Des milliers de manifestants contestent «l’élection», le 4 mars dernier, de Faure Gnassingbé, héritier du clan au pouvoir. Entretien avec Jean-Pierre Fabre, leader de l’opposition, qui revendique la victoire.
Chaque semaine, depuis la présidentielle du 4 mars 2010, à l’issue de laquelle a été proclamée la victoire de Faure Gnassingbé, des opposants défilent dans les rues de Lomé. Que réclament ces manifestants?
Jean-Pierre Fabre: Les populations togolaises, excédées par plus de quarante années de dictature et de mise en coupe réglée de l’économie nationale par le régime RPT (Rassemblement du peuple togolais), indignées et frustrées par les hold-up électoraux à répétition, se mobilisent massivement pour réclamer leurs votes. Nos populations ne retrouvent pas leurs votes dans les résultats proclamés par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et entérinés par une Cour constitutionnelle aux ordres. C’est le sens des manifestations qui ont lieu actuellement dans le pays et que le pouvoir RPT s’emploie à empêcher par une répression sauvage.
Depuis quarante-trois ans, le clan Gnassingbé et le régime RPT ont pris en otage le peuple togolais, lui déniant le droit de choisir librement ses dirigeants. L’absence de démocratie, l’instrumentalisation des institutions de la République, les violations massives et répétées des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la pratique du tribalisme, la gabegie, la corruption, le pillage systématique des ressources et des richesses nationales, la paupérisation et la misère croissantes des populations ont détruit les fondements de notre nation et appellent le sursaut patriotique que traduisent les manifestations actuelles.
À quoi tient la cohésion du Front républicain pour l’alternance et le changement (Frac), dont vous étiez le candidat à l’élection présidentielle?
Le Front républicain pour l’alternance et le changement est né de la volonté des populations togolaises de voir l’opposition démocratique présenter un seul candidat à l’élection présidentielle de 2010. Les efforts déployés pour aboutir à ce choix ont créé des liens très forts entre les membres du Frac, qui sont résolus à défendre la victoire de leur candidat. La cohésion du Frac tient également à l’engagement de ses membres à défendre ensemble les valeurs communes de démocratie, d’État de droit et de bonne gouvernance.
Sur quels éléments vous basez-vous pour dénoncer l’illégitimité de ce scrutin?
Dès le début du processus, nous avons dénoncé la préparation précipitée et bâclée des opérations électorales par la Ceni et les nombreuses irrégularités liées aux pratiques illicites auxquelles le régime RPT s’est livré pour influencer le vote. En vain. La plupart des mesures de transparence préconisées par l’opposition et appuyées par les missions d’observation internationales, notamment celle de l’Union européenne, sont restées lettre morte. Le processus a tourné court avec la prétendue panne du système de transmission des résultats par satellite, ce qui a permis à la Ceni d’organiser une parodie de compilation de résultats, publiés en direct sur les médias, sans authentification, sans vérification ni validation par la Ceni.
En dépit de toutes ces irrégularités, nous avons largement remporté ce scrutin et nous étions en train de le prouver avec la compilation des résultats des procès-verbaux des 5 930 bureaux de vote en notre possession lorsque la soldatesque du régime RPT a pris d’assaut le centre informatique du Frac, saisi le matériel informatique et tous les procès-verbaux.
L’Union européenne a financé ce scrutin. Qu’attendez-vous d’elle?
Le régime RPT ne respecte ni les engagements pris avec les bailleurs de fonds ni les lois et les règlements qu’il a lui-même imposés unilatéralement. Ce régime s’évertue à combattre toute initiative et toute démarche consensuelle visant à mettre fin à toute dérive et à toute violation. Voilà pourquoi, au regard de toutes les consultations électorales passées et qui n’ont été que des mascarades, la communauté internationale, notamment l’Union européenne, doit arriver au constat que le régime RPT ne peut jamais organiser des élections transparentes, équitables et crédibles.
Quel est le bilan du régime incarné par le père, Gnassingbé Eyadema, puis par le fils, Faure Gnassingbé?
Un désastre. De père en fils. C’est la perpétuation du même système clanique, oppressif et prédateur. Un système archaïque, réfractaire au changement, à l’excellence, aux bonnes pratiques et au progrès social. Un système fermé à la justice et à l’équité, à la démocratie et à l’État de droit, au respect des libertés publiques et des droits humains. Un système adepte du double langage et de la duplicité. Un système décadent en mal de coups politiciens. Un système responsable de la déchéance du Togo aux plans politique, économique, social et culturel.
Quel est votre projet de société? Que changeriez-vous en priorité si vous accédiez au pouvoir?
L’état de délabrement avancé de notre pays exige des actions courageuses et vigoureuses dans tous les domaines, à court terme et sur la durée. Les priorités autour desquelles les membres du Frac se mobilisent sont axées sur des réformes politiques et institutionnelles visant l’instauration de la démocratie, de l’État de droit et de la bonne gouvernance, des mesures de redressement économique ainsi que de relance de la croissance et du développement, avec un accent particulier sur l’emploi, la réduction de la pauvreté et des inégalités, la réhabilitation des infrastructures et des services sociaux de base, des initiatives hardies pour la promotion et le raffermissement de la coopération régionale et internationale.
Si la mobilisation de la société civile échoue à imposer l’alternance, excluez-vous d’autres options?
Quand on connaît la détermination des populations togolaises à mettre un terme au système répressif et mafieux qui régente ce pays depuis des décennies, je puis vous assurer que la mobilisation ne peut que gagner en ampleur et aboutir au résultat escompté.
Entretien réalisé par Rosa Moussaoui, Humanité du 29 avril 2010
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