les moyens politiques d’être le vrai représentant des 2/3 de l’électorat et de courir le risque d’un affaiblissement politique face à un adversaire qui a entre ses mains tous les leviers du pouvoir d’Etat.

L’autre erreur stratégique de Gilchrist Olympio est de n’avoir pas encore compris que, de plus en plus, Faure Gnassingbé n’est pas tout le RPT et que tout le RPT n’est pas forcément enclin à appuyer la politique d’ouverture prônée par Faure Gnassingbé. Ce qui vient de se passer à l’Assemblée Nationale devrait faire réfléchir l’UFC et tous ceux qui, naïvement, ont pu croire, un seul instant que le RPT pourrait s’inscrire aussi vite et aussi facilement dans une logique de changement surtout aux lendemains de la décision de l’Union européenne de reprendre sa coopération économique et financière avec le Togo.

* Motion d’Information N°359 du 27 Nov 2007