20/04/2024

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Les véritables enjeux de la lutte du peuple togolais contre la dictature héréditaire

Le sens et l’enjeu véritables de la lutte du peuple togolais contre la dictature héréditaire

A la mémoire de mon oncle Omer Adoté, martyr-antigone mort sous la torture dans les geôles du Dictateur-Père le 23 septembre 1985, et des milliers de martyrs de la démocratie togolaise, en particulier des milliers de jeunes sacrifiés sur l’autel du Dictateur-Fils les 26, 27 et 28 avril 2005, avec la bénédiction du Président de la Patrie des Droits de l’Homme, et par les armes fournies par elle !

« Pays de nos aïeux, qui les rendait forts, paisibles et joyeux, cultivant vertu, vaillance pour la postérité », comme le proclame avec fierté son hymne national, et qui donna naissance le 27 avril 1960 à « La République du Togo » (et non « Le Royaume du Togo »), avec la devise éloquente « Travail, Liberté, Patrie », « Le Togo Moderne et Modèle », tel qu’il a été conçu et façonné par l’inspiration et le génie de son « Père-Fondateur », Sylvanus Olympio, et tel qu’il est constamment rappelé à ses citoyens par son hymne national, est avant tout « un projet communautaire exigeant, ambitieux, passionnant et exaltant », dont l’aboutissement, grâce à « la culture du Travail, de la Liberté d’initiative, de dévouement à la Patrie », au prix du « dépassement perpétuel de soi dans l’effort, la créativité, l’intelligence et l’amour », n’est ni plus ni moins que ce que fait résonner le point d’orgue de son hymne : « Faire encore de Toi sans nous lasser, Togo chéri, l’or de l’humanité », faisant ainsi du Togo probablement le seul pays au monde dont la devise professe « le Travail comme valeur fondamentale et fondatrice », conformément aux traditions de la « Terre de nos aïeux » (nom de l’hymne national), et probablement le seul dont l’hymne national ou un texte officiel affiche « l’ambition de devenir l’or de l’humanité », avec tout ce qu’une telle ambition suppose de « culture de l’excellence »

Au delà de la distinction de « Musterkolonie (Colonie Modèle) » décernée au Togo au début du siècle dernier par la puissance coloniale allemande et du titre de « quartier latin de l’Afrique » par lequel Emmanuel Mounier honora l’élite intellectuelle togolaise sous la tutelle française, d’après le témoignage d’un des derniers administrateurs de la colonisation française au Togo et au Dahomey, Robert Cornevin dans son livre « Le Togo Nation-Pilote », ce qui incarne le mieux cette culture de l’excellence du « Togo-Modèle », depuis le temps de nos aïeux jusqu’à l’aube du troisième millénaire est incontestablement la figure universitaire, professionnelle et politique de Sylvanus Olympio, au delà de l’imperfection indéniable de sa politique intérieure togolaise, la perfection étant un attribut exclusif de Dieu.
En effet, né en 1902, diplômé en 1926 de la prestigieuse « London School of Economics », après des études universitaires en France et en Autriche, donc en français et en allemand, polyglotte parlant couramment six langues, Directeur pour le Togo de la compagnie anglaise UAC de 1938 jusqu’à sa démission au début des années 1950 pour se consacrer à la cause de l’indépendance du Togo, Fondateur en 1945 du parti CUT qui le porta au pouvoir en 1958, d’abord comme Premier Ministre du « Togo Autonome » , puis du « Togo Indépendant », avant de devenir le premier Président de la République Togolaise en 1961 jusqu’à son assassinat le sinistre 13 janvier 1963, après avoir obtenu « en douceur » de la tutelle française l’indépendance du Togo le 27 Avril 1960, Sylvanus Olympio mérita pleinement obtenu les titres incomparables de « Père de l’Indépendance Togolaise » et de « Fondateur du Togo Moderne et Modèle » pour lequel il nourrissait de « grandes ambitions » qu’il a admirablement honorées pendant la courte durée au pouvoir que lui ont laissé ses assassins.
L’hommage le plus éloquent rendu à « l’excellence » cultivée par Olympio tout au long de sa vie bien remplie est sans doute toute l’énergie qu’a dû déployer le Général de Gaulle en 1961, après la mort du Secrétaire Général de l’ONU, le suédois Dagmmarskjöld, pour mettre d’accord les USA et l’URSS, au plus fort de la guerre froide, ainsi que les autres membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU, en vue de la nomination de Sylvanus Olympio à ce poste. Pour penser accorder un « ex-colonisé » fraîchement indépendant l’honneur de présider aux destinées du monde entier en concertation avec « les maître de monde », il fallait qu’il en impose sacrément à toute la communauté internationale, et pas seulement à de Gaulle, par sa compétence et son « excellence ». En préférant servir sur place son pays et en déclinant l’offre des grandes puissances, le président togolais ne faisait qu’accroître son prestige au grand dam de ceux qui, en France, le trouvaient trop fier, trop cassant et dominateur.

La suite des événements qui ont ensanglanté le Togo depuis le 13 janvier 1963 et ont plongé le « Havre de Paix, de Prospérité et d’excellence » qu’il était dans les ténèbres de la médiocrité et de la barbarie, dans la ruine de l’économie et des valeurs morales, dans les affres de la torpeur et de la peur, est tristement connue, avec son lot de coups d’états à répétition par la « même engeance de dictateurs héréditaires » depuis quarante trois ans, d’application lâche et machiavélique de « la stratégie de la terreur » à une population « excessivement pacifique » uniquement dans le but de « confiscation du pouvoir par la force brute» et non « par la compétence », de détournements insolents des fonds public à la hauteur de la dette publique de l’état, de pillage systématique des moindres sources de richesses du pays, des sociétés d’états comme des sociétés privées, selon la déposition tonitruante d’un « ex-Premier Ministre repenti ». Le dernier volet de « Histoire du Togo » de Têtêvi Godwin Tété-Adjalogo, au sous-titre combien évocateur de «La longue nuit de terreur (1963-2003) », qui vient de paraître, décrit avec une probité et une rigueur intellectuelle exceptionnelle la longue « descente aux enfers » du peuple togolais, dans l’espoir et l’attente ardente de sa « résurrection ».
En contribuant de près ou de loin à l’assassinat de Sylvanus Olympio (et c’est un euphémisme, à en croire les révélations publiques de « Monsieur X » sur RFI les 27 et 29 octobre 2001, dans une émission produite par Patrick Pesnot) et à la longévité de « la plus vieille et primaire dictature du monde» (là encore, c’est un euphémisme, à en croire les confidences ou lapsus sur des amitiés compromettantes du président en exercice de la République Française !), la France héritière de Descartes, de Pascal, des savants et des philosophes du siècle des lumières a de fait contribué involontairement à assassiner la « culture de l’excellence » d’une « Nation-Pilote ». De même, en n’ayant pas su protéger « un Président en exercice », ami personnel du Président de leurs pays, réfugié à l’intérieur de leur ambassade, il est légitime de reprocher aux Etats-Unis de leur côté une «non assistance à personne en danger ayant plongé sans le vouloir tout un peuple dans une dictature de pire espèce pendant plus de quarante ans ».

Après le coup d’état militaire du 5 février 2005 au Togo, suivi deux jours plus tard d’ un coup d’état constitutionnel dont le but était d’imposer au peuple togolais et au monde une «dictature héréditaire», après « une des plus sanglantes et longues dictatures du monde » qui a duré près de quarante ans, conformément à l’adage « jamais deux sans trois », les auteurs de ces coups d’état, n’ont pas manqué d’en perpétrer un troisième, le plus sanglant qu’ait connu le pays et le continent, le coup d’état électoral du 26 avril 2005. Le rapport officiel de l’ONU publié le 29 août 2005 par le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme sur « le massacre d’une population civile par une armée régulière, encadrée et armée par la France », à l’occasion de ce coup d’état électoral, fait pudiquement état de plusieurs centaines de victimes et de plusieurs dizaines de milliers de réfugiés dans les pays limitrophes, mais toutes les sources du terrain attestent un bilan de victimes beaucoup plus important, morts dans des conditions qui relèvent de « crimes contre l’humanité ». Le rapport sur la question publié le 18 novembre 2005 par la Fédération Internationale des Droits de l’ Homme (FIDH) dénonce des crimes d’une barbarie inimaginable. Malgré tout cela, jusqu’à ce jour, ce rapport officiel de l’ONU a laissé de marbre tous les membres du Conseil de sécurité de l’ONU qui ont pourtant alerté et secoué le monde entier à la publication d’un rapport analogue faisant état de l’assassinat d’une dizaine de personnes au Liban, affichant sans vergogne une politique de « deux poids, deux mesures » qui ne fait qu’accroître le discrédit de l’ONU aux yeux des peuples du monde.
Cependant ce film d’horreur que vivent les Togolais depuis quarante trois ans et qui a connu son paroxysme il y a un an, ne met pas seulement en scène les Togolais eux-mêmes, mais aussi les Français, notamment les plus hautes autorités françaises. En effet, au cours d’un colloque organisé par la Ligue des Droits de l’Homme le 9 avril 2005 à l’Assemblée Nationale, le député de français Noël Mamère a porté l’accusation gravissime suivante contre le Président de la République française en personne : « le metteur en scène et le scénariste du mauvais feuilleton que vit le Togo depuis le 7 février s’appelle Jacques Chirac », ce qui est un secret de polichinelle au Togo, et qui attise actuellement le sentiment anti-français aussi bien au Togo que dans toute l’Afrique francophone. Dans un communiqué publié le 25 avril 2005, le Parti Socialiste Français a fait écho à cette accusation en dénonçant « le silence complaisant des plus hautes autorités françaises et du Président Chirac ». Et le comble pour ce Président de la Patrie des Droits de l’Homme, qui voudrait donner des leçons de morale au monde entier, et notamment à l’hyper-puissance américaine, c’est que sa position n’est pas motivée par les intérêts géopolitiques français au Togo ou dans la région, lesquels ne courent aucun risque, mais par des intérêts personnels inavouables, conformément aux investigations et aux explications du journaliste suisse Gilles Labarthe dans son livre fort édifiant « Le Togo, de l’esclavage au libéralisme mafieux ».

Le peuple togolais, qui par le vote du 24 avril 2006, a vomi la dictature héréditaire à près de 90 % des électeurs, d’après les chiffres de la « Commission Justice et Paix » du Diocèse de Lomé présentés officiellement à l’Archevêque de Lomé le 30 avril 2005, sait que la morale et le droit sont de son coté, et non de celui de ses bourreaux, du « commanditaire » des massacres dont il a été victime, de ses « commis voyageurs » et de ses « laquais ». Il est convaincu que la morale et le droit finiront par triompher et que dans la vie politique comme dans la recherche scientifique, « les difficultés finissent toujours par se plier à la force tranquille des idées justes ». Le raisonnement qui consiste à accepter et cautionner les fraudes massives et les massacres à l’occasion de ces élections présidentielles pour préparer des élections législatives enfin « libres et transparentes » est une contradiction logique et morale insupportable pour tout vrai démocrate. En effet, le principe fondateur, incorruptible et non négociable de la démocratie est le respect du verdict des urnes et non des commissions occultes composées d’opportunistes et de corrompus, se sentant obligés avec des armes sur leurs tempes de proclamer des chiffres farfelus qu’ils savent pertinemment faux.
Nous affirmons par conséquent que tous ceux qui poussent les leaders de l’Opposition à la Dictature Héréditaire togolaise à cautionner le « coup d’état électoral » sont des anti-démocrates, des ennemis de la démocratie et des corrupteurs qui déshonorent les fonctions qu’ils exercent à la tête d’institutions démocratiques prestigieuses, que ce soit à Paris, Bruxelles ou ailleurs. Nous les mettons à défi de prouver le contraire.

En ce premier anniversaire du sacrifice des milliers de jeunes martyrs qui ont accepté de verser leur sang les 26, 27 et 28 avril 2005 pour que leur « Togo chéri » retrouve sa liberté confisquée depuis avant leur naissance par la Dictature Héréditaire, à moins d’un an de l’échéance où le locataire actuel de l’Elysée, « ami personnel » du Dictateur-Père et « grand protecteur » du Dictateur-Fils, doit « libérer les lieux », nous exhortons instamment et solennellement les véritables leaders de l’Opposition à la Dictature Héréditaire togolaise à n’exiger qu’une seule chose dans le « dialogue avec le pouvoir légal mais illégitime » que veut instrumentaliser ce pouvoir et ses souteneurs pour « flouer » une fois de plus le peuple togolais et détourner sans vergogne et en toute impunité la manne financière que seule est habileté à débloquer le Parlement Européen et non la Commission Européenne : l’application pure et simple de la résolution de ce même Parlement votée le 13 mai 2005, qui rend caduque de fait le fameux texte des « 22 engagements » du Dictateur-Père vis-à-vis de l’Union Européenne auquel s’accroche le « pouvoir légal mais illégitime » actuel du Togo et ses souteneurs de l’Elysée et de la Commission Européenne, comme à une « bouée de sauvetage ». En effet, après avoir explicitement affirmé dans son article 4 ne pas reconnaître « la légitimité des autorités issues de ce scrutin » (du 24 avril 2005) , et après avoir explicitement affirmé dans son article 5 que « ces élections ne répondent pas aux engagements préalables à la reprise de la coopération entre le Togo et l’Union Européenne », cette résolution avec toute sa force « appelle la Commission Européenne, le Conseil, et l’ensemble des institutions régionales et internationale à œuvrer en faveur du retour à la sécurité et au dialogue afin de permettre aux dirigeants de toutes les forces politiques et des institutions civiles et militaire de s’engager sur la voie de la réconciliation nationale et d’un véritable processus de transition, dans le respect de l’expression démocratique de tous les togolais ; demande l’organisation de nouvelles élections libres, transparentes et démocratiques, sous control international, et après une révision consensuelle du code électoral ». Le message est clair et limpide. Il importe aux véritables leaders de l’Opposition à la Dictature Héréditaire togolaise de le faire entendre « haut et fort » à leurs interlocuteurs du fameux « dialogue » et de ne pas le brouiller par quelque dérisoires et illusoires calculs d’ambition personnelle que le peuple togolais ne manquera pas de dénoncer « haut et fort » et de condamner avec l’extrême sévérité au tribunal inévitable, incorruptible et infaillible de l’histoire.

En ce premier anniversaire du « coup d’état sanglant du 26 avril 2005» qui a fait déborder le vase du « de la tolérance et du pacifisme traditionnels» des Togolais, conformément à l’article 150 de leur constitution, puisque « tout renversement du régime constitutionnel est considéré comme un crime imprescriptible contre la Nation et sanctionné conformément aux lois de la République », plus que jamais « pour tout Togolais, désobéir et s’organiser pour faire échec à l’autorité illégitime constituent le plus sacré des droits et le plus impératif des devoirs », comme les y exhorte leur hymne national : « Que viennent les tyrans, ton cœur soupir vers la liberté. Togo debout ! Luttons sans défaillance, Vainquons ou mourrons, mais dans la dignité. Togolais, viens ! Bâtissons la cité ! »
En ce premier anniversaire des compromissions honteuses et gravissimes au Togo du « Premier Magistrat de la Patrie des Droits de l’homme » et à moins d’un an de sa sanction électorale inéluctable, c’est aussi un devoir moral impérieux pour tous les « citoyens de la Patrie des Droits de l’Homme », et plus encore pour tous ceux et toutes celles qui aspirent à exercer les fonctions du « Premier Magistrat de la Patrie des Droits de l’homme » « d’arrêter de parler ou de condamner du bout des lèvres » et de « poser des actes forts» pour défendre les « valeurs universelles » qu’ils prétendent vouloir « répandre sur la surface de la terre », et surtout « pour réparer les fautes de leurs pères », conformément à un proverbe chinois qu’aime citer un ancien président de la République Française, « celui qui a commis une faute et ne la répare pas en commet une autre », et à la sagesse populaire rappelant « qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire ».

L’enjeu en vaut la peine, car ce n’est plus ni moins que de « rétablir la culture de l’excellence » au Togo, pour permettre aux togolais de rebâtir leur pays, tant sur le plan économique, social que moral, de reprendre là où ils ont été obligés de le laisser il y a quarante trois ans leur « projet communautaire exigeant, ambitieux, passionnant et exaltant » de « faire du Pays de leurs aïeux l’or de l’humanité », non pas par orgueil, mais « pour l’honneur de l’esprit humain », selon le titre évocateur du livre du mathématicien français Jean Dieudonné.

Paris le 26 avril 2006

Pascal Adjamagbo
Maître de Conférence à l’Université Paris 6