La pression conjuguée de la CEDEAO, de l’Union Africaine et d’autres puissances et organisations internationales a conduit Faure Gnassingbe, les officiers putchistes et les caciques du RPT à reculer. Ils se sont alors repliés sur les élections dans les 60 jours, avec toujours une entorse à la constitution : l’élection d’Abbas Bonfo à la place de Natchaba Fambaré. La constitution, même celle de 2002, ne dit pas en effet que le vice-président de l’Assemblée peut assurer l’intérim à la place du président, même si ce dernier est vivant et en possession de toutes ses facultés. La démission de Faure Gnassingbe n’a donc pas réglé le problème du retour au respect de la légalité constitutionnelle.
La CEDEAO et l’Union Africaine se sont contentés de cette démission et se sont prononcés pour les élections dans les 60 jours, allant ainsi dans le sens des souhaits du RPT, et donc du régime en place. « Un parti, c’est fait pour aller aux élections », avait alors martelé au nom de la CEDEAO un Mamadou Tandja visiblement agacé par les exigences de l’opposition togolaise. C’est le même discours que l’on entend depuis 1990 : « On ne boycotte pas les élections. Un point ». Un discours venant de Paris et destiné aux partis d’opposition qui remettent en cause les régimes de dictature dans les Etats de l’ancien espace colonial français d’Afrique.
Il ne s’agit pas ici de discuter des fondements de ce discours. Il s’agit d’abord de remercier les responsables de la CEDEAO et de l’Union Africaine, ainsi que tous ceux qui ont exercé de l’extérieur des pressions requises pour contraindre les officiers putchistes et les caciques du RPT à reculer. Ce faisant, la CEDEAO et l’Union Africaine nous ont appris que l’Afrique n’est plus à l’heure des coup d’Etat militaires, et que les militaires doivent apprendre désormais à rester dans les casernes. C’est une leçon importante pour l’avenir de l’Afrique. On doit se résoudre à passer des armées du type colonial léguées au moment des indépendances africaines, à des armées républicaines respectueuses du citoyen et des lois républicaines que la société se donne pour son fonctionnement optimal. C’est pour cela que le discours de Faure Gnassingbe remerciant et félicitant les officiers putchistes est très archaïque et suscite des inquiétudes légitimes.
Mais il s’agit aussi de montrer que la question des élections intérimaires dans la situation actuelle du Togo n’est pas aussi simple qu’elle peut paraître. Le régime incarné par Eyadema jusqu’à sa mort n’est pas un régime démocratique. C’est une dictature militaire qui n’a jamais accepté le principe de la démocratisation. Tout le monde le sait. Il en est de même du RPT créé pour servir ce régime. Ceux qui avaient fini, parmi les dirigeants, par revendiquer sur le tard une relative libéralisation furent chassés de cette organisation et vilipendés. Eyadema lui-même n’hésitait jamais à afficher son aversion pour la démocratie et sa conviction que c’est l’anarchie, le désordre. L’opposition pour lui, c’est le mal absolu, et ses leaders, des aventuriers. Le modèle politique de cet homme, c’est Mobutu. Il n’a jamais pardonné aux Togolais d’avoir remis son pouvoir absolu en cause en 1990.
Depuis 1993, le régime est passé par tous les moyens, y compris la violence brute, pour confisquer et personnaliser à nouveau le pouvoir d’Etat. « Nous prendrons tout », avait proclamé Natchaba Fambaré dès 1994, pris par le vertige des sommets. Et de fait, ils ont tout pris : les institutions politiques (Cour constitutionnelle, HAAC, la magistrature), les média publics, l’administration nationale, la force publique, les directions de tous les services publics, les entreprises d’Etat… C’est par cette mainmise totale sur le pays qu’ils sont parvenus à organiser à chaque fois l’opacité et la fraude lors des élections. C’est par la fraude électorale combinée à la violence, l’intimidation, la culture de la peur, la désinformation et la manipulation de l’opinion qu’Eyadema a pu ressortir des urnes toujours égal à lui-même depuis 1993.
En prévision des présidentielles de 2003, le régime avait modifié arbitrairement le code électoral et la constitution pour légaliser les conditions de la fraude, de l’opacité et de l’iniquité des élections. On institua ainsi le scrutin à un tour à la place du scrutin à deux tours ; on introduisit dans le code électoral la clause de résidence pour écarter d’office certains candidats ; on s’arrangea pour faire de la CENI une structure à majorité inconditionnellement favorable au régime et on la dépouilla de ses prérogatives antérieures au profit du ministère de l’intérieur. Il faut ajouter à tout cela le fait que tous les préfets nommés par le régime sont d’office membres du RPT et travaillent sans relâche pour ce parti et contre l’opposition démocratique.
Sans compter que le régime n’entendait pas démocratiser et avait la main sur tout, le cadre électoral posait un problème réel. Tel qu’il était avant la modification du code électoral et de la constitution en 2002, les élections n’étaient pour le régime que des formalités pour continuer de garder le pouvoir. Les modifications successives des textes ont aggravé la situation.
Enfin, il était clair qu’on ne pouvait pas aboutir à un cadre électoral transparent et équitable sans l’abrogation préalable des lois modificatives du code électoral et de la constitution. Mais Eyadema s’était résolument opposé à toute remise en cause de la constitution de 2002. Et Louis Michel semblait faire de ce refus un fait accompli. On en était là quand Eyadema est mort. Faure Gnassingbe et ses amis le savent. C’est pour cette raison qu’ils se sont si vite repliés sur les élections, et que Faure s’est fait choisir comme candidat par le RPT.
De tout ceci, il ressort que si l’on organise les élections sur la base de la constitution de 2002 et du code électoral en vigueur avant la mort d’Eyadema, le RPT et Faure Gnassingbe ressortiront des urnes, égal à eux-mêmes, et le régime de dictature retrouvera une nouvelle légitimité. Est-ce de cela que l’on veut ? Comment parvenir à un cadre électoral susceptible de permettre des élections propres ? Le temps imparti pour la préparation des consultations électorales est-il suffisant pour régler tous les problèmes en instance ?
Ces questions méritent d’être posées et méditées par ceux qui se proposent d’aider le Togo à sortir de la crise. Si non, tout paraîtrait comme si l’on disait à Faure et aux officiers putschiste : « sortez par la porte et vous rentrerez plus sûrement par la fenêtre ». Ce n’est pas rendre service à la démocratie.
Fait à Lomé, le 6 Mars 2005
Pour la CDPA-BT
Le Premier Secrétaire
Prof. Emmanuel GU-KONU
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