25/04/2024

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« Vincent l’Africain » Bolloré contre-attaque

par Vincent Fournier

Le patron du groupe Bolloré est critiqué de toutes parts sur ses pratiques africaines, notamment dans la gestion des plantations de palmiers à huile et d’hévéa. Il sort de son silence, décidé à rendre coup pour coup. « Vincent l’Africain » a convié son staff en charge des plantations*. Le capitaine d’industrie est décidé à passer à l’offensive médiatique pour contrer les attaques dont il fait l’objet. Un reportage sur France Inter, en mars dernier, l’a présenté comme un héritier direct de la Françafrique. Plus récemment, la parlementaire européenne Eva Joly l’a classé parmi les pilleurs du continent. L’ONG Les Amis de la terre a nominé son groupe en octobre, parmi douze grandes entreprises françaises, pour l’attribution du prix Pinocchio du développement durable. Les accusations : violation des droits sociaux, déforestation, pollution locale, émission de gaz à effet de serre, communication biaisée, publicité trompeuse…

Le patron breton n’a pas apprécié. À 57 ans, il veut mettre les choses au point. Un changement de stratégie qui ne doit rien au hasard. Le discret mais très influent vice-président en charge de l’Afrique, Michel Roussin, est parti chez Veolia. Le courant avait, semble-t-il, de plus en plus de mal à passer avec Dominique Lafont, le patron de Bolloré Africa Logistics. Ce dernier, artisan du développement dans les pays anglophones, monte en puissance. Parallèlement, la famille Calzaroni, conseillère historique en matière de communication, doit cohabiter avec les jeunes loups du groupe Euro RSCG, plus enclins à communiquer.

Et puis, « tel le paratonnerre attirant la foudre », Bolloré en a assez d’être la cible systématique des pourfendeurs de la Françafrique. Assez également des rumeurs sur la vente de ses actifs africains. S’il avoue s’être débarrassé de son activité tabac pour une question d’image, il regrette d’avoir capitulé si vite sur le bois. A-t-il songé à se désengager totalement de l’Afrique après la vente de Delmas au groupe CMA-CGM ? « Jamais, clame-t-il haut et fort. Nous étions en Afrique avant moi, nous y resterons après moi ! » Cette vente lui a même permis de travailler plus facilement avec les autres armateurs (Maersk, MSC…) et de renforcer sa stratégie portuaire et terrestre. Quant à la concession du port de Dakar gagnée par DP World en 2007, si Bolloré « n’aime pas perdre », il ne peut plus être taxé de situation monopolistique.

Quoiqu’il en soit, l’homme d’affaires a déjà planifié la date de sa retraite : en 2022 pour le 200e anniversaire du groupe. Il aura 70 ans. En attendant, il initie ses fils, Yannick, Sébastien et Cyrille aux arcanes du groupe. Le premier est chargé de développer Direct 8 et les médias. Le deuxième est une tête chercheuse dans les nouvelles technologies. Le dernier se consacre à Bolloré Énergie, distributeur de combustibles en France.

Dans les prochains mois, le groupe lancera le Wimax et ouvrira des bureaux d’Havas dans le continent. Il est actuellement à la recherche de perles rares africaines, l’équivalent des « Séguéla français ». Et en 2010, un pays d’Afrique de l’Ouest devrait accueillir la Blue Car, la voiture électrique. Lequel ? La Côte d’Ivoire semble bien placée.

* Claude Juimo Monthe, président du conseil d’administration de la Socapalm, Luc Boedt, directeur général de Socfin, Bertrand Chavanes, conseiller du président.

JEUNE AFRIQUE : Puisque vous êtes attaqué, quel est au juste votre rôle dans les plantations de palmiers à huile et d’hévéa au Cameroun ?

Vincent Bolloré : Outre la plantation de 8 800 hectares de la Safacam, qui nous appartient en direct, nous détenons autour de 12 % de la Socapalm, privatisée en 2000 par le Cameroun et rachetée par la Société financière luxembourgeoise (Socfinal), dont nous sommes administrateurs et actionnaires à hauteur de 40 %. Ce groupe, présidé par Hubert Fabri, a des plantations en Indonésie, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Liberia et au Nigeria notamment. Nous sommes donc partenaires financiers de la Socapalm qui exploite autour de 30 000 hectares. J’assume complètement cette position et j’ajoute que l’État camerounais est resté au capital avec 20 % des parts et que la Socapalm est cotée à la Bourse de Douala.

Autant d’arguments pour vous défendre…

Dire qu’un groupe colonialiste, en l’occurrence Bolloré, coupe des forêts primaires, tue des orangs-outans et déplace des Pygmées… est totalement mensonger et rigoureusement faux. Les surfaces exploitées sont connues. Le nombre de salariés aussi : la Safacam et la Socapalm emploient chacune 1 500 personnes. À cela s’ajoutent les sous-traitants, qui représentent autour de 2 500 personnes pour la Socapalm et moins de 20 % des effectifs pour la Safacam. Les règles sociales sont appliquées. Ce ne sont pas des zones de non-droit. J’ajoute que la filiale dédiée au secteur privé de l’Agence française de développement (AFD), Proparco, et la coopération allemande (DEG) sont nos partenaires.

Pourquoi ces attaques alors ?

Premièrement, il est clair que certains producteurs américains d’huile de soja ont mobilisé depuis des années des sociétés de lobbying pour expliquer que l’huile de palme posait des problèmes. Pas de chance, elle ne contient pas de cholestérol, contrairement à celle de soja. Avec 40 millions de tonnes produites chaque année, ces deux huiles sont au coude à coude. Il y a une guerre mondiale de l’huile. Il y a aussi ceux qui, sans arrêt, cherchent à nous « allumer ». Ils sont souvent mal intentionnés et pour certains rémunérés. Et enfin, « Bolloré l’ami de Sarkozy » dérange. Il a beaucoup investi en Afrique quand d’autres se retiraient. Aujourd’hui, les faits lui donnent raison.

En effet, 2008 a été une excellente année pour vous. L’activité plantation vous a rapporté 47��millions d’euros.

L’année 2008 a été exceptionnelle car les prix de l’huile de palme et du caoutchouc ont été au plus haut. Mais nous investissons dans ce secteur depuis 1995. Quand je suis entré au capital de Socfinal, le groupe exploitait une vingtaine de milliers d’hectares contre 140 000 aujourd’hui. En moyenne, Safacam gagne entre 2 et 3 millions d’euros par an et notre quote-part d’Intercultures (la société qui regroupe les plantations africaines de Socfinal) est de 20 millions. Soit entre 7 % et 8 % de l’ensemble des profits du groupe Bolloré.

Et en 2009 ?

Nous sommes sur des prévisions à la baisse, de moitié, par rapport à 2008, mais ce sera encore une bonne année. Toutefois, la filière en Asie est beaucoup plus compétitive qu’en Afrique. Le rendement des régimes de palme à l’hectare y est de 24 tonnes. Chez Socapalm, en moins de dix années, nous sommes passés de 9 à 13 tonnes. Cela veut dire qu’il faut des actionnaires de référence capables d’investir sur la durée. J’ajoute que nous vendons l’intégralité de notre production au Cameroun et que, depuis sa privatisation, la Socapalm a seulement eu trois exercices bénéficiaires.

Mais n’est-ce pas la filière des agrocarburants qui vous intéresse ?

Non. Le continent a d’abord un problème alimentaire à résoudre.

Alors pas question d’abandonner ?

En aucune manière. Quand on est pris comme cible de façon caricaturale et avec des méthodes sujettes à caution, cela mérite une réaction. Dans un premier temps, nous avons été tentés de rester en retrait sur la Socapalm. Après réflexion, au Cameroun et en Afrique, nous pouvons et nous devons nous défendre.

Après les silences, est-ce le temps de la contre-attaque ?

Lorsque nous avons été critiqués sur notre activité forestière, nous sommes partis du Cameroun, il y a cinq à six ans, où nous avions deux exploitations. C’était lâche. Des sociétés asiatiques sont arrivées : elles coupent 40 à 50 arbres à l’hectare, quand nous en coupions un seul ! Je ne ferai pas la même chose sur le caoutchouc et l’huile de palme. C’est pour cela que j’ai décidé de me battre contre les amalgames et de réagir.

Mais les attaques fusent aussi ailleurs, comme la concession du port d’Abidjan obtenue de gré à gré en 2004 ?

C’est faux, cela ne s’est pas passé ainsi. Il y a eu un appel d’offres, mais nous avons été les seuls à répondre. Nous avons donc gagné cet appel d’offres de gré à gré. La Côte d’Ivoire traversait une période extraordinairement difficile et personne ne voulait prendre le risque d’y investir. Depuis une vingtaine d’années, nous n’avons rien gagné de gré à gré. Malheureusement !

Pourquoi malheureusement ?

C’est beaucoup plus simple et moins stressant. Et je pense que nous mériterions de remporter des contrats de gré à gré. Le groupe vient de fêter ses 188 ans, nous sommes en Afrique depuis plus de trente ans et nous avons démontré nos capacités à investir, payer des impôts, former les élites, trouver des partenaires… Dois-je rappeler que le port d’Abidjan offre à présent un meilleur rendement que celui de Marseille ? Bref, nous avons de meilleurs comportements que les amis des bons jours. Nous, nous restons dans les moments difficiles.

Cela a été le cas en RD Congo. Mais êtes-vous sûrs des cargaisons que vous traitez ? Nous faisons allusion à l’exportation illégale de matières premières…

Et vous, êtes-vous sûrs que personne n’a glissé quelque chose dans votre voiture ? Plus sérieusement, il y a plusieurs façons de vérifier la teneur d’une cargaison. Si le donneur d’ordre et le receveur sont des sociétés connues, cela élimine à 90 % les problèmes que vous évoquez. Et puis nous sommes commissaires en douane, nous contrôlons donc nos conteneurs très fréquemment avec des systèmes électroniques. Pour l’essentiel, nous sommes donc sûrs du contenu de nos cargaisons. Mais ni plus et ni moins que la SNCF ou DHL…

Oui, mais là nous sommes en RD Congo.

Je n’ai aucune raison de penser qu’il se passe des choses pires en Afrique qu’ailleurs. Quant aux rapports de l’ONU sur ce dossier, nous avons toujours été cités sur de fausses accusations. Nous avons depuis démontré que cela était infondé.

Vous avez remporté en décembre 2008 la concession portuaire de Pointe-Noire. Êtes-vous intéressés, en plus, par le Chemin de fer Congo-Océan (CFCO) ?

Notre stratégie en Afrique repose en effet sur l’existence de corridors terrestres qui prolongent les infrastructures portuaires. Nous avons donc indiqué que nous étions prêts à coopérer sur un projet qui permette un flux plus rapide des marchandises, car sinon un port est vite engorgé.

Coopérer seulement ?

Nos moyens sont limités. Nous n’avons pas accès aux capitaux extérieurs et nos investissements reposent sur notre cash-flow.

Où en est votre « mano a mano judiciaire » avec Jacques Dupuydauby de Progosa au Togo, au Gabon et au Cameroun ?

La justice de chacun de ces pays nous a donné raison et nous a rendu les actifs du groupe qui avaient été détournés.

Ne regrettez-vous pas cette association avec lui au Togo ?

Nous n’avons jamais été associés. Il était salarié du groupe et nous ne pouvions imaginer qu’il y aurait un détournement d’actifs. Cette affaire est réglée : justice nous a été rendue. Mais je n’en dirai pas plus car une autre action au pénal est en cours en Espagne où se trouve le siège de Progosa.

Le départ de Michel Roussin, votre « Monsieur Afrique », et l’ascension de Dominique Lafont à la tête de Bolloré Africa Logistics (BAL), traduisent-ils un changement de méthode ?

C’est peut-être le hasard des coïncidences. À la veille de ses 70 ans, après dix années de bons et loyaux services, Michel Roussin a eu envie de rejoindre le groupe Veolia et Henri Proglio, pour qui j’ai beaucoup d’estime et d’amitié. Je n’ai pas su le retenir. Avec Dominique Lafont, ils constituaient un binôme équilibré du fait de leurs parcours, formation et profil respectifs. Lafont est en première ligne. Comme il est fier de ce que le groupe entreprend en Afrique, il communique.

On a tout de même l’impression que ce changement répond à un souci de rupture avec, par exemple, la Françafrique…

On a d’abord dit qu’avec Nicolas Sarkozy à l’Élysée, j’allais tout gagner en Afrique. Pas de chance, j’ai perdu le port de Dakar ! Nous sommes en Afrique depuis trente ans et nous y resterons. Nous y étions avant moi, nous y resterons après moi.

Mais on vous voit peu sur le continent…

C’est vrai. Mes équipes y vont et je trouve que ce n’est pas bon de personnaliser les relations. Sinon, j’adore aller en Afrique.

Rencontrez-vous alors les chefs d’État africains à Paris ?

Oui, souvent. Notre groupe représente entre 1 % et 2 % des recettes fiscales dans bon nombre de pays où nous sommes implantés et autant en matière d’emplois. Nous représentons une activité importante. Et lorsque certains observateurs, soi-disant avisés, prétendaient que nous allions vendre nos actifs africains, il était naturel de demander audience aux chefs d’État pour réaffirmer notre intérêt pour le continent.

N’avez-vous jamais envisagé de vendre vos activités africaines, même en 2006, après la cession de Delmas à CMA-CGM ?

Jamais. Cette vente m’a permis de devenir un « pure player à terre ». D’ailleurs, depuis, nous ne cessons de nous renforcer en obtenant des concessions portuaires, car les États savent très bien que nous traitons avec équité tous les armements : Maersk, CMA-CGM, MSC…

Que vous inspire la cession annoncée en Bourse de CFAO par le groupe français de distribution et de luxe PPR ?

L’Afrique est en train de devenir un continent qui intéresse la Bourse. Je suis au conseil d’administration de Mediobanca, qui réunit la fine fleur de la finance en Italie. Récemment, au terme d’une conversation, l’idée s’est imposée qu’il fallait investir en Afrique. J’étais fou de joie. Je me suis dit que j’avais gagné. Les capitaux vont arriver en Afrique. Cela fait trente ans que notre groupe investit en Afrique, j’ai 57 ans, c’est presque toute ma vie. Les mêmes choses produisent les mêmes effets. Ce qui s’est passé en Chine, en Inde et en Asie du Sud-Est va se répéter sur le continent.

De quoi être optimiste et investir dans la communication avec Havas…

Depuis que je suis président du groupe, je ne cesse de dire aux équipes de Havas qu’il faut aller en Afrique. Nous avançons, mais c’est très long. La plupart des gens ne connaissent pas le continent. Si vous n’avez pas un attachement particulier, si vous lisez la presse française et regardez la télévision, vous en avez une vision déformée. Et même anxiogène. Nous sommes malgré tout passés à la phase opérationnelle. Havas va ouvrir des bureaux au Togo, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, dans un premier temps, puis au Nigeria et au Kenya. L’idée est d’inciter nos clients comme Orange, Sanofi ou Danone – pour ne citer qu’eux – à faire de la publicit�� en Afrique. C’est un marché en plein développement, et à terme, nous allons recruter des publicitaires africains.

Mais Havas, c’est aussi Euro RSCG qui fait du conseil en communication en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire pour le président Laurent Gbagbo. Ne craignez-vous pas un parasitage avec vos activités historiques ?

Je ne sais pas à quel titre je pourrais empêcher les équipes d’Euro RSCG de travailler partout dans le monde. Je ne peux déjà pas le faire en France, où certains d’entre eux travaillent pour Ségolène Royal, d’autres pour Nicolas Sarkozy !

Seriez-vous intéressés par les médias en Afrique ?

Non, car il y aurait automatiquement des interférences politiques, ou tout du moins des soupçons. En France, nous ne sommes pas en conflit d’intérêts car nous ne vendons rien à l’État. Ce n’est pas le cas en Afrique.

Et votre voiture électrique, la Blue Car, qui sera commercialisée en France au cours de l’été 2010, va-t-elle être disponible en Afrique ?

Oui. Cela se fera dans un pays au nord-ouest de l’Afrique subsaharienne. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant.

En revanche pour le Wimax, le haut débit par voie hertzienne, c’est au Gabon que tout commence.

Je dois, en effet, aller au Gabon en novembre pour inaugurer les installations. Wimax, c’est l’ordinateur mobile Internet sans passer par les câbles. De la même façon que le téléphone mobile répondait à la réalité africaine, la voiture électrique aura, également, ses premiers utilisateurs en Afrique, car là où il n’y a pas de réseau électrique, vous installez un panneau photovoltaïque pour recharger les voitures ! Avec ces nouvelles technologies, l’Afrique peut directement monter en première division.