25/04/2024

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Afrique-politique: les liaisons dangereuses de l’intello et du militaire

Simple boutade ou proclamation d’une réelle conviction, il se trouve encore des intellectuels pour revendiquer ostensiblement une alliance avec les hommes en armes dans une stratégie de conquête ou de gestion du pouvoir politique en Afrique. A une époque où de toutes parts sur le continent, on croyait en avoir fini avec ces fréquentations contre-nature qui ont fait le lit de différents despotismes ici et là, l’apologie des coups d’états et la défense de pouvoirs illégitimes ont de quoi surprendre. Les intellectuels Africains ont pourtant des références théoriques et comparatives de nature à leur éviter les déboires d’un mariage dont on connait bien le destin: la fatalité d’un divorce prononcé à leurs torts. Il ne sert à rien d’avoir des yeux de Chimène pour le Sergent-chef, il n’en a pas besoin pour se saisir du pouvoir et y demeurer aussi longtemps qu’il le désire.

Par Essénam EKON

Un consensus social et même épistémologique semblait s’être réalisé ces derniers temps autour d’une séparation des genres et des domaines de compétence. Que chacun reste à sa place et les chevaux seront mieux gardés…Qu’on ne s’y méprenne surtout pas. Personne n’a jamais dit que le Sergent-chef n’a aucune fonction sociale ou organique. On n’a jamais prétendu que le militaire est une gangrène dont la seule évocation devrait inspirer répulsion ou terreur. L’idée-force de l’interdiction de toute fonction politique aux hommes en armes ne date pas d’aujourd’hui et demeure capitale dans l’organisation d’une société démocratique. On a même fini par le sacraliser au point d’en faire, par endroits une des pierres angulaires de la loi fondamentale qu’est la Constitution. La mise en œuvre de cette prescription est une affaire compliquée par rapport au désir de reconnaissance de certains soldats. Une problématique dont la prise en charge est proportionnelle à l’humilité et au degré de patriotisme de certains militaires pour lesquels la longévité au pouvoir est productrice de grandeur…C’est leur problème et celui de ceux qui les encouragent dans cette voie.

Contrat de mariage sibyllin

Qu’un militaire se saisisse du pouvoir dans un pays africain et veuille y rester est une chose qu’il faut déplorer, car ce n’est ni sa fonction, ni son rôle ou sa vocation. Ce rappel est important et trouve sa plus vibrante affirmation dans le désaveu sans appel infligé par les populations aux régimes militaires, lorsqu’elles en ont eu la possibilité dans les années 90, dans la rue ou dans les urnes là où on le leur a permis.
Le contrat de mariage entre le sergent-chef et l’intellectuel est un modèle d’opacité et de confusion des genres: communauté ou séparation des biens? Statut de chacun des partenaires du couple? Le flou initial des termes de l’union est représentatif de sa fragilité essentielle. La question elle-même peut être retournée dans tous les sens, l’esprit le plus averti s’y perd inévitablement. Les noces du militaire et de l’intellectuel auraient même quelque chose de distrayant si l’enjeu n’était pas aussi important. Il s’agit de gouvernement d’un pays et de gestion politique. Les motivations carriéristes et l’opportunisme de certains pseudo-technocrates ne peuvent s’ériger en modèles de justification d’une situation dont l’Afrique a tant pâti ces ces 30 dernières années. Pour certains pays comme le Burkina Faso, la Guinée ou le Congo-Brazzaville, les affres de la logique prétorienne au pouvoir se conjuguent encore au présent.

Enarques et sorbonnards déçus

La proximité entre le Sergent-chef et l’intellectuel africain est une histoire dramatique sur fonds de disputes conjugales insolubles; Les pionniers de cette obsession matrimoniale dans les années 60, revenaient d’occident bardés de parchemins prestigieux et impatients tel un Platon à Syracuse aux côtés de Denis le Tyran. Ils croyaient, peut-être, comme l’élève de Socrate, pouvoir «intellectualiser» le dictateur ou le despote. Des énarques aux diplômés de Sciences po, le dessein des intellos était pourtant tout autre: profiter de la supposée inculture des militaires pour les téléguider ou dans une mesure plus avantageuse les supplanter. Aucun de ces objectifs ne sera atteint. Le Sergent-chef se révélera accessoirement un dur à cuire et prioritairement un despote sans scrupules qui n’hésite pas à débarquer les empêcheurs de tourner en rond et les objecteurs de conscience. Le divorce, dans ces conditions est inévitable: énarques et sorbonnards se feront ridiculiser par le « petit soldat », malmener par le sac-au dos et « virés » sans ambages par le « marmiton de l’armée coloniale ». L’exil sera leur lot jusqu’à une improbable amnistie ou quelquefois jusqu’à la mort de leur ancien « patron ».

Certains n’ont pas eu le privilège de ce divorce certes difficile, mais qui leur a au moins laissé la vie. Jetés dans d’obscures geôles pour de mystérieux chefs d’accusation, ils seront, le restant de leurs jours, le miroir des projections triomphalistes du militaire à qui ils ont cru pouvoir passer la bague au doigt. D’autres ont eu droit à la solution radicale de l’assassinat déguisé en mort naturelle… Au total, aucun des intellos qui ont cru à cette idylle n’y a trouvé son compte. En supplément des séquences de leur déconvenue, ils se sont même fait régulièrement traiter d’ « intellectuels tarés » par leurs amis militaires. Il est, par conséquent surprenant de voir certains d’entre eux, qui de surcroit ont vécu de près ou de loin ce cheminement, tenter de jouer aujourd’hui la carte d’une néo-romance avec des apparatchiks de l’armée…

Néo-militarisme et Etats-caserne

Le renouveau du militarisme est un jeu dangereux qui n’augure rien de bon dans la réflexion sur le devenir des Etats en Afrique et l’acrobatie intellectuelle qui consiste à vanter les mérites académiques d’un « militaire instruit » pour le positionner dans une stratégie de captation du pouvoir, un coup bas porté aux espoirs de modernisation des institutions sur le continent.
Tierno Monénembo, le prix Renaudot 2008, lui ne s’y trompe pas : « les militaires au pouvoir n’ont jamais rien apporté de bon », précisait-il dernièrement dans une interview sur RFI au lendemain de la prise du pouvoir par la junte guinéenne après le décès de Lansana Conté. Poignant témoignage de lucidité d’un homme de lettres lui-même originaire du pays et qui sait de quoi il parle. Sans diaboliser les forces armées d’un pays, il est nécessaire d’expliquer que le meilleur moyen de protéger la démocratie, c’est encore de laisser les militaires où ils sont, en respectant leur autonomie pour tout ce qui touche aux questions de défense et en s’abstenant d’interférer dans les modes de fonctionnement et d’organisation de leur corps. En 2008, il est irresponsable de vouloir refaire des pays africains des « Etats-casernes », c’est-à-dire des zones de soumission de la vie économique et sociale aux impératifs prétoriens.

Au-delà d’une opposition à cette néo-culture du képi, quelques questions toutes simples : que viendront encore prouver les militaires au pouvoir en Afrique ? Que viendront-ils y faire ? Comment le feront-ils et pour combien de temps ? Au lieu de s’interroger sur une armature originale et novatrice à même de recréer du mouvement politique sur le continent, on ne trouve rien de mieux à proposer que cette résurrection d’un dualisme obsolète et non-fonctionnelle.

La rédaction letogolais.com