Par Comi TOULABOR*
1- LES FONDEMENTS D’UN SOUTIEN MAFFIEUX
1.1- Le Togo de la bande: une colonie idéale pour la France françafricaine
1.2- La «stabilité» comme principe fondant la CDI (Colonie à durée indéterminée)
1.3- L’armée : garant desdits intérêts françafricains
1.4- Une CDI n’a pas besoin de démocratie mais de développement
2- LA BANDE ET LES LOBBIES
2.1- Chirac-Eyadéma : une idée de gouvernance affligeante pour l’Afrique
2.2- Un chef de Bande au centre de réseaux françafricains
2.3- Des lobbies branchés sur des réseaux économiques et occultes
Il ne s’agit pas ici de refaire l’histoire des relations entre la France et le Togo depuis l’indépendance, mais d’essayer de comprendre l’attitude pour le moins équivoque des pouvoirs politiques français à l’égard du processus démocratique au Togo, un cas d’école affligeant. Mais il faut convenir que ce cas d’école s’inscrit dans les eaux glauques et nauséeuses des relations françafricaines, que François-Xavier Verschave considère comme étant d’ordre incestueux, quelque chose de subliminal, dont il est difficile de deviner la rationalité qui les gouverne. Cette France dont nous parlons est essentiellement limitée à son gouvernement central qui se décline en de multiples centres de pouvoir aux intérêts contradictoires (l’Elysée et sa cellule africaine, le ministère de la Coopération aujourd’hui intégré à celui des Affaires étrangères, le Trésor, le ministère de la Défense, les services d’espionnage, etc.…) et s’étend, en les absorbant partiellement ou totalement, à des réseaux situés à sa périphérie qui n’ont rien à voir à l’origine dans la définition de sa politique africaine, si tant est qu’il en existe une. Ce sont les grandes entreprises publiques et privées, les marchands de canons, les éditeurs de manuels scolaires, les obédiences maçonniques, les parlementaires, groupes et clubs d’amitié de toutes sortes, le reliquat des milieux coloniaux, le mercenariat et la barbouzerie, des personnalités influentes intéressées, des universitaires a priori sans scrupule, etc. Tous ces acteurs et milieux se retrouvent enchevêtrés dans une combinatoire volontaire ou inconsciente, serrée et inextricable avec le pouvoir de la Bande au Togo, où finalement les intérêts privés se substituent au pouvoir public, comme au bon vieux temps des colonies. Au temps des colonies, on le sait, les intérêts privés constituaient des lobbies si puissants et si influents qu’ils arrivaient à s’imposer à l’Etat colonial, et de ce point de vue, il n’y a fondamentalement rien de nouveau sous les cieux franco-togolais depuis les indépendances.
1ERE PARTIE : LES FONDEMENTS D’UN SOUTIEN MAFFIEUX
1.1 – LE TOGO DE LA BANDE : UNE COLONIE IDEALE POUR LA FRANCE FRANÇAFRICAINE
Il faut dire que c’est contrainte par le nouveau contexte international né de la Seconde Guerre mondiale que la France « octroya » à ses colonies « l’indépendance » à laquelle d’ailleurs s’opposèrent des roitelets locaux comme Léon Mba avant d’y être astreint, rabroué par la métroplole, si on se fie aux mémoires de Jacques Foccart. Et à la différence par exemple de la Grande Bretagne, qui a été une superpuissance coloniale, la France n’a jamais pris au sérieux l’indépendance de ses (anciennes) colonies africaines où pèse encore lourdement sa présence multiforme. C’est ainsi que les leaders nationalistes africains qui voulurent donner sens et contenu au mot « indépendance » furent harcelés, puis évincés ou trucidés avec un cynisme extraordinaire.
François Mitterrand confessait que la période où la France organisait dans ses dépendances ces pratiques jamais avouées avec ses barbouzes était révolue. Mais Jacques Foccart, homme de l’ombre et âme damnée du général de Gaulle, aimait, lui, à jouer au somnambule et à l’amnésique dans ses mémoires lorsqu’il s’agit de parler de ces points obscurs et sensibles de la politique françafricaine dont il a été le fidèle exécutant à la tête de la Cellule africaine de l’Elysée.
De ces pratiques, le Togo fit pour sa part l’expérience précoce le 13 janvier 1963, quand fut assassiné Sylvanus Olympio dans des conditions où il est difficile d’écarter la main de la France françafricaine et foccartienne. Et depuis l’accession du francophile Nicolas Grunitzky au pouvoir en 1963 jusqu’au jour d’aujourd’hui avec le non moins francophile chef de Bande Eyadéma, la France est devenue un tiers-acteur incontournable dans la vie politique togolaise, se substituant aux acteurs internes quand ses intérêts l’exigent. Le chef de Bande lui-même, dans un complexe d’attraction contemplative et d’infériorité active, s’est érigé en un énorme étui pénien gainant et protégeant cette incestueuse politique françafricaine, comme d’autres féodaux tels que Bongo, Biya, Déby ou Houphouët-Boigny avant eux. D’autant que la souveraineté et l’indépendance nationales, réduites à un drapeau, à un hymne et à une place aux Nations-unies, sont littéralement vidées de leur substance.
Au Togo, même ces oripeaux furent rapidement placés sous le boisseau : l’hymne national remplacé par une chanson vulgaire et stupide; la date de l’indépendance par celle de l’assassinat du 13 janvier, etc. On assista à une réécriture de l’histoire nationale où tout indiqua que le Togo n’avait jamais été indépendant et que tout avait commencé avec l’avènement du chef de Bande au pouvoir qui, justement, a offert le pays à la France sur un plateau de sang, en prenant soin d’y poser dessus la tête de Sylvanus Olympio et celles des Togolais. C’était un gâteau pour le Nouvel An 1963, un gâteau sanguinolent que la France françafricaine continue de savourer avec volupté.
Ces deux pays en sont arrivés à un face-à-face assez étrange où l’autisme le dispute à la schizophrénie ; et du moment que les deux partenaires portent ces œillères-là, ils ont vocation à aller le plus loin possible dans la fuite en avant. Ce que le colonisateur n’osera jamais faire chez lui deviendra normalité prescrite ou assignée en néo ou postocolonie (le néo et le post étant de trop ici). Les élites franco-françafricaines, pour peu qu’elles veuillent passer sur le divan de Freud, aimeraient gouverner chez elles, affranchies de toute norme, comme ses féaux le font en colonie. Car la colonie, c’est le lieu idéal où le colon franco-françafricain vient se dévergonder royalement, c’est le lieu où ses pulsions n’ont pas de bride, où la loi de moralisation de la vie politique n’a pas cours, c’est le lieu où la devise de la République (Liberté, Egalité, Fraternité) et la « France patrie des droits de l’homme » ne sont que de purs slogans, des mots « père-noëllisés » agités à la face du monde pour des naïfs qui veulent bien y croire.
Ce qui a plutôt fait sens au pays de la Bande c’est la « grandeur de la France », récurrence datant du règne de Louis XIV, réappropriée par les élites franco-françafricaines, de De Gaulle à Chirac en passant par Mitterrand. Une « grandeur » dont le trône est vissé sur le dos des Africains et des Togolais avec la complicité des potentats imposés. Cette « grandeur » n’est ni solaire ni imaginaire. Elle a un contenu bien palpable qui se décompose en de gros intérêts économiques, politiques et culturels qui n’ont de mystère pour personne. François Mitterrand, lui-même ancien ministre des Colonies sous la IVè République, résumait assez bien la pensée de la petite élite franco-françafricaine dans ses différentes composantes et diversités idéologiques en disant que la France n’est rien et ne peut guère peser sur la scène mondiale sans l’Afrique. Peu importe pour cela que la colonie regorge de matières stratégiques (pétrole, uranium) et de produits rentiers (café, cacao, coton). Ce qui compte c’est que la colonie reste une véritable CDI, c’est-à-dire une colonie à durée indéterminée. Pour cela, il importe de trouver des agents autochtones dévoués pour y assumer et maintenir ce statut dans sa plénitude, des autochtones à qui « stabilité » sera garantie pourvu qu’ils remplissent avec efficacité leur rôle de supplétifs.
1.2 – LA « STABILITE » COMME PRINCIPE BETON FONDANT LA CDI
Dans les relations françafricaines, le mot clé magique qui fait recette et instaure le consensus, ce n’est pas celui de la démocratie, mais bien celui de la « STABILITE ». La conditionnalité démocratique posée par le discours de La Baule de François Mitterrand en juin 1990 a courroucé nombre de potentats africains (Hassan II, Bongo, Biya, Houphouët-Boigny et bien sûr le chef de Bande togolais), mais aussi les élites franco-françafricaines qui avaient accusé Mitterrand de brader l’Empire colonial, lequel ne pouvait et ne devait en aucun cas rimer avec démocratie. Aussi la conditionnalité démocratie labaulienne fut-elle très vite évacuée, au Sommet de la francophonie au Palais de Chaillot en novembre 1991, au profit de la « sécurité » et de la « défense de la langue française ». Il en fut de même au Sommet franco-africain d’octobre 1992 à Libreville (François-Xavier Verschave a trouvé l’expression féroce mais juste d’« expositions coloniales » pour qualifier ces sommets) où l’on a conjugué à tous les temps présents et futurs de l’indicatif « sécurité » et « solidarité » sous la houlette du tout nouveau Premier ministre Pierre Bérégovoy. Jusqu’à l’Exposition coloniale de février 2003 tenue à Paris, la dernière en date, il est toujours question de « stabilité », de « paix » et de « sécurité » qui seraient « indispensables » au développement économique.
Actuellement, le ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, fait feu de tout bois de ce terme de « stabilité » à l’égard du pays de la Bande. Pour lui en effet, « Il y a une situation difficile au Togo. Qui a la recette magique ? Que faut-il faire ? Est-ce que vous savez, vous, quelle est la bonne solution au Togo ? Il y a un processus électoral qui a été engagé. Certains peuvent contester ce processus. Moi, mon souci, c’est à la fois de prendre en compte la stabilité et la poursuite de ce processus démocratique. Il y a des pays où cela est particulièrement difficile ». (Interview sur RFI le 1er septembre 2003, citée dans Billets d’Afrique et d’ailleurs, 118, octobre 2003). Au-delà de la mauvaise foi du ministre qui semble aveuglé par l’évidente et aveuglante solution pour le Togo, qui tient tout essentiellement en l’organisation d’élections libres, transparentes et sincères, c’est que de Villepin mêle des notions frontalement opposées et antinomiques : processus démocratique (au sens où l’entend le commun des mortels) et « stabilité » (au sens françafricain).
La stabilité dans la bouche d’une autorité françafricaine (africaine ou française) a un sens assez précis jamais explicité. Elle signifie d’abord longévité de l’élite féale au pouvoir en CDI. Depuis janvier 1967, le chef de Bande togolais a vu défiler cinq Présidents franco-françafricains (de Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand et Chirac), ce dernier étant à lui seul le condensé caricatural de ses prédécesseurs. La stabilité, en colonie, c’est donc rester le plus longtemps possible au pouvoir. Les élites franco-françaises ont fabriqué un diplôme sublime en chocolat idoine : « Doyen des chefs d’Etat africains » qui permet aux roitelets nègres de s’asseoir à la droite du Père lors des Expositions coloniales. Cependant, cette condition n’est pas suffisante en soi.
Intervient une seconde qui est la préservation des intérêts françafricains, fort nombreux, en CDI. Comme dans un jeu de don et de contre-don, cette fonction est la contrepartie de la longévité que les autorités franco-françafricaines garantissent à leurs homologues bandites du Togo. Les potentats afro-françafricains qui ont refusé ou oublié de remplir cette fonction indispensable savent le sort qui leur est réservé, la longévité étant proportionnelle au zèle et au dévouement investis dans leur fonction assignée. De ce point de vue, Bongo, Biya, Sassou Nguesso et bien sûr Mobutu, Houphouët-Boigny et Eyadéma, sont ou ont été des clones assez illustratifs.
La troisième condition que décline la stabilité est la sécurité pour les biens et les personnes engagés dans la Françafrique. La Lettre de la rue Monsieur du ministère de la Coopération (n° 63 de mai 1995) note que « la montée de la criminalité et de l’agitation sociale dans de nombreux pays justifie un soutien accru du ministère de la Coopération aux forces nationales de police et de gendarmerie ». Ce qui entraîne que « les projets sécuritaires de la Mission militaire de coopération bénéficiant aux forces à statut militaires soient éligibles aux crédits du Fonds d’aide et de coopération ». La Lettre conclut qu’«un développement durable nécessite en effet un Etat stable. Le maintien de la sécurité est donc un préalable indispensable ». On croit lire le discours sécuritaire rituel et routinisé de la Bande togolaise passée maître en la matière. Mais ce qui caractérise ces obsessions sécuritaires françafricaines c’est de s’attaquer aux conséquences des choses plutôt que de prendre en considération leurs causes, lesquelles sont dans la nature même du système françafricain dont l’Etat bandit togolais n’est que le révélateur.
1.3 – L’ARMEE : GARANT DESDITS INTERETS FRANÇAFRICAINS
Il va sans dire que l’armée, ou ce qui en tient lieu, est le meilleur support pour garantir cette « stabilité ». Une fois accepté ce rôle (a-t-elle le choix ?), peu importe alors si les chefs de Bande sont des nabots incultes, des tirailleurs ou des satrapes notoirement médiocres. Mais il convient infiniment mieux de voir ces chefs de Bande en Trissotin ou en Maître Aliboron, leur médiocrité étant une ressource capitale pour consolider, pérenniser, dynamiser et réguler les rapports françafricains. Très vite au lendemain des indépendances, Jacques Foccart et l’élite franco-françafricaine, pour éviter de fortes têtes nationalistes et patriotes africaines dans les CDI, n’avaient-ils pas opté pour des laquais et des domestiques serviles, dépouillés de culture et d’éducation ?
Au Togo, le chef de Bande aime se targuer d’avoir passé sa vie à bâtir « son » armée. En fait cette armée est fille de l’armée française qui l’a taillée sur mesure. En 1963, après l’assassinat de Sylvanus Olympio, des accords d’assistance militaire technique permettent à la France de prendre en charge sa formation, son organisation et son équipement. Son caractère quasi-monoethnique, s’il est voulu par le chef de Bande, est toutefois couvert par des autorités franco-françafricaines. Dans les années 1970, le Togo de la Bande signe des accords secrets de défense avec la France françafricaine, qui prévoient une assistance militaire technique fournie par Paris pour la formation en France des forces armées togolaises et des facilités de transit et d’escale pour l’armée française. Le Togo de la Bande est ainsi une excroissance du territoire franco-françafricain dont l’armée française peut voler au secours du pouvoir bandit quand il est menacé comme en septembre 1986. Durant le conflit du Tchad, l’aéroport de Niamtougou, dans le Nord du pays, a servi d’escale aux troupes françaises.
La « stabilité » implique pour le Togo de la Bande une insertion très poussée de l’armée dans les structures et les rouages militaro-françafricains. Ainsi les armées de terre, de l’air et la marine sont-elles de purs produits françafricains, de même en est-il du Régiment paracommando, de la Garde présidentielle, de la Force d’intervention rapide, du Régiment de soutien et d’appui, des quatre Régiments interarmes du pays, sans oublier la gendarmerie, la police, des différents services de renseignement ou de l’Ecole de formation des officiers des FAT à Pya. Même si Paris entend recevoir de moins en moins de stagiaires africains dans ses académies militaires en créant sur place, en Afrique, des structures de formation à vocation régionale, le Togo de la Bande continue à bénéficier d’attentions particulières dans la nouvelle politique de défense définie en 1998 par Paris.
Et le Togo de la Bande entend jouer un rôle de premier plan au sein du RECAMP (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix) initié à Paris en 1998 pour contrer les Américains dans la gestion des crises et conflits sur le continent. Avec la bénédiction de Paris, le Togo de la Bande n’hésite pas à envoyer des contingents de militaires, sous l’égide de l’ONU, sur les fronts de crise où les autorités françafricaines savent jouer parfois avec habileté les pompiers pyromanes après avoir instrumentalisé le supposé « tribalisme atavique des Africains » pour leurs propres intérêts. Par ailleurs, le Togo et la France françafricains conduisent souvent des manœuvres militaires conjointes sur le territoire togolais, permettant à la puissance tutélaire d’avoir une connaissance géo-militaire détaillée du territoire qu’il maîtrise de toute façon par d’autres moyens. N’est-ce pas par exemple l’Institut géographique national français qui établit les relevés topographiques et cartographiques du Togo ? Ce partenaire parraine aussi des opérations de type « Kompienga 98 » rassemblant à Kara (ville natale du chef de Bande togolais) huit pays d’Afrique occidentale et centrale pour restaurer et maintenir la paix. Ce qui n’a point empêché l’éclosion du conflit ivoirien où les protagonistes sont pratiquement les mêmes qu’au Kompienga.
La DGSE et la DST ont des antennes à l’ambassade de France à Lomé dont les responsables sont aussi des conseillers du chef de Bande. Lorsque des intérêts françafricains (Lycée, Centre culturel, restaurant Okavango) ont été plastiqués en mai-juin 2003 à Lomé, les enquêtes ont été menées conjointement entre ces services de renseignement et leurs homologues togolais, selon les propos de l’ambassadeur Jean-François Valette (Tribune du peuple, 86, du 3 septembre 2003).
Dans des domaines autres que militaires, la confusion entre les deux partenaires est telle que dans leur face-à-face, les têtes rentrent en collusion fusionnelle et finissent par former une seule tête françafricaine à double visage : l’un « franco » et l’autre « togolo ». N’oublions pas que c’est de concert avec ses homologues Bongo, Biya et Hassan II que le chef de Bande était intervenu auprès de Mitterrand au début des années 1980 pour faire virer Jean-Pierre Cot, trop attentif aux droits de l’Homme, de son ministère de la Coopération. Par ailleurs, dans Libération du 26 novembre 2003, Christophe Ayad et Annick Peigne-Giuly racontent comment le pouvoir de la Bande et l’ambassadeur de France au Togo interviennent pour interdire des interviews d’opposants sur RFI où « depuis [octobre 2002], un usage s’est installé : chaque fois qu’un opposant passe à l’antenne, ils préviennent Lomé… qui brouille l’émetteur local ». La situation n’est pas brillante pour la presse internationale non plus à la lecture de [l’article de Franck Ekon-> www.letogolais.com/article.html?nid=1177] sur le www.letogolais.com/article.html?nid=1177. L’auteur révèle comment le pouvoir bandit met la pression sur les correspondants de la presse internationale, notamment de RFI et l’AFP, en les harcelant, en intervenant auprès de leurs hiérarchies qui passent le clair de leur temps à courber l’échine, à ramper tête baissée dans leur nudité déontologique, en affectant les « indésirables » ailleurs quand ils ne sont pas purement et simplement virés de leur poste.
De son côté, la France françafricaine a aussi les coudées franches en CDI togolaise. C’est tout logiquement qu’elle trouve normal de donner son aval à des nominations de Togolais à certaines hautes fonctions, à des postes ministériels ou d’ambassadeurs quand elle ne suggère pas des noms. Dans la petite élite togolaise, elle a ses hommes adoubés qu’elle cherche à incorporer au système bandit sur des postes stratégiques pour l’avenir de ses intérêts. Il est certain que la désignation de Edem Kodjo par exemple à la primature en 1994, alors qu’il ne remplissait pas les conditions politiques à l’Assemblée nationale, était une stratégie françafricaine pour casser l’opposition qui n’avait rien fait pour contrecarrer la manœuvre. De même le lieutenant-colonel Antoine Laokpessi a été viré de la direction de la gendarmerie sur intervention de Paris à cause de l’image détestable qu’il donnait de son institution, vitrine de la France françafricaine. Les ambassadeurs de France au pays de la Bande, en fonction de leurs personnalité et profil idéologique, sont des gouverneurs, dont les avis sont sollicités pour un oui et un non. De son côté, la Bande traduit le moindre étourdissement, le moindre hoquet, le moindre éternuement ou la moindre lassitude de la France françafricaine comme un signe de lâchage. Elle se met au garde-à-vous, plus raide encore, en multipliant toutes sortes de prévenance, de révérence et de courbette, comme les arrestations arbitraires de mai-juin dernier lorsque des intérêts franco-françafricains ont été touchés. Comment dans ces conditions, une CDI peut-elle devenir une démocratie et un Etat de droit (démocratique)
1.4 – UNE CDI N’A PAS BESOIN DE DEMOCRATIE MAIS DE DEVELOPPEMENT
En février 1990, à Abidjan chez le sous-traitant continental de la politique françafricaine, Houphouët-Boigny, avec le sens de l’à propos qui le caractérise, Jacques Chirac, alors maire de Paris déclarait: « Pour les pays en développement, le multipartisme est une erreur politique », « une sorte de luxe pour les pays en développement, qui doivent concentrer leurs efforts sur leur expansion économique, n’ont pas les moyens de s’offrir ». Il poursuit en ajoutant que « de toute façon le multipartisme n’est pas lié à la démocratie puisqu’il y a des pays à parti unique où la démocratie s’exerce au sein de ce parti unique » et qu’« en revanche, il y a des régimes de pluralisme où la démocratie n’est pas respectée ». Tout naturellement le modèle pour les pays en développement est tout trouvé, c’est le régime monopartiste à démocratie interne avec « naturellement le respect de la liberté et de la dignité des personnes ». Et l’ancien Premier ministre de France et maire de Paris de conclure que c’est ce qui « se passe dans un grand nombre de pays africains » et permet d’agréger les nombreuses « tribus » qui les composent.
Il est inutile de dire que cette énième sortie « abracadabrantesque » de Chirac a soulevé en son temps beaucoup de réactions et de tollé comme entre autres la « Lettre ouverte à Mr. Jacques Chirac président du RPR » datée du 2 mars 1990 émanant du « Forum panafricain pour la démocratie ». Elle appelle toutefois trois observations intéressantes :
D’abord, il y a un rapprochement entre cette déclaration abidjanaise et celle, plus récente, faite le 3 décembre 2003 à Tunis chez son homologue et « ami » Ben Ali. Il montre que le regard du Président franco-françafricain n’a pas bougé d’un iota depuis plus d’une décennie sur la question démocratique en Afrique. Il ânonnait en effet auprès de son hôte tunisien que : « Le premier des droits de l’homme, c’est de manger, d’être soigné, de recevoir une éducation, d’avoir un habitat. Et, de ce point de vue, il faut bien reconnaître que la Tunisie est très en avance sur beaucoup de pays. Nous avons chacun nos critères d’appréciation ».
Ensuite il n’y aucune différence notable entre Jacques Chirac et son autre grand ami le chef de bande togolais Eyadéma à propos de la démocratie et des droits de l’homme. Ce dernier ne déclarait-il pas dans une confusion des genres et dans son style particulier : « On dénie à ce groupe d’hommes [c’est-à-dire le tiers-monde] le plus élémentaire des droits : celui de vivre, alors qu’on le reconnaît aux animaux, qui ont droit à la protection. Le droit de l’Homme signifierait-il le droit de mourir de faim, d’ignorance et de maladie ? Que signifie la liberté d’expression lorsqu’on ne sait ni lire ni écrire ? ». Il réclamait en revanche de substituer aux « droits de l’homme théoriques » ceux « plus concrets de disposer du minimum vital ». Le chef de Bande togolais tenait ce discours à l’occasion du renouvellement des accords ACP-CEE en 1984, plus connus sous l’appellation Lomé III, où il s’était fermement opposé à l’insertion des droits de l’Homme dans lesdits accords. Pour lui comme pour Chirac, le développement économique primait et prime encore sur les droits humains. Vingt ans plus tard, c’est en vain qu’on scrute l’horizon pour voir poindre ce développement économique tant promis qui conférerait à chaque Togolais son droit concret de minimum vital. Ce sont plutôt la décomposition sociale et la pourriture des mœurs qui brillent dans le ciel togolais comme pour narguer le bon sens.
Enfin, Jacques Chirac a exprimé des idées largement partagées au sein de la classe politique françafricaine. La démocratie et les droits de l’homme ne sont pas des denrées comestibles pour les Africains, qui ne sont pas encore matures pour leur consommation, surtout lorsque ces Africains sont ressortissants des CDI comme le Togo de la Bande. Ce que propose Chirac pourrait s’appeler « démocrature », cet alliage manqué où l’on essaie en vain de loger la dictature bandite dans les habits institutionnels de la démocratie. Mais il faut reconnaître que les propos chiraquiens représentent une formidable évolution par rapport aux décennies 1970 et 1980. Dans ces années-là, les dictatures, surtout lorsqu’elles sont militaires, étaient magnifiées et considérées comme « naturelles », « normales » ou « allant de soi » pour les pays africains. Des théories développementalistes ont légitimé ces discours dictatorophiles quand on pense aux « modernizing soldiers » d’un Samuel Huntington et aux « militaires bâtisseurs d’Etat-nation » d’un Bernard Asso par exemple. Souvenons-nous aussi de la rengaine selon laquelle les partis uniques étaient mieux aptes à faire « l’intégration nationale et le développement économique », etc. Il y avait un consensus dans le monde scientifique d’alors qui validait le discours des hommes politiques africains, lesquels validaient à leur tours ceux des scientifiques, et la boucle est bouclée. Jacques Foccart pouvait aller se pavaner, l’air heureux, dans les CDI distribuant à tour de bras des brevets de satisfecit à ses laquais et domestiques locaux, comme dans l’emblématique Togo de la Bande le 13 janvier 1971. A partir des années 1990, avec la vague démocratique, ce vieux discours a accusé un retard très perceptible chez Chirac et ses « amis » dictateurs africains.
La Françafrique a toujours considéré que ses intérêts bien compris en Afrique ne peuvent pas être sauvegardés par une démocratie en bonne et due forme. Elle peut faire des concessions et tolérer à la rigueur une démocrature. En avril 1991, au plus fort de la demande démocratique, le pouvoir mitterrandien a fourni à la Bande togolaise du matériel policier (gaz lacrymogène, balles, matraques, gilets pare-balles, etc.) pour réprimer les manifestations de rue. En décembre de la même année, il refusa d’intervenir pour sauver la primature de transition prise dans une lutte à mort avec la soldatesque bandite. Les élections frauduleuses qui ponctuent les moments forts de la démocrature ont toujours été entérinées par les autorités franco-françafricaines. Jacques Chirac, dans sa grande sagesse françafricaine, ne disait-il pas que si l’on ne laissait pas les dictateurs remporter les élections ils n’en organiseraient plus ? Jusqu’à ce jour, n’a-t-il pas assis son séant royal sur le rapport défavorable à son « ami » Eyadéma, rapport produit par la délégation officielle des observateurs de la Francophonie lors des élections présidentielles de juin 2003 ?
Comment les élites françafricaines peuvent-elles voir, dire et faire quelque chose sur l’Afrique qui soit différent de ce que produisent leurs neurones marinés dans la saumure composée de la malédiction de Cham, de l’esclavage et de la colonisation qui perdurent sous les traits du culturalisme lévy-bruhlien ? Comment peuvent-elles rompre avec leur propre conditionnement ? Surtout qu’au bout du compte il y a des intérêts palpables faramineux ? Mais Docteur Diafoirus vous dira que vous êtes en train de faire de la survictimisation (alors que le questionnement est valable dans les deux sens) et vous prescrira l’ordonnance de la sagesse de trois simiens qu’il faut refuser avec véhémence. Parce que, entre autres, simplement, celui qui hurla un jour d’été 1967 au balcon de l’Hôtel de ville de Montréal « Vive le Québec libre » ne l’a jamais fait pour l’Afrique, surtout en ce 30 janvier 1944 à Brazzaville lorsque l’occasion lui fut pourtant donnée. En CDI, on n’a pas besoin de liberté et de démocratie, mais de développement pour manger : n’est-ce pas là le destin du Nègre prescrit par le Blanc depuis la nuit des temps ? Surtout quand le roi nègre, choisi par lui, adhère superbement et fièrement à cette proposition humiliante contre quelques grains de lentilles ?
2EME PARTIE : LA BANDE ET LES LOBBIES
2.1 – CHIRAC-EYADEMA : UNE IDEE DE GOUVERNANCE AFFLIGEANTE POUR L’AFRIQUE
A quand remonte la première rencontre entre Jacques Chirac et le chef de Bande togolais ? Dans les Aurès lors de la guerre d’Algérie à laquelle ils ont participé ? Ou lorsque le premier devint collaborateur de Georges Pompidou à partir de 1962 ? Etait-il dans la délégation présidentielle lorsque Pompidou visita le Togo en novembre 1972 ? Ce qui est certain, c’est que Chirac s’estime le dépositaire légitime et légal de la Françafrique dans la pure tradition de son homonyme Jacques Foccart, qu’il renomma à la tête de la Cellule africaine quand il conquit l’Elysée en 1995. Il a certainement rencontré à plusieurs reprises le chef de Bande togolais lorsqu’il était maire de Paris, et en sa qualité de président de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) il a été reçu comme un chef d’Etat à Lomé et à Kara à plusieurs reprises. L’AIMF regroupe des maires et des responsables des capitales et métropoles partiellement ou entièrement francophones, c’est-à-dire pour ce qui concerne le Togo, des bureaucrates corrompus nommés par le chef de Bande qui se moque éperdument de démocratie et d’autonomie locales. Donc avant de devenir président de la République française, Chirac connaissait Eyadéma et ils partageaient à peu près la même vision de l’Afrique.
Deux hommes qui se ressemblent assez pour s’assembler
Si le coq hardi gaulois a fait l’ENA, cette grande école où sont produites en série les têtes d’œuf de la bureau-démocratie française, Eyadéma, lui, plus modeste, revendique avec force sa nature brutale et son habileté à dégainer plus vite que son ombre. Ils ont pratiquement le même âge (70/71 ans) et la même taille. Leur simplicité franchouillarde et négroillarde en fascine plus d’un, et ils sont nombreux, hommes et femmes, à succomber sous leur charme. Les frontières du monde commencent et s’arrêtent en Corrèze, chez l’un, et dans la Kozah, chez l’autre. Aussi sont-ils fortement attachés à leur terroir d’origine où ils cultivent un corporatisme et un népotisme primaires. La gestion de la Ville de Paris avec ses nombreuses fraudes électorales et scandales étouffés est à bien des égards identique à celle du Togo par la Bande. Autant l’ancien maire de Paris a fait de sa ville un repoussoir pour les plus vulnérables, autant le chef de Bande a fait de son pays un véritable cercueil (la forme longitudinale du pays s’y prête) où la vie et la mort se tutoient à chaque instant.
Chef de Bande et aussi ex-agent de la CIA (comme Bongo et Mobutu avec lequel il s’est lié d’une amitié des plus intimes) placé à la tête de son pays, Eyadéma a fondé la légitimité de son pouvoir plus sur la Françafrique que sur les aspirations de ses concitoyens. Son parti, le RPT (Rassemblement du peuple togolais) est un grand bailleur de fonds privilégié du RPR (Rassemblement pour la République), le parti de Chirac. Remarquons en passant la similitude des sigles ! Quand ce parti s’est transformé en novembre 2002 en UMP (Union pour un mouvement populaire que de mauvaises langues ont traduit en « Unis pour manger le pouvoir »), le RPT a envoyé à son congrès fondateur son secrétaire général, Koffi Sama, qui cumulait alors cette fonction avec celle de Premier ministre de l’Etat bandit.
Autant la justice française sait se montrer courtoise à l’égard des hommes politiques, surtout lorsqu’ils sont mêlés aux crimes et délits françafricains, autant la justice bandite togolaise a une capacité extraordinaire d’adopter la posture des trois simiens face à la corruption et aux ignominies de la Bande et de son chef. Faut-il penser que, abonnés aux plus puissants fonctionnaires du numineux qu’ils échangent entre eux (géomanciens, marabouts, prêtres vaudous, etc.), l’un et l’autre jouissent de la baraka qui annihile la perspicacité et le rationalisme du personnel judiciaire soudainement frappé d’amnésie ? Le grand « Magicien » français, ainsi appelé pour sa connaissance supposée de l’Afrique et du Japon aux « Guignols de l’Info », est certainement un bon mime du grand « Baobab » (nom fort que s’est donné le chef de Bande togolais), cet arbre bourré de mystères ensorcelants des savanes africaines. Dans ce contexte, la « fin de l’impunité » prônée par Jacques Chirac lors de l’Exposition coloniale de février 2003 à Paris relève de la fumisterie et n’est pas pour demain.
Une même idée de gouvernance affligeante pour l’Afrique
Entre Jacques Chirac et son ami Eyadéma ont existé très tôt une entente et un accord béton sur le mode de gestion de l’Afrique, et plus précisément du Togo. Présent à Lomé le 13 janvier 1971 pour commémorer l’assassinat de Sylvanus Olympio, Jacques Foccart déclarait enthousiaste : « Nous sommes pleinement satisfaits de la façon dont le général Eyadéma gère les affaires du Togo » (Politique-Hebdo du 25 mars 1971). Le 12 novembre 2003, le discours n’a pas vraiment changé au Quai d’Orsay en écoutant ce bureaucrate des lieux, pourtant grand connaisseur de la « politique africaine » de son pays :
« Le Togo est un pays stable dans la sous-région. C’est un bon point pour nous qu’il faut préserver. Regardez, la Côte d’Ivoire est en crise. Nous essayons de nous en sortir en demandant à Kofi Annan de prendre le dossier en main. La Centrafrique risque aussi d’imploser. Alors nous ne pouvons pas permettre d’ouvrir un front de crise avec le Togo. Eyadéma gère bien son pays. Il n’y a pas de problèmes majeurs. On évoque les droits de l’homme, mais leurs violations ne sont pas aussi massives qu’on nous le dit. Il y a quelques violations, pas très graves, qu’on monte en épingle. Amnesty International est là pour ça. L’opposition est divisée, elle n’est pas unie. Elle est incapable de s’entendre et de parler d’une même voix. Si Gilchrist Olympio vient au pouvoir, il cherchera à se venger de son père. L’amitié entre Chirac et Eyadéma, oui, mais elle n’est pas déterminante pour expliquer la situation politique du Togo. On parle de corruption, il est difficile de nier cela. Mais elle n’est pas aussi importante que cela. Il en existe partout d’ailleurs comme chez nous aussi. L’Union européenne doit-elle continuer à maintenir sa sanction ? Cela a assez duré et n’est pas efficace. Les populations togolaises souffrent. Il faut lever ces sanctions. Ce n’est pas la meilleure façon d’amener la démocratie dans ce pays… ».
Ce n’est ni Chirac ni Eyadéma qui tient ces propos. C’est un fonctionnaire du Quai d’Orsay qui parle au chercheur venu comprendre la lecture que son département fait de la situation politique togolaise. Il travaille dans une structure qui se dit « autonome » de la Direction Afrique du ministère des Affaires étrangères et qui mène « une réflexion indépendante ». Pour justifier la position de son pays, il ajoutait que « les pays scandinaves ont une position officielle engagée, mais que derrière la façade ils tiennent des propos racistes que la France n’osera jamais tenir ». En quelque sorte l’humanisme français hérité des Lumières confronté à l’hypocrisie des pays scandinaves ! Inutile de reprendre point par point ces propos pour en démonter l’insanité ou l’évidente mauvaise foi.
Notons cependant que ce qui fait le vice congénital de la politique françafricaine c’est ce manque de courage politique à regarder les faits en face en prenant les indépendances africaines au pied de la lettre, en continuant à regarder l’Afrique dans le rétroviseur de l’histoire de la France coloniale où une vie africaine n’a aucune espèce d’importance comme Mitterrand le faisait savoir à propos du génocide rwandais. Depuis de Gaulle jusqu’à Chirac, en passant par Mitterrand, c’est « Immer daselber !» comme diraient les Allemands. Il n’est pas certain non plus que sur le plan économique, le chef de Bande fasse des miracles qui lui permettraient à la limite de s’affranchir des droits de l’homme, comme Chirac l’ânonnait à Ben Ali.
Dans ces grandes lignes, l’économie togolaise se présente actuellement avec les traits de visage d’un grand malade : son PIB, de 289,6 milliards de francs CFA en 2002 passerait à 298,5 milliards en 2003. Elle affiche un taux de croissance de 4,2 % et de 3,1 % au cours de la même période. La dette extérieure est de 890,2 milliards en 2002 et on prévoit 876,6 milliards pour 2003 avec un service de la dette passant de 48,1 % à 52,2 % dans la même période. Par rapport au PIB, l’encours de la dette extérieure atteint 87,1 % en 2002 et 82,1 % en 2003. Le taux d’inflation prévoit 0,6 % pour 2003 contre 3,1 % et 2,1 % respectivement en 2002 et 2001. La dette intérieure dont on parle rarement était de 275,7 milliards en 2002. En 2001, le Togo n’a été capable de rembourser que 125 milliards sur 144,1 milliards de sa dette extérieure, etc. On peut continuer à aligner indéfiniment ces chiffres astronomiques à propos desquels on peut légitimement s’interroger sur leur fiabilité. Car depuis belle lurette, le Togo ne dispose plus de service de statistiques digne de ce nom, et les chiffres sont bidonnés en fonction des intérêts en présence. Ils diffèrent selon que l’Etat bandit veut s’adresser aux institutions de Bretton Woods, à l’Union européenne, à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, aux institutions de la CEDEAO, etc. C’est ce qui se passe dans le domaine de la scolarité où les chiffres sont exagérément gonflés pour magnifier l’effort accompli en ce domaine, alors que la réalité est désolante, effrayante et sordide. Il en est de même du sida pour lequel depuis le début des années 1980 on camoufle l’accablante réalité en diminuant considérablement le taux de prévalence, pour ne pas faire fuir le touriste !
Cela dit, les difficultés de l’économie togolaise ne datent pas des années 1990 comme le pouvoir bandit le fait accroire en les mettant sur le dos de la démocratisation et de l’opposition. La panne de l’économie togolaise date en réalité du début des années 1980 où le pays n’arrive plus à rembourser ses dettes contractées auprès des bailleurs de fonds une décennie plus tôt pour se lancer dans la fameuse « politique des grands travaux » tapageuse et totalement irrationnelle qui a accouché au final d’éléphants blancs. Les vestiges de cette période héroïque jonchent encore le sol togolais : aciéries, raffineries, cimenteries, parcs de tracteurs immobilisés (résultat de la politique agrofoncière), hôtels de standing vides, banques imposantes désargentées, etc. Si ce développement albo-éléphantesque a permis à la classe bandite de s’enrichir grâce aux diverses commissions qu’elle touchait sur ces réalisations monstrueuses, les Togolais, qui croyaient au mirage du « Togo, Suisse de l’Afrique » qu’on leur faisait miroiter (ce slogan date d’ailleurs de 1961 avec S. Olympio), doivent trinquer maintenant pour rembourser toutes ces folies dantesques de la Bande. En tout cas, en 2001, le pays de la Bande est classé au 141è rang sur 175 pays pour son indicateur du développement humain et se réjouit bruyamment d’avoir surclassé les derniers. Il doit aussi se réjouir sans aucun doute de voir l’espérance de vie à la naissance tomber de 50 ans en 1960 à 39 ans en 2002 et de recevoir de moins en moins d’investissements directs étrangers.
Le grand bénéficiaire de ce développement imaginaire maffieusement très rentable n’est-il pas la France françafricaine à travers ses entreprises ? Quand François Charbonnier écrivait, un air gourmand, dans le journal économique Les Echos (8 décembre 19971) que « Le Togo [est] un petit pays mais en expansion régulière où les intérêts français restent prépondérants », il n’avait pas tort. Sauf que ce développement n’avait aucune assise économiquement solide, bâtie sur du clinquant, comme ce fut le cas hier notamment en Côte d’Ivoire, cette vitrine de la Françafrique où l’on gargarisait le monde des décennies durant de « miracle ivoirien ». Or la Françafrique, c’est justement l’absence d’éthique, de morale publique et Jacques Pirate et son ami chef de Bande Eyadéma ne peuvent que légitimer cette situation de pillage indécente qui va de soi pour eux.
2.2 – UN CHEF DE BANDE AU CENTRE DE RESEAUX FRANÇAFRICAINS
Après quarante ans de pouvoir, le plus vieux dictateur au monde après Fidel Castro, le chef de Bande togolais est, malgré lui, au centre de toutes sortes de réseaux d’influence et est devenu aussi un homme de réseaux dont la capacité de nuisance est redoutée dans les milieux françafricains tant à gauche qu’à droite. Il semble qu’il connaît par cœur tous les secrets visibles et invisibles de la Vè République et surtout l’auteur du tir mortel du 13 janvier 1963, par lequel il tiendrait l’élite franco-françafricaine rampant, queue basse, à ses pieds. Dans ces relations de dons et de contre-dons, il a rendu d’énormes services à la Françafrique en tant que médiateur dans les nombreuses crises sur le continent, même si ces médiations sont souvent bidons et que l’essentiel se fait ailleurs. Parmi les réseaux, citons-en rapidement quelques- uns :
1) Le réseau Foccart le tient par le bout du nez, à moins que ce ne soit le contraire. Après la disparition de son père fondateur, ce réseau s’est mis au service de Jacques Chirac. Les rogatons de ce réseau sont encore en activité soit à la Cellule africaine de l’Elysée, soit comme conseillers de certains potentats françafricains, soit comme fonctionnaires à des postes stratégiques dans certaines entreprises franco-françafricaines, soit dans les services de renseignements fort actifs à l’ambassade de France à Lomé, où ils servent de grandes oreilles et de grands yeux au chef de Bande togolais, qu’ils informent des tentatives de coup d’Etat et des activités de l’opposition. Bien que certains d’entre eux jouent leur propre partition, il n’est pas bien difficile de les arrimer au tristement célèbre réseau Foccart.
2) Le réseau Mitterrand animé en son temps par son fils Jean-Christophe (JCM), ancien correspondant de l’AFP à Lomé avant d’être nommé à la Cellule africaine de l’Elysée en juillet 1983. Il est devenu l’ami personnel du chef de Bande togolais. Les grosses têtes de ce réseau se retrouvent bien souvent dans la salle d’attente du chef de Bande à Lomé 2 pour se faire rétribuer pour leurs bons et loyaux services et chanter les « vertus de grand homme » de celui qu’ils n’hésitent pas, en privé, à traiter de « bougre » !
3) Le réseau Pasqua centré sur son fondateur éponyme et son fils Pierre, tous les deux mis en examen dans des affaires tordues. L’ascension de ce réseau a commencé en 1986 avec la première cohabitation en France. Ses membres actifs sont nombreux et pratiquement d’origine corse, auxquels se mêlent quelques Libanais. Ils sont souvent mouillés dans le scandale Elf et mis en examen ou jetés en prison pour certains d’entre eux. Daniel Léandri, Jean-Charles Marchiani, Pierre Martini, Robert Feliciaggi, André Feliciaggi, André Tarallo, Jean-Pierre Tosi, Jules Filipedu, etc. sont des stars de la Françafrique dans ce qu’elle a d’odieux. Ce sont les Feliciaggi, grands orfèvres, qui ont inondé les pays de la zone franc du très lucratif PMU (Pari mutuel urbain). A Lomé, ils sont en affaire avec les barons de la Bande et leur chef.
Le père éponyme du réseau, Charles Pasqua, est lui-même « un soutien indéfectible » du chef de Bande togolais à qui il a rendu une visite remarquée et inopinée à Pya le 21 décembre 1992. Celle-ci intervenait avant les élections présidentielles togolaises de 1993 et les élections législatives en France, alors qu’on était en pleine période de rupture « officielle » de la coopération entre les deux pays. Reçu comme un chef d’Etat et élevé à la dignité de Grand officier de l’Ordre du Mono, il était venu dire aux Togolais que « C’est une chance pour le Togo d’avoir eu à sa tête le général Eyadéma. Si la situation ne s’est pas davantage dégradée jusqu’alors, c’est en grande partie dû à ses qualités d’homme d’Etat et à sa sagesse ». Depuis, l’amitié entre les deux hommes ne s’est pas démentie. Charles Pasqua agissait au nom du parti gaulliste RPR dont il était un grand baron en tant que ministre de l’Intérieur et bien évidemment en son nom personnel, à l’instar de Me Jacques Vergès. A côté de ces trois principaux réseaux de soutien, existent aussi des électrons libres parfois inattendus.
4) Quelques électrons libres inattendus dont certains ont de l’influence, d’autres sont plutôt des acteurs obscurs néanmoins efficaces. Ils peuvent être sériés en trois groupes :
a) Les électrons libres politiques. C’est Michel Rocard, député européen et ancien président de la Commission du développement et de la Coopération qui dans une note datée du 1er avril 1999 condamne l’opposition togolaise pour son « radicalisme » face à « un pouvoir internationalement reconnu » et préconise la reprise de l’aide de l’Union européenne suspendue depuis 1993 comme « nécessaire en urgence » et « comme une condition de préservation de la paix civile » au Togo. Celà n’est pas une surprise quand on sait que celui que l’on considérait comme une conscience morale de la gauche socialiste s’était aligné dans des termes identiques sur Denis Sassou Nguesso dans la crise congolaise. Au Parlement européen, il existe un petit groupe marginal de députés français qui fait du lobbying pour le chef de Bande togolais comme Jean-Paul Benoît et Michel-Ange Scarbonchi. Il en est de même à l’Assemblée nationale française (qui contrôle de moins en moins l’Exécutif, s’agissant surtout de la politique françafricaine) où le groupe d’amitié parlementaire France-Togo, présidé par le député UMP Christian Philip, fait son travail lobbying. L’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing, admirateur du chef de Bande togolais comme Charles Pasqua, est à ranger dans cette catégorie. Grand chasseur dans les années 1970 dans les réserves animalières du Togo de la Bande, il n’a pas oublié à la veille des élections présidentielles de 1993 d’envoyer lui aussi son soutien à son candidat favori. L’ancien ministre de la Coopération, Bernard Debré, devenu un familier de Lomé II où ses visites sont si fréquentes qu’il finit par être considéré comme un fou fanatique du chef de Bande.
b) Les électrons libres des conseillers en communication. Ils viennent du monde de la communication et du journalisme et sont astronomiquement rémunérés pour soigner à l’étranger l’image du dictateur bandit. Le chiraquien Thierry Saussez, de Image et Stratégie, a travaillé pendant longtemps pour le chef de Bande et Jacques Séguéla, « fils de la pub », patron de Euro-RSCG et vice-président de Havas, a participé à ses campagnes électorales. Des journalistes comme Jean-Luc Mano, de TF1 et Stéphane Bigala de France 2, sont allés faire de l’argent de poche à Lomé II, alors que Hervé Bourges, qu’on ne présente plus, est un conseiller écouté à Lomé, à Yaoundé, à Dakar, etc. Que penser de Jeune Afrique l’intelligent où quelques dictateurs et barons ont des actions et dont les journalistes tels que Abdelaziz Dahmani, Hamza Kaidi, Siradiou Diallo ou François Soudan, ont perdu le sens élémentaire de la déontologie en bichonnant le dictateur bandit ? Des maisons d’éditions comme Afrique Biblio Club, à Paris, spécialisées dans des ouvrages sur commande, ont fait fortune grâce aux commandes passées par le chef de Bande togolais, son ami Mobutu et leurs pairs du continent.
c) Les électrons libres universitaires. Certains parmi eux ont défrayé la chronique. C’est le cas de Charles Debbasch, ancien président de l’Université Aix-Marseille III, ancien conseiller de Valéry Giscard d’Estaing, conseiller juridique du chef de Bande. Détenteur d’un passeport diplomatique, il est plus régulier à Lomé II que sur le Vieux Port où il a été condamné pour faux et abus de confiance et pour toutes sortes de malversations. La Bande lui doit nombre de grands services comme la révision du Code électoral et le toilettage de la Constitution en 2002. D’autres universitaires proches du chef de Bande sont plutôt discrets. C’est le cas par exemple des professeurs, juristes ou géographes, Bernard Chérigny de l’Université de Poitiers, Georges Rossi, de l’Université de Bordeaux III, Raymond Verdier, en Sorbonne à Paris. Certains professeurs de médecine en mission d’enseignement à Lomé se sont transformés en médecins personnels du chef de Bande et participent à la mangeoire générale.
2.3 – DES LOBBIES BRANCHES SUR LES RESEAUX ECONOMIQUES ET OCCULTES
Ces lobbies, surtout lorsqu’ils sont d’ordre politique, sont branchés sur des réseaux économiques organisés ou non comme le Conseil français des investisseurs en Afrique noire (CIAN) et le MEDEF International (Mouvement des entreprises de France). Le CIAN regroupe une centaine de sociétés représentant 80 % de l’activité du secteur privé français en Afrique subsaharienne. Il a été longtemps présidé par Jean-Pierre Prouteau et actuellement par Gérard Pélisson, co-fondateur du groupe hôtelier Accor, qui a délégué ses pouvoirs à Jean-Louis Castelnau. Tandis que le MEDEF International est présidé pour sa zone Afrique par Michel Roussin, ancien ministre de la Coopération, ancien de la DGSE, ancien chef de cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris.
A travers ses différents rapports annuels du CIAN, et il en est de même pour le MEDEF International, la zone franc CFA apparaît comme un espace attractif et hyper rentable. Son rapport 2000 note que « le continent africain offre les meilleurs rendements en terme de rentabilité pour les capitaux investis ». Ce que confirme un document récent de la CNUCED qui remarque que « la rentabilité des filiales étrangères [franco-françafricaines notamment] implantées en Afrique est supérieure à celle enregistrée dans les autres régions du monde ». Le document parle de 75 % de taux de rentabilité pour l’Afrique alors qu’il est nettement moins ailleurs ! Le rapport 2001 du CIAN est de la même veine qui souligne que « L’Afrique n’est pas aussi délaissée que pourrait le laisser penser le contexte médiatique. Malgré une année 2000 qui n’a pas été un cru aussi bon qu’on pouvait l’espérer, les trois quarts de nos entreprises sont optimistes pour 2001 ». Il relève en outre les obstacles au développement du secteur privé dans la zone franc censée être la voie de salut à l’heure de la mondialisation et du néolibéralisme : fraudes douanières et fiscales, jugements arbitraires, corruption, etc.
Pourtant ce sont ces pratiques qui font la fortune du CIAN et du MEDEF International dans un Etat bandit comme le Togo où aucune loi n’est effective, surtout en matière du droit de travail et de protection sociale, où les appels d’offres sont rares et les marchés attribués de gré à gré selon une combinatoire ésotérique. C’est tout naturellement que l’attribution des marchés publics devient une affaire de relation personnelle avec les membres de la Bande et principalement avec son chef. Ainsi des hommes d’affaires du CIAN et du MEDEF viennent régulièrement à Lomé ou rencontrent le chef de Bande lors de séjours parisiens pour exiger leur part du gâteau que constituent l’aide publique française au développement, les privatisations des éléphants blancs et des marchés rentables et captifs tels que les postes et télécommunications et la zone franche à la tête desquels le chef de Bande a toujours placé des relations sûres : Andjo Tchamdja, Faure et Kpatcha Gnassingbé, ces deux derniers étant ses propres fils.
Mais les lobbies s’articulent aussi à des réseaux rosicruciens et surtout maçonniques dans lesquels se retrouvent la plupart des élites togolaises. Au Togo le Grand Orient de France (GODF), l’obédience maçonnique la plus anciennement implantée, située à gauche, est en train d’être supplantée par la Grande Loge Nationale de France (GLNF). Celle-ci, inféodée à la maçonnerie américaine, pratique un symbolique et une spiritualité plus religieux qu’au GODF où ils sont laïcisés. Les deux obédiences proclament œuvrer pour l’expansion de la lumière maçonnique et de ses idéaux humanistes en termes de progrès et de perfectibilité de l’homme dans le monde. Mais force est de constater qu’on assiste plutôt à un dévoiement et à une instrumentalisation de l’idéal maçonnique en Françafrique où les bonnes mœurs de la civilisation ont été abolies. Ce qui est plus sensible à la GLNF qui recrute ses membres à tout va, sans trop se soucier de leur qualité morale et intellectuelle.
Ainsi le chef de Bande togolais serait maçon et initié à la GLNF (cf. Noir Chirac de François-Xavier Verschave) et nombre de ses pairs comme Idriss Deby, Denis Sassou Nguesso, Omar Bongo, Paul Biya, ainsi que le roi Hassan II sont aussi ses « frères » de cette obédience. Il faut ajouter François Bozizé, Laurent Gbagbo, Blaise Compaoré, Ibrahim Baré Maïnassara, Robert Guéi, Pascal Lissouba et Mamadou Tanja, etc. En France, d’éminentes personnalités du monde politique et économique font partie de l’une ou l’autre obédience et aux défilés de mode des gros scandales françafricains tels l’Angolagate et l’affaire ELF, on a l’impression que l’appartenance maçonnique est un passage obligé pour faire des affaires en Afrique. Le CIAN et le MEDEF International sont, à ce titre, truffés de maçons.
Revenons au Togo. Pour la curiosité, il importe de savoir si le chef de Bande est maçon. Mais ce qui est plus intéressant c’est que de gros bataillons de cadres du pays sont dans les loges GLNF. Les fils du chef de Bande sont des « frères de la lumière » : Ernest Gnassingbé sûrement et probablement Faure et Kpatcha. Plus intéressant encore est de connaître la nature de leur rapport au pouvoir bandit quand on sait que ces loges, bourrées d’indicateurs, où la suspicion est érigée en vertu cardinale, ne sont guère des espaces propices à l’exercice de la liberté de conscience et d’expression que revendique tout maçon. Laissons-là ces questions philosophiques. Laissons aussi les entreprises françafricaines « traditionnelles » présentes au pays de la Bande qui sont entre autres : la CFAO, la SGGG, la Renault, la Total-Fina-Elf, le groupe Accor, Michelin, Vivendi, EDF, France-Télécom, Air France, le groupe Bolloré, Colas, UDEC-Togo, Crédit Lyonnais, etc. Intéressons-nous à l’exemple concret et très significatif de l’attractif marché sécuritaire pour essayer de montrer comment il peut être attribué avec au passage des retombées de commissions, bien évidemment.
Actuellement, une douzaine de sociétés de gardiennage et de surveillance ou de sécurité se partagent le marché. Ce sont entre autres l’Agence pour le développement et la sécurité, l’Intercom Security, l’American Eagle Security, l’Optimal Protection Services, la Société togolaise de surveillance, la Togo Métropolitain Security Service et la Société africaine de sécurité Internationale (SAS International). Comment se fait-il qu’une part importante de ce marché est attribuée au général Jeannou Lacaze et de ses proches comme Robert Montoya ? C’est ici que l’on voit la manière dont plusieurs casquettes se combinent pour sortir du chapeau magique « l’heureux élu » au Togo de la Bande.
Le général Jeannou Lacaze est un des principaux conseillers du chef de Bande. Il a fait l’Indochine en tant que légionnaire et l’Algérie : un parcours que le chef de Bande togolais revendique aussi comme sien. Il a travaillé au SDECE, ancêtre de la DGSE, et a été conseiller militaire de Mitterrand. C’est à ce moment que se noue sa rencontre avec son futur employeur. La sécurité, on l’a vu plus haut, est une demande forte en Afrique françafricaine : les chefs de Bande africains ainsi que le CIAN et le MEDEF International sont gros demandeurs en matière de sécurité, car trop de « sécurité » a fini par engendrer de l’insécurité qu’il faut contrôler et réprimer. La formation professionnelle de Jeannou Lacaze et sa trajectoire extra-militaire croisent celles du chef de Bande togolais ; Jeannou Lacaze avait d’ailleurs servi auparavant Mobutu, leur grand ami commun. Tous les ingrédients sont réunis pour élire le général françafricain patron du marché sécuritaire au pays de la Bande.
Par ailleurs, il faut savoir que Jeannou Lacaze est l’agent de recouvrement de SAS International, propriété de Robert Montoya. Lequel, ancien gendarme de la Cellule anti-terroriste de l’Elysée, est un ancien conseiller sécuritaire de Henri Konan Bédié. Robert Montoya est installé en Afrique depuis une vingtaine d’années, emploie plus de 2 500 personnes dans ses sociétés basées sur sept pays africains francophones dont les dirigeants lui sont des familiers. SAS International a des liens très étroits avec Executive Outcomes, cette puissante multinationale spécialisée dans le recrutement de mercenaires. La succursale togolaise de SAS International, SAS-Togo, emploie 400 agents de sécurité et a réussi à enlever en 1996 le « beau » marché de la mise sur écoutes téléphoniques de quelque 300 opposants (Cf. Le Canard enchaîné du 2 octobre 1996), chiffre qui doit dépasser largement le demi-millier aujourd’hui. C’est dans ce milieu glauque que pataugent certains de nos électrons libres. Jeannou Lacaze a créé en 2002 sa propre société de gardiennage, L’Assaut Veille (une centaine d’employés).
Au total, on voit comment le pouvoir de la Bande est solidement enraciné dans la Françafrique, cet espace où tout est contraire à la démocratie. Le Togo de la Bande se présente comme une colonie idéale pour la France françafricaine. Sa « stabilité » est bâtie sur des principes militaro-sécuritaires au centre desquels se trouvent l’armée et les forces sécuritaires. Mais pour les autoritaires franco-françafricaines, une colonie n’a pas besoin de démocratie mais de développement. La Bande surtout n’a absolument aucun intérêt pour sa population dès l’instant qu’elle peut se faire soigner, s’éduquer et manger en France françafricaine. Lorsque l’Etat bandit pénètre le terroir et le peuple, il ne peut souffler que ruine et deuil qui sont aux antipodes de toute idée de démocratie.
PS. : Encore deux volets (V- Confusion des genres et VI- Imaginer quelques solutions pratiques) et on aura bouclé cette longue réflexion. Prochain rendez-vous : début mars 2004 avec le volet V.
Publié en deux parties le 10 janvier 2004 et le 14 février 2004
Chicago (USA),
Comi M. Toulabor
Directeur de recherche FNSP
CEAN-IEP de Bordeaux
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