29/03/2024

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Togo : Les causes, les circonstances et les conséquences de l’assassinat de Sylvanus Olympio

13 janvier 1963 – 13 janvier 2013 — 50 ans déjà ! Les causes, les circonstances et les conséquences de l’assassinat de Sylvanus Olympio1- Historique de la donnée militaire moderne au Togo

Les Allemands qui les premiers colonisèrent la Terre de nos Aïeux ne pensaient apparemment pas nécessaire de mettre sur pied une armada chez nous. Par contre, ils s’étaient donné un corps de forces de police solide et valable: « la polizertruppe ». Plus exactement, ils avaient créé une «force de police» chargée du maintien de J’ordre et de la sécurité intérieure. À cela s’ajoutait néanmoins une réserve formée de « soldats sans munitions» libérés en 1910. Le gros de ces forces années avait été recruté notamment parmi les Bassar, les Cotokoli, les Kabiyè et les Dagomba.
De plus, il y avait un corps de réserve de quelques dizaines d’Européens, « peu nombreux mais excellents» (Robert Cornevin). Dans son ouvrage Le Togo pays d’influence française, le général Maroix estimait à 1500 les éléments des forces années allemands à la veille de la campagne du Togo en août 1914. Quant à Robert Corneviri, il avance le chiffre théorique de 1 200, ajoutant que ces forces n’avaient jamais pu aligner plus de 500 hommes.

Quoi qu’il en soit, après la Première Guerre mondiale, le statut de mandat de la Société des Nations (SDN) interdit la construction de troupes militaires dans notre pays, sauf pour des raisons évidentes de sécurité intérieure et/ou extérieure. Ce statut sera reconduit par le: nouveau régime international de tutelle des Nations unies, concrétisé par l’Accord de Tutelle pour le Togo en date du 13 décembre 1946.

C’est pourquoi, au début, durant et après la Seconde Guerre mondiale, quelques Togolais (chômage oblige!), durent s’engager comme volontaires dans les armées britanniques en Gold Coast (Ghana) ou françaises dans les colonies limitrophes de notre pays (Dahomey, Niger ou Haute-Volta). S’agissant des troupes françaises, nos compatriotes volontaires pour la guerre ne devraient pas dépasser le chiffre de trois cents. (Si je ne m’abuse !) (Cf. La palpitante quête de l’Ablodé pp. 61-63), de Godwin Tété).
Léo Hamon, lui, il nous apprend que, pour le Togo en 1966, les effectifs militaires avaient atteint 550 hommes, soit deux compagnies, tandis que la gendarmerie avait totalisé 1000 personnes. « Ni marine, ni aviation. L’encadrement est réalisé au point de vue quantitatif. » (Cf. Léo Hamon, Le rôle extra militaire de l’armée dans le tiers-monde, PUF, Paris, 1966, p. 96.)

Notons au passage qu’en 1991, on comptait environ 13 000 hommes en armes chez nous, soit un accroissement de Il 450 (ou 738,70%!) par rapport à 1966. Qui plus est, cette armée de 13 000 personnes est qualifiée de « tribalisée » parce que comportant 80% de ressortissants de la partie septentrionale de notre pays. Qui pire est, de ces 80%, 90% ont été recrutés à Pya et dans ses environs immédiats. (Cf. Rapport du Comité d’Action contre le Tribalisme et le Racisme (CATR), présenté par Ayayi Togoata Apédo-Amah, à la Conférence Nationale Souveraine (CNS) : 8juillet – 28 août 1991. Pya est le village natal de Gnassingbé Eyadéma …)

Et il y a à parier que le chiffre de 13 000 tourne aujourd’hui autour de 22000 ! Tel est, en bref, le cheminement d’un corps au départ noyau de « gardiens de la paix publique », aujourd’hui métamorphosé en un mammouth aussi prétorien, inutile que pléthorique … Dont un régime tyrannique d’un autre âge se sert pour terroriser le pacifique peuple togolais. Revenons au meurtre de notre premier président de la République.

2. Les causes lointaines et profondes de l’assassinat de Sylvanus Olympio

D’aucuns attribuent ces causes à un conflit pour ainsi dire latent (imaginaire) entre le «Nord» et le «Sud» (eux-mêmes imaginaires) de notre pays. À cela, on ajoute volontiers l’opposition intervenue très tôt, trop tôt après l’indépendance, entre le CUT d’un côté, la JUVENTO-UDPT de l’autre.

Tout d’abord, il n’y a jamais eu d’antagonisme radical, irréductible, entre le « Nord» et le « Sud» de la terre commune de nos communs aïeux. Les populations du «Sud», de par leur situation géographique il est vrai, ont eu, de bonne heure, à se frotter à la « civilisation» occidentale.

De l’avis général des chercheurs qui se sont penchés sur la question, les Portugais auraient été les premiers à toucher la côte du Togo. En tout état de cause, Robert Cornevin dit:
« Malgré les prétentions dieppoises à la priorité dans ces régions, il est vraisemblable que ce sont les Portugais Joao de Santerem et Pedro de Escobar qui, les premiers, longent (1471-1473) les 50 km de côte de l’actuel Togo. Cette côte ne donnera lieu qu’assez tard à une installation européenne fixe ; par contre, deux localités proches: Elmina (actuel Ghana) et Ouidah (Dahomey) connaissent un développement rapide sur lequel nous avons une documentation abondante. L’étude de ces centres, notamment de Ouidah, à quelques dizaines de kilomètres à l’est de l’actuel Togo, si proche sur le plan ethnique, linguistique el coutumier, permet d’éclairer les premiers contacts des Blancs avec le pays. (. . .)
« San Jorge del Mina, premier fort portugais, est fondé par Diego d’Azambuja le 20 janvier 1482. Ces installations destinées au commerce, donnent lieu à certaines tentatives d’évangélisation des chefs africains autour des centres fortifiés:» (Robert Cornevin, Histoire du Togo. Ed. Berger – Levrault, Paris, 1969. p. 119. Le Dahomey = l’actuelle République du
Bénin.)
Au contraire, ce sont des Danois qui auraient visité, comme premiers Européens, l’arrière-pays. Ici encore, nous nous référons à Robert Comevin :
« Il semble qu’à la fin du XVIIIe siècle, l’installation des Danois à Kéta entraîne un protectorat de fait sur l’actuelle côte togolaise, ainsi que nous le laisse entendre le chirurgien Paul Erdman 1sert (Paul Erdman Isert, Voyage en Guinée et dans les îles Caraïbes en Amérique, traduit de l’allemand, Paris, Maradan, 1973, 336 pages.), dont la lettre n°5 fait état de l’intervention du prince Ofoli Bossum, fils d’Assiambo, roi des Popo, qui vint à Kéta prêter serment de fidélité aux Danois le 25 mai 1784, cependant que le roi des Popo s’installe à Aflao. La lettre n°7 d’Isert (Ibid. p., 119 – 126.) décrit en détail la région de Petit­Popo et Glidji.
« Par ailleurs, dans l’étude consacrée par Georg Nörregard (lbid., p. 122.) à l’histoire des établissements danois en Gold Coast une carte de Peter Thonning publiée en 1802 comporte le nom d’Agou, bien situé, ce qui semble montrer que les Danois sont probablement les premiers à avoir exploré cette partie de l’arrière-pays togolais (actuelle région de Kpalimé) » (Robert Cornevin, op. cit., p. 118).
À partir de 1530, le commerce triangulaire du « bois d’ébène» commence à exercer ses ravages sur la « Côte des Esclaves ». (Cette appellation vint du fait de l’abondance, de la qualité et du las prix relatif des cargaisons d’esclaves que les négriers embarquaient sur cette côte riche et bien peuplée.) Après El Mina construit en 1481, c’est Christianborg, bâti sur l’emplacement du village d’Osou par les Danois (1659), puis Jamestown (Accra) par les Anglais (1662), Lijdzaamheid (Apam) par les Hollandais (1697), Prindsenteen (Kéta) et Kongensteen (Ada), construits par les Danois en 1784.
Ainsi le district d’Anlo se trouve-t-il fort équipé du point de vue de la traite. Des entrepôts-marchés d’esclaves existent à Atoko, Anlogan, Woe, Kéta, Dzéloukopé, Vodza, Bloukousou et Adina. A Atoko, le Portugais Baéta organise en grand le trafic des esclaves et lorsque celui-ci est officiellement interdit (1803), Baéta cède sa maison au chef Ndokoutsou (lequel y garde des esclaves jusqu’à sa mort) et va fonder Gadomé, nouveau centre de transit d’esclaves. » Robert Cornevin, Ibid., p. 124.)
Hermann Attignon avance que : « Sur la côte du Ghana actuel, sur 400 km furent construits une quarantaine de forts de nationalités différentes. » (Hermann Attignon, Histoire du Togo, Lomé, 1974. P. 24)
Si outre cela on tient compte des apports de ceux qu’on a appelés « Afro-Brésiliens », d’une scolarisation précoce, de l’œuvre des commerçants et missionnaires européens, on comprend aisement qu’une élite moderne allait très vite naître au Sud-Togo où une certaine acculturation vit le jour…
Ainsi donc, il n’y a aucun mystère à ce que les populations de la partie méridionale de notre pays aient été les premières à se lancer dans la revendication de notre indépendance. Sous ce angle, voici ce que dit un Occidental, un Français par-dessus le marché : « La doctrine a été définie : c’est ‘’l’ablodéisme’’, c’est-à-dire la poursuite de la liberté (du terme éwé « ablodé », liberté) : ‘’l’ablodéisme’’ est la liberté de se gouverner soi-même ; la volonté de créer une nation togolaise qui comprendrait tous les groupes éwé … C’est le combat national pour la libération de tous les Togolais du régime colonial. » (F .A. Dyke, Togoland Today, Accra, 1954, p. 32, cité par Jean-Claude Pauvert, in « L’Evolution politique des Ewé», in Cahiers d’Etudes Africaines, n » 2, 1960,p.186.)
Le terme « ablodé » va plus loin: il signifie aussi la liberté individuelle, la paix de l’âme, du cœur et de l’esprit, la vie en harmonie avec ses semblables, quels qu’ils soient, où qu’ils soient. Il signifie également démocratie. Que les Ewé qui ont été, avons-nous dit, portés au contact avec l’Occident à l’orée des temps modernes, aient été amenés à se trouver à l’avant-garde de la lutte libératrice, quoi de plus normal? Mais ce sont des gens pacifiques. Comme en témoigne, une fois de plus, un homme que nul ne saurait honnêtement accuser de narcissisme éwé : « L’opposition des « gens du Nord » et des « gens du Sud » est classique dans tous les territoires d’Afrique tropicale; elle n’est plus toujours exacte dans la mesure où les populations de l’intérieur développent leurs relations avec la société globale et partagent certaines réactions avec les groupes du littoral (. . .). Le leadership de ceux-ci peut être admis (peut-être temporairement) ; le mouvement nationaliste, au Togo, bien que conduit par les Ewé, peut répondre à certaines aspirations de groupes du Nord, les uns soumis à d’autres groupes conquérants, les autres très ouverts à l’environnement du fait de leurs mouvements migratoires. Il n’y a aucune véritable tradition d’hostilité entre les Ewé et les populations du Nord, les Ewé n’ayant jamais été eux-mêmes des chasseurs d’esclaves, ceux de l’intérieur ayant même fait souvent eux-mêmes les frais de la traite. » (Jean-Claude Pauvert, «L’Evolution politique des Ewé », in Cahiers d’Etudes Africaines, n°2, 1960, p. 189. Cette affirmation est absolument exacte, si l’on excepte la traite pratiquée par les Ewé-Anlan de Gold Coast et non du Togo).
Si le Bassin méditerranéen peut s’appeler le berceau du développement universel moderne, c’est bien parce que, du fait de sa configuration, il a favorisé le brassage humain et donc culturel.
Mais, depuis plus de quatre bonnes décennies, un système mis en place et soutenu par des forces extérieures de domination’ et d’exploitation – système totalitaire dont les profiteurs minoritaires locaux se sont recrutés et se recrutent aussi bien dans le « Sud» que dans le « Nord» – a enveloppé et ankylosé notre peuple, et suce son sang, du « Sud» au «Nord », du « Nord» au « Sud ». L’ « opposition » dont parle Yagla, l’idéologue d’Eyadéma, n’est, à vrai dire, qu’une conclusion tendancieuse et fausse tirée de l’observation de faits géographiques, historiques, économiques et culturels réels. Cette «opposition» n’est, à la vérité, qu’une manipulation des tenants de la dictature post et néocoloniale, ayant pour but de diviser notre peuple. Utilisant les disparités économiques et culturelles sus-évoquées, elles-mêmes léguées par notre Géographie, notre Anthropologie et notre Histoire objectives. On ne connaît que trop bien la règle d’or du colonialisme: « diviser pour régner. »
Frantz Fanon écrira : « De par sa structure en effet, le colonialisme est séparatiste. Le colonialisme ne se contente pas de constater l’existence de tribus, il les renforce, les différencie. » (Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Ed. Gallimard, Paris, 1991, p. 127.)
Par ailleurs, ni les comploteurs de 1961, ni les putschistes du 13 janvier 1963, n’ont jamais déclaré qu’au départ, ils voulaient, de propos délibéré, tuer le Président Sylvanus Olympio. Tous ont toujours proclamé qu’ils tenaient simplement à l’amener soit à démissionner, soit à mettre un peu d’eau dans son vin …
Certes, les disparités économiques et culturelles laissées par les colonisateurs, d’une part, la dissension sus-rappelée, d’autre part, ne pouvaient pas, en leur temps, ne pas polluer quelque peu la vie politique de notre patrie. Mais ce ne sont là que des épiphénomènes, les parties émergées de l’iceberg …
Et, puisqu’il .s’avère exact que des meurtres comme celui de Sylvanus Olympio recèlent toujours des zones d’ombre, la question première qu’on se pose dans de pareils cas se formule, ainsi: «À qui profite le crime? » Interrogation qui permet, pour le moins, une orientation vers des pistes valables …
Dans cet ordre d’idées, et compte tenu de tout ce que l’on sait en l’occurrence, la réponse à cette question se libelle ainsi: C’est à la Françafrique (cf. François-Xavier Verschave, La Françafrique … Ed. Stock, Paris, 1998.) que profite l’assassinat de Sylvanus Olympio. Comme aimait à le répéter jusqu’à son dernier souffle, le Docteur Hospice Dominique Coco : « C’est le colonialisme qui est responsable de la mort de Sylvanus Olympio. »
Oui, les causes lointaines et profondes du meurtre du premier Président de notre République ne relèvent pas de considérations intérieures; elles plongent plutôt leurs racines pivotantes dans: (i) un contentieux fondamental entre le petit peuple togolais et les gouvernants français. Je dis bien gouvernants et non la France ou le peuple français; (ii) la perception que ces gouvernants ont toujours eue de la personnalité intrinsèque de notre héros national.

1°) Un contentieux fondamental

Celui-ci naquit: lui aussi, de deux données. Les voici.
(a) Le patriotisme ombrageux du peuple togolais
Si l’on remonte aux origines, on observe que le peuple togolais est formé de fugitifs ayant tourné le dos à des féodalités. Peuple de culture raffinée, peuple fier, frondeur, animé d’un patriotisme ombrageux. Peuple extrêmement jaloux de sa liberté et de son indépendance, de l’ablodé en somme. Peuple intelligent, travailleur, ouvert au monde et au progrès. Traitant de l’ouverture des Togolais au progrès, Achim Kratz note que « Wohltmann parle à plusieurs reprises de bonnes conditions humaines au Togo, à savoir une population intelligente, dont le niveau déjà acquis dans le domaine de l’agriculture donne la meilleure garantie pour un développement ». (Cf. Achim Kratz, Revue Le Mois en Afrique, n° 211-212, Paris, août­septembre 1983, p. 164.) Et l’auteur de citer textuellement le rapport de Wohltmann:
« La population se distingue par sa bonne taille, bonne nature, bon cœur ainsi que par un caractère pacifique. Elle est travailleuse et a un sens particulier pour le commerce. J’ajoute que je n’ai trouvé dans aucune des colonies allemandes une telle population, capable et pondérée comme au Togo. Selon les renseignements obtenus du Nord du pays, les mêmes conditions humaines favorables y existent. Il est donc dans notre intérêt de promouvoir le plus possible la population afin d’en tirer un maximum de profit.» (Ibid., p. 164.)
Un tel peuple a surpris et surprend encore les esclavagistes colonisateurs, surtout ceux de la Françafrique. En revanche, ces derniers ont toujours craint et craignent toujours qu’il ne contamine leur «pré carré … » Car, « Sans l’Afrique, il n’y aura pas d’histoire de France au XXIe siècle. » (François Mitterrand), (Cité par Régis Debray, in Les Empires contre l’Europe. Ed. Gallimard, Paris, 1985, p. 143.) Donc, à bon entendeur, salut!
(b) L’effet de la comparaison
À ce premier volet du contentieux en question, s’ajoute un second.
Dès les origines les rapports peuple togolais-Françafrique allaient souffrir de ce que je nommerais l’effet de la comparaison. Qu’est-ce à dire?
Comme j’ai essayé de le démontrer dans mon livre De la colonisation allemande au Deutsche-Togo-Bund, en dépit du caractère rude de la praxis coloniale allemande, et par comparaison, .les Togolais l’auront paradoxalement préférée à celle de la Françafrique …
Mais ici le paradoxe n’est qu’apparent; il s’explique fort aisément. Nous savons qu’un homme comme Robert Comevin (lui-même administrateur français ayant été en poste chez nous un bon nombre d’années) n’hésite pas un instant à qualifier tous les principaux volets de l’œuvre coloniale allemande au Togo de «remarquables pour l’époque ». Mais le même historien nous apprend que, néanmoins, de telles réalisations n’ont nullement été le fruit d’une complaisante candeur; que leurs auteurs n’avaient pas mis des gants et qu’ils n’y étaient pas allés par quatre chemins; que cette œuvre s’accomplit à la faveur de procédés draconiens (bastonnades jusqu’ à 25 coups de cravache sur les muscles fessiers, impitoyables guerres de conquête baptisées par euphémisme « opérations de pacification », emprisonnements, amendes, pendaisons, travaux forcés, épargne obligatoire sur salaire). En effet, les méthodes pratiquées au Togo entre 1884 et 1914 reflétaient bel et bien la « rigueur » allemande assez connue. Alors, s’est demandé plus d’un observateur, comment expliquer le prestige extraordinaire que ladite action a fait germer auprès des générations togolaises qui l’on vécue – prestige encore vivace de nos jours…
L’explication de cette apparente énigme doit emprunter les quatre pistes ci-après : 1. la célérité avec laquelle l’œuvre en question avait été exécutée ; 2. l’exploit des colonisateurs allemands en réussissant à séduire, par leur « esprit de justice », les Africains ; 3. le respect des valeurs culturelles traditionnelles des autochtones ; 4.enfin et surtout, la comparaison, à tous égards, entre les premiers maîtres et les seconds qui prirent la relève entre 1914 et 1918.
Premièrement, « l’œuvre accomplie est considérable. » (Robert Cornevin, Histoire du Togo. Ed. Berger-Levrault, Paris, 1969, p. 169.) Mais nous savons qu’elle n’a atteint son rythme de croisière qu’après la « pacification », c’est-à-dire à partir de 1900 à peu près. En d’autres mots, elle aura pris, au vrai, une quinzaine d’années seulement !… Il y a là un exemple notable de pouvoir de décision ferme, de détermination volontariste, de vélocité dans l’exécution de la besogne fixée.
Deuxièmement, le caractère presque dramatique de la réalisation de l’œuvre coloniale ne cause n’a point empêché nos grands-pères et grands-mères, pères et mères, frères et sœurs aînés de notre génération, de concevoir et de nourrir une grande administration pour ce qu’ils considéraient comme le « sens de la justice », la « rigueur de la discipline », l’« esprit d’ordre » et une « forte capacité de travail » de leurs maîtres du moment.
« Ces premiers administrateurs ont laissé dans le souvenir des indigènes une marque profonde. À Kpalimé, dans les palabres, on invoque longtemps le souvenir du Dr Gruner ; à Atakpamé les vieux parlent encore de Vondouli (von Doering) et, à Mango, certains chefs se souviennent encore des funérailles faites, suivant la coutume africaine, au capitaine Mellin à Wapuli (district de Yendi) où cet officier était mort d’épuisement au cours de son transport vers la côte après de nombreuses années de service à la tête du cercle de Sansanné-Mango. » (Cf. Metzger O.F., Unsere alte Kolonie Togo, Neudamn, 1941, p. 100 ; Robert Cornevin, op. cit., p. 172.)
Combien de fois n’avons-nous pas, tout enfant, entendu des anciens de chez nous louer les vertus des Allemands. Nous avons connu de vieilles tantes paternelles qui quittèrent le monde des humains sans avoir jamais cru vraiment à la défaite de l’Allemagne hitlérienne ! Quand on leur parlait de cette défaite, elles répondaient : « Hitler lui-même a décidé de se reposer un peu ! » Pour désigner l’Allemand, les vieux de chez nous disaient souvent : « Dzan-Kotoko » (l’Allemand le fort, ou le brave !). (« Dzan » est une déformation de « Dzama », ce vocable étant lui-même une corruption de German.)
Troisièmement, à l’opposé d’une certaine politique d’ « assimilation », les colonisateurs allemands avaient manifesté un respect notoire des valeurs culturelles de nos aïeux, valeurs qu’ils s’étaient attachés à étudier avec enthousiasme, avec avidité même. Dans cet ordre d’idées, mention doit être faite des éminents travaux précoces de Jacob Spieth, de Léo Frobenius (qui considérait les Africains civilisés jusqu’à la moelle des os), de Von Richard Küas, du Dr Asmis, de Diedrich Westermann, et ainsi de suite. Dans les années 1950, nous avons trouvé avec notre compatriote, le professeur de musique Alex Dosseh (compositeur de notre hymne national), une œuvre produite du temps des Allemands au Togo, avec partition de percussions de tam-tam.
Quatrièmement, nous avons noté que nos anciens comparaient (et les survivants comparent) tout ce qui les avait marqués (matériellement, économiquement, socialement et culturellement) du temps des Allemands, avec tout leur vécu quotidien après le départ de leurs premiers maîtres. Ainsi, par exemple, un seau métallique acheté à la « Deutsche-Togo-Gesllschaft » DTG (cette maison de commerce a survécu à Lomé jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale.) était « plus solide », « plus durable » qu’un autre de fabrication non allemande… L’éducation des nouvelles générations, la discipline, l’ordre public en général, paraissaient bien laisser à désirer aux yeux de nos anciens par rapport au « bon vieux temps »… Autant les anciens admiraient « la manière allemande », autant ils dépréciaient la politique et la praxis des « autres » colonisateurs pendant et après la Première Guerre Mondiale.
J’attends encore distinctement mon vieux papa (né en 1869), au cours du peu de temps que j’aurai vécu avec lui, pour exprimer sa désapprobation d’une bourde infantile quelconque de ma part, après m’avoir toisé de la tête aux pieds, des pieds à la tête, j’entends encore dis-je mon vieux me lancer énergiquement :
« Oui ! Tu as raison ! Si c’était du temps des Allemands tu aurais compris sa misère ! »
L’Institut Goethe, créé à Lomé au lendemain de l’indépendance de notre pays, dispose à l’heure actuelle d’une coquette clientèle enthousiaste au sein de la jeunesse togolaise.
Et la françafrique nous rend volontiers la monnaie… Ainsi donc, la préférence pour des Togolais pour la praxis coloniale allemande-aussi bizarre que la chose puisse paraître- l’énorme, l’indélébile, le paradoxal prestige dont l’Allemagne bénéficie chez nous, allaient générer, dès les origines, des rapports plutôt ambivalents entre notre peuple et les négriers attardés de la France officielle.
Bref, notre histoire avec la Françafrique s’apparente à celle de la chanson de Serge Gainsbourg : « Je t’aime, moi non plus. »
B.N. Cette thèse de la comparaison, je l’avais d’abord avancée dans De la Colonisation allemande au Deutsche-Togo Bund (Ed. L’Harmattan, Paris, 1998) ; ensuite je me suis évertué à la développer quelque peu dans Le régime et l’assassinat de Sylvanus Olympio (Ed. NM7, Paris, 2002). Et voici qu’en 2007, au tournant d’un quasi-hasard, je tombe sur elle dans l’ouvrage du professeur D.E.K. Amenumey (cf. Le mouvement de la réunification des Ewé, Paris 2007) où l’auteur démontre cette thèse avec une remarquable maîtrise historiographique…

2°) Les Françafricains et la personnalité de Sylvanus Olympio

Pour ma part, l’étonnant, c’est que précisément cet homme ne fut pas « neutralisé » plus tôt. Car, pour peu que l’on étutdie l’histoire coloniale de la Françafrique, on note que toutes les figures qui ont osé tenir tête à cette hydre s’étaient vues stopper dans leur entreprise. Soit par la déportation, soit par l’emprisonnement, soit encore par l’élimination physique pure et simple. On se souviendra de : Béhanzin, Kodjo Tovalou Houénou, Mouhammed V, Louis Hunkanrin, Emile Faure, Habib Bourguiba, Ruben Um Nyobé, Félix Mounié, Osendé Castor Afana, Outel Bono, Barthélémy Bonganda, Sylvanus Olympio, Thomas Sankara, ainsi de suite. (Cf. Jacques Morel Calendrier des crimes de la France Outre-Mer, Paris, 2005.)
Or, malgré tous ses efforts tendant à prouver sa bonne disposition à l’égard de la vraie France, de la France de 1789, de la France de la commune de Paris (1871), de la France du Front Populaire (1936), de la France de la Résistance… (En témoignage encore le beau discours prononcé en son nom par le Dr Rudolph Trénou, dans la nuit même du 12 au 13 janvier 1963, à l’occasion de l’inauguration du Centre Culturel Français de Lomé. N’oublions pas que Sylvanus E. K. Olympio a été décoré par le général Charles de Gaulles au titre de la Résitance… les Françafricains ne lui ont jamais offert une place, si minime soit-elle, dans leur cœur. A ce sujet, voici un document qui en dit long quant à la perception que les colons français avaient de la personnalité de notre futur Président de la République :
« Enfin, l’Agent général de l’UAC pour le Togo et cercle de Kéta (Gold Coast), M. Sylvanus Olympio est, sous le couvert d’Augustino de Souza, président du conseil des notables de Lomé, le véritable chef de l’Unité Togolaise. C’est lui qui, par son intelligence et sa valeur personnelle qui sont réelles, et par le poids que lui donne l’importance de sa maison, dirige en fait ce parti dans un sens anti-français. D’éducation anglaise, Sylvanus Olympio, qui ne nous avait pas beaucoup aimé est devenu, depuis que le gouvernement local l’a maladroitement interné en Novembre 1942, un de nos plus irréductible ennemis.
(…) Le personnage ne pourra être déboulonné que si l’UAC le remplace à la tête de sa maison : tous les indigènes qu’il tient à l’heure actuelle par des prêts usuriers ou par des avances de marchandises se retourneront contre lui, et la masse qui le craint, mais le déteste profondément, l’accablera. Je ne sais si d’une manière ou d’une autre, vous pouvez agir sur lui assez, car, en définitive, seul Sylvanus Olympio est dangereux, sans lui, l’Unité Togolaise serait facilement orientable et réductible. Car, je le répète, ce mouvement, réduit à lui-même, n’est guère dangereux pour la souveraineté française. S’il entretient çà et là une certaine agitation, sans durée d’ailleurs, à l’intérieur des cercles du Sud, et dont se plaignent les commandants de cercles, les dirigeants du Comité sont régulièrement les premiers à désavouer les mouvements qu’ils avaient suscités, dès qu’ils risquent de provoquer des sanctions. » Cf. Rapport n° 67/APA du 13 Septembre 1946, du gouverneur J. Noutary, signé par P. Pauc, pp. 4-5 (Archive nationale française, carton 3279).
À lire entre les lignes, ce rapport hautement confidentiel en son temps, il y a lieu de se demander si l’élimination physique de Sylvanus Epiphanio Olympio n’avait pas été envisagée avant, bien avant l’accession de notre pays à son indépendance…
Qui, aux yeux des esclavagistes de la secte des Jacques Foccart, Sylvanus Epiphanio Olympio était le « trop indépendant Olympio » (Cf. François-Xavier Verschave, La Françafrique – Le plus long scandale de la République, Ed. Stock, Paris, 1999, p. 109.)
« Olympio voulait une vraie indépendance. En s’appuyant sur l’Allemagne, la Grande Bretagne et plusieurs pays africains, il voulait desserrer le carcan franco-togolais. Il préparait, crime inexpiable, le lancement d’une monnaie qui lui aurait permis de sortir de la zone franc. Une monnaie qui, espérait-il, serait gagée sur le Deutschmark ! (Cf. Pascal Krop, le Génocide franco-africain, p. 111) Il avait retardé l’inauguration du Centre culturel français, de telle sorte qu’elle fut précédée par celle du Goethe Institut. Il ne reniait pas sa vieille amitié envers Sékou Touré, l’homme à qui jamais l’on ne pardonna d’avoir refusé la ‘’Communauté’’, lors du référendum de 1958. (Le leader guinéen n’avait pas encore sombré dans sa paranoïa sécuritaire où l’ont poussé les innombrables agressions des services secrets français. Sur ces attaques bien réelles, cf. Roger Faligot et Pascal Krop, La Piscine, pp. 245-249.) Il militait pour une union régionale africaine avec le Dahomey (futur Bénin) et… le Nigeria, ce géant régional qui deviendra l’ennemi numéro un de la stratégie foccartienne. » (Cf. françois-Xavier Verschave, op. cit., p.122.)
Et si notre homme n’avait été tué plus tôt, c’est vraisemblablement du fait que très tôt, il était devenu un personnage international qui imposait le respect.
On peut aussi mieux saisir pourquoi, d’emblée, Sylvanus Olympio ne posa pas la question de l’indépendance du Togo. On l’eût très vite « neutralisé »… d’une manière ou d’une autre. Voilà pourquoi, esprit fin, il préféra s’agripper, pour commencer, à la vieille revendication portant sur la réunification des Ewé. Revendication née en 1920, qui avait un énorme écho et beaucoup de sympathie dans le monde entier. (Leslie R. Buell, The Native Problem in Africa, deux volumes, 1928.)
Mais dans les années 1960-1963, les causes lointaines et profondes que nous venons d’évoquer allaient rencontrer la goutte d’eau qui allait faire déborder la vase.

3. LES CAUSES IMMÉDIATES DE L’ASSASSINAT DE SYLVANUS OLYMPIO

En règle générale, on avance comme causes immédiates de cette tragédie : un complot des opposants au régime Sylvanus Olympio plus spécialement de ceux refugiés au Ghana ; le rejet de la requête des militaires revenus des guerres du Vietnam et d’Algérie, requête visant leur intégration dans l’armée togolaise.
Certes, ces conditions ne sauraient ne pas entrer en ligne de compte. Cependant, ici aussi il s’agit d’une saisie empirique. Quant au savoir scientifique, il doit aller au-delà des données brutes, apparentes, et embrasser la partie immergée de l’iceberg. Au vrai, la cause immédiate la plus fondamentale, la plus essentielle, la plus déterminante, réside dans le projet de création d’une monnaie nationale togolaise. Reprenons donc.

1°) Un complot des opposants ?

En Mai et Décembre 1961, des complots ont été fomentés, les comploteurs arrêtés et placés sous les verrous. Plus exactement, il y allait d’un même complot en cours de préparation depuis avril de cette année-là, date à laquelle le militaire Christian Abbey fut surpris, dans les alentours de la résidence présidentielle, avec un camion chargé d’armes. (cf. Atsutsè Kokouvi Agbobli, op.cit., p. 34.) Ces tractations ténébreuses se seraient-elles poursuivies ? Chose possible ! Toujours est-il qu’elles n’auront pas constitué la cause immédiate de l’assassinat de notre Président de la République. Car, et nous l’avons également noté, les protagonistes disaient ne pas vouloir tuer Sylvanus Olympio, mais seulement l’amadouer. La raison en était que, nonobstant la drastique austérité économico- financière corrosive pour le prestige de tout homme d’Etat, l’immense popularité du héros de l’indépendance togolaise était restée globalement non entamée…

2°) La requête des militaires revenus du Vietnam et d’Algérie

Le 19 Mai 1962, par les « Accords d’Evian », la terrible guerre d’Algérie, déclarée la sanglante Toussaint du 1er Novembre 1954, se termine. Démobilisés, les volontaires d’Afrique Noire rentrent dans leurs pays respectifs. Ils vont poser problème à leurs nouveaux gouvernements postcoloniaux qui affrontaient déjà de coriaces difficultés inhérentes à tout apprentissage du maniement du pouvoir d’Etat :
« À l’heure où la nouvelle est diffusée par les radios, Sylvanus Olympio est à Paris, Hôtel Crillon, en route pour une visite officielle aux Etats-Unis. Apprenant la fin de la guerre d’Algérie à son gendre Eric Armerding : ‘’C’est une bonne chose, mais je crains fort que les troupes africaines qui seront démobilisées ne viennent semer le trouble dans nos pays’’ » (Cf. A. K. Agbobli, op. cit., pp. 22-23.)
Face à ces appréhensions, Ahmed Sékou Touré, au nom du patriotisme et de la solidarité panafricanistes, créa le précédant par le refus d’intégrer ces volontaires dans l’armée guinéenne. Ceux-ci finiront leur vie au Sénégal.
Quant à Sylvanus Olympio, il était catégoriquement contre une armée pléthorique pour une population qui ne faisait pas deux millions d’âmes à l’époque. À ce propos, on a prétendu qu’il était antimilitariste. Non ! Il n’a jamais repoussé la nécessité per se de la donnée militaire s’agissant de la défense éventuelle du sol natal. De surcroît, il prônait publiquement un service militaire obligatoire pour tous les jeunes Togolais, à la manière suisse. Il souhaitait, en d’autres termes, voir tout Togolais préparé à défendre la Terre de nos Aïeux les armes à la main, le cas échéant. Bref, il prêchait la doctrine – chère à Jean Jaurès – du « peuple en armes » le moment venu. Sans que le pays soit obligé d’entretenir en permanence une armada aussi inutile, stérile que budgétivore. Aux antipodes de ce que le Togo vit de nos jours…
Dans son adresse à la maison en date du 24 Novembre 1961, il proclame : « Enfin, nous envisageons d’instituer progressivement le service militaire obligatoire, perspective intéressante et d’avenir pour les jeunes désireux de faire carrière dans l’armée. Nous formerons non seulement des soldats, mais des hommes, car’ l’armée est pour la jeunesse, l’école de la formation, celle où l’on apprend la discipline et où l’on cultive des sentiments de devoir, d’honneur et de l’amour de la Patrie. » (Cf. Annexe IV, de notre livre Le régime et l’assassinat de Sylvanus Olympio, pp.187-239.)
Il y a mieux : « Il instaure une préparation militaire supérieure pour les élèves des classes de premières et terminales des établissements secondaires publics, à commencer pour ceux du Lycée Bonnecarrère de Lomé. L’instruction au tir débute au camp de Tokoin, dès le mois de novembre 1962, sous la conduite du lieutenant James Assila. » (Cf. A. K. Agbobli, op. cit., p. 157.)
Et François-Xavier Verschave de s’interroger : « Sylvanus Olympio ne voulait pas d’armée ? Le Togo paye la garde prétorienne d’Eyadéma, quatorze mille hommes en armes, provenant en 80% de la région eu chef de l’Etat et commandés par des membres de sa famille. Cette année, qui a brisé par la terreur la revendication démocratique. (cf. Le Général Eyadema, l’ami retrouvé », in la Croix du 13 septembre 1994.) est équipée par la France, encadrée par une soixantaine d’instructeurs et de conseillers militaires français. » (Cf. François-Xavier Verschave, op. cit., p. 124.)
On a surtout épilogué sur le fait que le Président aurait traité les demi-soldes revenus du Vietnam et d’Algérie de « mercenaires. » Si tel a été vraiment le cas, on pourrait, tout au plus, lui reprocher d’avoir appelé un chat un chat, au lieu d’avoir dit l’animal qui fait miaou. Mais on ne saurait lui en vouloir d’avoir cru, au fond de lui-même, qu’un chat est un chat.
En effet, que veut-on qu’un leader patriote national, farouche combattant de la liberté de tous les peuples, pense des gens qui, précisément au moment où leur pays lutte pour se débarrasser du carcan colonial, s’en vont faire la guerre à d’autres peuples qui mènent la lutte allant dans la même direction. Le chômage ne saurait tout justifier, car il y avait d’autres Togolais qui eux aussi chômaient. Au demeurant, sur les 285 qu’auraient été les demi-soldes togolais, selon Earl Russell Howe, le Président Olympio aurait réussi à en placer environ 200 dans l’Administration. (Cf. article précité, 17 mai 1963, p. 19.)

3°) la goutte d’eau qui aura fait déborder la vase : la monnaie nationale togolaise en gestation (Pour bien saisir toute l’importance cruciale d’une monnaie nationale, le lecteur est invité à consulter les auteurs suivants, dont les ouvrages respectifs sont insérés dans la bibliographie de notre livre Le régime de l’assassinat de Sylvanus Olympio : Pouémi Joseph Tchoundjang, Célestin Monga, Célestin Monga et Jean-Claude Tchantchouang, Nicolas Agbohou.)
Devrais-je rappeler que Sylvanus Olympio était un ancien élève de la plus haute et prestigieuse école d’économie politique de son temps, à savoir le London School of Econimics ? Toujours est-il qu’il tenait mordicus à garantir l’indépendance économique de son pays, laquelle passe nécessairement par l’indépendance monétaire. Qu’on se souvienne de ce qui arriva le 11 janvier 1994 à toute l’Afrique Noire dite francophone ! Ce jour-là, brutalement, le franc CFA fut dévalué de 50% !!! Une décision imposée aux chefs d’Etat concernés…
Oui ! S’il est exact qu’au départ la monnaie ne représente que le reflet, le baromètre, une superstructure en somme de l’économie nationale, il n’en demeure pas moins vrai qu’à l’arrivée, la monnaie devient la quintessence, le pivot central, l’âme motrice et, par une sorte de renversement des rôles, l’infrastructure de cette économie. (Dialectique de la Nature commande.)
Alors, dès 1960, notre Président recherchait la formation d’un excédent budgétaire et la constitution de réserves en vue de la sortie de la zone franc.
Le 6 septembre 1962, Hospice Dominique Coco, ministre togolais des Finances et des Affaires économique rencontre son homologue français Valéry Giscard d’Estaing, pour les négociations relatives à cette question. Selon le Dr Rudolph Trénou (Ancien directeur de cabinet du Président, devenu Secrétaire d’Etat à l’Information lors desdites négociations.) que j’ai rencontré en juin 2000, les autorités françaises s’étaient opposées à la création d’une monnaie nationale togolaise. Et pour cause ! Alors le Président Sylvanus Olympio s’adressa aux Allemands, aux Anglais et aux Américains. Ceux-ci accédèrent tous au désidérata du gouvernement togolais. De surcroît, ils accordèrent des fonds destinés à favoriser la réalisation du projet de création d’une monnaie nationale togolaise.
Sur cette lancée, Sylvanus Olympio fait adopter la loi n° 62-20 du 12 décembre 1962, portant création d’une banque centrale du Togo et approuvant ses statuts.
Remarquons que cette création est opérée par une loi et non par décret. Pourquoi ? Sans doute afin de revêtir l’affaire de toute l’importance qu’elle présente pour la nation togolaise, et aussi pour amener le monde extérieur à lui inférer toute la crédibilité qu’elle requiert…
En effet, dans son discours radiodiffusé en date du 26 octobre 1962, le chef de l’Etat togolais déclarait haut et fort : « La participation du Togo au titre de son adhésion aux quatre organismes précités s’élève à 6,7 milliards de francs CFA. Nous en avons payé 330 millions en devises fortes, le reste étant engagé sous forme d’obligations du gouvernement. Je suis heureux de vous informer que le Togo a acquis mieux que jamais un standing international par son adhésion à ces quatre organismes qui nous aideront non seulement à financer notre monnaie nationale, mais aussi à soutenir sa stabilité et sa force, ce qui nous permettra d’augmenter notre propre contribution à notre développement. Déjà, nous concentrons nos efforts pour rationaliser l’allocation de nos ressources financières dans le but de dégager de plus en plus un budget d’équipement. La Banque nationale d’émission viendra appuyer cette orientation, en nous permettant de soutenir les objectifs économiques nationaux. »
Certains de mes compatriotes prétendent que la monnaie en question était effectivement créée, que des billets, portant l’effigie du père de la nation togolaise, se trouvent dans des caisses et n’attendaient que le 27 avril 1963 (jour anniversaire de l’indépendance) pour être mis en circulation. Le Dr Rudolph Trénou, que j’interrogeais à ce propos, infirma cette assertion. Cela se passa en juin 2000.
En tout état de cause, et avec les multiples recoupements possibles, les Togolais politiquement conscients sont aujourd’hui convaincus que le projet de création d’une monnaie nationale pour leur pays aura été la goutte d’eau qui aura décidé du sort du grand patriote africain Sylvanus Olympio.
Sur ce registre, certaines informations que j’ai recueillies, ces jours-ci (en avril 2008) à Lomé, fournies par des personnalités de premier plan et bien placées en leur temps pour avoir des chances de connaître la vérité vraie, convergent sur un même point : Gnassingbé Eyadéma est effectivement l’auteur du diabolique forfait du 13 janvier 1963. Les dénégations circonstancielles et sibyllines y relatives que ledit auteur aura proférées plus tard ne changent donc rien à la réalité historique authentique.
Cependant et quoi qu’il en soit, pour ma part personnelle stricto sensu, je crois que peu importe de savoir si le doigt qui a tiré sur la gâchette, au lever du jour ce dramatique dimanche 13 janvier 1963, est « noir » ou « blanc »… L’essentiel étant, encore une fois, la réponse à l’interrogation : À qui profite le crime ?
Je souligne cela parce que, dans plus d’un cercle togolais, notamment au sein de la diaspora togolaise, il y a sur ce terrain un débat encore vif, très vif et qui ne semble pas prêt de s’éteindre…
Dans cette veine d’idées, voici un morceau choisi de Jean de Menthon : « De plus en plus, les Français se méfiaient d’Olympio et souhaitaient s’en débarrasser. Non parce qu’il était devenu un autocrate, ce qui n’avait rien d’original, mais parce qu’il était toujours considéré à Paris comme un anti-français. Ne négociait-il pas d’ailleurs pour quitter la zone franc ? Etait-ce grave pour la France ? En soi, bien sûr que non, mais d’autres pays auraient pu suivre. Car, là où Sékou Touré, peu habile financier et contraint à improviser, avait échoué, Olympio, gestionnaire qualifié et prévoyant, pouvait réussir, peut-être en accrochant sa monnaie au mark.
« La France, dès lors, fut-elle complice ou même instigatrice du complot militaire du 13 janvier 1963 ? De L’instigation, il n’y a pas de preuve. De la complicité si, car des Français servaient dans la gendarmerie et dans l’armée à des postes essentiels ; ils furent mis au courant et durent informer leur ambassadeur à Lomé ; le coopérant français qui s’est trouvé le plus impliqué dans l’affaire fut Georges Maitrier qui commandait la gendarmerie togolaise était aussi chef du cabinet militaire du président. » (Cf. Jean de Menthon ; À la rencontre du Togo. Ed, L’Harmattan, Paris, 1993, p. 134.)
Oui ! La goutte d’eau qui aura fait déborder le vase aura été composée de trois éléments : primo, le projet de création d’une monnaie nationale togolaise ; secundo, le projet de création d’une monnaie nationale togolaise ; tertio, le projet de création d’une monnaie nationale togolaise.
Oui ! On s’est servi de Togolais égarés pour tuer biologiquement un immortel fils du Togo. Venons-en maintenant aux circonstances de cet horrible meurtre.

4. LES CIRCONSTANCES DE L’ASSASSINAT DE SYLVANUS OLYMPIO

Pour commencer, signalons que, conformément à l’Histoire, le coup d’Etat militaire du 13 janvier 1963, à l’inverse de ce que nous avons la propension à dire, n’est nullement le premier en Afrique Noire. En revanche, par son côté parricide, inopiné comme un grondement de tonnerre dans un ciel limpide, par son ignominie, sa lâcheté, par ses répercussions quasi immédiates, par le terrifiant précédent qu’il aura constitué, il incarne bel et bien une première sur notre continent. Et Atsustè Kokouvi Agbobli se souvient : « Le héros de l’indépendance et, de surcroît, le président de la république gisait criblé de balles, le 13 janvier 1963, au petit matin devant l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique non loin de sa résidence privée ! L’évènement vaut la peine d’être conté. Pour beaucoup de néophytes en politique africaine, la prise du pouvoir par des militaires togolais est une première en Afrique Noire. Ils oublient probablement qu’en 1956, et sans qu’il y eût mort d’hommes, le général Ibrahim Abdou, au Soudan, le pays de Noirs, ravit déjà le pouvoir au gouvernement légitime empêtré dans les dédales d’un parlementarisme inadapté au pays. C’est le tout premier coup d’Etat militaire en Afrique Noire. Il est suivi en 1960, par celui du colonel Joseph-Désiré Mobutu au Congo-Léopoldville, ex Zaïre et actuelle République Démocratique du Congo, où il neutralise Patrice-Eméry Lumumba dans le conflit de légitimité qui l’opposait à Joseph Kasavubu, le président de la République. Le Premier ministre congolais est physiquement liquidé et plus tard ses traces totalement effacées au Katanga alors gouverné par Moïse Tshombé et son ministre de l’intérieur Godefroi Monongo. Dans le cas du Togo, l’assassinat su chef de l’Etat par des militaires est une première en Afrique. » (Cf. A. K. Agbobli, op.cit., pp. 18-19)
Dans ce qui suit, nous verrons en essence : (i) l’atmosphère ayant régné dans notre pays un certain temps avant le funeste forfait ; (ii) l’affaire Robert Adéwi ; (iii) le rôle joué par Georges Maitrier et Henri Mazoyer dans cette nauséabonde histoire ; (iv) quelques réactions subséquentes à la mort de Sylvanus Olympio ; (v) les conséquenses de l’assassinat en cause.

1°) L’atmosphère politique au Togo un certain temps avant le meurtre de Sylvanus Olympio

Depuis un certain temps, l’univers politique togolais s’était alourdi. Des rumeurs de complots vrais ou imaginaires infestaient l’air du pays. Elles sous-tendaient des attaques verbales de Théophile Mally à l’intention du Ghana, de Kwame Nkrumah personnellement.
En effet, déjà en avril 1961, le militaire togolais Christian Abbey s’était vu interpellé aux alentours de la résidence du chef de l’Etat, avec un camion plein d’armes… (Cf. A. K. Agbobli, op. cit., pp. 34-35). Le 17 mai de la même année, un stock de 44 pistolets mitrailleurs, plus 2616 cartouches de munitions, fut découvert au domicile loméen du Dr Simon Kpodar réfugié à Hô (Ghana)… Des arrestations s’ensuivirent, dont celle de Santos Anani Ignacio le 26 décembre 1961.
Le 13 janvier 1962, la JUVENTO et l’UDPT se virent interdites. Le 21 janvier 1962, un jeune homme visiblement drogué réussit à s’infiltrer dans la chambre à coucher du Président de la République. Muni d’un couteau, ce garnement proférait des mots comme : « Président, aujourd’hui je t’ai attrapé ! » Menacé à l’aide d’une chaise par Elpidio Olympio, fils benjamin du chef de l’Etat, l’énergumène sauta par la fenêtre. (Cet incident m’a été confirmé par Gilchrist Olympio le 22 août 2000. Il avait très affecté Sylvanus Olympio m’a confirmé Me Lucien Baby Olympio : en avril 2008.)
Dans cette atmosphère politique polluée, des informations de diverses provenances commencent à parvenir aux oreilles de Sylvanus E. Olympio. D’abord, il semble que son cousin François Amorin, lui-même mis au parfum des antécédents accusateurs du commandant Georges Maitrier, aurait avisé le chef de l’Etat des risques qu’en courrait notre
Lequel Georges Maitrier, prototype des agents des services secrets françafricains, aura dirigé des opérations de liquidation physique des fondateurs historiques de l’Union des Population du Cameroun (UPC) tels que Ruben Um Nyobé, Osendé Castor Afana, etc. Le 17 décembre 1962, à Agoué (BENIN), le président du Dahomey (Benin), Hubert Maga, aurait lui aussi directement alerté son homologue togolais quant aux menés nocturnes et souterraines que les demi-soldes revenus du Vietnam et d’Algérie étaient en train de concocter contre Sylvanus Olympio. Et ce, disait Hubert Maga, selon ses services de renseignement… en août 2000, le Dr Albert D. Franklin me confia que le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny aussi eût mis la puce à l’oreille de Sylvanus E. Olympio. Le 16 décembre même mois, un ex membre de l’ « ACTION GROUP » (qui requiert l’anonymat), me raconta que peu de temps avant que les putschistes du 13 janvier 1963 n’eussent passé à l’action, il avait fait partie d’une délégation de groupe, qui rencontra le Président Sylvanus Olympio lors d’une réunion du comité exécutif du CUT. Au sujet du coup qui se tramait. Le chercheur va jusqu’à se faire dire que l’adjudant-chef Emmanuel Bodjollé, troublé par une crise de conscience, aurait vendu la mèche à Théophile Mally qui, à son tour, en aurait parlé au chef de l’Etat. Mais notre héros national restera, au plus, dubitatif… Et c’est ici qu’il sied de mentionner un évènement avant-coureur d’une extrême gravité.

À suivre

13 janvier 1963 – 13 janvier 2013
50 ans déjà !
Les causes, les circonstances et les conséquences
de l’assassinat de Sylvanus Olympio

(Par Godwin Tété)

« Sylvanus Olympio, c’était un Monsieur… »
Jean Rouch.
(Cf. Communauté France-Eurafrique, n°138, janvier 1963, pp. 25-27)

« Un seul filet de sang évite parfois des torrents
de sang et un cortège de malheurs pour un peuple.
Mais, un simple filet de sang peut également peser
lourd sur le destin d’un peuple, d’une nation et du monde. »
Atsutsè Kokouvi Joachim Agbobli
(Cf. Sylvanus Olympio, un destin tragique, Ed. NEA, 1992, p. 15)

« Liberté, je te nomme Ablodé ! »
Godwin Tété

Voici déjà cinquante bonnes années, jour pour jour, soit un bon demi-siècle, que le Père de la Nation togolaise : Sylvanus Kwami Epiphanio Olympio, a été froidement assassiné. Cependant, comme le dit si bien le poète sénégalais Birago Diop, « En Afrique, les morts ne sont pas morts ». A fortiori les grands hommes. (Godwin Tété). Voilà pourquoi, un demi-siècle après sa tragique disparition, Sylvanus K.E. Olympio continue à être pleuré par son peuple qu’il aimait et qui continue aussi à l’aimer toujours.
Mais, après tout ce qui a été écrit sur ce crime odieux, que le lecteur veuille ne pas s’attendre ici à des révélations spectaculaires. Mais je crois que le jeu en vaut la chandelle. En effet, le propre des assassinats politiques de l’Histoire (je pense, entre autres, à : Henri IV, Jean Jaurès, Léon Davidovitch Bronstein Trotsky, Mohandas Karamchand Gandhi (alias Mahatma Gandhi), John Fitzgerald Kennedy, Malcolm X, Martin Luther King Jr, Patrice Eméry Lumumba, Félix Mounié, El Mehdi Ben Barka, Outel Bono, Sylvanus Kwami Epiphanio Olympio, Thomas Sankara), c’est de véhiculer, vraisemblablement ad vitam aeternam, quelque opacité…Pour ne pas dire quelque énigme.
Il convient donc que l’Histoire y revienne périodiquement, pour faire le point, pour poser de nouvelles interrogations éventuelles.
Par ailleurs, le monde entier le sait maintenant, le 13 janvier 1963, un quarteron d’hommes en uniformes kaki abat froidement, au petit matin, Sylvanus Kwami Epiphanio. Dans la capitale togolaise. Mais un juriste pourrait arguer qu’on ne saurait parler, stricto sensu, de coup d’Etat militaire puisque ces hommes-là n’appartenaient à aucune armée en tant que telle. Ils étaient toutefois des militaires de carrière. Ensuite, on peut tuer quelqu’un avec du poison, par exemple, cependant que le meurtre du 13 janvier 1963 aura été perpétré bel et bien par des moyens hautement militaires. Enfin, la victime n’était pas n’importe qui, mais un prestigieux chef d’Etat. De surcroît, les raisons de ce forfait, aussi bien les lointaines que les immédiates, relèvent d’affaires d’Etat. Donc, le 13 janvier 1963, à Lomé, il s’était assurément agi, non pas d’un simple crime crapuleux, mais d’un coup d’Etat militaire longuement mûri et exécuté avec un art consommé.
Nous commencerons dès lors par tracer un schéma squelettique de l’historique de la chose militaire, dans son acception moderne, au Togo. Nous traiterons ensuite des causes et raisons lointaines, de même que des motivations immédiates et des circonstances du meurtre du 13 janvier 1963. Puis nous indiquerons, en grandes lignes, les réactions internes et externes à la mort du héros de l’indépendance togolaise. Enfin, nous signalerons, en peu de mots, les douloureuses conséquences de cette tragique disparition.
1- Historique de la donnée militaire moderne au Togo
Les Allemands qui les premiers colonisèrent la Terre de nos Aïeux ne pensaient apparemment pas nécessaire de mettre sur pied une armada chez nous. Par contre, ils s’étaient donné un corps de forces de police solide et valable: « la polizertruppe ». Plus exactement, ils avaient créé une «force de police» chargée du maintien de J’ordre et de la sécurité intérieure. À cela s’ajoutait néanmoins une réserve formée de « soldats sans munitions» libérés en 1910. Le gros de ces forces années avait été recruté notamment parmi les Bassar, les Cotokoli, les Kabiyè et les Dagomba.
De plus, il y avait un corps de réserve de quelques dizaines d’Européens, « peu nombreux mais excellents» (Robert Cornevin). Dans son ouvrage Le Togo pays d’influence française, le général Maroix estimait à 1500 les éléments des forces années allemands à la veille de la campagne du Togo en août 1914. Quant à Robert Corneviri, il avance le chiffre théorique de 1 200, ajoutant que ces forces n’avaient jamais pu aligner plus de 500 hommes.
Quoi qu’il en soit, après la Première Guerre mondiale, le statut de mandat de la Société des Nations (SDN) interdit la construction de troupes militaires dans notre pays, sauf pour des raisons évidentes de sécurité intérieure et/ou extérieure. Ce statut sera reconduit par le: nouveau régime international de tutelle des Nations unies, concrétisé par l’Accord de Tutelle pour le Togo en date du 13 décembre 1946.
C’est pourquoi, au début, durant et après la Seconde Guerre mondiale, quelques Togolais (chômage oblige!), durent s’engager comme volontaires dans les armées britanniques en Gold Coast (Ghana) ou françaises dans les colonies limitrophes de notre pays (Dahomey, Niger ou Haute-Volta). S’agissant des troupes françaises, nos compatriotes volontaires pour la guerre ne devraient pas dépasser le chiffre de trois cents. (Si je ne m’abuse !) (Cf. La palpitante quête de l’Ablodé pp. 61-63), de Godwin Tété).
Léo Hamon, lui, il nous apprend que, pour le Togo en 1966, les effectifs militaires avaient atteint 550 hommes, soit deux compagnies, tandis que la gendarmerie avait totalisé 1000 personnes. « Ni marine, ni aviation. L’encadrement est réalisé au point de vue quantitatif. » (Cf. Léo Hamon, Le rôle extra militaire de l’armée dans le tiers-monde, PUF, Paris, 1966, p. 96.)
Notons au passage qu’en 1991, on comptait environ 13 000 hommes en armes chez nous, soit un accroissement de Il 450 (ou 738,70%!) par rapport à 1966. Qui plus est, cette armée de 13 000 personnes est qualifiée de « tribalisée » parce que comportant 80% de ressortissants de la partie septentrionale de notre pays. Qui pire est, de ces 80%, 90% ont été recrutés à Pya et dans ses environs immédiats. (Cf. Rapport du Comité d’Action contre le Tribalisme et le Racisme (CATR), présenté par Ayayi Togoata Apédo-Amah, à la Conférence Nationale Souveraine (CNS) : 8juillet – 28 août 1991. Pya est le village natal de Gnassingbé Eyadéma …)
Et il y a à parier que le chiffre de 13 000 tourne aujourd’hui autour de 22000 ! Tel est, en bref, le cheminement d’un corps au départ noyau de « gardiens de la paix publique », aujourd’hui métamorphosé en un mammouth aussi prétorien, inutile que pléthorique … Dont un régime tyrannique d’un autre âge se sert pour terroriser le pacifique peuple togolais. Revenons au meurtre de notre premier président de la République.

2. Les causes lointaines et profondes de l’assassinat de Sylvanus Olympio
D’aucuns attribuent ces causes à un conflit pour ainsi dire latent (imaginaire) entre le «Nord» et le «Sud» (eux-mêmes imaginaires) de notre pays. À cela, on ajoute volontiers l’opposition intervenue très tôt, trop tôt après l’indépendance, entre le CUT d’un côté, la JUVENTO-UDPT de l’autre.
Tout d’abord, il n’y a jamais eu d’antagonisme radical, irréductible, entre le « Nord» et le « Sud» de la terre commune de nos communs aïeux. Les populations du «Sud», de par leur situation géographique il est vrai, ont eu, de bonne heure, à se frotter à la « civilisation» occidentale.
De l’avis général des chercheurs qui se sont penchés sur la question, les Portugais auraient été les premiers à toucher la côte du Togo. En tout état de cause, Robert Cornevin dit:
« Malgré les prétentions dieppoises à la priorité dans ces régions, il est vraisemblable que ce sont les Portugais Joao de Santerem et Pedro de Escobar qui, les premiers, longent (1471-1473) les 50 km de côte de l’actuel Togo. Cette côte ne donnera lieu qu’assez tard à une installation européenne fixe ; par contre, deux localités proches: Elmina (actuel Ghana) et Ouidah (Dahomey) connaissent un développement rapide sur lequel nous avons une documentation abondante. L’étude de ces centres, notamment de Ouidah, à quelques dizaines de kilomètres à l’est de l’actuel Togo, si proche sur le plan ethnique, linguistique el coutumier, permet d’éclairer les premiers contacts des Blancs avec le pays. (. . .)
« San Jorge del Mina, premier fort portugais, est fondé par Diego d’Azambuja le 20 janvier 1482. Ces installations destinées au commerce, donnent lieu à certaines tentatives d’évangélisation des chefs africains autour des centres fortifiés:» (Robert Cornevin, Histoire du Togo. Ed. Berger – Levrault, Paris, 1969. p. 119. Le Dahomey = l’actuelle République du
Bénin.)
Au contraire, ce sont des Danois qui auraient visité, comme premiers Européens, l’arrière-pays. Ici encore, nous nous référons à Robert Comevin :
« Il semble qu’à la fin du XVIIIe siècle, l’installation des Danois à Kéta entraîne un protectorat de fait sur l’actuelle côte togolaise, ainsi que nous le laisse entendre le chirurgien Paul Erdman 1sert (Paul Erdman Isert, Voyage en Guinée et dans les îles Caraïbes en Amérique, traduit de l’allemand, Paris, Maradan, 1973, 336 pages.), dont la lettre n°5 fait état de l’intervention du prince Ofoli Bossum, fils d’Assiambo, roi des Popo, qui vint à Kéta prêter serment de fidélité aux Danois le 25 mai 1784, cependant que le roi des Popo s’installe à Aflao. La lettre n°7 d’Isert (Ibid. p., 119 – 126.) décrit en détail la région de Petit­Popo et Glidji.
« Par ailleurs, dans l’étude consacrée par Georg Nörregard (lbid., p. 122.) à l’histoire des établissements danois en Gold Coast une carte de Peter Thonning publiée en 1802 comporte le nom d’Agou, bien situé, ce qui semble montrer que les Danois sont probablement les premiers à avoir exploré cette partie de l’arrière-pays togolais (actuelle région de Kpalimé) » (Robert Cornevin, op. cit., p. 118).
À partir de 1530, le commerce triangulaire du « bois d’ébène» commence à exercer ses ravages sur la « Côte des Esclaves ». (Cette appellation vint du fait de l’abondance, de la qualité et du las prix relatif des cargaisons d’esclaves que les négriers embarquaient sur cette côte riche et bien peuplée.) Après El Mina construit en 1481, c’est Christianborg, bâti sur l’emplacement du village d’Osou par les Danois (1659), puis Jamestown (Accra) par les Anglais (1662), Lijdzaamheid (Apam) par les Hollandais (1697), Prindsenteen (Kéta) et Kongensteen (Ada), construits par les Danois en 1784.
Ainsi le district d’Anlo se trouve-t-il fort équipé du point de vue de la traite. Des entrepôts-marchés d’esclaves existent à Atoko, Anlogan, Woe, Kéta, Dzéloukopé, Vodza, Bloukousou et Adina. A Atoko, le Portugais Baéta organise en grand le trafic des esclaves et lorsque celui-ci est officiellement interdit (1803), Baéta cède sa m