25/04/2024

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Après l’Afrique du Nord, quelle nouvelle donne dans la lutte pour le changement en Afrique ?

Fête de l’Huma 2011
Paris, 16, 17, 18 septembre 2011
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Espace panafricain de débats et de communication
Samedi 17 septembre 2011 : 17h-18h

Thème : Après l’Afrique du Nord, quelle nouvelle donne dans la lutte pour le changement en Afrique ? Le cas du Togo

Par Antoine Bawa

Chers amis

Permettez-moi avant toute chose de remercier les organisateurs de cet espace panafricain au cœur de la Fête de l’Huma, sans doute la plus belle tradition de ce pays. Merci aux organisateurs de m’avoir invité à participer au débat sur le thème : « Après l’Afrique du Nord, quelle nouvelle donne dans la lutte pour le changement en Afrique ? Le cas du Togo ». Merci à tous ceux qui sont venus participer à ce débat.

Je m’appelle Antoine Bawa. J’interviens dans ce débat en tant que président de la Fédération internationale de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) parti politique né au Togo le 10 octobre 2010. L’ANC qui aura un an en octobre est actuellement dirigé par Monsieur Jean-Pierre Fabre. L’aile internationale de ce parti a été mise en place par Monsieur Fabre le 30 janvier 2011 à Paris. Et depuis lors, nous menons des activités diverses destinées :

– Premièrement à mobiliser les Togolais et les amis du Togo pour qu’ils contribuent à l’avènement du changement auquel le peuple togolais aspire depuis près d’un demi-siècle ;
– Deuxièmement la Fédération internationale œuvre pour faire connaître à l’opinion publique et aux médias la situation réelle qui prévaut au Togo ;
– Troisièmement nous menons des actions de lobbying et de sensibilisation en direction des organisations internationales, des acteurs politiques et des sociétés civiles des pays où nous vivons pour que ceux-ci puissent comprendre le bien-fondé de notre engagement.

Voilà en quelques mots pour une présentation rapide du parti que nous représentons aujourd’hui dans cet espace panafricain.

Je vais aborder à présent la thématique du débat à travers un clin d’œil rapide sur l’histoire de la longue chaîne des révolutions. J’aborderai ensuite les conséquences de ce qu’il est convenu d’appeler maintenant « printemps arabe ». Bien qu’elles soient connotées selon les angles d’approche, je retiens les notions de « printemps arabe » et de « révolutions arabes » pour mon exposé. Je rappelle que certains parlent même de « printemps arabes » au pluriel ! Je conclurai mon intervention par l’évocation de quelques unes des leçons que ces expériences contemporaines peuvent nous inspirer.

I. Les révolutions à travers l’espace et le temps

Premier élément : La longue chaîne des révolutions dans le monde

Tout d’abord, permettez-moi de rappeler que ce qui se passe en Afrique du Nord depuis décembre 2010, particulièrement en Tunisie, en Egypte et en Libye s’inscrit dans la longue chaîne des révolutions dans l’histoire du monde. Et comme vous le savez, les révolutions qui ont transfiguré le monde ne sont pas que politiques. Notre planète a en effet connu, au fil du temps, différentes formes de révolutions :
– La révolution industrielle fondée sur le charbon, sur la vapeur, sur l’électricité etc.
– La révolution des chemins de fer ;
– La révolution dans le domaine de la santé ;
– Et la révolution numérique qui a permis en quelques années de mailler la planète entière de connexions internet avec maintenant des réseaux sociaux divers et variés.

La ou les révolutions en matière politique participent à cette dynamique de transformations de la société. Elles sont au cœur du processus continu de la lutte de libération des peuples en vue de l’amélioration des conditions de vie et de travail. Ce sont les révolutions qui ont permis les conquêtes des libertés fondamentales, particulièrement celles liées au respect des droits de l’Homme. Et, dans l’histoire, cette dynamique de transformation n’a pas été toujours linéaire. Elle est faite d’avancées, de stagnation et de reflux, à travers le temps et l’espace. Les contextes et les réalités étant différents, d’un pays à l’autre.

Deuxième élément : les luttes populaires contre l’esclavage, le colonialisme et le néo-colonialisme

Ce qui s’est passé ces derniers temps en Afrique du Nord ne relève pas d’un phénomène « magique » ; une sorte de « deus ex machina » qui serait intervenu pour accélérer le processus de changement. Aussi rapide soit-elle, aussi surprenante soit-elle, la révolution en Tunisie plonge ses racines dans l’histoire mondiale et particulièrement dans l’histoire du contient africain qui a connu plusieurs étapes importantes dont celle de l’esclavage et de l’abolition de l’esclavage, celle de la colonisation suivie de la décolonisation ; enfin celle de la néo-colonisation qui perdure hélas encore aujourd’hui, sur notre continent avec bien évidemment la très large complicité de nos dirigeants africains. Après les indépendances des années 50 et 60, indépendances arrachées dans bien des pays à la suite de luttes historiquement attestées, la plupart des pays africains ont en effet été placés sous coupe réglée de systèmes dictatoriaux, claniques et dynastiques, issus notamment de coups d’Etat militaires. Ces phénomènes sont attestés sur le continent au Nord comme au Sud. Et, par médias interposés, la Françafrique nous dévoile de plus en plus son vrai visage. Les déclarations de Robert Bourgi ces derniers jours concernant le transfert, par ses soins, de mallettes bourrées d’argent, de certaines capitales africaines vers Paris, participent de ce dévoilement du vrai visage de la Françafrique.

Troisième élément : les processus de démocratisation en Afrique subsaharienne dans les années 90

A la faveur des luttes engagées en Afrique par les populations pour la démocratie et contre la misère, un grand vent d’émancipation démocratique a soufflé notamment en Afrique au sud du Sahara. Ces mouvements ont aussi bénéficié du contexte international favorable, notamment avec la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide. Avec des fortunes diverses, avec des résultats divers, dans les années 90, des processus démocratiques ont pu ainsi s’engager dans plusieurs pays africains. Ce tournant qui n’est toujours pas achevé est capital dans notre histoire. Et c’est une étape essentielle pour la compréhension de ce qui s’est produit 20 ans après en Afrique du Nord où la plupart des pays sont restés sous des régimes monolithiques voire dynastiques. On oublie souvent ce pan de notre histoire.

Quatrième élément : les facteurs endogènes des soulèvements populaires

Quand on examine de près les facteurs qui ont été à la base du déclenchement des « révolutions » en Afrique du Nord, on peut retenir les facteurs suivants :

1. Il y a d’abord, l’accumulation des mécontentements dans les pays. Dans leur très grande majorité, les populations rurales et même urbaines vivent dans la misère. En Tunisie par exemple, environ 40% des jeunes sont au chômage alors que dans le même temps on ne cessait de vanter le « miracle économique et social tunisien ». A veille du déclenchement des manifestations, la Tunisie était présentée comme « le dragon » de l’Afrique, à l’instar des « dragons » de l’Asie comme la Corée du Sud. Parti de l’immolation par le feu du jeune Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010, la protestation gagne très vite en puissance et dans tout le pays. Nous connaissons la suite : comme un raz de marrée, la protestation a balayé en quelques jours le régime Ben Ali, considéré quelques jours auparavant, comme le régime le plus stable et le plus fiable pour les occidentaux.

2. Il y a ensuite l’énorme déficit démocratique : on se rappellera que sous prétexte de bons indicateurs économiques, de destinations touristiques très prisées par l’Europe, la Tunisie était gérée d’une main implacable, au détriment des libertés et des droits humains. Pourtant, les organisations des droits de l’Homme, la société civile tunisienne n’ont cessé pendant des années d’alerter les opinions publiques internationales sur cette question centrale. Mais, sur l’essentiel, c’est-à-dire la démocratie, l’Etat de droit et les droits de l’Homme, les médias et les puissances étrangères sont restés quasiment muets. Les langues ne vont se délier qu’après le 14 janvier en Tunisie, et le 11 février 2011 en Egypte.

3. Il y a enfin, la gestion dynastique, corrompue et patrimoniale d’un pouvoir despotique. A la veille du 14 janvier 2011, date de la fuite de Zine el-Abidine Ben Ali, les dirigeants de la Tunisie étaient encore des responsables très fréquentables. Et certains responsables politiques français de premier plan étaient encore reçus par les plus hautes autorités de ce pays. Il a fallu le départ du clan Ben Ali pour découvrir le vrai visage du régime : près de 40% de l’économie du pays entre les mains du clan Ben Ali et de son épouse Leïla Trabelsi ; des milliards de dollars emportés dans leurs valises en Arabie Saoudite ; des bijoux et lingots d’or évaporés, des biens immobiliers à l’étranger et des œuvres d’arts pillés. Même son de cloche en Egypte pour Moubarak et son clan. A eux seuls, les deux dinosaures de l’Afrique du Nord totalisent une fortune de près de 80 milliards de dollars. Mais surtout, ils révèlent à la face du monde la véritable nature des systèmes qui sous couvert de géopolitique internationale sont à l’évidence des dictatures qui étouffent et affament les peuples.

Cinquième élément : les facteurs exogènes des soulèvements populaires

Dans les cas de la Tunisie et de l’Egypte, le silence des puissances étrangères a permis aux mouvements protestataires de prospérer et d’aboutir à la chute des régimes. Malgré ce silence observé par la communauté internationale, les autorités tunisiennes et égyptiennes n’ont pas manqué de soulever l’épouvantail des terroristes et autres bandes venus de l’extérieur pour déstabiliser leurs régimes. Les facteurs exogènes qui ont souvent interféré, retardé ou arrêté les dynamiques de changement, n’ont pas été observés dans ces deux situations. En revanche, en Libye l’intervention étrangère a été déterminante pour la chute du régime de Kadhafi.

Sixième élément : le rôle fondamental des technologies de l’information et de la communication

L’irruption d’internet et de ses réseaux sociaux a été capitale dans la propagation des mouvements protestataires. Comme un jeune acteur de la révolution tunisienne l’a déclaré à Jeune Afrique, je cite : « Ben Ali pensait que nous pouvions nous contenter de pain et de jeux. Mais nous n’avions même plus de pain et plus envie de jouer. Il nous a ouvert internet et nous l’avons utilisé contre lui pour nous mobiliser et dénoncer les exactions. C’était l’année de la jeunesse, nous avons transformé ces miettes en liberté. On a montré qu’il faut compter avec les laissés-pour-compte ». Fin de citation. La révolution informatique n’a pas fini de nous surprendre !

II. Quelles peuvent être les conséquences des « révolutions arabes » en Afrique subsaharienne et particulièrement au Togo ?

Dans la première partie de mon intervention, j’ai insisté sur les principaux ingrédients qui font qu’à un moment donné, la marmite très chaude des mécontentements explose. Au fond, les éléments explicatifs que j’ai cités sont, à quelques nuances près, les mêmes qu’on observe en Afrique subsaharienne. Je cite dans le désordre :

Sur le plan du développement économique et du bien-être social : d’une manière générale, après un demi-siècle d’indépendance, les populations se sont appauvries dans les villes comme dans les campagnes. Les populations dans leur très grande majorité continuent de vivre dans la misère : et, dans bien des cas, sans le minimum pour se nourrir, se vêtir et se loger décemment. Les infrastructures routières qui devraient faciliter la circulation des hommes et des biens se sont profondément dégradées. L’institution scolaire qui devrait permettre au plus grand nombre d’enfants d’accéder aux savoirs élémentaires n’est pas en mesure de répondre aux exigences d’une éducation de qualité et on assiste à la mise à l’écart d’un nombre croissant d’enfants scolarisables. Totalement sinistré, le système de santé ne soigne plus alors que les personnels de santé réclament en vain de meilleures conditions de travail pour remplir leurs missions. Mise au ban de la société, la jeunesse qui représente plus de 40% de la population vit dans la précarité absolue, sans aucune perspective d’avenir.

Au titre de la démocratie et de l’Etat de droit : les rhétoriques récurrentes sur la démocratie et l’Etat de droit masquent difficilement la vraie nature du pouvoir : la constitution et les lois de la république sont fréquemment modifiées et quotidiennement violées tandis que les libertés élémentaires et les droits humains sont mis à rude épreuve lors de manifestations et de marches pacifiques. Les revendications politiques menées par l’opposition démocratique et les protestations sociales catégorielles conduites par les syndicats et les associations sont couramment réprimées par le pouvoir. On l’a vu en mai, juin et juillet de cette année au Togo, lorsque les étudiants, les personnels hospitaliers ont lancé des mouvements de grève.

Au titre de la bonne gouvernance : au Togo on assiste depuis 44 ans à la confiscation du pouvoir par un clan dirigé par une même famille. A la mort d’Eyadéma en février 2005 après 38 années de pouvoir dictatorial, c’est son fils qui a reçu le pouvoir en héritage. Les principaux attributs de l’Etat sont entre les mains d’un clan qui perpétue les pires pratiques de la gouvernance avec : les malversations, les détournements, la corruption, la prévarication. C’est dans ce contexte que sont tenues à fréquences régulières des consultations électorales dites libres et transparentes. Censées permettre l’alternance et le changement, les élections sont pourtant un paravent pour reconduire les mêmes à la tête de l’Etat. Avec, naturellement les mêmes problèmes et difficultés à obtenir l’adhésion du peuple pour qu’il participe à la reconstruction du pays.

Mais, plus forts que tout, la soif de la liberté et le vent de la démocratie sont ancrés dans les cœurs et les esprits des populations qui veulent plus que jamais le changement.

III. Les révolutions ne sont pas transposables à l’identique, d’un pays à l’autre

Certes les causes des mécontentements et les revendications qui en résultent sont aujourd’hui les lots communs que partagent les peuples africains au Nord comme au Sud du continent. Toutefois, l’histoire nous montre qu’aucune révolution ne ressemble à une autre. Et pour cause ! Toutes les révolutions s’enracinent dans une culture, dans une histoire nationale ou dans une région spécifique. Elles sont portées par des forces politiques et sociales particulières. Elles se produisent à un moment donné du développement des contradictions dans un pays. Il n’existe donc pas de modèle, pas de copie conforme et encore moins de « copier coller » en matière de révolution. Ce qui n’empêche nullement aux forces démocratiques de s’inspirer des dynamiques et des nouvelles configurations qui émergent des expériences qui ont réussi.

De ce point de vue, le « printemps arabe » ou « les » printemps arabes offrent toute une gamme de leçons qui peuvent éclairer les dynamiques des mouvements protestataires notamment en Afrique au Sud du Sahara, notamment là où les dirigeants s’accrochent toujours au pouvoir en violant les lois, en réprimant les mouvements politiques et sociaux, enfin en refusant par tous les moyens toute alternance démocratique.

A cet égard, parmi les leçons des récents mouvements, beaucoup de Togolais ont retenu les immenses opportunités offertes par internet et les réseaux sociaux. Le téléphone portable dont l’usage est très répandu en Afrique est également un moyen important de mobilisation. Enfin, la mise en commun des forces démocratiques des différents acteurs politiques, syndicaux, organisations de défense des droits de l’Homme, société civile, professionnels des médias libres, en un mot, la mise en commun des ressources de tous ceux qui veulent le véritable changement constitue une étape importante pour l’avènement d’une ère nouvelle.

C’est pour quoi, la mobilisation des populations et la fédération des forces démocratiques restent les priorités incontournables auxquelles l’Alliance nationale pour le changement accorde une très grande attention. L’ANC y travaille avec courage et détermination malgré les multiples embûches et adversités qui se dressent sur la route de la démocratie.

Dans cette étape décisive, l’ANC a besoin du soutien des démocrates et des amis du Togo pour que le changement tant attendu par les Togolais puisse enfin advenir.

Je vous remercie de votre attention.

Antoine Bawa
Président de la Fédération internationale de l’ANC