01/05/2024

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L’espace civique au Togo : Etat des lieux

L’ESPACE CIVIQUE AU TOGO : ETAT DES LIEUX
Selon le Haut-Commissariat des Droits de l’Homme de l’ONU (HCDH), « L’espace civique est l’environnement qui permet à la société civile de jouer un rôle dans la vie politique, économique et sociale de nos sociétés. Plus particulièrement, l’espace civique permet aux individus et aux groupes de contribuer à l’élaboration de politiques qui affectent leur vie, notamment en :
• En accédant aux informations ; ce qui nécessite liberté de la presse, droit à l’information et accès aux droits numériques
• En instaurant un dialogue ; grâce à la liberté d’expression et au plaidoyer
• En exprimant leur désaccord ; individuellement ou collectivement, le cas échéant par des manifestations sur la voie publique ;
• En s’unissant pour exprimer leur point de vue. » ce qui implique liberté d’association et de réunion.
Une première évaluation préalable de l’espace civique peut être établie en interrogeant l’état des quatre catégories de libertés listées ci-dessus : la presse est-elle libre au Togo ? La liberté d’expression a-t-elle droit de cité ? Les manifestations et réunions publiques peuvent-elles se dérouler librement ? Rappelons que ces libertés sont identifiées par le HCDH comme permettant aux individus et groupes d’individus de contribuer à l’élaboration des politiques qui affectent leur vie.
Cette définition du HCDH appelle également un constat : la société civile peut tout à fait jouer un rôle dans la vie politique, économique et sociale de la cité. Ce rôle, et en particulier le politique et le social, sont hélas considérés au Togo, comme relevant du domaine réservé de l’exécutif central ou à la rigueur de l’exécutif déconcentré.
Mais qui donc constitue la société civile et qu’est-ce qui la caractérise ?
I. C’est qui la Société civile ?
Le concept de société civile a connu différentes définitions, au fil du temps et des contextes.
Pour Larry Diamond, « la société civile se distingue de la “société” en général dans le sens où elle implique des citoyens qui agissent collectivement dans un espace public pour exprimer leurs intérêts, leurs passions et leurs idées, échanger des informations, atteindre des buts communs, interpeller les pouvoirs publics et demander des comptes aux représentants de l’Etat »

Plus claire, la définition que Marc ONA-ESSANGUI, Président du mouvement Tournons la Page (TLP), donne de la société civile permet de voir concrètement qui en fait partie ou non. Au Sommet ouest africain sur la bonne gouvernance, l’alternance et la démocratie qui s’est tenu à Cotonou en juillet 2021, le Président de TLP disait ceci :
« La société civile, c’est tous le citoyens, sauf ceux qui sont membres de ce que l’on appelle les « corps constitués », à savoir :
­ Le Président de la République, l’exécutif et son extension l’administration
­ Le législatif, c’est-à-dire ceux qui ont sollicité les suffrages des citoyens pour exercer un pouvoir au niveau de l’Etat central,
­ Le pouvoir judiciaire
­ L’armée
­ Les collectivités territoriales et les chefs traditionnels.
En dehors de ces cinq catégories dont le rôle et les pouvoirs sont définis dans la constitution, le reste c’est la société civile. C’est nous tous, citoyens, c’est vous, c’est moi, c’est ma mère qui plante le manioc dans son village, c’est l’enseignant qui dispense les cours pour former les citoyens, c’est l’éboueur qui assainit notre environnement pour que nous soyons dans un environnement beaucoup plus sain. Tous ceux-là forment la société civile ou sont de la société civile. »
« Mais au sein de la société civile ainsi définie, nous sommes un certain nombre qui estimons que nous avons identifié un problème au niveau de la cité à laquelle nous appartenons et nous estimons qu’il est de notre devoir de nous retrouver et de nous mettre ensemble à deux à dix ou plus pour nous organiser afin de résoudre ce problème. Et là, nous créons une organisation de la société civile (OSC). Ces organisations peuvent avoir la forme syndicale, ou être une simple association régie par des lois de nos différents pays, dotée ou non de la personnalité juridique. »
Marc ONA-ESSANGUI fait donc la différence entre « Société civile » et « Organisation de la Société Civile » ou société civile organisée.

Selon la première Convention de la société civile organisée au niveau Européen qui s’est tenue à Bruxelles en octobre 1999 « La société civile organisée peut être définie comme l’ensemble de toutes les structures organisationnelles dont les membres servent l’intérêt général par le biais d’un processus démocratique basé sur le discours et le consensus, et jouent également le rôle de médiateurs entre les pouvoirs publics et les citoyens. »
La définition de la Convention de la société civile organisée sous-entend-elle que sans processus démocratique basé sur le discours et le consensus, il ne saurait y avoir de Société civile organisée ?
La réponse est non. Car pour d’autres définitions, il s’agit de « groupes de pression pour influencer les politiques gouvernementales dans un sens favorable aux intérêts de ceux que ces groupes de pression représentent ». Et cette situation de pression ou d’influence peut prévaloir, faute de consensus ou de possibilité de médiation.

II. Quid alors des partis politiques ?
Ils sont constitués de citoyens qui, en tant que tels, sont membres de la société civile s’ils ne font pas partie de l’un ou l’autre des corps constitués.
Ils ont, comme d’autres membres de la société civile, identifié des problèmes au niveau de la cité et se sont organisés pour les résoudre.
Mais à la différence des OSC, ils estiment que pour résoudre définitivement les problèmes identifiés au niveau de la cité, le meilleur moyen consiste à conquérir le pouvoir politique et à l’exercer, selon l’idéologie et la ligne politique qu’ils ont définies, collectivement et qui les caractérisent.
Font-ils partie des corps constitués parce que les articles 6 à 9 de la constitution (togolaise) parlent des partis politiques ?
La réponse est évidemment non, sauf pour les membres des partis politiques qui sont membres d’un corps constitué. Et ceci pour deux raisons :
1) L’article 4 de la constitution parle du peuple, de sa souveraineté de ses modes d’expression etc… mais le peuple n’est pas pour autant un corps constitué mais est la société civile
2) Pour le HCDH dont nous avons retenu la définition de l’espace civique, un espace civique ouvert et pluraliste est indispensable pour garantir le développement et la paix durables.
Et pour cette institution, un espace civique ouvert et pluraliste est celui qui garantit
• La liberté d’expression
• La liberté d’opinion
• La liberté de réunion
• La liberté d’association

Larry Diamond, exclut les partis politiques sans autre forme de procès. Pour lui, « la société civile n’inclut pas les efforts politiques visant à prendre le contrôle de l’Etat ».
Mais vous conviendrez avec moi que les quatre grandes libertés citées ci-dessus comme constitutives des droits civiques et politiques concernent aussi bien les OSC, les partis politiques que la société civile non organisée que nous appelons en général le Peuple !
Vous conviendrez avec moi d’autre part, que depuis plusieurs années au Togo, d’abord sous couvert de pandémie à COVID 19 et ensuite sur le dos d’un état d’urgence sécuritaire dans la région des Savanes, les quatre libertés citées ci-dessus sont déniées à tous les membres de la société civile togolaise, qu’ils soient organisés en OSC ou en partis politiques, pour peu qu’ils ne fassent pas partie de la mouvance présidentielle.
Profitons donc de ce point sur les définitions de la société civile pour prendre conscience du fait que nous sommes tous membres d’un seul corps qui a pour nom la société civile. Les formes d’organisation de cette société de citoyens peuvent être différentes. Les modes de fonctionnement et d’action peuvent également être différents. Mais il s’agit, in fine et dans un cas comme dans l’autre, de « groupes de pression visant à influencer les politiques gouvernementales dans un sens favorable aux intérêts du peuple Togolais, ce que l’on appelle couramment l’intérêt général ».
Eliminons donc de notre combat un certain nombre d’affirmations qui sont de véritables non-sens que nous devons balayer de nos discours. Notre camarade Fovi Katakou produit et publie au quotidien des messages de sensibilisation sur les non-sens toxiques à bannir.

III. Rétrécissement de l’espace civique au Togo : Etat des lieux :
L’espace civique au Togo a toujours pâtit :
­ D’une tradition de répression
­ D’une instrumentalisation de la justice à des fins de répression
­ De l’impunité garantie aux auteurs des violations des droits humains.
Les mobilisations des années 1990-91 ont parmi de desserrer un peu l’étau des deux premiers fléaux mais la dictature a rapidement regagné du terrain, jusqu’à la rupture de la coopération de 1994 à 2004.
Les 22 engagements devaient permettre une réouverture de l’espace civique, mais vous connaissez tous l’histoire des rendez-vous manqués, des crises politiques à répétition, des dialogues politiques à répétition, des accords signés et jamais respectés et ce jusqu’au nouveau soulèvement populaire d’août 2017. Depuis ce soulèvement populaire, le régime dictatorial plus que cinquantenaire a juré que l’on ne le surprendrait plus.

Nous assistons ainsi, depuis 2017, à :
­ Un véritable recul juridique, avec l’adoption de lois et de réformes restreignant de plus en plus l’espace civique et ne laissant pas de place à d’autres voix que celle du pouvoir en place. Pourtant, les instruments juridiques que le Togo a signés, la constitution du Togo et la loi garantissent les libertés citées ci-dessus,
­ Une aggravation des violations des droits fondamentaux les plus élémentaires. Malgré l’adoption d’un nouveau code pénal qui rend le crime de torture imprescriptible, les cas de torture sont légion, en particulier à la suite d’arrestations arbitraires, lorsqu’il s’agit de fabriquer des preuves pour éviter que les dossiers présentés devant les tribunaux ne restent vides,
­ Une recrudescence des arrestations préventives de militants prodémocratie qui ne fait qu’aggraver la surpopulation carcérale et transforme plus que jamais les prisons en mouroirs,
­ Une multiplication des cas d’arrestations arbitraires sous des motifs fallacieux, suivis de remise en liberté sous contrôle judiciaire, après des périodes plus ou moins longues de détention préventive, voire de traitements inhumains et dégradants,
­ L’interdiction de toute manifestation sur la voie publique et même de réunion en des lieux privés, sous le couvert de l’état d’urgence sanitaire pendant une première période puis au nom de l’état d’urgence sécuritaire dans la région des Savanes depuis peu
­ Une recrudescence des atteintes à la liberté d’expression et à la liberté de la presse.
Cette liste, qui n’a pas la prétention d’être exhaustive, montre à quel point l’espace civique s’est rétréci, par la conjonction d’actes multiformes de répression et d’entrave aux libertés.

IV. Face au rétrécissement de l’espace civique au Togo, que faire ?
Avons-nous le droit de laisser de côté certains moyens de lutte dont nous disposons, face à un rétrécissement de l’espace civique qui fait taire, sans distinction, toute voix dissonante ?
La stratégie c’est l’art de la guerre et toute guerre pour être gagnée commence par la définition pertinente et précise du champ de bataille, dans sa diversité et sa complexité. C’est l’état des lieux et la définition des différentes composantes du champ de bataille sur lequel nous sommes amenés à affronter l’adversaire qui oriente la choix des armes que nous allons engager, dans cette bataille non violente pour la démocratie.
Or, nous venons de voir que l’adversaire a engagé la lutte sur tous les fronts et a même embarqué, à ses côtés, la justice qui devrait défendre le peuple contre l’arbitraire. Allons-nous, dans ces circonstances, continuer à dire :

  1. Elections ma woèwo donc n’allons pas aux élections ?
  2. Un dictature ne connait pas d’autres lois que celle qui est taillée sur mesure pour défendre ses intérêts. Ça ne sert donc à rien de l’affronter sur un terrain qui est sa chasse gardée ; laissons libre le champ judiciaire qui est le sien ?
  3. Les partis politiques ont échoué donc il ne reste plus qu’à les dissoudre pour laisser le peuple, ou les patriotes mener la lutte eux-mêmes ?
  4. Il faut d’abord combattre les militants de tous bords. Car ce sont eux qui empêchent le peuple de mener la lutte par ses propres moyens ?
  5. Moi je ne fais partie d’aucun parti politique ni d’aucune OSC mais je sais ce qu’il faut faire pour abattre cette dictature ?
  6. Il suffit que nous soyons ensemble pour y arriver ? Quelle chance avons-nous d’y arriver, ensemble, inorganisés, sans stratégie ni plan d’action, colonne d’anarchistes tirant à hue et à dia pour affronter un adversaire aussi organisé et présent sur tous les fronts, avec les moyens d’Etat ?
  7. Seul un leader charismatique peut soulever le peuple ?… Si le peuple n’a pas encore conscience de sa force qui réside en son nombre, de ce que la souveraineté lui appartient et qu’il est ainsi le seul à pouvoir « « faire le job, alors c’est que nous avons encore une longue période de sensibilisation et prise de conscience devant nous, avant d’être prêts ! Le leadership collectif (pas le leader charismatique et messianique) a juste pour mission d’élaborer la stratégie et de donner de la cohérence, en indiquant la voie à suivre, collectivement.
  8. Et enfin, unissons-nous et nous y arriverons !
    OSC comme partis politiques ont toujours été unis et nous en sommes toujours où nous sommes aujourd’hui. Revisitons nos succès et nos échecs passés et tirons en les leçons.
    Et nous nous rendrons compte qu’une union prématurée, un mariage de la carpe et du lapin est non seulement chronophage mais paralyse les capacités de décision et d’action, à la recherche d’un hypothétique consensus ; Surtout lorsque les idéologies et points de vue sont, à la base, trop divergentes. Pire, certains types d’union neutralisent l’efficacité du groupe si ce dernier est infesté de « taupes » qui au quotidien rendent compte à la partie adverse, des stratégies et actions décidées.
    Creusons nos sillons, chacun dans l’organisation qui est la sienne. L’union n’est pas une fin en soi mais un moyen permettant de développer des synergies d’action.
    B.A. BA