Après la marche interdite du 4 août dernier, plusieurs analyses ont révélé qu’un bain de sang était en préparation. Etiez-vous au courant de cette information ?
Jean Pierre Fabre: Nous ne nous laissons pas divertir par des informations de ce genre. Il s’agit d’une machination, d’une manœuvre grossière destinée à faire peur aux populations encore traumatisées par les massacres de la présidentielle de 2005. Chacun sait que c’est la crainte d’affronter une adhésion populaire massive aux exigences formulées par les organisateurs, qui a amené le gouvernement à orchestrer cette campagne de manipulation et de désinformation pour justifier la violation éhontée d’un droit garanti par la Constitution. La dictature se nourrit, nous le savons, de la psychose du coup d’Etat et du bain de sang. C’est de telles pratiques qui ont permis au régime RPT de durer plus de quarante ans. Si les auteurs de ces rumeurs croient pouvoir manipuler l’UFC pour aboutir aux mêmes résultats, ils se trompent. Les populations togolaises ne sont pas dupes. Ces pratiques utilisées pendant plus de quarante ans sont maintenant éculées, désormais dépassées.
Il est vrai que des violences dans cette période électorale confirmeraient les craintes quant aux ratés du processus. Sentiriez-vous un laxisme au niveau de la communauté internationale vis-à-vis du problème togolais ?
Jean Pierre Fabre: Nous savons tous d’où viennent les violences et ce qui les engendre. Ce sont les fraudes électorales, les injustices sociales, les frustrations de populations qui amènent la contestation et la répression. Ainsi, dans le contexte actuel, l’immixtion des préfets et de certains responsables politiques dans le recensement électoral en cours, pour imposer des inscriptions frauduleuses d’étrangers et de mineurs porte en germe des risques de violence et, est lourde de danger pour la suite du processus. A l’UFC, nous sommes conscients que seul le peuple togolais est maître de son destin et que sa libération ne viendra pas d’ailleurs. Voilà pourquoi nous considérons que l’accompagnement de la Communauté internationale ne peut être qu’un appoint à la lutte que nous menons. Cependant, nous constatons que la communauté internationale ne veille pas sérieusement à la stricte application des engagements souscrits par les autorités togolaises auprès d’elle pour le bien-être de nos populations. Cette complaisance vis-à-vis du pouvoir en place porte préjudice à la résolution pacifique de la crise togolaise et peut aboutir à un désastre.
Pensez-vous qu’on s’achemine vers une solution à la congolaise (RDC) de la crise togolaise ?
Jean Pierre Fabre: Nous le craignons. Le satisfecit décerné par les représentants de la communauté internationale à un processus de recensement pourtant émaillé de graves insuffisances, notamment les inscriptions frauduleuses de grande ampleur, le renvoi aux calendes grecques du règlement de la question de l’impunité, l’absence d’observateurs de longue durée pendant le recensement électoral illustrent bien le laxisme de la communauté internationale et manifeste la mise en œuvre de la stratégie du minimum utilisée en Afrique, notamment en RDC.
Les législatives étant organisées pour résoudre une crise née des présidentielles, pensez-vous qu’elles peuvent réellement mettre un terme à cette crise que connaît notre pays depuis plus de quatre décennies ?
Jean Pierre Fabre: Pour régler la crise politique togolaise née d’élections présidentielles frauduleuses, la communauté internationale a toujours proposé l’organisation d’élections législatives devant permettre selon elle, un partage du pouvoir. L’UFC n’a jamais adhéré à cette solution qui est une prime à la fraude électorale et un encouragement au refus de l’alternance au pouvoir. A défaut de la reprise de la présidentielle, l’UFC, dans un esprit d’ouverture et de responsabilité, a accepté de signer l’APG qui doit conduire aux élections législatives libres et honnêtes. Voilà pourquoi l’UFC s’emploie à obtenir que les conditions de ces élections soient les meilleurs possibles. Les prochaines législatives peuvent en effet être une étape vers le règlement juste et durable de la crise togolaise à condition que la volonté politique d’organiser des élections libres et transparentes existe réellement.
Certains vous accusent de ne pas vous impliquer à fond dans le processus d’apaisement prôné par le gouvernement et que vous vous employez plus à le torpiller. Qu’en dites-vous ?
Jean Pierre Fabre: L’apaisement dont vous parlez implique-t-il le silence face à toutes les dérives ? En d’autres termes faut-il se taire et approuver tous les dysfonctionnements qui émaillent le processus électoral ? Tous les Togolais de bonne foi savent que l’UFC est le seul parti politique qui s’est toujours battu pour obtenir les meilleures conditions d’équité et de transparence des élections au Togo. Ceux qui torpillent le processus ne sont pas dans les rangs de l’UFC. Regardez un peu du côté des préfets, est-ce pour l’UFC qu’ils s’ingèrent dans les opérations de recensement pour imposer l’inscription illégale d’étrangers et de mineurs ? L’UFC joue pleinement son rôle de parti politique responsable en dénonçant sans complaisance des dysfonctionnements et toutes les tentatives de fraudes. Elle répond ainsi aux aspirations des populations togolaises qui ne demandent qu’à prendre part en toute quiétude, à des élections libres, crédibles et honnêtes.
Vous avez tout de même choisi la rue pour exprimer vos revendications, un cadre qui n’est pas prévu par l’APG, dont vous êtes signataires. Etes-vous sûr d’avoir épuisé toutes les voies de recours prévues par cet accord ?
Jean Pierre Fabre: Dans tous les pays qui se veulent démocratiques, et sur tous les continents, les manifestations pacifiques font partie de la panoplie des moyens d’expression utilisés pour se faire entendre. L’APG qui vise l’instauration de la démocratie et de l’Etat de droit au Togo, n’interdit nullement les manifestations pacifiques garanties par la Constitution en son article 30. L’UFC n’a de cesse d’apporter sa contribution à la bonne application de l’APG dans ses diverses phases notamment, la recomposition de la Cour Constitutionnelle, le remplacement des préfets, l’installation des CELI, la baisse du cautionnement, le code de bonne conduite, le mode de recensement, la carte d’électeur sécurisée avec photo, la campagne de délivrance des cartes nationales d’identité, l’impunité etc. Sur tous ces points, l’UFC a utilisé plusieurs voies de recours notamment la saisine du Comité de Suivi, la saisine du Facilitateur, la rencontre avec le Facilitateur, la rencontre avec le chef de l’Etat, la correspondance avec le chef du gouvernement, la rencontre avec les représentants de la communauté internationale, la publication de mémorandum, de déclarations, de communiqués, la tenue de conférences de presse etc. Avouez qu’on ne peut nous reprocher de n’avoir pas tous essayé.
Quel bilan établissez-vous à mi-parcours du recensement dans la zone 2 où l’on signale la multiplication d’inscriptions frauduleuses ? Comment pensez-vous que l’on puisse enrayer le phénomène ?
Jean Pierre Fabre: Si vous vous souvenez, dès le début du recensement dans la zone 2, nous avons attiré l’attention de l’opinion sur les graves dysfonctionnements techniques et politiques que nous relevons, notamment l’ingérence des préfets dans les CRV pour imposer les inscriptions frauduleuses d’étrangers et de mineurs. Nous avons publié une déclaration dans laquelle nous demandons au Premier ministre et à la CENI de prendre toutes les dispositions pour mettre fin à cette situation. Nos préoccupations ont été confirmées dans les jours qui ont suivi, par les médias qui font d’ailleurs, s’agissant de ce recensement, un travail remarquable qui mérite d’être salué. Pour toute réponse à nos préoccupations, le Premier ministre a rendu public un communiqué dans lequel il cherche à circonscrire les dysfonctionnements aux seuls premiers jours et feint d’ignorer l’existence des graves manquements d’origine politique comme l’attitude des préfets, dysfonctionnement dont le règlement relève pourtant de sa compétence. Inutile de vous dire que la politique de l’autruche pratiquée par le chef du gouvernement face à l’attitude des préfets, constitue un puissant stimulant pour ces préfets qui orchestrent de plus bel, les inscriptions frauduleuses. De sorte qu’aujourd’hui, puisque nous sommes dans la zone B, zone rurale où ils sont tout puissants, le phénomène atteint une ampleur telle qu’il va dénaturer la liste électorale. Il revient au gouvernement et à la CENI de prendre des mesures énergétiques visant à neutraliser les préfets, et à les rendre persona non grata dans tous les CRV. Le Premier ministre est entièrement responsable de cette situation. Les préfets relèvent de l’autorité du gouvernement dont il est le chef. C’est lui qui s’est livré, malgré nos mises en garde et protestations, à un simulacre de remplacement des préfets, laissant en place, surtout dans la partie septentrionale de notre pays (Blitta, Doufelgou, Sotouboua etc), des préfets qui sont en fonction depuis des lustres et qui ont acquis beaucoup d’expérience en matière de fraude électorale. Je voudrais demander aux représentants de la communauté internationale qui, de leur bureau et sans se rendre dans le pays profond, délivrent des satisfecits au déroulement du processus de recensement, de faire preuve de prudence. Car par leurs déclarations naïves, ils se rendent complices des inscriptions frauduleuses. C’est de cette manière que lors des scrutins, ils finissent par cautionner des fraudes électorales en déclarant que les choses se sont passées, de manière globalement satisfaisante.
Le leader de votre parti, Gilchrist Olympio, ne s’est pas fait recenser jusqu’à ce jour. Les différentes annonces de son arrivée se sont révélées non fondées. N’est-ce pas un signe que l’UFC ne prend pas au sérieux les législatives et ne vise que la présidence ?
Jean Pierre Fabre: Je vous confirme que M. Olympio sera bien au Togo dans les prochains jours pour son inscription sur la liste électorale. Qu’est-ce qui vous permet de penser que nous ne nous préoccupons que des élections présidentielles ? Je participe personnellement à toutes les rencontres que la CENI organise avec les partis politiques. Si nous n’étions pas intéressés par ces élections législatives, nous ne nous battrions pas avec autant d’énergie pour obtenir l’amélioration du cadre électoral.
Interview réalisée par Edem K. ASSIGNON
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