Interview réalisée le 29 septembre 2003
LETOGOLAIS.COM : Quelles réflexions vous inspirent les dernières élections présidentielles et les évènements qui ont suivi ?
AMEGANVI Claude : Nous ne vous cacherons pas que nous sommes particulièrement inquiets de ce que la mascarade électorale du 1er juin dernier ait contribué à aggraver la crise et l’impasse de la situation togolaise où se sont encore plus accumulés que par le passé, les ingrédients d’une dislocation de notre pays, le Togo. C’est d’ailleurs pourquoi, pour notre part au Parti des travailleurs, nous nous étions refusés à cautionner cette mascarade par notre participation. En effet, lorsqu’on voit le contexte sous-régional, continental et international dans lequel nous sommes, on ne voit partout que machinations fomentées par les grandes puissances pour conduire à des situations de guerre. Souvent organisées sur des bases ethniques ou religieuses, leur seul objectif est de disloquer les Etats et les nations pour mieux piller leurs richesses en y installant des maffias. Sur cette base, on livre des tonnes d’armes sophistiquées à des factions montées de toutes pièces pour qu’elles organisent les génocides alors qu’à l’ombre de la misère et de la famine les pandémies comme celle du sida, du paludisme, etc. exterminent les populations.
Rien que ces derniers mois, nous avons assisté au rebondissement de crises et conflits dans nombre de pays d’Afrique. Plus de 100 000 morts à nouveau au Libéria dont le pillage a notamment accumulé un trésor de guerre en liquidités dans les banques suisses, évalué à 3,8 milliards de dollars, ce qui dépasse largement celles du Nigéria et de l’Afrique du sud.
Savez-vous que qu’à l’ombre de la guerre qui déchire la Côte d’Ivoire depuis plus d’un an et des massacres qu’elle a occasionnées, la production du cacao et son exportation par le Port de San Pedro n’ont jamais été aussi florissantes !
Et on peut continuer ainsi à citer les exemples de bien d’autres pays d’Afrique en situation de guerre notamment la Sierra Léone, l’Angola, le Congo démocratique, où les mêmes pillage, prédation et maffias fleurissent. Le Togo est-il à l’abri de telles évolutions ? Il y a lieu de penser que non.
LETOGOLAIS.COM : Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
AMEGANVI Claude : La crainte que notre pays soit emporté, à son tour, dans la tourmente des conflits armés car, comme dans le reste du monde, il représente un enjeu pour les grandes puissances. N’oublions surtout pas la rapidité avec laquelle, en l’espace de quelques semaines seulement, la Côte d’Ivoire a basculé dans le chaos, il y a tout juste un an. En effet, avec l’approfondissement continu de la crise de l’économie mondiale, les rivalités s’aiguisent entre ces puissances qui se battent, partout, pour défendre leurs intérêts économiques, politique et diplomatique comme en Irak où le gouvernement des Etats-Unis s’est approprié, par la guerre, les richesses de ce pays, notamment son pétrole, en évinçant les autres puissances. On aurait donc tort de penser qu’en raison de sa petite taille, notre pays ne soit pas au centre de ces rivalités pour lesquelles il n’y a plus de «petit» marché aujourd’hui. En réalité, l’exploitation pétrolière off-shore au large des côtes togolaises, l’exploitation des phosphates, de nos matières agricoles (café, cacao, coton, etc.), de nos teckeraies qu’on pille, de nos gisements de clincker qui servent à fabriquer le ciment et l’activité commerciale pour laquelle le Togo demeure encore une plaque tournante dans la sous-région, tout cela rapporte beaucoup d’argent. C’est pourquoi il y a lieu de craindre que les grandes puissances et leurs multinationales, qui ne font pas de sentiment, décident de précipiter notre pays dans une situation à l’ivoirienne pour faire main basse sur toute cette activité économique dont ils convoitent le pillage, cela, malgré la misère de notre peuple. La règle est connue : pour que les riches deviennent encore plus riches, il faut qu’ils rendent les pauvres encore plus pauvres.
C’est pourquoi, personne ne peut souhaiter que dérape la situation créée par la mascarade électorale du 1er juin qui a déjà occasionné des pertes de vies humaines et lorsque nous voyons le pouvoir en place s’acharner à vouloir organiser des élections sénatoriales, législatives ou municipales dans les conditions actuelles, nous nous demandons : « Où cela peut-il conduire sinon à l’explosion du Togo ? »
Or, trop de sang a déjà coulé sur la terre de nos aïeux et il faut que cela cesse !
LETOGOLAIS.COM : Que proposez-vous alors ?
AMEGANVI Claude : Au Parti des travailleurs, nous lançons un appel à la mobilisation et à la vigilance de tous les Togolais et de toutes les organisations qui parlent en leur nom pour que, de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud, nous prenions, ensemble, l’engagement de tout mettre en œuvre pour préserver, quoiqu’il advienne, l’unité de notre pays. Car, qui peut dire ou garantir, si nous basculons dans le chaos qu’il sera épargné ? Qui peut accepter qu’au terme de ce qui ne pourrait qu’être une terrible tragédie on mette près de 50 à 100 ans pour recoller les lambeaux d’un pays déchiré ? C’est pourquoi tout doit être fait pour qu’il y ait un véritable changement démocratique dans la paix !
Par ailleurs, il faut interpeller les responsables du régime RPT qui ont une grande responsabilité quant au sort qui sera celui du Togo dans la prochaine période car ils doivent s’engager, eux aussi, à éviter le pire à notre pays. Pour cela, un premier signe de leur part qui pourrait aller dans le sens de la paix serait de libérer tous ces démocrates qui sont trop nombreux à croupir injustement dans les prisons togolaises.
Permettez-moi à ce point-ci de saisir cette occasion pour rendre un hommage : dans quelques jours, nous commémorerons le 13e anniversaire du soulèvement populaire du 5 octobre 1990 par lequel le peuple togolais, à partir de sa jeunesse, a héroïquement cherché à arracher l’avènement d’un régime démocratique au Togo. Malgré les nombreuses tentatives de leur remise en cause, d’importantes conquêtes démocratiques sont encore attachées à cet événement et nous devons tout mettre en œuvre pour les défendre précieusement comme le droit à constituer des syndicats et partis indépendants, l’existence d’une presse indépendante. Et c’est pourquoi nous tenons à rendre un hommage déférent à la mémoire de tous ceux qui ont payé au prix fort, celui du sacrifice suprême de leur vie, la conquête et la défense de ces droits.
LETOGOLAIS.COM : Beaucoup d’observateurs de la vie politique togolaise estiment que l’ambition personnelle des leaders de l’opposition est l’une des causes du maintien au pouvoir d’Eyadéma. Que pensez-vous de cet argument ?
AMEGANVI Claude : Il ne faut pas se tromper de responsabilité : ce qui a assuré le maintien du régime RPT, ce sont essentiellement les solutions imposées de l’étranger à travers ces multiples négociations, dialogues et accords organisés sous l’égide des grandes puissances et institutions à leur service comme le FMI, la Banque mondiale, l’Union européenne dont ce régime sert les intérêts au détriment de ceux du peuple togolais. Et ce sont ces mêmes puissances et institutions que la majorité des partis de l’opposition démocratique écoutent qui entretiennent savamment la division entre eux.
Par ailleurs, il faut regarder la réalité en face : les institutions actuelles dont la préservation est, de fait, acceptée ou cautionnée par tous comme la Commission électorale nationale à la solde du régime RPT qui a eu la charge d’organiser ce qui n’a été qu’une mascarade électorale sont aussi responsables de la situation dans laquelle nous sommes enfermés ! En effet, telles que définies depuis la Conférence nationale de 1991 puis remodelées par la suite par le régime RPT, ces institutions n’ont-elles pas également contribué à l’impasse ? Car, où ont-elles fini par nous conduire sinon qu’aux coups de force à répétition et au renforcement de l’arbitraire ?
C’est pourquoi, sur la base de l’expérience que nous avons vécue depuis 1990, au Parti des travailleurs, nous proposons que soit tournée la page du régime RPT en convoquant une Assemblée constituante souveraine pour définir les bases d’un véritable régime démocratique dont le peuple togolais définira, lui-même, la forme et le contenu.
LETOGOLAIS.COM : Que faire, et comment faire, selon vous, pour mettre fin à la dictature ?
AMEGANVI Claude : Il n’y a pas d’autre solution que d’en appeler au peuple togolais, seul détenteur de souveraineté et de l’aider à mieux s’organiser, par lui-même, pour qu’il soit en mesure de contrôler le cours de la lutte pour la démocratie. C’est de cette seule façon qu’on peut, en tirant les enseignements de nos luttes antérieures, éviter que celles qui sont devant nous ne soient conduites à nouveau à l’impasse. A ces tâches d’organisation il faut nous atteler sans délais et nous appelons toutes les organisations qui parlent au nom du peuple togolais à œuvrer à l’aider à rassembler sa force.
LETOGOLAIS.COM : Il règne actuellement au Togo, un véritable climat d’intimidation : Arrestations et tortures de journalistes et d’opposants. Le régime Eyadéma, certain de son impunité et de ses soutiens occidentaux, revient à la situation d’avant 1990, une dictature sans fard. Comment expliquez-vous ce revirement ?
AMEGANVI Claude : Je ne pense pas qu’il s’agit d’un revirement car ce régime a été porté au pouvoir et s’y maintient depuis 36 ans de la même façon. A chaque fois qu’il s’est trouvé confronté à une forte contestation qui l’a mis en difficulté, il a eu recours à la répression pour se maintenir. Quant à la vague répressive actuelle, elle est directement liée à la résistance à laquelle a été confronté le régime lorsqu’il a fait son passage en force pour se maintenir à travers la modification de la Constitution et la mascarade électorale du 1er juin. Ceci étant, malgré les apparences, il ne sera pas si évident de faire tourner en arrière les roues de l’histoire en tentant de ramener le Togo au régime du parti unique d’avant 1990 avec la proscription des libertés et droits démocratiques. Je ne pense pas du tout que le peuple togolais se laissera faire : il résistera nécessairement à une telle tentative.
LETOGOLAIS.COM : La nomination d’un fils Eyadéma comme ministre présage t-elle une monarchie républicaine au Togo ? Surtout quand on connaît l’état de santé actuel du dictateur togolais.
AMEGANVI Claude : Regardons les choses en face et répétons que la seule alternative qui se présente à notre pays est simple : ou il avancera sur la voie de la démocratie ou il basculera à son tour dans le chaos à vouloir assurer à tout prix la pérennité du régime RPT contre la volonté du peuple togolais. Naturellement, nous nous battons, au Parti des travailleurs, pour la réalisation du terme positif de cette alternative : celui de la démocratie. Nous sommes d’autant plus confortés dans cette position qu’il n’est pas sûr que le peuple togolais, qui ne cesse de résister à travers nombre de mobilisations comme on l’a vu à travers grèves, manifestations, protestations contre la mascarades électorale, accepte de se voir imposer une «monarchie républicaine» qui, d’ailleurs, est, par essence, un non sens, cela, 42 ans après avoir arraché son indépendance. C’est pour cela que, pour ma part, je fais confiance au peuple togolais.
LETOGOLAIS.COM : Selon vous, qui gouverne le Togo à l’heure actuelle ? Qui le gouvernera ? Vous avez une idée précise des prétendants ?
AMEGANVI Claude : Qui gouverne le Togo ? En tout cas, chacun sait que ce n’est pas par la volonté du peuple togolais que notre pays est gouverné aujourd’hui comme depuis 40 ans où a été décidé, de l’extérieur, de changer le cours de son destin, par la force. Dans cette situation, mon vœux le plus cher est que soient créées les conditions permettant au peuple togolais de choisir librement ses propres représentants. Tout autre solution ne peut qu’aggraver l’impasse.
LETOGOLAIS.COM : Une polémique se développa à nouveau sur la représentativité des partis politiques au Togo (cf. le dernier incident entre l’UFC et le CAR). Qu’en pensez-vous ? Que pèse réellement le Parti des travailleurs sur l’échiquier politique togolais?
AMEGANVI Claude : Cette polémique, nous la regrettons car cela ne fait qu’aggraver la division des forces démocratiques en lieu et place de la recherche de l’unité pour aider à trouver les solutions politiques positives à la crise togolaise de façon à pouvoir sortir les Togolais de la misère et des conditions d’existence de plus en plus désastreuses dans lesquelles ils s’enfoncent de jour en jour. C’est le lieu de rappeler que les travailleurs accusent 3 mois d’arriérés de salaire, les retraités 6 mois d’arriérés de pension, les agents permanents de l’Etat jusqu’à 40 mois d’arriérés d’allocations, que les systèmes scolaire et de santé de notre pays sont ruinés…
Qui peut accepter que cela continue ainsi ?
Par ailleurs, tant que les conditions ne seront pas réunies pour que soient organisées de véritables élections transparentes au Togo depuis l’élaboration des listes électorales jusqu’à la proclamation des résultats, quel sérieux critère de représentativité peut-on avoir surtout lorsque les processus électoraux sont organisés aux seules conditions du régime RPT ?
Cela permet également de répondre à la question concernant le Parti des travailleurs : nous verrons bien ce que nous représentons à ce moment-là ! N’oublions surtout pas qu’on considère généralement les élections comme intervenant sur un terrain déformé de la lutte politique, tant les manipulations de toutes sortes y sont fréquentes, même dans les sociétés qu’on présente comme étant «démocratiques». Souvenez-vous de ce qui s’est passé lors de l’élection présidentielle au terme de laquelle l’actuel président des Etats-Unis a été «désigné». On connaît la suite… Tout cela est donc très relatif.
N’oublions pas, enfin, que lorsque les peuples le décident, les situations, même les plus stables apparemment, peuvent être rapidement bouleversées, de fond en comble.
LETOGOLAIS.COM : Pensez-vous, comme cela se susurre dans les coulisses diplomatiques, qu’une transition avec un gouvernement RPT et UFC soit une solution de sortie de crise ? Cette option d’un tête à tête restreint, est-elle possible et opérante dans le paysage politique actuel du Togo ?
AMEGANVI Claude : Il est permis de douter qu’un tel gouvernement d’union nationale de transition RPT-UFC puisse se constituer dans la situation togolaise et représenter une quelconque solution car on voit là où ce type de gouvernement a déjà conduit au Togo et dans nombre de pays d’Afrique : au désastre ! En effet, n’ont-ils pas généralement préparé, partout, le terrain aux règlements de compte et au déchaînement d’affrontements armés entre factions se disputant le contrôle de l’appareil d’Etat ?
LETOGOLAIS.COM : La constitution togolaise prévoit, en cas de vacance du pouvoir que la charge de l’Exécutif revienne au président de l’Assemblée Nationale, en l’occurrence, Fambaré Natchaba. Ce dernier doit au bout de 60 jours organiser des élections. Quelle va être la position du parti des travailleurs dans cette situation?
AMEGANVI Claude : En toutes circonstances, qu’il y ait vacance de pouvoir ou pas, au Parti des travailleurs, nous nous sommes toujours battus sur un mot d’ordre simple et clair : « Parole au peuple ! » Car c’est au peuple togolais de décider.
LETOGOLAIS.COM : Nous vous remercions.
Interview réalisée le 29 septembre 2003
La rédaction letogolais.com
More Stories
Togo en souffrance, diplomates en silence
Les intellectuels togolais, les troubadours de la lâcheté olympique.
Le ‘’Magicien’’ Faure Gnassingbé tombé dans le piège de sa propre illusion