03/11/2024

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Théâtre-Togo : « Noussou » un cri de douleur… et d’espoir

L’ultime pari de « Noussou, la dernière victime », est de mêler le décor ubuesque d’un pouvoir dictatorial à l’obstination de la résistance et de l’espoir ; le stakhanovisme répressif d’un régime sanguinaire aux prémisses de lendemains qui chantent pour une population martyrisée. Défi relevé par Enam EHE, la créatrice de la pièce et une équipe volontariste d’acteurs. Affichage saisissant d’une dictature aux couleurs togolaises, mais aussi universalisme d’un message adressé à tous ces territoires où l’exigence de liberté reste un combat de tous les instants.

Par Essénam EKON

Un général-président omnipotent à souhait, drapé dans la majesté d’une surévaluation permanente de sa personne, une armée de militaires dévolue à l’assassinat, à l’extinction de toute révolte et une population écartelée entre bâillonnement et instincts de résistance, le décor de « Noussou, la dernière victime » est un descriptif réaliste de la déclinaison de la barbarie au quotidien. Silence, mutisme et omerta en sont les traductions. Les acteurs du paysage randonnent dans la mélancolie de leurs états d’âme et la tristesse d’une condition honnie. La vacuité des regards et la terreur perceptible répercutent volontairement une ambiance où le non-verbal devient le dernier retranchement d’une expression bafouée. L’essentiel se conjugue au gestuel et au refoulement de la frustration. Seules les imprécations autoritaires d’un commandant et une musique alternative viennent rompre la morbidité d’une atmosphère qui confine au repli sur soi. Le contexte est celui d’un pays africain, le Togo, où le pouvoir célèbre le festin de sa surpuissance et le spectacle des corps meurtris en est la suprême matérialisation.

Je vous écraserai tous !

Le Général-président est le centre d’impulsion de cette répression orgiaque. Les ordres claquent comme des coups de fusils et le petit peuple agonise sans bruits en dépit du rêve consensuel d’une société moins barbare. « Si ce que je fais est mauvais, que Dieu me barre la route, mais si ce que je fais est bon, qu’il me laisse continuer », proclame-t-il dans une exaltation messianique. Exécutant des oukases présidentiels, le militaire, le doigt figé sur la détente de son arme, tue, élimine et nettoie les traces de son œuvre macabre. La mort n’est jamais loin, qui tend les bras à toutes ces victimes intemporelles d’un homme qui invoque Dieu en se divinisant lui-même… « C’est ma place que vous voulez ! Je vous écraserai tous ! », éructe le dictateur dans un de ses fréquents accès de folie meurtrière.

Désarmé mais debout !

« Noussou », c’est l’homme transfiguré dans sa chosification et son étranglement, mais aussi la somme de ces douleurs indicibles qui magnifient sa soif de liberté et de démocratie. Les premières scènes valorisent le contraste de cette proximité de l’oppression et d’une dignité résiduelle en mouvement. La statue du commandeur incarnée par le Général-président et son officier de relais dynamisent un jeu de rôle dans la construction du message d’ensemble. Mais le cri de douleur étouffé est en même temps représentatif d’un refus du fatalisme. La foule ne s’y trompe pas, solidaire dans le malheur et désarmée face au crépitement des armes, elle s’avance inexorablement vers son destin avec la certitude de ceux qui meurent pour des convictions. Tribulations d’une population en quête d’une définition de la démocratie et de la réappropriation de certaines valeurs comme la justice, la paix du cœur ou encore l’équité. La mise en scène de « Noussou » revendique la solitude d’une victime fidèle jusqu’au bout à sa condition et à son refus de la compromission.

C’est certainement la richesse de cette posture et sa profondeur qui fondent la note d’espérance portée par le résistant dans la pièce. La Destinée vient certes lui donner acte de sa candeur et de son sens des valeurs, mais devant la mort, c’est l’homme digne qui lève les yeux vers la terre promise de ses vœux pour son pays. Le peuple qui souffre est aussi celui qui se projette vers un avenir débarrassé des fers du présent. Le sort de ces âmes tourmentées n’est pas de végéter dans une douleur infinie, mais de transcender les affres de l’adversité actuelle pour en faire la semence de lendemains prometteurs. La fin tragique du Général-président s’interprète dans ce prolongement optimiste qui est aussi synonyme de renaissance pour la « dernière victime ».

Hymne à l’espoir…

« Hommage aux victimes de la dictature au Togo », comme le revendique son auteur, « Noussou, la dernière victime » surprend par la simplicité du propos et la fluidité des échanges entre les acteurs sur scène. Enam EHE voulait parler de son pays d’origine, le Togo dans ce premier hymne à l’espoir. Elle y est arrivée avec un dosage de gravité et de rythmes qui rendent la représentation agréable à voir. Condensé d’histoire personnelle et d’imagination pour l’auteur, les séquences de rires ne foisonnent pas dans ce « bal tragique » d’écrasement de l’Etre. Le lien entre les diverses scènes et l’histoire du Togo peuvent être aisément faits même en l’absence d’une connaissance pointue des étapes politiques du pays. « Question de responsabilité et d’implication », mais aussi parti-pris d’engagement pour l’ensemble du groupe qui assure en ce moment la représentation de la pièce au Théâtre Pixel. Un mouvement d’ensemble légitime pour une créatrice et un groupe qui ont choisi d’éviter les travers d’une lourdeur artistique dont le produit aurait pâti.

[Noussou la dernière victime->http://www.theatrepixel.com/Tout%20public.html]
Du 2 janvier au 8 février 2009
Tous les vendredis à 19h45 et dimanches à 17h30
Théâtre PIXEL : 18 Rue Championnet 75018 PARIS
Réservations : 01 42 54 00 92
[Theatre Pixel->http://www.theatrepixel.com/Tout%20public.html]