26/04/2024

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Togo : Discipline du couvre-feu au sein de l’opposition

Extension du domaine de la parole mesurée et contrôlée. Ils n’étaient pas vraiment connus pour leur sens de la réserve ; pourtant, depuis le déclenchement des rafles policières, suite aux incendies des marchés, une stratégie lisible de contre-offensive se fait toujours attendre du côté d’une frange de l’opposition. A quelques rares exceptions près, attentisme et protestations improvisées sont de rigueur.

Par Franck Essénam EKON

Sortir du bois. L’exercice est risqué au Togo en ce moment. Dans une atmosphère encore polluée de relents combustibles, la moindre sortie de route tombe sous le coup de la complicité active à la pyromanie. Les fines gâchettes de la rhétorique la jouent profil bas. Pendant que certains détenus à la gendarmerie de Lomé attendent encore de savoir pourquoi leur nom est associé aux incendies des marchés, les regards se tournent mécaniquement vers les partis politiques de l’opposition frappés de plein fouet par la récente vague d’arrestation. Pour ceux qui en doutaient encore aux premières heures des opérations policières, les méthodes utilisées, la focalisation exclusive sur les états-majors de l’opposition, et surtout les justifications a posteriori des mises en causes ont levé les dernières hypothèques sur la réelle finalité de ce coup de filet : faire le lien entre les activités politiques des personnes arrêtées et leur implication dans les incendies. « C’est comme ça depuis deux semaines ; des familles de militants sont désemparées », confie-t-on au siège de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) de Jean-Pierre Fabre, où une cellule de communication est aux limites de la saturation face aux sollicitations de parents ou de proches…

Ligne de conduite : un fourre-tout intégral

Au désarroi de tout ce monde, vient s’ajouter une préoccupation qui n’a rien d’un feu de paille : l’impression de plus en plus partagée que les QG des partis politiques de l’opposition en sont encore à accorder leurs violons sur la ligne de conduite à adopter. Ligne de conduite ? « Le fourre-tout intégral où chacun vient déclamer sa tirade», décrit Didier, au sortir d’une conférence de presse du Collectif « sauvons le Togo » (CST). La rédaction de son journal croule sous les communiqués-fleuve des opposants et des organisations sympathisantes. Arc-en-ciel, CST, OBUTS, les postures se déclinent quotidiennement dans le particularisme des chapelles. Dans une redondance contagieuse. Si le tri est ardu, le décryptage l’est tout autant…Entre les condamnations du bout des lèvres, les déclarations à l’emporte-pièce et les pétitions de principe, le constat du flou est un euphémisme. « On n’a pourtant pas arrêté de leur dire qu’il y a en ce moment des gens en détention et que les efforts devraient se concentrer en priorité sur leur libération », s’épanche un attaché de presse débordé par le brouhaha des prises de position. L’analyse est symptomatique d’un malaise dans la communication des opposants. Pour plusieurs d’entre eux, actuellement, c’est la camisole de force du wishful thinking. Personnellement avertis qu’ils sont en ligne de mire des services de sécurité, ils ont le sens de la formule juste et prudente, quitte à valider la thèse d’un aveu d’impuissance. Dans ce lot, certains ont vite choisi : silence radio sur les arrestations ou à la limite, service minimum pour déplorer les incendies. D’autres ont opté pour la condamnation-soft avec en point d’orgue l’exigence d’une commission internationale d’enquête sur les événements. Dans les deux cas, une ligne Maginot invisible semble soudain tempérer les ardeurs qu’on a connues plus vives. « La peur du gendarme est un puissant facteur dans le contexte actuel », tente d’expliquer Zakpa E., enseignant retraité dans un sourire forcé. En face, c’est la tactique du Sheriff de Nottingham sans retenue, axée sur l’épouvantail des dénonciations calomnieuses et la règle d’une criminalisation de ceux qui refusent de courber l’échine. Autant de brèches dans lesquelles s’engouffrer et organiser une contre-attaque…

La ligne Maginot du service minimum

Peur sur l’opposition. Toute l’opposition ? L’appréhension n’a pas refroidi la totalité du bloc. A l’issue d’un interrogatoire à la gendarmerie, Claude Ameganvi ne fait pas dans la dentelle. Décidé à aller au feu, Il accuse le pouvoir d’avoir « planifié et exécuté l’incendie criminelle des marchés de Kara, Lomé, Aklakou ainsi que la tentative d’incendie criminelle des marchés d’Atakpamé, Kpalimé et bien d’autres villes et localités pour en imputer faussement la responsabilité aux responsables du CST qu’il a fait arrêter.» Dans le chorus des déclarations aseptisées, c’est le premier à évoquer l’éventualité d’une implication directe du pouvoir dans la tragédie que vit le Togo. Le leader du Parti des travailleurs tient une comptabilité précise des personnes arrêtées (50, selon ses chiffres), et somme les autorités de les libérer. L’injonction n’a que peu (ou pas) de chance d’être suivie ; elle a néanmoins le mérite d’exister. Côté défense des accusés, la même discipline du couvre-feu est de mise. Alors que le long chemin de croix des détenus se poursuit et que des arrestations supplémentaires sont programmées, plan de communication et stratégie de mise en lumière des avocats semblent démonétisés. Un peu comme si on s’était déjà rangé à l’idée de laisser les choses suivre leur cours jusqu’aux frontières de l’irréparable. Il sera toujours temps de feindre la surprise d’entendre un de ces verdicts dont les tribunaux togolais ont le secret.

La rédaction letogolais.com