01/11/2024

Les actualités et informations générales sur le Togo

Allocution G. Olympio à la rencontre de la colonie togolaise à Chicago

CHICAGO 2003
5ème CONVENTION DES TOGOLAIS D’AMERIQUE DU NORD
du 25 au 27 juillet 2003

Chers compatriotes,

Je voudrais en tout premier lieu remercier les organisateurs de cette 5ème Convention des Togolais d’Amérique du Nord, Messieurs Ayi Atayi, Hippolyte Lawson, et tout particulièrement votre Président M Placide Da Silva pour les mots d’accueil très aimables qu’il a bien voulu m’adresser.

J’apprécie pour son opportunité l’invitation qui m’est faite de vous rencontrer ici, sur le sol américain où vous vivez et travaillez, afin de faire le point d’une part, sur la tenue de l’élection présidentielle du 1er juin 2003 que vous avez suivie de loin et, d’autre part, sur la situation politique, sociale et économique actuelle de notre pays.

C’est l’occasion pour moi de présenter aux militants et sympathisants de l’UFC en Amérique du Nord mes très sincères remerciements pour tout le soutien logistique qu’ils ont bien voulu apporter à notre parti et à son candidat, M.Emmanuel Bob AKITANI, lors de l’élection présidentielle du 1er juin 2003.

Bien que truquée d’avance, nous avions participé à cette élection dans le cadre juridique contestable que vous savez. En effet, la Coalition des Forces Démocratiques (CFD) a été créée en octobre 2002 sur l’initiative et avec la coopération entière de l’UFC pour exiger du pouvoir en place le retour à l’Accord cadre de Lomé de juillet 1999 que ledit pouvoir avait violé et dénoncé unilatéralement. Cet accord, rappelons, avait reçu l’aval de la communauté internationale. A la suite de la remise en cause de ce cadre juridique et consensuel, la raison et le simple bon sens nous commandaient de ne pas aller à l’élection. Cependant, cette position initiale a évolué compte tenu des enjeux politiques aux nombres desquels, le phénomène de rejet d’Eyadéma, la ferme volonté du Peuple togolais d’infliger une défaite cuisante au régime RPT et l’assurance de l’UFC qu’elle demeure sans aucun doute la première force politique du pays.

Si l’UFC s’est retirée de la CFD, c’est principalement pour la raison suivante : la CFD a oublié sa vocation première au point d’en arriver à se focaliser exclusivement sur la question de la candidature unique. Mieux, il devenait clair qu’elle ne ferait pas un deuil de l’élimination de l’UFC de la course à l’élection présidentielle. Comment dans ces conditions, voulez-vous que l’UFC continue d’être membre d’une coalition qui se réjouirait de son élimination ? Et l’on a vu se dessiner une alliance objective entre la CFD et le pouvoir. Dans ce marché de dupes, l’UFC n’a plus sa place. La suite des événements nous a convaincus de la justesse de notre analyse quand j’ai vu les ballets incessants de personnalités tout aussi respectables les unes que les autres chez moi, visiblement heureuses du rejet de notre candidature, et sollicitant implicitement voire explicitement le ralliement de l’UFC à la leur.

Nous sommes un parti politique. Et un parti responsable, qui tire sa légitimité de son travail dímplantation et de mobilisation sur le terrain. Notre rayon d’action ne se limite pas qu’aux villes importantes du pays. L’UFC est implantée jusque dans les terroirs profonds où vit la majorité de nos populations rurales. Notre objectif légitime est de conquérir le pouvoir et de l’exercer, si possible avec la collaboration de nos partenaires de l’opposition démocratique. Mais pas dans n’importe quelles conditions qui bafouent l’éthique le plus élémentaire.
Nous avons toujours refusé les combines, les magouilles, grandes ou petites. Notre programme est largement explicité dans notre MANIFESTE adopté le 15 août 2002 qui constitue un engagement de notre Parti envers le Peuple togolais pour le changement. Un changement qui part d’une vision claire du règne de l’Etat de droit dans une tradition revivifiée de l’ABLODE.
Un changement qui se donne pour mission l’accession au pouvoir dans la transparence pour le sauvetage économique, social et politique du pays. Et enfin un changement fondé sur un projet de société qui est un programme multisectoriel de développement centré sur l’homme pour promouvoir une société humaine et solidaire.

Dans tout cela, notre premier objectif est le départ d’Eyadéma et nous ne transigerons pas là-dessus. Ce n’est pas un problème de radicalisme ou de je ne sais quel terme dont on affuble notre Parti. Au regard du mal que cet homme a fait à notre pays, c’est un choix qui a guidé l’action de notre Parti depuis sa création et qui correspond à la volonté profonde du peuple togolais.

Notre pays est actuellement dans une situation politique paradoxale : l’UFC bénéficie du soutien de la très grande majorité du Peuple togolais mais c’est la classe politique qui veut à tout prix l’exclure parce que nous sommes devenus l’obstacle qui empêche de tourner en rond. Pour ce faire, toutes sortes d’alliances ont été nouées sous forme de front, de coalitions ou de collectifs. Ainsi, de COD en COD, nous avions fini par perdre de vue l’objectif essentiel qui est le départ d’Eyadéma. Tant pis pour ceux qui font une lecture ou une analyse en termes de vengeance personnelle. Je le dis et l’ai maintes fois répété : nous n’avons aucune vengeance ou revanche à prendre sur qui que ce soit. Mais nous constatons que nous sommes devenus l’ennemi public n°1 à abattre tant par le pouvoir que par certains de nos propres partenaires. C’est parce que notre force sur le terrain fait peur et que nos positions claires et fermement énoncées irritent. Alors on cherche à nous marginaliser, à nous affaiblir par tous les moyens. Mieux encore, des textes sont en préparation pour interdire purement et simplement notre parti.

Par ailleurs, contrairement à ce qu’on dit souvent, le problème de l’opposition togolaise n’est pas tant une question d’union. C’est une question de leadership. Dès sa création et à cause de son enracinement dans l’authentique tradition d’ABLODE qui a évincé le colonialisme et conduit le Peuple togolais à l’indépendance, l’UFC s’est imposé comme un parti de combat et d’avant-garde. Cette position de leadership que nous n’avons jamais recherchée nous est reprochée de même qu’une supposée prétention d’hégémonie. Mais en même temps, ceux-là mêmes qui nous adressent ces reproches et qui refusent de se joindre à nous pour combattre ouvertement le régime RPT, veulent voir l’UFC jouer un rôle fédérateur. Quel paradoxe !
Dans tous les pays africains où s’est réalisée l’alternance politique, il y a toujours eu un leadership de l’opposition, que ce soit au Sénégal, au Kenya, en Zambie, à Madagascar, au Ghana et au Bénin, nos voisins immédiats. Si bien que l’opposition manque de visibilité dans sa stratégie de la conquête du pouvoir, à supposer que cette conquête soit véritablement son objectif et son enjeu. N’entend-on pas certains dans l’opposition dire tout simplement qu’il vaut mieux laisser Eyadéma en paix là où il est, l’essentiel étant qu’il nous laisse aussi en paix ? Mais, pendant quarante ans de pouvoir, Eyadéma n’a semé que la guerre, la ruine et le deuil dans les cœurs et les foyers.

Alors comprenez dans ces conditions pourquoi nous sommes allés malgré tout à ces élections jouées d’avance. Notre démarche signifie que même au-delà de ma personne, l’UFC peut et doit toujours affronter l’ouragan. Il est clair que nous avons gagné ces élections. Notre victoire ne s’est pas transformée en une prise de pouvoir. Oui, l’UFC a gagné mais n’est pas au pouvoir. C’est une déception, mais pas un échec. Au contraire c’est une grande victoire morale qui a fragilisé le vainqueur en place qui sait que, pas plus que les présidentielles de 1998, il n’a pas remporté celles de 2003. Ceux qui l’ont félicité ou ont assisté à son investiture le savent, puisqu’ils sont les premiers à railler cette victoire qui n’en est pas une. Le pouvoir qui se proclame victorieux se trouve dans l’incapacité de former son gouvernement et sollicite notre aide pour la formation d’un gouvernement d’union nationale, alors qu’aucun parti d’opposition ne siège à l’Assemblée nationale. Après avoir bousculé inconsidérément les règles du jeu politique collectivement élaborées, le pouvoir se voit pris dans les mailles de son propre filet comme l’araignée prise en défaut dans sa toile devenue un piège mortel pour elle.

J’ai dit que l’élection présidentielle de juin 2003 était jouée d’avance. Cela signifie que quels soient ou aient été les candidats UFC, CAR, CDPA, Rénovateurs, PDR, CPP en face d’Eyadéma et quelles que soient ou aient été leurs stratégies (candidature unique, semi-unique ou pluraliste, etc.), Eyadéma sortira vainqueur par toutes sortes de fraudes et de tripatouillages. Dire cela, ce n’est pas s’inscrire dans le fatalisme, mais il s’agit de reconnaître l’énormité de la tâche qui attend tout parti vainqueur effectif des urnes.

Donc, aussi longtemps que le pouvoir en place sera soutenu contre toute raison, par la déraison, toute élection présidentielle dans notre pays sera tromperie, dévalorisant par là-même l’acte de voter, cette arme absolue, cet acte sacré que détient le citoyen. Il en est de même quand la victoire est saluée avant même la proclamation des résultats officiels. C’est une manière d’influer sur la décision de l’instrument d’Etat qu’est la Cour constitutionnelle aux ordres qui sait faire allégrement son travail sans état d’âme. Ces manœuvres de félicitations anticipées ont en tout cas constitué un extraordinaire encouragement et une source de légitimation de la fraude.

Il faut savoir que le véritable enjeu des présidentielles au Togo est moins de choisir un Président de la République que d’obtenir la libération des aides de l’union européenne gelées depuis les massacres des populations par l’armée en 1992, suivis des élections frauduleuses de 1993 et 1998. Cette aide gelée représente environ 763 358 770 euros, soit quelque 5 milliards de FF lourds, soit encore 500 milliards de francs CFA cumulés à ce jour qui attendent à Bruxelles. Voilà pour le pouvoir en place l’enjeu principal des présidentielles. Enjeu révélateur d’une certaine conception de la démocratie pour l’Afrique.

Mais rappelons que ce n’est pas l’opposition démocratique qui a demandé ou demande encore le gel de l’aide de l’UE au Togo. Il s’agit de l’application automatique d’un accord que nos gouvernements africains et caribéens ont signé avec l’UE pour l’obtention d’aide au développement sous condition du respect des droits de l’homme et des règles universelles de démocratie. Il ne sert à rien au gouvernement togolais de mentir au Peuple togolais que l’opposition démocratique veut l’affamer en exigeant le gel de l’aide de la Communauté internationale. Le gouvernement togolais ferait mieux d’organiser des élections transparentes et équitables conformes aux règles démocratiques et de cesser les violations des droits de l’homme pour permettre à la Communauté internationale d’aider le Peuple togolais. L’opposition démocratique et tout particulièrement l’UFC sont conscientes de ce problème et en souffrent parce qu’étant eux-mêmes du peuple.
C’est encore là une des raisons de notre participation à la dernière présidentielle, espérant que les résultats respecteraient le choix véridique des électeurs et allaient être acceptables pour tous.
Le tout n’est pas d’espérer récupérer ces fonds. Il faut d’avance annoncer au Peuple l’usage qu’en ferait le gouvernement. C’est ce que j’ai indiqué dans mon Discours programme dans notre Manifeste en mettant l’accent sur la mise en place de stratégies garantissant un développement durable et partagé, avec la création d’emplois par le lancement de grands travaux comme la construction de routes et d’infrastructures d’enseignement, de santé et d’assainissement, et faisant de l’éradication de la pauvreté le levier du changement économique, social et politique de notre pays.

Chers compatriotes, vous voyez combien long est le chemin à parcourir pour notre libération. Une indépendance confisquée dès les premières heures de son acquisition. Un Peuple assujetti à peine sorti des ténèbres de la domination étrangère. Le Peuple togolais ne pourra aspirer au repos quand ses enfants sont embastillés, quand ses enfants sont torturés, quand ses enfants sont tués, quand ses enfants souffrent de la faim, de la maladie, du manque d’éducation. Le Peuple togolais ne pourra aspirer au repos alors même qu’il assiste au pillage de ses richesses pendant que ses enfants sont contraints à l’exil.

Dans notre pays, nos richesses, bien gérées, suffisent largement à procurer à chacun un bien-être matériel et spirituel minimal. Mais voilà que nous sommes obligés non pas de survivre mais de « sous vivre » dans la précarité et une paupérisation révoltante alors que le clan au pouvoir ramasse et emporte nos vies et nos richesses en nous tenant en joue par son armée. Dans ces conditions, notre lutte ne peut que s’appuyer que sur la détermination de tout le Peuple et s’inscrire dans le sillage du combat des vrais Pères de l’indépendance. Celui de l’ABLODE.

Mais ceux qui ne connaissent pas bien l’histoire de notre pays croient que le peuple togolais est passif et n’est pas en mesure de réagir face à la crise actuelle.
Depuis la lutte pour l’indépendance, notre peuple a eu sa propre façon de montrer sa désaffection et de sanctionner le moment venu. Tel fut le cas en 1958, et plus proche de nous, en 1991 ; sans compter tous les soulèvements et protestations qui ont jalonné le règne d’Eyadéma. C’est aussi la leçon que l’on peut tirer des votes massifs de juin1998 et 2003 en faveur de l’UFC.

Le peuple est toujours resté mobilisé. En témoigne plus de 50000 compatriotes venus m’accueillir à la frontière Ghana Togo le 26 avril dernier lors de mon séjour à Lomé pour les formalités d’enregistrement de ma candidature. Aux dires de toutes les agences de presse (AFP-RFI-Reuters-Panapress, etc.) ce séjour confirme la capacité de mobilisation de notre parti et la popularité de son leader.
Cette mobilisation a été également effective lors du rejet arbitraire de ma candidature. Et plus encore, elle a été la démonstration de la grande force nationale de l’UFC pour la campagne et le vote franc et massif en faveur de notre candidat de remplacement Emmanuel Bob-Akitani.
Cela prouve que notre peuple ne se laisse pas intimider et qu’il refuse l’oppression.
N’écoutons pas les agents de désinformation à la solde du pouvoir qui font circuler les rumeurs que le Peuple togolais, déçu de la passivité des leaders de l’UFC après le 1er juin, ne sortira plus pour soutenir la campagne et les candidats de ce Parti à de prochaines élections.
Aujourd’hui, nos partisans sont harcelés et intimidés, mais nous refusons de céder à la provocation. Ainsi, Jean-Pierre Fabre, Secrétaire Général de notre parti et Patrick Lawson, 3ème vice-président de l’UFC ont été arrêtés le 2 juin dernier, menottés et conduits devant un juge à minuit aux fins d’inculpation. Il leur est interdit de quitter le territoire togolais avec la menace d’une nouvelle arrestation.
Il y a également d’autres cas dont celui de Koffi Aganon, président de la Jeunesse des Forces de changement, lui aussi interpellé et toujours détenu à la sûreté nationale. Il y subirait de très graves tortures.

Ces compatriotes résistent et refusent de baisser la tête. Il ne faut donc pas croire qu’il n’y a pas de résistance dans le pays. Nous sommes face à un adversaire particulièrement brutal, un pays où l’impunité est érigée en norme de gouvernement. Rappelons qu’aucun crime ou violation des droits de l’homme commis par ce régime n’a été jugé, encore moins reçu un début d’investigation.

En tant que responsable politique, nous devons être très attentifs. Il s’agit de savoir canaliser l’énergie bouillonnante de notre jeunesse de plus en plus revendicatrice et la demande de justice de notre peuple.
Nous devons éviter le pire pour notre pays car la situation dans les pays voisins (Libéria, Cote-d’Ivoire, Sierra Léone) avec des chefs de guerre incontrôlables et incontrôlés doit nous faire réfléchir. C’est pour nous éviter ces chaos que nous plaçons nos démarches dans le cadre de la prévention des conflits en sollicitant le concours des Nations Unies et de la communauté internationale.

Chers compatriotes, face à la crise politique persistante et à l’Etat de guerre dans notre sous région, nous sommes soucieux d’aboutir à un dénouement paisible et sans effusion de sang dans notre pays. Il est donc nécessaire que la communauté internationale, notamment les Nations Unies, l’Union européenne, les grandes puissances, les ONGs et notre propre Diaspora s’impliquent davantage avec nous dans la recherche et la mise en place d’une alternance paisible au Togo.
A cet égard, nous proposons la formation d’un gouvernement de transition avec la participation des partis de l’opposition démocratique et la Société civile et sans l’association d’Eyadéma dont nous ne reconnaissons pas l’élection.

La situation catastrophique actuelle du régime RPT, l’Etat de non droit du pays, notre crédit politique et la légitimité dont nous sommes en droit de nous prévaloir après le 1er juin, permettent de regarder vers une telle solution. Comme Shakespeare l’a si bien dit dans Jules César :

« Il y a une marée dans les affaires des hommes,
Elle porte au succès, prise à son flux,
Mais, celui-ci manqué, la vie, ce voyage
Echoue dans les misères des sables.
Nous sommes aujourd’hui à marée haute,
Prenons le flot tant qu’il est favorable
Ou ce qui est risqué sera perdu »

Ce gouvernement de transition sera chargé d’organiser avec l’aide et sous la supervision de la communauté internationale, en amont, pendant, et en aval, de nouvelles élections présidentielles et législatives au Togo.
Ce gouvernement donnera à toutes les personnes qui, par leurs activités politiques passées auraient des craintes pour leur vie, notamment Eyadéma, des garanties de sécurité dans les lieux où elles choisiraient de se retirer. Les détails d’une telle proposition restent à discuter et à formuler.

Nous n’avons pas encore atteint notre but et la lutte continue. Nous sommes confiants et comptons sur l’aide de tous ceux qui, Togolais ou Etrangers, sont épris de justice et de paix.

Nous avons laissé des camarades de lutte sur le champ de bataille. Les uns sont encore prisonniers, d’autres ont quitté le pays pour continuer le combat. A tous ces combattants de la liberté, je voudrais que nous rendions un hommage mérité. Mais d’autres ont laissé leur vie dans ce combat. Nous nous inclinons respectueusement devant leur sacrifice. Je voudrais que nous observions une minute de silence en leur mémoire.

Je vous remercie de votre attention.

Ablodé.