Témoignage publié dans AFRIC’HEBDO du 2 mai 2008
CES GRANDS QUI ONT FAIT LE TOGO
LE TEMOIGNAGE D’UN SOLDAT INCONNU
A l’occasion du cinquantenaire des élections du 27 avril 1958, évènement fondateur de l’indépendance togolaise, nous avons jugé nécessaire de consulter quelques combattants de la liberté et héros de l’indépendance du Togo notre pays. Forts âgés, certains étaient en réalité trop vieux pour témoigner par perte de mémoire. Presque tous les militants encore vivants de la JUVENTO que nous avons consulté nous ont conseillé d’aller voir leur compagnon de lutte, Maître François Amorin qui, malgré son âge avancé, garde encore inscrits dans sa mémoire bien des évènements auxquels il avait participé. C’est à ce titre que Maître François Amorin a accepté de nous accorder cette interview exclusive et inédite. C’est le témoignage d’un des rares intellectuels togolais, militants de gauche affirmés, panafricaniste convaincu de surcroit, et qui avait le privilège de connaître le Docteur Francis Kwame N’Krumah, père de l’indépendance du Ghana et chantre du panafricanisme romantique. En intellectuel d’une probité reconnue et en militant d’une juste cause, il dit sa vérité qui peut ne peut plaire à d’autres.
Nous ne saurons le remercier mais le remercions néanmoins vivement de sa contribution à la connaissance d’une partie de l’histoire de notre pays et espérons qu’il s’efforcera de nous livrer ses mémoires pour que nous en sachions plus sur sa vie d’homme intrépide.
Afric’Hebdo : Comment avez-vous vécu le 27 avril 1958 ?
François Amorin (F. A.) : Il y a cinquante ans, à la faveur d’élections sous supervision de l’Organisation des Nations unies, les portes de l’Indépendance s’ouvraient devant nous. C’était le 27 avril 1958. Cela n’a pas été facile ; cela n’a pas été donné. L’histoire en est contée par d’experts et érudits chercheurs et analystes politiques, tant Togolais qu’Européens et Américains. Je leur rends un hommage reconnaissant. ‘’Palpitante quête de l’Ablodé’’, titre l’un d’eux (1). Palpitantes, oui ! mais souvent douloureuse, non pas seulement du fait des traitements meurtrissants de tous ordres par lesquels l’Autorité Administrante pensait pérenniser sa tenure mais aussi du fait de l’incompréhension, voire de la trahison de certains qui, à visage découvert ou sous masque étaient enrôlés dans le camp de cette Autorité incorrigiblement hostile à la réalisation, de nos deux aspirations vitales à la reconstitution de notre Togoland et à l’indépendance.
Comment peut-on comprendre qu’un être asservi s’associe au non – vouloir de sa libération.
Pourtant à l’issue de la célèbre Conférence impériale de Brazzaville, la philosophie politique coloniale française avait été clairement proclamée : « Les fins de l’œuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’Empire ; la Constitution éventuelle, même lointaine, de Self – Gouvernements dans la colonie est à écarter » (Conférence Impériale de Brazzaville, organisée par la France libre du général Charles de Gaule du 30 Janvier au 12 Février 1944). Philosophie contraire à la finalité de la mission que la Communauté Internationale de l’Organisation des Nations unies a donnée à la France, en lui confiant le trusteeship sur le Togo, de mener les populations sous sa tutelle au Self-Gouvernement ou à l’indépendance selon leur choix : (Article 76 de la Charte) « favoriser l’évolution progressive des populations sous tutelle vers la capacité de s’administrer elles – mêmes ou à l’indépendance compte – tenu … des aspirations librement exprimées des populations intéressées et des dispositions qui pourraient être prévues dans chaque Accord de tutelle » . L’accord de Tutelle avait été signé le 13 Décembre 1945.
A-H : A vous entendre, il fallait que les Togolais mènent une véritable lutte pour obtenir leur indépendance ?
François AMORIN : De diversion en diversion, de dilatoire en dilatoire, la France, l’Autorité Administrante et ses alliés du Parti Togolais du Progrès (PTP) et de l’Union des Chefs et Populations du Nord (UCPN) allaient retarder la solution du problème de l’Unification du Togo par l’Organisation des Nations unies qui en était saisie. En effet, à peine installé, le Conseil de Tutelle était saisi par la All-Ewe Conference, mouvement, lancé le 25 Mai 1945 par un ancien professeur d’histoire du Collège Achimota (Accra), d’ethnie Anlon, Daniel Nyaxo Chapman, d’une pétition visant à regrouper sous une seule administration, les populations de l’ethnie Ewe dispersées sur trois territoires – la Colonie de la Gold – Coast et les Territoires Togolais sous tutelle britannique et française. Ce regroupement concernerait au moins un million de personnes, un peu plus si l’on tenait compte de la portion dite Ouatchi mais en fait d’origine éwé, ouatchi étant une déformation de Notsè, installée au Bénin, région de Comé.
Ce besoin d’unification était la conséquence des difficultés de communication et des restrictions à la libre circulation qu’éprouvèrent ces populations au cours de la deuxième guerre mondiale 1939 – 1945.
Cette guerre opposait initialement l’Allemagne à la France et à la Grande Bretagne. Le 20 Juin 1940, la France signa un armistice avec l’Allemagne cependant que la Grande-Bretagne continuait la guerre, rejointe par le général Charles de Gaulle et ses partisans. Du coup, le Togo sous administration française devint territoire ennemi, vu du côté britannique et idem pour le Gold Coast et le Togo Occidental vu du côté français.
La frontière fut fermée et quiconque tentait de la franchir était passible de lourdes peines d’emprisonnement voire de mort. La participation aux cérémonies cultuelles familiales et claniques, l’assistance aux funérailles des parents devinrent impossibles. On peut dire que la frontière avait déchiré l’âme même de la communauté Ewe.
Si naïve qu’elle pût paraître, vu par exemple, que le Conseil de Tutelle n’était pas habilité à traiter un problème intéressant une portion du territoire et de la population de la Gold – Coast, une colonie de la Couronne britannique, et non un territoire sous Tutelle, la démarche de la All–Ewe Conference avait tout au moins le mérite de poser le problème de l’iniquité des frontières coloniales africaines arbitrairement tracées.
La pétition fut favorablement reçue et le Conseil de Tutelle prit une résolution invitant la All – Ewe Conference à envoyer ses représentants à venir s’expliquer devant lui. C’était une première, et l’ouverture d’un forum où celui qui fait souffrir peut être confronté à celui qui subit la souffrance.
La All – Ewe Conference y délégua Sylvanus OLYMPIO, du Togo sous administration française.
A.-H. : Avez-vous participé personnellement à ce combat pour la réunification des Ewés considéré par d’aucuns comme une manœuvre subtile des Britanniques pour annexer les deux Togo ?
François AMORIN : A l’époque, en 1945 – 47, j’étais étudiant à la London School of Economics and Political Science où je fis connaissance avec Francis Kwame N’Krumah à l’atelier (Seminar) d’anthropologie ; il était Secrétaire Général de la West African National Secretariat. Je devins membre de cette organisation et fus chargé des relations avec l’Afrique francophone. Nous publions une revue : The New African. J’y écrivis sous le pseudonyme « Gbonvi tso ka » à savoir la « petite chèvre a coupé la corde », dans une parution de 1947, une réflexion où, après avoir salué la contribution que venait de faire la All–Ewe Conference à la stratégie de lutte anticoloniale, je proposai que priorité fût donnée à la revendication de l’indépendance, réservant à des accords entre Etats Togolais souverains la reconstruction du Togoland dans ses frontières allemandes.
La All-Ewe Conference ne tarda pas, elle-même, après le refus fin 1950 par l’ONU pour irrecevabilité et inapplicabilité de sa revendication d’unification des Ewés répartis en fait sur quatre territoire, à se rallier à son congrès de réorientation tenu à Kpalimé, en janvier 1951, à la demande d’unification du Togolais dans ses frontières allemandes et son indépendance.
Sur le terrain, au Togo sous administration française, son allié, le Comité de l’Unité Togolaise (C.U.T.) dont Sylvanus Olympio était un des dirigeants, adopta définitivement comme double objectif la réunification du Togo et son indépendance avec le slogan : Ne Woa tsa dua ! Ablodé !
Avec l’entrée au forum du Togoland Congress de S.G. Antor du B.M.T. (Bristish Mandated Territory) et de la JUVENTO, porte-parole Maître Ignacio Anani SANTOS, qui avaient pour seul mandat, la revendication de la réunification du Togo et de son indépendance, les débats à la Quatrième Commission de l’Assemblée Générale des Nations unies, ne porteront plus que sur les problèmes de l’Unification et de l’Indépendance des deux territoires sous tutelle du Togo.
A-H : Comment s’est déroulé concrètement le combat
François AMORIN : Notre cause avait l’oreille de la grande majorité des délégués des Nations. Des Résolutions encourageantes étaient prises, les visites des Missions de l’O.N.U. soulevaient l’euphorie et confortaient l’espérance des populations. Sous l’aiguillon des Nations unies et des harcèlements des populations de sa colonie de Gold Coast, le Royaume-Uni accélérait les réformes constitutionnelles qui devaient amener sa colonie au self–governement (autonomie interne) puis à l’indépendance, conformément d’ailleurs à ses traditions.
En Gold Coast, Kwame N’Krumah était à la tête du Gouvernement depuis 1951. En 1954, le Royaume-Uni jugea que la Gold Coast, et partant le Togo Occidental qu’il administrait comme une partie intégrante, étaient prêts à l’indépendance.
La France, puissance administrante de la tutelle au Togo Oriental, empêtrée dans le carcan de sa philosophie coloniale requinquée à la Conférence de Brazzaville résistait, faisait du surplace attendant l’occasion d’intégrer son territoire dans l’Union Française.
Elle crut son heure venue quand s’avéra l’inéluctabilité de l’indépendance simultanée de la Gold Coast et du Togo sous tutelle, administré par les Britanniques, avec pour conséquence la perspective de levée de la tutelle. Par décret pris le 24 août 1956, elle dota le Togo sous son administration d’un statut d’autonomie en instituant la République Autonome du Togo (RAT). Elle organisa le 28 Octobre 1956 un référendum pour légitimer le régime. Les patriotes indépendantistes togolais boycottèrent le référendum.
A-H : C’était quand même une avancée institutionnelle incontestable !
François AMORIN : Si le statut d’autonomie constitue un pas important dans l’évolution constitutionnelle de notre pays, il ne satisfaisait pas pour autant la quête de souveraineté vivement exigée par les populations. En effet, il laissait la responsabilité à la France en matière de souveraineté des compétences essentielle tels la Défense, les Affaires étrangères, la Monnaie et le change . Très significatif de l’abandon de souveraineté était le fait de laisser à la responsabilité d’un Etat étranger la garantie de l’intégrité des limites de son territoire. Et tous ces abandons de compétence en matière de souveraineté étaient conçus pour survivre à la levée de tutelle.
En réalité, le Statut conçu pour le Togo Oriental instituait une Communauté Franco – Togolaise, prélude à l’intégration du pays à l’Union Française et plus tard… la Communauté qui fut proposée par le général Charles de Gaulle à son retour au pouvoir en 1958. Se fondant sur les réformes contenues dans le Statut et le résultat du Référendum du 28 Octobre 1956, l’Autorité Administrante, la France, demanda la levée de tutelle. Sa requête fut débattue par l’Assemblée Générale du 2 janvier au 23 janvier 1957. L’Autorité Administrante constitua une équipe de haut calibre comprenant Gaston Defferre, le ministre de la France d’Outre-Mer, Houphouët-Boigny, président du Parti Démocratique Africain (R.D.A.) et ministre d’Etat dans le gouvernement français, à l’époque, et deux représentants du gouvernement togolais, le Docteur Robert Ajavon président de l’Assemblée Législative et Georges Apédo-Amah, ministre des Finances.
Leur plaidoyer pour la levée de tutelle ne put convaincre l’Assemblée Générale que le régime instauré par le Statut d’autonomie accomplissait les fins du régime de tutelle institué par l’article 76 de la Charte de l’Organisation des Nations unies. Prudemment, l’Autorité Administrante retira sa demande, et émit l’invitation pour qu’une mission de visite de l’O.N.U. puisse venir observer l’application concrète du nouveau Statut.
L’O.N.U. accepta l’invitation par une résolution du 23 Janvier 1957 et subséquemment dépêcha la Mission de visite sous la conduite de Charles King de Libéria (durée de séjour 28 Mai / Juin 1957).
Sur rapport de cette Mission, l’Assemblée Générale prit le 29 Novembre 1957 la Résolution N° 1182 acceptant de superviser des élections au suffrage universel des adultes pour renouveler l’Assemblée législative et définit la compétence de l’assemblée qui sera élue à proposer le statut du TOGO. :
Ladite Assemblée Générale qui : … Prend acte de la déclaration de l’autorité administrative selon laquelle la nouvelle Assemblée législative qui sera élue en 1958 au suffrage universel des adultes et le gouvernement du Togo seront invités à formuler en consultation avec l’Autorité administrative des propositions pour permettre d’atteindre rapidement l’objectif final du régime de tutelle.
Accepte ….l’invitation du gouvernement du Togo transmise par l’Autorité administrative de prendre des dispositions nécessaires pour la supervision des élections par l’Organisation des Nations Unies.
Le peuple comprit l’enjeu. Il livra bataille. Il gagna.
A-H : Quels étaient les préparatifs faits pour la tenue de ces élections ?
François AMORIN : La France, l’Autorité Administrante, et son complice, le Gouvernement de la République Autonome du Togo (RAT), allaient tout mettre en œuvre pour arracher la légitimation de cette République et son intégration à l’Union Française. A cet effet, ils ont mis les bouchées doubles dès 1957.
Une des premières mesures était le renforcement des mesures de sécurisation dans les régions du nord du Togo contre l’expansion du « virus » ‘’Ablodé’’. Nous avions l’habitude de parler de ‘’rideau de tecks’’, établi à la hauteur de Blitta par analogie au ‘’rideau de Fer’’.
Les services de sécurité y furent renforcés sous la direction du Commissaire de police Rieudemont, bien connu de la JUVENTO qu’il avait tenté d’infiltrer par ses agents en jouant au socialiste compréhensif.
C’est lui qui inventa de toute pièce une détention illégale d’arme pour pouvoir arrêter notre militant Jean Sosso à Pya-Haut.
La répression judiciaire contre la presse et la simple expression politique orale prit de l’ampleur.
L’influence des Chefs Traditionnels étant encore effective, il fallait s’assurer de la confiance de ces féaux qui, le moment venu, orienteront le vote des électeurs : destitutions des récalcitrants et augmentation ou réduction des indemnités de fonction étaient des moyens utilisés sans oublier des intimidations plus subtiles.
A-H : Pouvez-vous nous donner des exemples précis ?
François AMORIN : Je commence par la fusillade de Mango. La Circonscription de Mango sous l’influence du chef N’Djambara (Sangbana – Mango) avait fait émettre un fort pourcentage de votes négatifs au référendum du 28 Octobre 1957
A Mango, la chefferie s’exerçait par alternance entre les quartiers Djabou et Sangbana. Le Chef Djabou étant décédé, la chefferie revenait au quartier Sangbana en la personne de N’Djambara. L’autorité administrative passa outre à la dévolution coutumière pour ne pas reconnaître le choix de N’DJAMBARA.
La Mission de visite des Nations Unies conduite par Charles King, venant à passer à Mango, en reçut pétition. Le lendemain 20 Juin 1957, des coups de fusil éclatent. Un mort, des blessés. Le quartier de Sangbana agressé est accusé : des arrestations et incarcérations furent opérées. L’affaire sera amnistiée après les élections victorieuses du 27 Avril 1958.
A Pya-Haut et Hodo, une fausse accusation de détention d’arme.
Pya-Haut était un fief nationaliste, à ne pas confondre avec Pya-Bas.
Jean SOSSO, tailleur à Pya-Haut, était le responsable de la JUVENTO du Secteur. A l’aube d’un jour, le Commissaire Rieudemont et quelques gardes – cercle surgissent à son domicile et se mirent à fouiller sans lui exhiber aucun ordre de perquisition.
Aucune présence d’objet délictueux n’est signalée. La perquisition se poursuit dans son atelier avec un résultat négatif. On le ramène à son domicile en laissant un garde à l’atelier.
A peine Rieudemont et sa prise font-ils quelques pas que le garde s’écrie : J’ai trouvé un pistolet enfoui dans du sable contenu dans une caisse. Le procès de Jean Sosso pour détention illégale d’arme aura lieu au Tribunal de Sokodé quelques semaines avant les élections du 27 Avril 1958. Le juge le condamna à une peine presque entièrement couverte par la durée de la détention préventive et Jean Sosso pouvait donc espérer participer à la campagne électorale.
Mais, le diable veillait. Jean SOSSO fut maintenu en détention sous l’inculpation de complicité dans les événements sanglants du marché de Hodo.
En effet, le 22 Juin 1597, un jour de marché, les gendarmes tirent dans la foule faisant plusieurs morts et blessés.
En tant que défenseur de Jean Sosso, je fis appel de sa condamnation et obtint qu’une expertise fût pratiquée. Le résultat à la source de l’arme, c’est-à-dire le fabricant et fournisseur est que le pistolet faisait partie des dotations de la Gendarmerie de Côte d’Ivoire.
A Atakpamé, le vieux Waklatchi, notable et fervent militant du C.U.T. est déporté et incarcéré à la prison de Lama-Kara, Théophile Mally – futur ministre de l’Intérieur dans le gouvernement du président Sylvanus Olympio, fut inculpé pour diffamation à l’encontre de Monsieur Philippe Soglo, le chef de la subdivision de l’Akposso et père du futur président Nicéphore Dieudonné Soglo du Bénin.
On était à peu de semaines du 27 Avril 1958. La condamnation était inéluctable. Théophile Mally était la bonne prise : orateur séduisant et convainquant, stratège à l’ingéniosité féconde, il fallait l’écarter de la campagne électorale.
En matière de diffamation, le diffamé est maître de la procédure ; il a la faculté d’arrêter le procès en se désistant de sa plainte. Je dus recourir à l’influence de mon frère Tobias Amorin, directeur de la Société John Walkden à Bohicon, ami des familles princières d’Abomey, pour faire intervenir le chef de la famille Soglo auprès de son ‘’fils’’ afin que celui-ci accepte les excuses de Théophile Mally et lui pardonne. Des contacts furent pris aussi sur place.
A l’audience appointée, in limine litis – comme nous disons en notre jargon du prétoire (c’est-à-dire avant tout débat au fond) – je fis demander au plaignant, par le Président, s’il accepterait les excuses du prévenu. Philippe Soglo répondit affirmativement.
Théophile Mally, l’accusé, présenta ses excuses et Philippe Soglo publiquement les accepta. Le Juge rougit … Des indiscrétions diront qu’il avait déjà préparé un jugement de condamnation….
L’Autorité Administrante et le Gouvernement du Togo ne pouvaient imaginer quel service ils rendaient à notre cause par la fréquence des poursuites judiciaires dans le Septentrion.
Au Cabinet d’avocats de Maître Anani Ignacio SANTOS, j’étais chargé particulièrement de la défense devant les juridictions d’Atakpamé et de Sokodé.
Ainsi, comme le ‘’rideau de tecks’’ ne facilitait pas la pénétration des nationalistes dans le nord de notre pays, les procès nous fournissaient des occasions de travail avec nos militants du Nord dont les délégations venaient de toutes les sections de la JUVENTO.
Feu Firmin Aballo, futur député et futur ministre et Benjamin Djiffa m’accompagnaient et notre chauffeur s’appelait Adamou.
A-H : Et la campagne de la JUVENTO à l’extérieur ?
François AMORIN : Nous, à la JUVENTO, nous concevions notre lutte comme la lutte de l’Afrique. A l’expérience, toute évolution du statut du Togo entraînait celle du statut des colonies françaises d’Afrique. Et nous ne pensons pas nous tromper, n’était – ce la question Togolaise, la Grande – Bretagne n’aurait pas accéléré le processus de décolonisation de la Gold – Coast.
La Juvento avait donc entrepris une politique de présence dans les assemblées politiques et syndicales qui se sont tenues à Cotonou, devenu capitale des recherches africaines d’unité politique ou syndicale avec le Congrès constitutif de l’Union Générale des Travailleurs Africains – UGETAN, le Congrès de l’Union Démocratique du Dahomey (UDD – RDA dont le secrétaire général était Justin Ahomadégbé), le Congrès du Parti du Regroupement Africain – P.R.A.
A ces occasions, ont été votées des motions au soutien de notre cause.
L’Union Démocratique du Dahomey (UDD) s’impliqua même dans la surveillance de la frontière entre le Dahomey et le Togo, le jour du scrutin du 27 Avril 1958. L’avant – veille, alors que les frontières étaient fermées, un de ses militants, Antonin Nicoué nous signala que des camions loués par le Parti Togolais du Progrès (PTP) étaient en route vers Hilla Condji. Nous en informions aussitôt les observateurs onusiens du secteur d’Anèho qui furent des membres imprévus du Comité d’Accueil.
Pour ces actions, Benedictus Apaloo dit Ben Apaloo ou Firmin Aballo m’accompagnait.
A-H : Et l’action des Etats indépendants d’Afrique ?
François AMORIN : Outre la présence de la JUVENTO à la toute première Conférence des Chefs d’Etat des pays africains indépendants à Accra, en 1957, les relations de notre parti avec les dirigeants de quelques uns des pays africains alors indépendants nous avaient été fort utiles. Je commence par cette histoire des bicyclettes sur lesquelles beaucoup de bêtises ont été dites ou écrites au sujet de la JUVENTO. De fait, ayant appris que les chefs des Etats indépendants d’Afrique allaient se réunir à Accra, nous avons décidé de tenter de les rencontrer. Car, le dernier mot appartenant à l’O.N.U, il importait de tenir informés les chefs d’Etat Africains, dont les pays y siégeaient, de l’état de la gestion du processus électoral et de nos appréhensions.
Je fis le déplacement avec Ben Apaloo, Abalovi Ganto Acolatsé nous avait transportés dans son taxi.
Le secrétariat de la Conférence annonça notre présence au ministre Agbeli Gbedemah chargé de l’organisation qui nous fit signifier une fin de non-recevoir.
Comme il y avait un bureau de poste installé pour la Conférence, j’en usai pour envoyer un télégramme à Daniel Nayxo Chapman, secrétaire général du Gouvernement ghanéen, qui le montra à Kwame N’Krumah avec comme plaidoyer que cela n’honorerait pas le Ghana que la Conférence ait pu entendre Félix Roland Moumié du Cameroun, alors que nos frères Togolais en étaient exclus.
On se mit à nous chercher, mais nous étions partis au restaurant. On finit par nous récupérer et on nous annonça que les Ministres des affaires étrangères tiendront dans l’après-midi, une séance spéciale pour nous entendre.
Nous exposâmes les situations qui prévalaient au Togo sans oublier l’interdiction civique de Sylvanus Olympio, sollicitâmes l’intervention diplomatique des Etats Africains indépendants et enfin un appui matériel pour les déplacements de nos militants pendant la campagne, précisant notre préférence pour les bicyclettes.
Notre demande a été agréée et il nous a été demandé de nous mettre en contact avec le Gouvernement Ghanéen. Celui-ci nous désigna un sieur Wellbeck qui avait des parents à Kodjoviakope (Lomé) comme interlocuteur.
Nous avons appris que la Conférence avait mis une certaine somme à la disposition du gouvernement ghanéen pour l’achat des bicyclettes.
Pour nous, la donatrice des bicyclettes c’est la Conférence d’autant que, cela nous paraît normal, Gamal Abdel El NAsser ou d’autres autres chefs d’Etat ont pu dire plus tard à leur collègue Sylvanus OLYMPIO qu’ils avaient fait une contribution aux élections. Ce qui confirme que ce n’est pas le Ghana qui a donné les bicyclettes.
Toutefois, l’essentiel pour nous, c’est que nous ayons pu réceptionner quelques bicyclettes qui ont rendu beaucoup de service.
D’ailleurs, le président Sylvanus Olympio ne pouvait dire à qui que ce soit qu’il ignorait notre intervention au nom de la JUVENTO auprès la Conférence des chefs d’Etat et la promesse de bicyclettes.
A-H : Et vos actions durant le processus électorale ?
François AMORIN : Les nationalistes ne participaient plus aux élections dans notre pays depuis 1951.
Mais, ayant compris l’importance de l’enjeu et rassurés par la présence de l’O.N.U., ils prirent d’assaut les bureaux compétents pour se faire inscrire sur les listes électorales mais se voyaient refoulés.
Une délégation de la JUVENTO, dont je faisais partie, se rendit auprès de Max Dorsinville, Commissaire de l’O.N.U. pour demander son intervention.
Monsieur Max Dorsinville nous répondit qu’il n’avait pas compétence pour intervenir dans l’organisation matérielle des élections et qu’il n’avait qu’une mission de superviseur.
Je lui répondis : « Si je vous ai bien compris vous êtes là pour dresser un constat post mortem. »
Et de lui souligner qu’à notre avis, il pouvait intervenir sinon le processus qui devait conduire à la levée de tutelle était faussé surtout que l’O.N.U. était partie à l’Accord de Tutelle et c’est à elle de juger de l’opportunité de lever la tutelle.
A-H : Qu’avez-vous alors fait ?
François AMORIN : Il fallait faire jouer les relations. J’ai mon vieil ami Amadou-Mahtar M’Bow, le futur Directeur Général de l’UNESCO, avec lequel nous avons fait ensemble les luttes estudiantines comme membres du Groupement Africain de Recherches Economiques et Politiques (G.A.R.E.P.). Il avait épousé la fille de l’ambassadeur de la République de Haïti auprès du Royaume de Belgique, à Bruxelles, et était à l’époque, ministre de l’Education du Sénégal.
Or, précisément il se tenait à Porto-Novo au Dahomey, le Bénin actuel, une réunion des ministres de l’Education de l’Afrique Occidentale Française (AOF).
Informés qu’il y était, nous fîmes le déplacement, Maître Anani Ignacio Santos et moi, pour le rencontrer. Nous retournâmes le lendemain pour lui remettre des documents. Dans un délai étonnamment bref, je reçus un télégramme m’invitant à aller rencontrer un ambassadeur à l’Ambassador Hôtel d’Accra.
Accompagné de Ben Apaloo, président de la JUVENTO, j’honorai le rendez-vous. Nous exposâmes la situation qui prévalait au Togo, surtout relativement à l’inscription sur les listes électorales. Notre interlocuteur nous rassura. Au cours de l’entretien, nous comprîmes que le gouvernement Haïtien faisait son point d’honneur de la réussite de la Mission de Max Dorsinville et je reste convaincu que le message que nous avons transmis a été reçu.
Le peuple Togolais peut donc féliciter et remercier notre ami Maktar M’Bow, toujours en vie, et le gouvernement haïtien pour leur intervention et le Commissaire Max Dorsinville pour sa vigilance et son efficacité qui ont permis la victoire du 27 avril 1958.
A-H : Et comment s’était déroulée la campagne électorale ?
François AMORIN : Il était de bonne guerre que l’Autorité administrante et les partis politiques de son allégeance missent beaucoup d’entraves à la liberté de réunion.
Maître Ignacio Anani Santos fit campagne dans la circonscription de Bê et M. Gilchrist Olympio, le second fils de Sylvanus était de son équipe. Le Docteur André Akakpo du Mouvement Populaire Togolais (MPT) fit campagne dans la circonscription d’Aflao, solidement encadré par les militants de la JUVENTO. Le Chef Semekonawo, proche du PTP, fut aisément neutralisé.
A Atakpamé, en plus d’une pluie de cailloux et des attaques corporelles, ce fut une gourde contenant un essaim d’abeilles qu’on jeta dans la foule rassemblant des militants venus de Lomé, d’Akposso, d’Atakpamé etc.
A Anèho, c’est un interdit coutumier qu’on allégua pour interdire les réunions publiques : ‘’LONAME’’, citadelle des chefs Lawson, était encore en deuil de son roi.
Un meeting convoqué par la JUVENTO et le C.UT. fut violemment dispersé par la police et Maître Ignacio Anani Santos fut emmené au commissariat de police et verbalisé. Pourtant, par déférence, il s’était rendu auparavant à la Cour de Lonamé, accompagné de deux respectables notables pour les informer d’avance.
A Aklakou, c’est un litige domanial qu’on concocta pour empêcher la réunion sur le terrain préparé à cet effet : des individus surgirent pour prétendre que le domaine était familial et ils s’opposèrent à la tenue de la réunion en présence du Commandant de Cercle et, heureusement, d’un observateur onusien. Mais, la réunion eut cependant lieu dans la concession du président du C.U.T.
A Anfouin, l’emplacement préparé n’était pas très éloigné d’une rive de la lagune. Surgit le gendarme Hougnon, un Français célèbre dans la casse et la répression durant les rassemblements nationalistes :
‘’Vous êtes sur le domaine public’’.
Je rétorquai : ‘’mesurons’’.
Le temps de chercher un décamètre et de finir la mensuration, l’essentiel était dit à la réunion. L’observateur onusien était encore présent.
Tout en liesse d’avoir réussi à tenir la réunion, des participants s’attardèrent dans les rues. Le gendarme Hougnon se vengea sur eux : matraquage, arrestations.
A-H : Tout s’était-il bien passé le jour du scrutin
François AMORIN : Les populations sont sorties massivement pour aller voter, les partisans des nationalistes ayant scrupuleusement respecté la consigne de ne pas réagir aux provocations.
L’une des personnalités le plus combattue du PTP était Emmanuel Fiawoo de Tsévie. Il monta de véritables ateliers de ‘’revirginisation’’ des doigts qui déjà, avaient été teintés de l’encre indélébile de contrôle. Le Révérend Père de Benoist, Directeur du journal catholique pour l’Afrique Occidentale, « Afrique Nouvelle », publié à Dakar et Christian Quacoe, délégué des étudiants togolais en France, n’en crurent pas leurs yeux. Christian Quacoe fut sauvagement battu et souffre encore des séquelles.
La journée touchait à sa fin. C’était vers 17 heures. Au niveau de l’actuelle Ecole Boubakar, une voiture remonte, tel un bolide, la rue d’Amoutivé. C’était Monsieur Kaufman, l’administrateur-maire de la vile de Lomé.
Quelqu’un eut cette intuition ‘’Aviti-fè’’. Bientôt, un calme profond descend sur la ville. On était à l’écoute. Environ 22 heures ! Radio-Lomé vient de jouer le disque ‘’Deo’’, elle annonce : Nous venons de recevoir les résultats de la Circonscription de Nudja :
Albert Doh (C.U.T.)……… 6934
Robert Ajavon (PTP)……… 2698
Est élu Albert Doh
Un grand cri dans la ville. Les rues s’animent. La liesse commence. Vers 23 heures, le Docteur André Akakpo, épuisé, s’effondre dans le bureau de la JUVENTO, sis à l’angle, Avenue des Alliés/ Rue de Paris, dans la maison du Pasteur Andreas AKU : « Merci, mes amis ! Merci. » « Kominin Sendere, Gueria wayi » qui signifie, transcription sous réserve du Haussa, « Quelque soit la durée de la nuit, le jour se lève toujours ». (2)
Oui, le jour s’est levé, ce 27 Avril 1958.
Interview publiée dans Afric’Hebdo N° 46 du 2 mai 2008
(1) Têtêvi Godwin Tété Adjalogo
(2) C’était notre mot d’espérance à la JUVENTO. Paix à ton âme, Malam Yaro qui ne cessait de nous le rappeler.
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