Depuis la tentative de démocratisation de 1990, le pouvoir togolais use de tous les procédés pour se maintenir en place.
1990. Dans la foulée du discours de La Baule dans lequel François Mitterrand a affirmé conditionner l’aide aux pays africains aux réformes démocratiques, les Togolais descendent dans la rue.
1991. Sous l’égide de l’ambassadeur de France, des accords sont signés en juin entre la mouvance du président Eyadéma et le Collectif de l’opposition démocratique (COD) en vue de la tenue d’une conférence nationale (CN). Selon l’accord, la CN doit aboutir à la mise en place d’un gouvernement de transition, d’organes de contrôle des élections et d’un calendrier électoral. La CN se tient du 8 juillet au 28 août et institue un Haut Conseil de la République (HCR). Mais, s’appuyant sur le refus de l’opposition de respecter l’accord, le clan présidentiel met un terme au processus, pendant qu’à Paris Mitterrand évoque « les modalités et les rythmes » que chaque pays doit pouvoir choisir pour aller vers la démocratie. Le 28 décembre, le siège du gouvernement est encerclé par des blindés et le premier ministre est pris en otage. Il demande à la France d’intervenir au nom des accords de coopération. Mais, suite à une conversation entre Eyadéma et Jean-Christophe Mitterrand, Paris déclare ne pouvoir envoyer de troupes qu’à la demande du président togolais.
1992. Fin octobre, la France, dont des ressortissants occupaient des postes de commandement au sein de l’armée togolaise, met officiellement fin à son assistance militaire. En décembre, Charles Pasqua, encore dans l’opposition, rend visite au président Eyadéma dans son village natal. Il exprime sa « considération » et son « admiration » pour son hôte.
1993. En janvier, l’armée réprime dans le sang une manifestation alors qu’un ministre allemand et un ministre français se trouvent à Lomé. La répression qui suit conduit près de 300 000 Togolais à l’exil.
En février, le clan présidentiel fait capoter les pourparlers de Colmar, qui se déroulaient sous médiation franco-allemande. En juillet, l’opposition togolaise et le pouvoir signent finalement un accord à Ouagadougou (Burkina). L’élection présidentielle se déroule en août, après que le principal candidat de l’opposition, Gilchrist Olympio, a été exclu de la course. Les conditions sont telles que l’opposition refuse de concourir et que la majorité des observateurs internationaux mettent un terme à leur mission. Cautionnée par un petit groupe d’observateurs français et burkinabés, la victoire d’Eyadéma (avec 96 % des voix) est proclamée.
1994. L’opposition reporte une majorité de sièges aux législatives. Eyadéma choisit le président d’un petit parti d’opposition comme premier ministre, semant ainsi la zizanie chez ses adversaires. Le parti du pouvoir peut ainsi gagner la présidence de l’Assemblée.
1998. Les principaux leaders de l’opposition participent à un scrutin présidentiel ouvert. Devant la débâcle qui s’annonce, le premier ministre déclare « des résultats provisoires complets » et donne la victoire à Eyadéma avant que le décompte des voix soit terminé.
1999. Les élections législatives, boycottées par l’opposition, sont remportées par le parti au pouvoir. En visite à Lomé, le président Chirac parle d’« opération de manipulation » à propos d’un rapport d’Amnesty International qui dénonce l’exécution extrajudiciaire de centaines de personnes, suite à la proclamation des résultats de 1998.
Le régime doit, sous la pression extérieure, adopter en juillet les accords-cadres de Lomé qui visent à l’émergence d’une démocratie.
2002. En contradiction avec ces accords-cadres, une révision du Code électoral fixe des conditions pour tout candidat à la présidence qui permettent d’exclure Gilchrist Olympio. Une autre révision permet à Eyadéma, qui a pourtant pris des engagements contraires, de solliciter un troisième mandat.
2003. Toujours en contradiction avec les accords-cadres, la Commission nationale électorale est privée de son indépendance et l’organisation des élections est confiée au ministère de l’Intérieur. En juin, le président est réélu avec 57,78 % des voix.
Personne n’est dupe de la concession présidentielle
La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ne s’en laisse pas compter. Samedi, elle a décidé de sanctionner le Togo. Désormais, le pays est suspendu de l’organisation, tout déplacement à l’étranger est interdit à ses dirigeants, et embargo sur les ventes d’armes à Lomé est imposé. Une réponse au coup d’État mené par les forces armées togolaises qui, le 5 février, ont investi Faure Gnassingbé à la tête de l’État, en remplacement de son père, décédé après trente-huit ans de règne sans partage. L’organisation régionale, qui tente depuis cette date d’obtenir un retour à la légalité constitutionnelle, c’est-à-dire le départ de Faure Gnassingbé du pouvoir, son remplacement par le président de l’Assemblée – nationale et l’organisation d’élections dans les deux mois, n’a donc pas été sensible à la – dernière concession du président togolais.
Après s’être fait sermonner jeudi par le Nigérian Olusegun Obasanjo, président en exercice de l’Union africaine, Faure Gnassingbé avait déclaré vendredi qu’il avait décidé « de poursuivre le processus de transition conformément à la Constitution (…) et d’organiser l’élection présidentielle dans les délais constitutionnels de soixante jours ». Souhaitant que la CEDEAO accompagne le Togo dans ce processus électoral, le nouveau président avait également déclaré qu’il assurait « la continuité de l’État en attendant l’élection d’un nouveau président de la République ». Une déclaration jugée « largement insuffisante au regard des attentes et des exigences des dirigeants de la CEDEAO », selon le président de l’organisation, le Nigérien Mamadou Tandja. Son homologue malien Alpha Oumar Konaré, président de la Commission de l’UA, a lui aussi estimé que la décision de Gnassingbé de rester au pouvoir « viole la Constitution du Togo ». Soutenant la décision de la CEDEAO de sanctionner Lomé, Washington a également exigé la démission immédiate du nouveau président. Le voyage de dernière minute, samedi à Abuja, d’une délégation togolaise menée par le premier ministre, Koffi Sama, pour tenter de faire approuver la décision de Faure Gnassingbé, n’a pas suffi à faire fléchir la communauté internationale.
Le coup d’État se heurte aussi à la résistance des Togolais. Malgré la répression qui a fait au moins trois morts lors de la manifestation du 12 février, vingt-cinq mille d’entre eux sont encore descendus dans la rue samedi. Les manifestants ont pu cette fois défiler sans incidents et l’opposition a annoncé son intention d’organiser une nouvelle marche mercredi, puis, tous les samedis, jusqu’au départ du fils du général président. À Paris une manifestation a – rassemblé, hier quelque 1 500 personnes dénonçant la dictature et le soutien que lui a apporté la France.
Reste qu’un retour à l’ordre constitutionnel pourrait ne pas suffire dans ce pays gangrené par des décennies de règne despotique. Les institutions comme la Commission électorale ou la Cour constitutionnelle sont entièrement aux mains de proches de l’ancien chef de l’État. Même les structures traditionnelles ont été dévoyées au service du pouvoir. Quant à l’homme qui constitutionnellement devrait assurer l’intérim du pouvoir, le président de l’Assemblée nationale, Fambaré Natchaba Ouattara, il est membre du parti présidentiel. Ancien ministre des Affaires étrangères et conseiller du défunt dictateur, il fut, au début des années quatre-vingt-dix, un des faucons du clan présidentiel.
Camille Bauer
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