Il était « attendu » à Lomé et le savait mieux que quiconque. Son arrestation n’en est pas moins condamnable et illustre magistralement les turpitudes d’une justice togolaise toujours dépendantes des oukases du clan Gnassingbé. Face à l’équation du retour au pays d’Agbéyomé Kodjo, les descendants d’Eyadéma ont vite fait d’astiquer l’artillerie d’une vengeance entretenue depuis trois longues années…et ce plat-là n’a visiblement pas refroidi.
Par Franck EKON
Les réactions recueillies ici et là parmi les Togolais vivant en France sont unanimes « qu’est-il allé chercher dans cette galère ? » « C’est un véritable suicide… », « ils ne vont pas le louper ». L’indignation a vite succédé à la surprise à l’annonce de l’arrestation de l’ancien Premier ministre togolais. Si beaucoup de togolais connaissent les moindres détails du violent contentieux qui oppose Agbéyomé Kodjo à la famille Gnassingbé, peu d’entre eux le croyaient vraiment capable de se résoudre à aller se jeter dans la gueule du loup comme il l’a fait vendredi dernier. Le fait est que, quelque temps après avoir franchi la frontière l’ancien Premier ministre a été appréhendé et, au terme d’une mise en scène scabreuse, transféré à Kara (Nord-Togo).
Les arguties du Katari Foli-bazi, le ministre de la justice n’abusent personne. Les Togolais connaissent depuis longtemps le mécanisme de fonctionnement de la justice togolaise. « Il y avait un mandat d’arrêt international contre lui, une fois que les poursuites ne sont pas arrêtées, il s’agit d’une procédure normale ouvrant droit à un procès », déclare sans sourciller, M. Foli-Bazi pour justifier l’incarcération de l’ancien chef du gouvernement togolais. Une phraséologie mystificatrice qui confirme la permanence de pratiques iniques et oublieuses des droits élémentaires des citoyens de ce pays. En réalité, le déroulement des événements et la célérité avec laquelle la police politique a réagi ne laisse aucun doute sur le caractère « téléphoné » de l’arrestation d’Agbéyomé Kodjo. Moins que les élucubrations du ministre de la justice, c’est l’environnement vindicatif et excessivement tapageur, entretenu par l’establishment au pouvoir pendant l’exil de M. Kodjo, qui permet de se rendre compte de la véracité de cette thèse. Le Général Eyadéma, de son vivant, avait sa théorie sur le sort à réserver à l’ex-chef du gouvernement si jamais, il s’avisait de rentrer au Togo : Il faut qu’il paie…Accusé d’avoir mis à nu les dérives monarcho-despotiques du pouvoir, Agbéyomé cristallisait l’inimitié du défunt Président au point de nécessiter la mise en branle d’un appareil judiciaire international pour provoquer son extradition de la France vers le Togo. L’ordre naturel des choses n’a pas rendu possible la réalisation de ce vœu d’Eyadéma de son vivant. Ce qui s’est passé le 8 avril dernier à la frontière Benino-togolaise prouve que ses héritiers ont à cœur de le traduire dans les faits. Pour cela, on réveille des prétextes abscons de détournement de fonds ou d’abus de confiance qualifié. Cet habillage juridique d’un règlement de compte politico-familial prêterait à sourire s’il n’impliquait pas la sécurité et l’intégrité physique d’un homme politique togolais.
« Le moment venu, morts ou vifs, les acteurs de la vie politique togolaise auront à répondre devant le tribunal de l’histoire dont la mémoire est infaillible ; pour ma part, j’assume avec dignité et lucidité les erreurs que j’ai pu commettre », soulignait Agbéyomé Kodjo à paris en juillet 2002, en réponse à la diatribe orchestrée contre sa personne par le pouvoir togolais après sa démission du poste de Premier ministre. L’indéniable déficit de fiabilité de la justice togolaise et la particularité du contexte politique dans le pays rendent illusoire actuellement toute prise en charge objective de la problématique du bilan des anciens dignitaires de l’Etat togolais. Dans ces conditions, l’emprisonnement de M. Kodjo s’inscrit ostensiblement dans une dynamique de répression ciblée dont les commanditaires sont bien connus : la progéniture de Gnassingbé Eyadéma ainsi que la clique d’irréductibles courtisans adeptes de l’immobilisme politique au Togo.
En outre, la question du bénéficiaire du crime ne se pose donc plus si on se remémore l’hystérie des descendants du Général Eyadéma qui n’ont jamais fait mystère de leur désir d’en découdre un jour avec celui qui aurait déshonoré la famille présidentielle en profanant sans suite la couche d’une de leurs sœurs. Des contingences familiales viennent par conséquent se greffer sur des rancœurs politiques pour seller le sort d’un homme dont le seul tort aura été de vouloir rentrer dans son pays « confronté à des enjeux et des défis importants. »
La rédaction letogolais.com
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