29/03/2024

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KPALIME, la ville oubliée : enquête sur la réforme de loi sur la décentralisation

Reportage de notre envoyé spécial à Kpalimé

Depuis 1998, l’Etat togolais a entrepris de se désengager des secteurs relevant de la gestion des villes. Une visite guidée au cours d’un séminaire dans la ville de Kpalimé a mis en évidence l’affreuse réalité sur le terrain. Non seulement la loi sur la décentralisation n’est pas appliquée sur le terrain, mais elle a consacré l’abandon des villes dans le dénuement par le gouvernement qui, en fait, enlève aux communes ce qui leur revient de droit. Kpalimé est un symbole vivant de l’échec de cette politique. Elle ressemble à toutes les villes du pays qui sont dans le même état de délabrement avancé.

16 heures 30, ville de Kpalimé. Temps de chien par cette pluie de fines gouttelettes qui rapplique à chaque dizaine de minutes. Il vogue dans l’air une ambiance de paresse. Paradoxalement, la ville bourdonne avec cette population habituée aux exubérances de l’hivernage de la préfecture de Kloto. Pas le grand Kloto, mais cette portion congrue de territoire qu’un certain découpage administratif a laissée en déshérence entre les monts Agou et les froids plateaux de Danyi, au fort moment des agitations politiques qui ébranlèrent les racines de la dictature Eyadema en 1990. Juste un rappel pour les nostalgiques ethnocentristes qui croyaient opposer les éléments d’une même communauté dans le but inavoué d’éviter leur propre effondrement.

La Nissan 4X4 de la Fondation Konrad Adenauer (FKA), du nom du premier chancelier allemand après la seconde guerre mondiale, fait une embardée à droite et nous engage dans la cour de la Mairie de Kpalimé. Une clôture trapue abrite dans un coin une bâtisse blanche à l’architecture coloniale : c’est la mairie de la commune. Un immeuble à un seul étage qui étrenne des murs lépreux où les restes du badigeonnage à la chaux blanche résistent désespérément à la tyrannie des cordes pluviales. L’hôtel de ville de Kpalimé semble transparent dans le regard de l’autre ; il a la pauvreté à fleur de peau. Une situation qui choque quelque peu les élites locales en séminaire de formation sur la décentralisation. C’est pourtant dans cette atmosphère pauvrette que l’on va découvrir le fossé qui existe entre les chimères des exposés théoriques donnés par la FKA et la dure réalité sur le terrain. « Je ne vais plus rêver d’être maire de ma ville » dit un séminariste désabusé au vu de l’état de la Mairie.

LE GACHIS
Accueil folâtre du maire. En fait, ce titre ne lui convient pas du tout. Depuis octobre 2001, c’est une délégation spéciale, nommée par décret ministériel, dirigée par un président, qui régente les destinées de la mairie. Dans l’incapacité d’organiser des élections législatives et présidentielles transparentes, l’Etat RPT a juste préféré oublier les communales. Et pourtant il ressent le besoin d’entreprendre des réformes. Les mouvements démocratiques des années 90 ont mis à nu les lacunes criardes de l’Etat RPT à gérer efficacement les affaires du pays. Le centralisme du parti unique a fortement concentré les pouvoirs de gestion entre les mains d’une clique de cadres et de courtisans qui ont soit mal géré l’Etat ou carrément vampirisé ses ressources. C’est donc avec bonheur que les Togolais ont accueilli la réforme sur la décentralisation qui prône la gestion des collectivités locales par des élus qui connaissent réellement les réalités de leur pays. La loi confie intégralement la gestion aux conseils communaux, l’Etat central n’ayant qu’un pouvoir de contrôle. Mais la mise en œuvre de la loi marque le pas sur le terrain. L’Etat togolais refuse obstinément de concéder dans les faits les pouvoirs aux communes. L’autonomie « large » accordée selon la loi n’est que de façade. Avec une certaine acuité de compréhension, le régime ne veut pas donner le pouvoir qui donne la démocratie à la base, sous peine de le perdre au sommet.

LE TRESOR PUBLIC GOURMAND
Mais pour donner l’apparence d’un Etat moderne, on fabrique des communes sur le papier qui n’ont sur le terrain aucune autonomie financière et qu’on se permet de laisser dans la misère. « Depuis 1998, la commune ne perçoit plus rien de l’Etat » disent avec insistance le maire et son secrétaire comme si on leur fait le procès de faire disparaître les fonds alloués par l’Etat. L’autonomie financière que leur allègue l’Etat n’est pas respectée. Les ressources qui sont dues à la commune ne lui sont jamais versées. Elles rentrent directement au Trésor public. Dieu seul sait ce qu’on en fait puisque les fonctionnaires ne sont pas régulièrement payés. Les recettes des services publics comme la Régie des eaux, Togotélécom et Togoélectricité ne sont pas décentralisées et sont versées au Trésor qui ne se soucie guère des collectivités locales. L’Etat RPT glouton est prioritaire dans la répartition des fonds. La décentralisation est mal négociée. Sur la trentaine de communes que compte le pays, aucune n’est bien gérée dans le meilleur des cas. Dans le pire des cas, comme à Lomé, la capitale, les conseillers se retrouvent en prison accusés de détournements de fonds provenant de passation de marchés publics frauduleuse.
Les collectivités locales sont laissées à l’abandon dans un dénuement innommable. Les services publics tournent au ralenti, l’hôpital de la ville de Kpalimé est une épave qui conduit impitoyablement les malades ad patres.

EFFORT DE SURVIVANCE
Cependant, les communes tentent de survivre tant bien que mal à la situation. La délégation spéciale s’accoutume à sa situation d’exception. Elle tente d’exister avec les moyens du bord. « Nous vivons de nos taxes perçues au niveau des marchés et des locations des mobiliers de la commune » a dit le maire. Les taxes ne servent qu’à payer les fonctionnaires et colmater les infrastructures atteintes par les avaries. Des dépenses qui obèrent un budget de 60 millions pour une ville de plus de 60.000 âmes. Soit une dépense de 1.000F par habitant par an ! Encore faut-il avoir la chance de recouvrer la totalité du budget. L’année passée, la commune n’a pu rassembler que 45 millions des 60 prévus.
Néanmoins, rien ne semble ébranler la volonté des fonctionnaires de la mairie. Le président de la délégation, M. Samtou Victor a une confiance surprenante dans le développement de sa commune. « J’entends faire de la décentralisation une réalité. C’est une aubaine pour notre pays. Ce que vous voyez aujourd’hui n’est qu’un dysfonctionnement à cause de la situation de crise que nous vivons. Tout va rentrer dans l’ordre. » raconte-t-il aux séminaristes qui veulent bien le croire. L’homme, un enseignant du secondaire, a, il est vrai, une approche pédagogique de sa fonction. Par une vaste campagne d’information, de sensibilisation et d’éducation des citoyens quant à leur participation active à la gestion des affaires de leur collectivité, il arrive à constituer l’unanimité autour de sa personne. Auto-satisfait, le maire ne manque pas tout de même d’ennemis. Ses adversaires qui sont de l’opposition, le soupçonnent de malversations. Mais l’homme est fier de sa méthode et de ses résultats : « Mes concitoyens me comprennent. Ils payent les taxes, discutent avec moi dans la rue. Nombreux sont ce qui viennent chez moi à la maison pour donner leurs opinions sur tel problème de notre ville. Je crois que nous irons bien avec un peu de courage » La commune a refait ses locaux déchiquetés par les intempéries, et dispose d’une voiture de fonction pour le maire. L’optimisme grand naïf du maire peut prêter à sourire, mais il témoigne de la vitalité d’une partie importante du peuple qui, fatigué du pouvoir central, veut prendre en charge son propre développement. Apprendre à ne plus dépendre d’un Etat faiblard et glouton, qui passe le plus clair de sa lucidité à gaspiller d’une manière éhontée les ressources communes à tous. Le récent document de l’ex-PM Agbéyomé Kodjo intitulé « IL est temps d’espérer » illustre à bien d’égards ce qu’est l’Etat RPT et les motivations des populations déçues du sommet.

Kpalimé pourra-t-elle aboutir dans son effort pour relever le défi du développement ? Il est un peu tôt pour répondre. Nous osons croire que le maire qui jure ses grands Dieux en ce qui concerne la transparence de sa gestion, est vraiment limpide avec lui-même. Il faut avoir le courage de le croire sans oublier que la confiance n’exclut pas le contrôle.

La rédaction