28/03/2024

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Kofi Yamgname: »Désormais, le Togo doit compter avec moi »

vendredi 10 juin 2005
Entretien réalisé par Tiergou Pierre DABIRE

Le 6 février 2005, M. Kofi Yamgname mettait sur pied l’association « Sursaut Togo ». L’objectif de cette ONG était clair dès sa naissance. Faire du Togo une démocratie en criant haro sur la nouvelle donne dans ce pays. En effet, la veille, le 5 février, le général Gnasssingbé Eyadéma venait de décéder.
Cinq mois après, M. Yamgname a pris son bâton de pèlerin pour faire le tour de certaines capitales afin d’expliquer la situation réelle de son pays. Ancien secrétaire d’Etat aux affaires sociales et à l’intégration (1990-1993), sous le second mandat du président François Mitterand, premier maire noir de France, aujourd’hui vice-président du Conseil général du Finistère ce Togolo-Francais s’emploie aux côtés de l’opposition togolaise a trouver une sortie de crise de son pays et permettre le jeu démocratique. De passage dans notre capitale, il nous a rendu visite ce 9 juin 2005. En exclusivité, M. Yamgnané qui était accompagné du Dr François Gallet et d’Eric Fabre commence par dire ce qui l’a amené au Burkina Faso.

Le parlement européen n’a pas reconnu le pouvoir de Faure.

SIdwaya (S.) : Qu’est-ce qui justifie votre présence au Burkina ?

Kofi Yamgname (K.Y.) : Vous savez ce qui se passe dans mon pays d’origine, le Togo. Nous avons souhaité avec le Dr Galet et Eric Fabre nous inspirer de ce qui se passe autour du Togo. Il nous paraissait important de rendre visite aux responsables des pays voisins. Nous venons de Cotonou, et nous sommes passés par le Burkina car nous savons les relations qui existent entre les deux pays. Nous allons faire le point et voir comment les uns et les autres peuvent aider le Togo à sortir de la nasse où il s’est remis.

S. : Quelles sont les personnalités que vous avez déjà rencontrées ?

K.Y. : Nous avons rencontré à titre privé le ministre de la Sécurité et des responsables de grands partis politiques.

Nous avons également demandé un rendez-vous au président Compaoré.

S. : La situation a évolué avec la nomination d’un Premier ministre en la personne de Edem Kodjo. Est-il selon vous l’homme de la situation ?

K.Y. : Il faut que le Togo sorte de la situation actuelle, c’est-à-dire, il faut que les Togolais se parlent, se réconcilient, que la sécurité revienne dans le pays pour que l’économie puisse se réamorcer. Je souhaite que le gouvernement qui va être nommé fasse tout pour atteindre ces objectifs qui nous paraissent essentiels. Que ce soit Edem Kodjo ou un autre, ce n’est pas tellement le nom de la personne qui importe, mais le programme qui va sortir le Togo de cette situation.

S. : Quel programme politique alternatif, préconisez-vous ! Pouvez le définir dans ses grandes lignes ?

K.Y. : Il y a d’abord les préalables : que la sécurité revienne au pays, que ceux qui sont partis puissent revenir et en étant sûrs qu’ils ne seront pas poursuivis, que l’armée rentre dans les casernes, que les forces de sécurité assurent la sécurité des citoyens. Vient ensuite cette histoire de gouvernement de transition et d’union nationale qui permet de décliner les grandes réformes pour un dialogue. J’attends la réforme de la Constitution, des forces armées, des grandes institutions de la République (Haute autorité de l’audiovisuel, la Cour constitutionnelle, les corps constitués). Il faut que tout cela soit mis en route pour mettre en confiance les Togolais. Ensuite, il y a en particulier les fameux engagements que le Togo a signés avec l’Union européenne. Il faut que le gouvernement d’union nationale et de transition rentre de plain pied dans le respect de la mise en route de ces deux engagements de sorte que l’aide internationale puisse revenir et que l’économie redécolle. Pour cela, le Togo a besoin de s’appuyer sur ces voisins et la communauté internationale. Il faut que ce soit ses voisins et la communauté internationale qui arbitrent, qui l’aident à aller vers la crédibilité nécessaire.

S. : Pensez-vous que le président Faure à l’étape actuelle, a l’envie et les capacités de faire ce que vous venez de dire ?

K.Y. : Je veux dire que jusqu’à présent, il ne s’est pas comporté en président des Togolais. Quand on est président élu, on n’est plus président de ceux qui ont fait campagne pour vous, vous devenez président de tous les Togolais. Moi je suis un homme politique, je suis maire dans mon village, je gagne les élections à 50% mais quand je regagne le fauteuil, le bureau du maire, je suis maire pour tous les habitants de St Coulis. Faure doit être le président de tous les Togolais au lieu de rester englué dans ce RPT (NDLR) Rassemblement du peuple togolais, parti au pouvoir) et dans cette armée qui le forcent et le portent Ce qu’il aurait dû faire s’il avait été conscient d’être élu président de la République togolaise, c’est de se mettre au-dessus et de demander aux partis de discuter. La discussion se passe entre tous les partis politiques. Lui, il arbitre, mais ce n’est pas ce qu’il a fait.

S. : Il a les capacités de le faire, mais pas pour l’opposition ?

K.Y. : Ecoutez ! Moi je ne le connais pasparticulièrement. Je l’ai reçu à l’Assemblée nationale autrefois mais je ne le connais pas dans ses capacités de gouvernance. Pour autant, je ne lui conteste pas cette capacité. Je ne lui conteste même pas d’être le fils de son père.

Cela ne me dérange pas qu’un fils dirige après son père. Il faut passer par l’élection, c’est le peuple qui donne le pouvoir. Or ce qu’il a fait et c’est cela qui nous a véritablement mis en colère, ce qu’il a fait le 5 février (NDLR date du décès du président Gnassyngbé Eyadema), c’est-à-dire accepter de s’asseoir dans le fauteuil du président et de dire « nous Faure Gnassyngbé, élu président de la République » entre des militaires. Il faut être intellectuellement insuffisant notoirement pour dire des choses comme cela. Il n’est pas élu. Quelle idée l’a pris d’aller dire des choses pareilles sur la constitution, en prêtant serment ? C’est une forfaiture ! C’est insupportable !

S. : Est-ce que vous n’êtes pas coupé des réalités africaines ? Vous qui résidez en France ?

K.Y. : Peut-être. Je conçois par exemple le président du Burkina Faso est élu par le peuple burkinabè, au Mali, pareil. Ce qui est possible en Europe, et qui est possible au Burkina et au Mali doit l’être aussi au Togo. Peut-être que je suis coupé des réalités. Mais je constate qu’il y a des contres exemples à cette affaire. Qu’il attend d’être élu. Cela fait une forfaitaire dans une République. Dans la Constitution togolaise, l’article 148 est très clair : « celui qui tente de prendre le pouvoir, individuellement ou par la force a commis un crime imprescriptible contre la République et sera puni par la loi ».

S. : Apparemment, il a fait amende honorable puisqu’il y a eu l’élection d’avril qui l’a porté au pouvoir démocratiquement

K.Y. : Dont, acte !

S. : L’opposition togolaise n’est-elle pas responsable de ce qui arrive au Togo aujourd’hui ?

K.Y. : Sans doute. Mais en terme de circonstances atténuantes, ce sont des gens qui ont été maltraités par le père Eyédéma, discrédités, trahis plusieurs fois et ils se méfient de tout.

Je pense que réellement ils ne se sont pas donnés une ligne politique sûre, c’est-à-dire, on veut conquérir le pouvoir politique, comment faire ? On utilise une voie. On ne se disperse pas comme cela. Pour ces élections j’étais candidat parce qu’il m’a semblé qu’il y avait une sorte de pantalonnade. En 1993, ils n’ont pas été capables de trouver un candidat unique, même chose en 1998, en 2003. En 2005, ils s’apprêtaient encore tous à aller en rang dispersés à la présidentielle.

S. : Mais est-ce que vous ne pensez pas que vous compliquiez la donne en vous déclarant candidat !

K.Y. : Je n’ai pas compliqué la donne. J’ai dit que s’ils trouvent un candidat unique, je me mettrai derrière lui. Ce qu’ils ont fait et ce que j’ai respecté le jour où ils ont trouvé un candidat unique. Je ne suis dans aucun courant de cette opposition. Je ne fais pas de politique au Togo. Je suis militant du parti socialiste en France. Ce que je souhaite, c’est que le Togo sorte de cette situation. A mon sens, aujourd’hui, il faut que la société civile prenne la relève. L’organisation des jeunes, des femmes, des syndicats, des étudiants, les églises, les mosquées. Il y a plein de gens capables de dire ce qu’il faut faire pour sortir le pays de la crise.

S. : Votre candidature n’était-elle pas un bluff puisque vous vivez en Europe ?

K.Y. : Ce n’est pas un bluff parce que nous pensions très sérieusement qu’on pouvait lever cela. D’ailleurs si j’avais voulu, si l’opposition, la coalition n’avaient pas trouvé un candidat unique, on pouvait lever cette affaire. On ne peut pas sur le plan juridique international, interdire à quelqu’un de se présenter à une élection sous prétexte qu’il n’est pas là..

S. : Et le cas de Gilchrist Olympio ?

K.Y : Gilchrist n’a pas pris tous les moyens. Il a préféré rester dans les hautes sphères et écrire :  » ils m’ont exclu « .

S. : Quelle est alors la méthode violer la constitution ?

K.Y. : Non, on ne viole pas la constitution. La constitution ne peut pas dire ce qui n’est pas la loi, ce qui n’est pas normal. On ne peut pas empêcher un Burkinabè de se présenter aux élections ; on ne peut pas non plus empêcher un Togolais de se présenter aux élections au Togo. Ce n’est pas conforme aux droits de l’homme tout simplement. Lui Faure, il viole la constitution tous les jours. Et quand cela l’arrange, il dit aux autres qu’ils ne respectent pas la constitution. Alors quel est ce respect de la constitution à géométrie variable ?

S. : Vous êtes passé à Cotonou, vous avez certainement rencontré les Togolais qui ont fui ?

K.Y. : Je les ai rencontrés mais pas tous évidemment . J’ai rencontré les gens qui sont dans les camps. Vous savez compte tenu des relations entre les peuples béninois et togolais, la plupart des Togolais qui ont fui sont dans les familles. Ceux qui sont dans les camps (nous avons visité un où il y avait 5000 à 6000 personnes) étendus sur dix hectares d’une cocoteraie, huit cents tentes alignées les unes à côté des autres ; 1 600 élèves, 1 600 enfants en âge de scolarisation. On a reconstitué une école sous les tentes avec 32 enseignants qui, eux aussi ont fui le Togo. Le gouvernement béninois a accepté mettre en appui quelques enseignants pour les soutenir dans le cadre des examens (CEP, BEPC et Baccalauréat).

S. : Qu’est-ce que vous attendez de la communauté internationale ?

K.Y. : Depuis le 05 février, nous ne faisons que rencontrer la communauté internationale. J’ai beaucoup voyagé et rencontré des personnalités pour expliquer ce qui se passait au Togo.

En France, j’ai aussi écrit à l’ensemble des partis politiques pour leur demander d’exercer une forte pression sur le gouvernement français afin qu’il ne s’ingère plus dans les affaires togolaises comme ailleurs. Sarkozy (NDLR Nicolas Sarkozy, président du parti présidentiel français) m’a répondu en me disant qu’il a reçu mon courrier sur la situation au Togo et qu’il se tient au courant au jour le jour de ce qui se passe au Congo. Finalement, il m’a affirmé que les élections au Togo a dit étaient une mascarade. Le Parlement européen a fini par ne pas reconnaître l’élection de Faure.

S. : Les Français ont voté « non » pour la Constitution européenne. Vous qui y êtes qu’avez-vous voté ?

K.Y. : Moi j’ai voté « non » ! Je suis socialiste Fabusien.

Dans le référendum interne au parti socialiste, j’ai fait campagne pour le non. J’estime que cette constitution est notoirement insuffisante. En particulier, elle ne fait pas la part belle à ce que j’attendais en termes de coopération avec les pays pauvres du Sud. Je suis très sensible à ce problème. Bien que j’ai quitté le Togo depuis quarante ans, je pense aux Africains tous les jours. Je vis dans l’opulence, mais trouve inadmissible que l’on ne partage pas mieux que cela. Le coton burkinabè se retrouve sur le marché concurrentiel avec le coton américain et dont les producteurs sont aidés par le gouvernement. Or la constitution européenne stipule que « concurrence libre et non faussée « .

S. : Mais est-ce que vous n’avez pas affaibli votre pays d’adoption en ouvrant la voie à une Europe plus libérale à la britannique ?

K. Y : Non ! Pensez bien que les peuples européens rejettent une constitution ? Elle sera forcément revue. Ce n’est pas en la rejetant que l’on va avoir du coup, le modèle du libéralisme britannique. Il y a quatre grandes parties : les droits de l’homme en Europe, l’organisation des pouvoirs ; la 3e partie qui décline les politiques et les rôles, là nous avons dit non parce qu’une constitution n’a pas à parler de cela. La 4e partie porte sur les déclarations, le mode de révision de la constitution ; sur ce dernier point, on dit « à réviser à l’unanimité ». Nous, nous disons  » non  » que ce serait comme gravé sur du marbre. Il faut qu’on définisse une majorité qualifiée ; soit les 2/3 de la population ou 50% des pays membres ou l’inverse, peu importe.

S. : C’est aussi un rejet de Raffarin qui propose du Raffarin plus ?

K.Y. : Je vous comprends bien.. Le Pen n’est pas en situation de gouverner la France ; sinon je vous demande l’asile politique.

S. : Mais comment vous vivez l’Afrique du NEPAD, de la CEN-SAD et toutes ces unions africaines ?

K.Y. : En particulier, le NEPAD, je trouve que c’est une idée intelligente. Je suis venu à Ouagadougou à une rencontre du NEPAD et de l’UNESCO où j’ai fait un certain nombre de déclarations. C’est l’idée la plus intelligente que les Africains aient eue. Je ne comprends pas ; c’est peut-être parce que l’idée est intelligente qu’ils l’ont abandonnée.

S. : Comment vous vivez les rivalités entre les présidents ? La boutade de Gbagbo à Bongo, celle de Obasanjo Konaré ?

K.Y. : Très mal. Je trouve que la déclaration de Gbagbo est idiote. On ne dit pas cela à un chef d’Etat.

S. : Seriez-vous toujours candidat au cas où il y aura des réamenagements ?

K.Y. : Evidemment ! Il faut désormais que le Togo compte avec moi. Je ne peux pas au vu de l’histoire et de mon histoire, me désintéresser du sort de mon pays d’origine. L’histoire ne me le pardonnerait pas. Je crois que je peux apporter quelque chose à mon peuple qui m’a vu naître, m’a éduqué. Il est normal que je m’intéresse à mon pays. S’il y a un réaménagement de la constitution, nous serons présent.

Entretien réalisé par Tiergou Pierre DABIRE
Jean Philippe TOUGOUMA
Boubacar SY,
Ismaël BICABA