Le compteur de l’histoire nationale affichera le 05 octobre 2012, vingt deux (22) ans.
Vingt deux ans de turbulences, de vagabondage politique, de délinquance financière, d’espoir et de désespoir d’un peuple qui veut se libérer d’un système qui l’a opprimé et continue de l’opprimer.
Vingt deux ans dans une gymnastique à quatre disciplines obligatoires à savoir élections, contestations, violences et accords.
Vingt deux ans la vie d’un être humain, cela est très important par rapport à l’espérance de vie qui est de quarante cinq (45) ans, car tout comme le fleuve érode les berges ou y dépose les alluvions, le temps a fait son œuvre, soit destructive soit constructive sur le peuple togolais.
Le Togo est une zone territoriale de curiosités angoissantes et d’intrigues hallucinantes, le lieu par excellence de « l’efficacité de l’inefficacité » car une situation claire peut devenir subitement nébuleuse et les détails insignifiants peuvent prendre une importance insoupçonnée.
I- DIFFICILE MUTATION POLITIQUE
Pourquoi, le Togo traîne t-il le pas dans le processus de démocratisation ?
Il faut reconnaître qu’un bon nombre de Togolais semblent ne plus avoir de référence morale, car tout ce qui était autrefois considéré comme vice est aujourd’hui érigé au rang des vertus supérieures. D’ailleurs à l’époque du parti unique, parti Etat donc régime totalitaire, il était exigé du bon militant qu’il soit loyal envers les autorités de son pays. On l’autorisait à dénoncer, mais calmement et poliment, les abus des autorités, les détournements de derniers publics. Il lui était conseillé d’éviter le dénigrement systématique et de rejeter l’esprit de révolte.
L’héritage du RPT est un héritage très lourd qui a créé dans la mentalité et dans le comportement des dirigeants et une partie de la population un faisceau d’habitudes mal inspirées, principal obstacle à tout bon réflexe citoyen.
Les habitudes étant une seconde nature, l’on peut se demander pourquoi ont-elles pu engendrer tant de traumatisme au peuple togolais.
La réponse semble simple et se trouve dans la théorie de Nicolo Machiavelli (Machiavel) qui conseillait aux dirigeants de « recourir à la ruse et à la duperie). Selon lui, tout prince qui veut le rester doit nécessairement apprendre à ne pas pratiquer la bonté. Il lui faut imiter tout à la fois le renard et le lion. Il lui est indispensable d’être un renard pour flaire les pièges et un lion pour faire peur au loup. La prudence commande au chef de ne pas tenir parole quand la chose promise est contraire à son intérêt ou quand les raisons qui l’ont incité à souscrire un engagement n’existent plus.
II- PROMOTION DE L’IRREVERENCE
Cette politique a connu une consécration à partir de 1998. En effet de graves irrégularités ont été commises dans le déroulement des opérations électorales de juin 1998, ainsi que dans la proclamation des résultats par des instances non habilitées à le faire. Ces pratiques sont manifestement contraires aux dispositions de l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’article 13 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, lesquelles prévoient le libre choix des représentants du peuple par des élections honnêtes.
C’est sur ces entrefaites qu’interviennent l’Accord Cadre de Lomé (ACL) et la visite du Président français Jacques CHIRAC en 1999. Il est utile de rappeler que la FIDH, dans son rapport en date du 13 juillet 1999, a fait des recommandations sur les élections futures, sur le rôle de l’armée dans ces élections, sur l’administration de la justice et la lutte contre l’impunité.
La curiosité qui mérite d’être relevée concerne la déclaration faite par le Président EYADEMA sur Radio France Internationale (RFI) en présence de son ami CHIRAC, pendant que la classe politique était en plein dialogue qui aboutira par la suite à l’ACL.
Acculé, le Président togolais, selon ses propos autorisés, a déclaré qu’il ne modifiera pas la constitution, donc ne se présentera pas à l’élection de 2003.
Cette fameuse parole de militaire devrait permettre à des juristes stipendiés de procéder, selon le vocable consacré, au toilettage de la constitution. Cet exercice annonçait clairement les intentions du chef de l’Etat qui fera tout pour se présenter aux élections de 2003. Le Président français n’avait pas levé le petit doigt pour rappeler à son ami sa parole de militaire encore moins, la communauté internationale. Il y a eu quelques réactions pêle-mêle. La parole donnée est sacrée, malheureusement elle ne peut pas l’être avec un dictateur qui va, comme l’habitude, trafiquer les élections pour se maintenir au pouvoir jusqu’à sa mort en février 2005. La réélection du Président Eyadema vient compliquer la situation politique togolaise caractérisée par un blocage. Etant entré dans une voie sans issue, le gouvernement togolais a pris, le 14 avril 2004 à Bruxelles, vingt deux(22) engagements.
La vacance de la présidence de la République a été gérée dans un climat tendu, caractérisé par de graves violences dans une crise constitutionnelle sans précédent. Il y a eu dans un temps record trois coups d’Etat. Un coup d’Etat militaire suivi d’un coup d’Etat constitutionnel, le tout couronné par un coup d’Etat électoral.
Le GRAD, conscient du fait que toute liturgie du sang se termine toujours par la mise à mort du taureau, avait entrepris des démarches auprès des responsables des partis politiques, des chefs des institutions et des représentants des missions diplomatiques et de certaines organisations internationales. L’objectif de cette initiative était de suspendre le processus électoral, d’amener les différents acteurs à la table de négociations aux fins de créer les conditions d’un climat apaisé : la CENI s’y était farouchement opposée alors que le ministre de l’intérieur y était favorable.
La CEDEAO débarque à Lomé son équipe pour imposer le respect du délai constitutionnel de soixante jours au mépris des dispositions claires et non équivoques de l’article 144 alinéa 5 qui précise :
« Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivre en période d’intérim ou de vacance ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. »
Si on devait retourner à l’ordre constitutionnel, la première démarche consistait à imposer le respect des dispositions ci-dessus rappelées avant de rentrer dans d’autres considérations. Malheureusement, le complot ourdi contre le peuple togolais a consacré la boucherie héroïque organisée avant pendant et après l’élection présidentielle du 24 avril 2005. Tout le monde connait la suite. Pourtant l’article 21 alinéa 1er dispose « La personne humaine est sacrée et inviolable »
Pour se donner bonne conscience il y a eu des commissions d’enquête nationale et internationale chargées de faire la lumière sur les violences et les allégations de violation des droits de l’homme. Les différents rapports ayant sanctionné lesdites enquêtes étaient tous assortis de recommandations.
Le dialogue intertogolais a accouché de L’Accord Politique Global (APG) signé le 20 août 2006. Il n’y a eu que quelques piqûres d’aiguille par rapport à sa mise en œuvre. Seul le Cadre Permanent de Dialogue et de Concertation (CPDC), organe consultatif a été créé au détriment du comité de Suivi (CS) chargé de suivre la bonne application de l’APG. Les réformes constitutionnelles et institutionnelles prévues au point III de l’APG sont en berne. Le bon sens le plus élémentaire se demande pourquoi les parties signataires de l’APG n’ont pas réclamé la mise en place du CS qui comprend un représentant de chaque composante du Dialogue ainsi que ceux du facilitateur, de l’Union Européenne(UE) et de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ?
La composition du CPDC qui comprenait à sa naissance les partis politiques représentés à l’assemblée nationale et ceux qui ont 5% des voix aux élections législatives est bien inspirée parce que reposant sur des critères objectifs. Il avait le mérite d’éviter d’avoir les représentants des partis signataires de l’APG à la fois au CPDC et au CS.
Par ailleurs, le sous-accord intervenu entre l’Union des Forces du Changement (UFC) et le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) bien qu’ayant nommé le leader de l’UFC président du Comité de suivi, n’a rien apporté au peuple malgré le vacarme ayant entouré ce cirque qui a permis à une petite minorité dudit parti de chanter l’hymne à la joie.
Les élections législatives de 2007, et Les élections présidentielles de 2010 ont été sanctionnées par des recommandations.
Le rapport de la Commission Vérité Justice Réconciliation (CVJR) a fait une série de recommandations. Il en est de même de celui de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH)
La décision rendue par la cour de justice de la CEDEAO concernant les députés exclus de l’assemblée nationale a été mise sous perfusion.
Le dialogue tripartite réunissant le CAR, l’ANC et le RPT a pris fin aussitôt commencé.
Le Togo a adhéré en 2008 au Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs (MAEP). Le MAEP est un mécanisme africain d’auto évaluation auquel adhérent volontairement les Etats membres de l’Union Africaine (UA). Il couvre quatre domaines bien précis à savoir la gouvernance démocratique, politique, économique et des entreprises. Depuis 2008 jusqu’à ce jour le Togo n’a fait l’objet d’aucune évaluation. Cependant, les autorités se réjouissent d’avoir atteint le point d’achèvement qui les rend éligibles aux facilités des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE).
Face à tout cet arsenal de recommandations et habitué à la politique de l’irrespect, le gouvernement trouve moyen et manière de vider le rapport de la CNDH de ses recommandations
Pourquoi les recommandations notamment celles de l’UE ne sont-elles pas prises en compte par le gouvernement togolais ? La réponse est simple, puisque l’actuel chef de l’Etat, au moment où il se préparait à livrer bataille contre ses compatriotes pour accéder au pouvoir, avait été victime de l’ambiance entretenue par les militants de son parti au cours d’un meeting, et avait déclaré : « que son père lui a dit qu’il est difficile de reprendre un pouvoir qu’on a perdu ». Ainsi donc la liturgie du sang de 2005 n’a pas été le fait du hasard dans la stratégie de conservation du pouvoir.
En principe les recommandations, lorsqu’elles sont mises en œuvre, doivent permettre d’améliorer progressivement l’organisation des élections et de trouver la nécessaire solution durable à la crise socio politique que connait notre pays. Il est indiqué de rappeler que l’arrivée des délégations de l’UE est souvent signe d’espoir pour les peuples opprimés. Malheureusement l’UE ne semble pas se préoccuper des observations de ses experts et représentants. Leurs rapports, qui, souvent très critiques dénoncent les graves irrégularités (intimidations d’opposants, urnes bourrées, électeurs fictifs, achats de conscience, violences etc.) sont rendus publics plusieurs mois après le scrutin lorsque les trafiquants d’élections se seront confortablement assis dans leur fauteuil en narguant impunément leur peuple.
C’est ainsi que les choses se passent jusqu’au prochain rendez-vous électoral. Le GRAD pense qu’il serait souhaitable que l’UE fasse le point des recommandations ayant sanctionné le scrutin précédent avant de s’engager dans l’organisation d’un nouveau processus électoral. Pour faire œuvre utile, l’UE a obligation morale de s’assurer de la mise en œuvre effective de ses recommandations avant de s’engager dans un autre processus.
Malheureusement, la routine dans laquelle l’UE participe aux programmes et projets de soutien à la démocratisation de notre pays, non seulement donne l’impression que le gardien du poulailler soutient le renard mais également entretient la crise sociopolitique et constitue un obstacle majeur à la stabilité politique qui doit ouvrir normalement le chemin du développement.
Pourquoi la stabilité politique ? Disons qu’elle est nécessaire pour :
• engager sans soubresaut le peuple togolais dans un processus de développement qu’élève graduellement le niveau de vie des masses populaires,
• rassembler à tous les niveaux les meilleures chances de réussite,
• assurer la dignité du peuple et de l’Etat togolais,
• permettre aux nations et organisations désireuses de nous aider à trouver les meilleures conditions pour nous accompagner dans nos efforts de développement. Parmi les nations et les organisations désireuses d’aider le Togo, il existe des forces de progrès et aussi souvent de forces de régression. Il est souhaitable que ce soit les forces de progrès qui triomphent toujours et que les interlocuteurs qui représentent ces nations et ces organisations dans notre pays, soient de gens de bon aloi.
L’avènement de la démocratie dans le monde est l’une des leçons les plus importantes de l’histoire humaine. C’est la raison pour laquelle nous devons être vigilants et ne pas être bercés par les jeux de mots.
Si l’on vante en paroles les idéaux de la démocratie et que l’on encourage en Afrique en général, et au Togo en particulier, des dictatures par la politique du verbe, alors, nous avons le devoir sacré de combattre avec le plus grand mépris, la démocratie apaisée, la démocratie de consensus et d’autres variantes de démocratie qui détruisent les principes de la démocratie.
Peut-on concevoir un processus de développement quand la grande majorité de la population se trouve assujettie à une misère rampante consciemment et volontairement entretenue par une minorité dont les humeurs ont force de loi et dont les caprices sont considérés comme la loi suprême ? Cette question est très pertinente. Pour y répondre, le GRAD reconnaît au chef de l’Etat la lucidité avec laquelle il a posé le diagnostic dans son message du 26 avril 2012. Il avait dit en substance :
« De même la société d’ouverture et d’inclusion implique aussi la solidarité. La plus forte des injustices n’est-elle pas le développement inégalitaire ? Lorsque le plus petit nombre accapare les ressources au détriment du plus grand nombre, alors s’instaure un déséquilibre nuisible qui menace jusqu’en ses tréfonds la démocratie et le progrès. »
Cependant, force est de constater que rien n’est fait pour résoudre le problème posé dans le diagnostic, car la majorité des Togolais continue de tirer le diable par la queue. Face à cette situation, l’on peut légitimement se demander si ce n’est pas cette minorité agissante et toute puissante qui donne la majorité au RPT lors des élections présidentielles et législatives ?
Le GRAD pense que les discours doivent être suivis d’actions. Il faut éviter de faire des dialogues derrière les dialogues car une telle démarche est toujours suicidaire. Un dialogue franc et sincère ne saurait faire bon ménage avec une propagande politique qui consacre le divorce entre les paroles et les actes.
L’actualité récente qui braque ses projecteurs sur les manifestations du « Collectifs Sauvons le Togo (CST) » doit interpeller tous les Togolais. Le GRAD, pour sa part, estime que la politique d’ouverture et d’inclusion dont parle le Chef d’Etat dans son message du 26 avril 2012 ne saurait s’accommoder de micmac, de violences gratuites et de violations des droits de l’homme.
Le GRAD voudrait inviter la classe politique togolaise à savoir raison garder, et à reprendre L’APG pour effectuer, par ordre de priorité, les réformes qui y sont préconisées avec bien entendu la mise en place du CS.
Le GRAD souhaite que des compétences nationales puissent, au sein d’une structure, mobiliser leurs énergies et utiliser la bonne dimension de leur intelligence pour examiner objectivement et sans arrière pensée les différentes recommandations et proposer leur mise en œuvre avec une feuille de route bien précise. Cela pourra permettre à un vent nouveau de souffler sur le site politique national pour le bien du Togo et le bien être de son peuple.
Lomé le 11 juillet 2012
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