06/10/2024

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Le cardinal ghanéen Peter Turkson dessine à Rome un catholicisme africain

Nommé il y a près d’un an à la tête du Conseil pontifical Justice et Paix, le cardinal ghanéen Peter Turkson prend la mesure de ses nouvelles fonctions. Il sera aux côtés de Benoît XVI lors de sa visite d’État au Royaume-Uni, du 16 au 19 septembre

Nommé par Benoît XVI président du Conseil pontifical Justice et Paix, à Rome, le 24 octobre 2009 (1), le cardinal ghanéen Peter Kodwo Appiah Turkson, à 61 ans, prend la mesure de ses nouvelles fonctions : « Notre structure est très légère, constate-t-il. Tout compris, nous ne sommes que 18 personnes. Or, notre domaine d’action et de réflexion englobe les questions politiques, économiques, le désarmement, les droits de l’homme, l’écologie… »

Pas question pour autant de baisser les bras devant l’ampleur de la tâche : « Il nous faut travailler en réseau, avec les Caritas nationales, les correspondants de Pax Christi, les diocèses, les universités catholiques… »

Suivant la tradition de ses prédécesseurs, notamment le cardinal français Roger Etchegaray, il se rend sur le terrain. Ce fut le cas récemment au Nigeria, blessé par des luttes interethniques. L’Afrique reste d’ailleurs chère au cœur de cet homme jovial et fier de ses origines : « Mon pays, le Ghana, tire son nom d’un très ancien royaume africain. Sous la colonisation britannique, il s’appelait Gold Coast, en raison de ses mines d’or. »

Le grand saut hors d’Afrique

Son histoire est aussi religieuse : « ‘Découverts’ par les Portugais, nous sommes donc devenus catholiques. Puis, les Hollandais leur ayant succédé, nous sommes devenus calvinistes. Et avec les Anglais, nous sommes devenus méthodistes et anglicans. Notre Église est très ancienne, et nous n’avons jamais connu un christianisme sans divisions. »

Son père, charpentier, était catholique. Sa mère, méthodiste, est devenue catholique. Ils ont eu dix enfants, six garçons et quatre filles. D’où la bonne trentaine de neveux et nièces du premier cardinal ghanéen de l’histoire. Il se souvient : « Nous vivions à Nsuta, une ville minière. La paroisse catholique était desservie épisodiquement par un missionnaire hollandais. À 10 ans, je lui ai écrit pour lui dire que je voulais entrer au séminaire. Mon père a réuni toute la famille. Devant eux, j’ai expliqué mon choix. Il a donné son accord. »

Plus tard, ce fut le grand saut hors d’Afrique : « L’évêque m’a envoyé aux États-Unis, où j’ai été ordonné diacre. Et le 20 juillet 1975, j’ai été ordonné prêtre pour mon diocèse de Cape Coast, le plus ancien du Ghana, fondé en 1879. »

«En Afrique, les liens familiaux et ethniques donnent sens à la vie»

Le futur cardinal poursuit ses études à Rome, à l’Institut biblique. C’est là, le 6 octobre 1992, qu’il apprend, à sa grande surprise, qu’il est nommé évêque de son diocèse : « J’ai voulu être ordonné au Ghana et non pas à Rome, car je voulais être au milieu du peuple que je devais servir. J’ai toujours pensé que nous sommes avant tout des pasteurs, des témoins du Christ. Le pouvoir ne doit pas être notre objectif. » Mais, cinq ans plus tard, il est élu président de sa conférence épiscopale. Créé cardinal par Jean-Paul II le 21 octobre 2003, habitué des synodes romains, il fut, du 4 au 25 octobre 2009, rapporteur général du deuxième synode des évêques sur l’Afrique.

Attentif à la croissance remarquée des catholiques africains, le cardinal Turkson est sans concessions sur le catholicisme à l’africaine : « En Afrique, les liens familiaux et ethniques donnent sens à la vie. Mais les baptisés doivent élargir leur vision à ceux qui ne sont pas membres de leur famille, de leur ethnie. On a bien vu, au Rwanda, à quel point c’est difficile. C’est un défi pour l’Église en Afrique. C’est toute une cohérence de vie qu’il nous faut recréer, car beaucoup de baptisés ne sont pas convertis en profondeur. Lorsque le christianisme s’en tient à un formalisme, voire à des formalités, il ne conduit pas à une relation avec le Christ. »

Face à ce risque, le cardinal Turkson est attentif à l’évolution des mouvements charismatiques catholiques ou des groupes évangéliques néopentecôtistes : « Ils veulent combler ce fossé, redonner un sens à la vie spirituelle. »

«Si l’Europe devenait moins chrétienne, nous serions comme orphelins»

Vis-à-vis de l’Occident, le cardinal noir est sans concessions. En octobre 2009, durant le dernier synode sur l’Afrique, lui et ses pairs avaient fustigé le « nouvel impérialisme culturel », « les nouveaux modèles familiaux » venus d’Occident.

Il s’en explique : « En Afrique, nous considérons que nous sommes tous membres d’une famille humaine, et que nous devons la perpétuer en donnant la vie. Si on nous propose des modes de vie qui ne permettent pas cet engendrement, nous disons que cela porte atteinte à la survie de la société. Pour nous, c’est une étrangeté, qui ne débouche pas sur la vie. Et, d’un sentiment d’étrangeté à un sentiment de rejet, il n’y a qu’un pas. Respecter les droits des minorités, notamment homosexuelles, ne signifie pas reconnaître leur mode de vie. »

De même, précise-t-il, « si l’Europe devait devenir moins chrétienne, nous serions alors comme orphelins, dépositaires d’une expérience de foi, mais sans parents ».

«Si Dieu voulait voir un Noir devenir pape, qu’il en soit remercié !»

Sensibles aux critiques pesant actuellement sur le célibat sacerdotal, mais surtout aux écarts dont il serait l’objet sur le continent noir, Mgr Turkson réagit : « S’agit-il là d’un problème exclusivement africain, ou qui touche exclusivement les prêtres ? Non. Cette question de la fidélité à un état de vie se pose aussi aux couples mariés. Le célibat suppose une vie spirituelle intense, profonde, et une discipline de vie réelle et sérieuse, ouverte à la grâce. Car ce mode de vie n’est pas naturel. Il ne peut être vécu qu’avec l’aide de Dieu. Telle est du moins mon expérience personnelle. Pas plus qu’aucun autre prêtre, je ne suis un surhomme ! »

Le cardinal ghanéen, qui a participé au conclave ayant élu Benoît XVI, est souvent interrogé sur l’élection éventuelle d’un futur pape noir. Sa réponse, maligne, ne varie pas, dans un grand sourire : « Si Dieu voulait voir un Noir devenir pape, qu’il en soit remercié ! »

Frédéric MOUNIER, à Rome

(1) Tout juste deux jours après que le pape a nommé le numéro deux de ce dicastère, en la personne de Mgr Mario Toso, salésien, ancien recteur de l’Université salésienne de Rome, expert réputé sur la doctrine sociale de l’Église.

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