23/04/2024

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La triste et longue dérive de la république du Togo

Par AGBEYOME KODJO *

Si le Togo a pu symboliser pendant près de deux décennies un bon exemple de coopération Nord-Sud, il n’a malheureusement pas su s’adapter aux mutations de l’environnement international induites par la chute du mur de Berlin et l’accélération de la mondialisation. Dans une large mesure, le régime actuel s’est refusé à épouser l’éthique nouvelle de la bonne gouvernance politique et économique, de la promotion de l’état de droit et du respect des droits humains.
Engoncé dans de fausses certitudes et affaibli par l’inertie d’un système personnalisé, il s’est mis au ban de la communauté internationale par des violations répétées des droits de l’homme et des pratiques antidémocratiques spectaculaires.

En témoigne l’attaque, le 3 décembre 1991, contre la primature par un commando des forces armées ayant pour objectif de mettre fin au gouvernement de la transition issu de la conférence nationale, et qui fit de nombreuses victimes, suscitant les premières sanctions de l’Union européenne et surtout l’élection présidentielle contestée de 1998, fortement appuyée par l’Europe aux plans technique et financier et qui, malheureusement, était sortie de son cadre légal.

Ainsi, de sanctions en sanctions, le Togo s’est enfermé dans un cycle infernal de difficultés dont les effets délétères sur l’économie, la politique et les populations ont atteint un degré d’acuité jamais égalé dans l’histoire du pays. Le Togo n’est aujourd’hui malheureusement que l’ombre de lui-même.

Au plan politique et social, ces sanctions, dont le but est de rationaliser l’exercice du pouvoir des dirigeants togolais et de les amener à la résipiscence, ont eu pour effet de tarir les flux des investissements des capitaux étrangers tant bilatéraux que multilatéraux, privés et publics.

Ainsi, de 31 millions de dollars en 1985, les investissements directs étrangers sont passés à 19 millions en 1997, soit une baisse de 30,38 % pour atteindre un seuil proche de zéro à partir de 1999. Les apports bruts d’aide concessionnelle en pourcentage du PIB sont passés de 4,1 % en 1985 à 2,1 % en 1996 pour remonter à 2,6 % en 1999.

Dans tous les cas, les investissements directs étrangers comme les aides concessionnelles sont demeurés faibles au cours de cette période, alors que le poids de la dette extérieure n’a cessé de croître pour atteindre 109 % du PIB en 1999 et que le déficit des finances publiques est demeuré préoccupant.

Or le flux des capitaux extérieurs constitue près des trois quarts des capitaux qui s’investissent dans l’économie togolaise et qui lui permettent de créer des richesses, d’où la baisse du niveau de vie de près de 26 % et l’accroissement de la pauvreté depuis dix ans.

A ce tableau, il convient d’ajouter la dégradation des conditions socio-sanitaires et du système éducatif, l’accroissement de la précarité générale qui contraint la jeunesse à prendre le chemin de l’étranger à la recherche d’une vie meilleure.

Au plan politique, ces sanctions ont contraint les autorités togolaises à accepter l’organisation d’élections législatives anticipées avec la participation de toutes les forces politiques ; et, dans le même ordre d’idée, le président de la République a pris l’engagement de quitter le pouvoir en 2003 conformément à la lettre et à l’esprit de la Constitution du 14 octobre 1992. Ce compromis est scellé dans un accord entre le pouvoir et l’opposition, dit « accord-cadre de Lomé », signé le 29 juillet 1999 et dont est issu un Comité paritaire de suivi.

Malheureusement, le processus électoral conçu dans l’esprit de cet accord s’est heurté aux manoeuvres dilatoires du pouvoir en place qui a modifié le nouveau code électoral de façon unilatérale, dissous la commission électorale nationale indépendante paritaire, qu’il a remplacée par un comité de sept magistrats. Ces décisions unilatérales du pouvoir ont provoqué le retrait de l’UE et de l’ONU du processus électoral.

En réduisant ainsi à néant les efforts déployés trois ans durant par les facilitateurs de l’Union européenne, de la francophonie, de la France et de l’Allemagne, le président de la République a révélé au grand jour ses desseins inavoués dont on devine qu’ils visent à renouveler des élections antidémocratiques, à modifier la Constitution actuelle pour se maintenir au pouvoir au-delà de 2003, contrairement à l’engagement qu’il avait pris en présence de Jacques Chirac

Aujourd’hui, il est évident que l’option choisie par le président de la République est une violation caractérisée de l’accord-cadre de Lomé, une trahison vis-à-vis de la France et de la communauté internationale et risque de faire perdurer la crise togolaise au-delà de la capacité de tolérance des populations.

Complètement isolé et dépourvu de toute légitimité, le pouvoir ne survit que grâce à son bras séculier que constituent l’armée et les forces de sécurité. Dans cette perspective, il devient impérieux que l’UE procède à un réaménagement de ses sanctions. Face aux coups de force répétés du régime, il convient de trouver des formules qui épargnent les populations plongées dans la désespérance pour ne sanctionner que les auteurs des dérives autocratiques. Le Togo ne saurait, par la volonté d’un seul homme dont la représentation du pouvoir est aux antipodes des exigences du monde moderne, rester en marge des changements qui façonnent l’unité des nations modernes.

Au moment où le continent africain et notre sous-région ouest-africaine sont en proie à de profondes convulsions politiques, il importe de hisser la raison au sommet de l’Etat pour conjurer les crises qui risquent de compromettre l’aspiration des Togolais à la paix et à un développement durable.

Aujourd’hui, il faut faire triompher au Togo la voie de la sagesse et de la morale politique, c’est-à-dire relancer le dialogue politique en vue de déboucher sur des solutions qui favorisent l’organisation consensuelle des consultations électorales. C’est la seule voie de sortie raisonnable, susceptible de mettre fin à cette crise qui a duré plus d’une décennie, afin de mettre un terme à l’extrême précarité dont les Togolais sont victimes.

Il revient à la communauté internationale, et plus particulièrement à la France et à l’Europe, face aux choix irrationnels et aux tours de force d’un régime atypique, de faire preuve de plus de fermeté et de plus d’efficacité, en vue de faire respecter au Togo la bonne gouvernance et l’état de droit

Publié dans le FIGARO du 06/09/02
* Ancien premier ministre de la République togolaise.